[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 août 1191.] 4 47 Je propose, par amendement à l’artiple des comités, que les ministres ne peuvent avoir entrée et séance dans l’Assemblée nationale, même une place marquée, que lorsqu’ils y seront appelés, et qu’ils ne puissent parler que lorsqu’ils en seront requis. M. Camus. J’adopte l’article des comités, mais je demande que l’on ajoute après les mots : « seront entendus sur tous les objets sur lesquels ils demanderont à l’être », ceux-ci : « et sur lesquels l’Assemblée leur aura accordé la parole ». Je pense qu’il est utile d’accorder souvent la parole aux ministres, mais je pense aussi que l’Assemblée peut la leur refuser, et voici le fait que je cite à l’appui. Rappelez-vous que, lorsque la question du veto fut agitée à Versailles, il vous parvint un mémoire annoncé comme le résultat du travail des ministres dans le conseil ; l’Assemblée ne voulut pas l’entendre. M. Briois-Beaiimetz. L’amendement de M-Camus est fondé sur une anecdote que je n'ai pas oubliée, ayant fait moi-même la motion de ne pas lire le mémoire de M. Necker; mais mes raisons, que l’Assemblée accueillit dans le temps, sont étrangères aux décrets que pourront rendre les légistatures, et sur lesquels il est indispensable que les législatures entendent les agents de l’exécution, afin qu’ils donnent les informations relatives à l’exécution; il eût été absqrde de les entendre sur la Constitution; il serait absolument absurde de ne pas entendre ceux qui vous diront qu’il manque une loi ou un complément de loi. Ainsi nous sommes d’accord, si M. Camus entend que le ministre ne pourra jamais avoir la proposition de la loi ; mais certes M. Camus n’entend pas dire, car il dirait une chose contraire à vos décrets , que les ministres ne puissent pas venir dire : Il manque tel moyen pour faire exécuter la loi; et certainement cela est non seulement permis, mais ordonné aux ministres. M. Camus. On confond deux choses, c’est que le ministre peut avertir l’Assemblée que telle loi ne peut pas être exécutée. Personne dans l’Assemblée ne s’oppose à ce qu’en tout temps le ministre puisse le faire ; mais nous ne voulons pas que malgré l’Assemblée, et dans un moment que le ministre saurait bien choisir, il vienne se mêler à une discussion qui appartient à l’Assemblée. Si la rédaction ne paraît pas facile à décider en ce moment, alors je demande que l’on décrète la chose; mais voici, moi, ce que j’entends : que le ministre puisse entrer dans l’Assemblée; que toutes les fois qu’il sera requis par l’Assemblée de lui donner des éclaircissements, il le fasse ; que toutes les fois qu’il aura quelque avis, quelque observation à faire ou à donner à l’Assemblée, relativement à l’exécution des lois, il le fasse-, mais qu’ensuite, lorsque la discussion s’ouvre sjur une question, il ne puisse être reçu à prendre ïa parole sur cette question, à ne l'exiger, aux termes de l’article, que lorsque l’Assemblée jugera à propos de l’entendre. M. Briols-Beaumetz. Vous voyez bien que l’amendement que Pou propose tend à ce que l’on puisse refuser la parole à un ministre quand il demandera à s'expliquer sur une question qui s’élève dans l’Assemblée ; et je vous prie de considérer que ce mot de question est un mot vague ; que dans une Assemblée législative il ne s’élève jamais de question qui nç doive fiipr par aboutir à une ldi. Cela peut avoir Jes plus grands inconvénients. ' Je suppose qu’jl soit proposé une loi très bonne, très pressante; si dans cette loi même il se trouye un article de détail qui soit d’une exécution impossible et sur lequel le ministre ait des observations à faire, qü’arriÿerq-t-il ? G’ est que si l’on refuse la parolq au ministre pour expliquer ces observations, observations que l'Assemblée a toujours le droit de ne pas admettre, il fera appliquer le veto sur la loi. Or, la motion de M. Camus n’a d’autre but que de déclarer que les ministres ne parleront que lorsqu’ils seront requis. (Murmures à l'extrême gauche.) M. Bewbell. Parlez français ; dites que vous voulez qu’ils aient l’initiative. M. Briols-Beaumetz. Au contraire, si vous eussiez voulu écouter les observations du ministre, la loi aurait été faite et aurqjt reçq son exécution. Ainsi une difficulté qui aurait pu se lever en un quart d’heure en accordant là parole à celui qui voulait la signaler, vous)a perpétuez, parce qu’il fera appliquer le veto sur là loi passée contre son gré. Que peut-il résulter de là? Une chose qu’ij est essentiel d’empêcher ; c’est l’usage dq droit de veto ; car autant il est nécessaire que ce frein réside dans la main du roi, autant il est utile qu’il ne s’établisse pas fréquemment ce dissentiment entre le Corps législatif et le roi. Cette opposition de volonté ne sert jamais qu’à aigrir les pouvoirs les uns contre les autres, et à nuire, par ce moyen, à la marche du gouvernement. La liberté, l’intérêt public bien entendu exigent que ce soit au milieu de l’Assemblée, devant le Corps législatif et le public, que les ministres soient obligés d’expliquer leur opinion. Qn vous dit qu’ils auront un parti dans celte Assemblée; et moi je veux, quand ils auront un parti, qu’il ait besoin d’être légitimé par l’opinion publique, qui sera juge de toutes les opinions; que tes ministres et leur parti soient obligés de soutenir dans l’Assemblée nationale leurs opinions sous les yeux du grand juge, sous les yeux de celui avec lequel ou ne peut pas longtemps afficher une popularité mensongère. U faut que ses ministres comme ses législateurs lui soient parfaitement connus, parce que la bonté du gouvernement ne peut s’attacher qu’à là confiance dans un gouvernement représentatif; et il ne peut l’obtenir qu’autant que les lois sont publiquement combattues, soutenues, justifiées, afin que rien ne puisse échapper aux regards non seulement des représentants du peuple, mais du peuple qui juge lui-même en dernier ressort. Et qu’on ne me dise pas. Messieurs, qu’il en résultera une initiative dangereuse entre les mains du ministre. Croyez-vous que, quand Jes ministres seront hors de cette Assemblée, ils ne trouveront pas le moyen de faire proposer leurs lois dans l’Assemblée s’ils ne peuvent les proposer eux-mêmes ? Et sans chercher des exemples bien étrangers à toute celte discussion, lorsque M. de Mirabeau fit à l’Assemblée la proposition de donner aux ministres voix délibérative dans l’Assemblée, et que même il voulut peut-être que les membres de l’Assemblée pussent être mipis-tres, y a-t-il quelqu’un de vous qui ignore que la motion, qui fut faite dans celte Assemblée pour taire préposer qu’aucun de ses membres 448 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (15 août 1791. 1 ne pût être ministre que quatre ans après la fin ae la session, avait été concertée la veille au soir dans le cabinet de M. l’archevêque de Bordeaux et qu’un membre de l’Assemblée, qui a dénoncé le fait, en fit lui-même la motion. M. Lanjutnais. Gela est absolument faux; c’est dans les cahiers de Rennes que j’ai puisé ma motion. ( Applaudissements .) M. Briois-Beanmetz. Je ne sais pas pourquoi on a regardé mon opinion comme injuste, car je ne regarde point la motion qui fut faite alors, comme une motion contraire à la liberté publique; j’opinai moi-même pour cette motion, et je ne crois pas que, parce qu’une motion est combinée avec ceux qui tiennent le fil de l’administration, il s’ensuive pour cela qu’elle soit mauvaise et coupable; moi je prétends, au contraire, qu’il n’est rien de si naturel que la proposition d’une loi dans la conversation avec ceux à qui l’administration fait sentir le besoin de la loi et le moment de la proposer. Ainsi, sans prétendre avoir cité un exemple de corruption, j’ai prouvé par un fait qui se réitère. . . . M. Lanjuinais. Par une fausseté, Monsieur; on ne peut pas entendre un tel fait sans s’élever contre. Il n’y a que les personnes qui sont toujours avec les ministres, qui puissent faire de pareilles accusations ; ce n’est pas un fait, c’est un mensonge. ( Vifs applaudissements à l'extrême gauche .) M. Boederer. Rappelez-vous que, la semaine dernière, c’est encore M. Beaumetz qui a jeté dans l’Assemblée les premières semences de la discorde. (Applaudissements à l’extrême gauche .) M. Briois-Beanmetz . Je n’ai point prétendu par là citer un exemple de connivence coupable avec les ministres, mais simplement prouver qu’il valait mieux leur permettre d’énoncer leur opinion dans l’Assemblée que de les réduire à ces moyens d’intrigue. J’ai appuyé cette même motion de M. Camus dans le temps, parce que je l’ai crue bonne et sage dans les circonstances. Le corps constituant n’avait aucun besoin des ministres. Les ministres n’existaient pour ainsi dire pas en présence du corps constituant qui avait fait disparaître toutes les autorités qui n’étaient pas organisées. Autant je pense qu’il eût été absurde de les admettre alors dans l’Assemblée, autant je pense aujourd’hui que ce n’est rien faire pour la composition, pour l’exécution des lois, que de les écarter de l’Assemblée. Je demande la question préalable sur la motion de M. Camus. M. Pétion de Villeneuve. Les comités insistent pour vous faire admettre l’article tel qu’il vous a été proposé, et il semble évident pour tous que l’article, ainsi conçu, ne pourrait pas subsister, et il a été proposé des amendements qui, dans tous les cas, doivent être admis. Selon l’article, les ministres peuvent venir vous dire : l’inexécution de la loi éprouve tels et tels obstacles ; il faut lever ces obstacles, il faut faire telle ou telle chose... Et moi je dis que les ministres, quoiqu’on ne leur accorde que la voix consultative, se trouvent députés de fait dès qu’ils sont admis à être entendus au Corps législatif; ensuite, Messieurs, ils le peuvent sur tous les objets, et rien n’est plus clair que cette phrase: « sur tous les objets sur lesquels ils demanderont à l’être». Ainsi, non seulement ils sont députés de fait, mais ils ont même un privilège que ne pourrait pas avoir un député, celui qui résulte de l’article même, qu’on ne peut refuser de les entendre lorsqu’ils demandent à l’être. ( Applaudissements .) On a fait une objection qui, au premier coup d’œil paraît très spécieuse, mais qui me paraît tourner absolument contre ceux qui l’ont faite. On vous a dit : hé, qu’importe que vous entendiez les ministres dans les assemblées, puisque, retirés ensuite au conseil, ils peuvent faire apposer le veto sur la loi ; de là il vaut beaucoup mieux qu’ils soient entendus dans le Corps législatif... On aurait même pu dire qu’il valait mieux leur laisser faire la loi, car alors il n’y aurait plus de veto ! Voilà positivement un des grands dangers; remarquez, je vous prie, quelle prodigieuse influence un ministre se trouverait avoir quand, en effet, les membres d’un Corps législatif seraient convaincus que s’ils refusent d’accéder aux propositions du ministre, le veto sera apposé 1 N’était-ce pas assez de dire : les ministres seront admis toutes les fois qu’ils seront requis de donner des éclaircissements? Maintenant, pouvez-vous concevoir que le Corps législatif soit assez imprudent, soit assez ennemi de la nation pour ne pas appeler les ministres toutes les fois que leur présence sera nécessaire ? Mais il est bon, a-t-on dit, d'avoir les ministres présents ? Hé bien, Messieurs, c’estl à ce qui est purement illusoire, car un ministre un peu adroit ne répond pas à toutes lesquestions qu’on lui fait, et les ministres se conduisent partout comme en Angleterre ;. il y a une multitude de circonstances où les ministres vous répondent : « Le secret de l’Etat ne le permet pas. » On ne peut alors forcer le ministre à répondre ; ainsi vous ne tirez aucun parti de la présence d’un ministre. L’admission de droit dans le Corps législatif ne me paraît nullement nécessaire ; ou le Corps législatif appelle le ministre, et alors tout est dit; ou bien on ne l’appelle pas, et il fait ses observations par écrit. La présence d’un ministre, quoi qu’on en dise, n’est bonne que pour la corruption ; et enfin, nous avons l’expérience devant les yeux; il est évident que les ministres en Angleterre, non seulement sont chefs d’opinion, mais qu’ils soutiennent, et avec de grands talents, les opinions qu’ils ont, et qu’avec ces grands talents ils entraînent tous ceux qu’ils n’ont pu corrompre. Encore une fois, la présence du ministre sera exigée toutes les fois qu’elle sera nécessaire, et s’il n’est pas appelé, alors il fera passer ses observations, et on l’appellera. Je demande donc qu’on rejette cette phrase : « ils seront entendus sur tous les objets sur lesquels ils demanderont à l’être », et qu’on décrète que les ministres seront entendus toutes les fois que le Corps législatif les appellera. ( Applaudissements à l'extrême gauche .) Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix ! M. Barnave. La question qui vous est soumise est d’une telle évidence, Messieurs, qu’elle n’a besoin que d’être présentée sous son véritable point de vue, pour qu’il ne puisse exister un ami vrai de la liberté... M. Pétion de Villeneuve. Les personnalités ne signifient rien dans cette Assemblée.