718 '[États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Marseille.] rent à elles, comme dans un centre commun, toutes les causes particulières, un seul créancier peut-il avoir le privilège inconcevable de les distraire de leur juge naturel ; de porter la connaissance d’une discussion locale, qui tient à la propriété foncière, à un juge étranger à tous les autres créanciers ; de priver ainsi ses créanciers du droit de se faire entendre sur leurs propres foyers; de les forcer à se déplacer, et d’ajouter le plus souvent à la perte entière de leurs créances un surcroît de frais insupportables ? Ces causes de bénéfice d’inventaire et de discussion donnent lieu à des droits royaux et à des frais de justice excessifs ; et ce qui rend presque toujours vaines les espérances des créanciers chirographaires, c’est le droit de 7 1/2 p. 0/0 auquel elles soumettent les biens immeubles. Ce droit est dû sur le prix à la vente de tous les biens immeubles indistinctement qui ont été mis sous la main de la justice. Il est perçu depuis longtemps en cette ville parla communauté, qui a acquis l’office de receveur des consignations auquel il était attribué. Ce ne rut que pour soustraire ses habitants aux vexations du receveur que la communauté se détermina à faire cette acquisition ; et comme elle s’aperçut bientôt que le produit annuel excédait de beaucoup le prix de la finance, elle s’empressa de faire grâce du quart sur le montant de l’exaction. Malgré cette remise, la quantité de ventes forcées, que les malheurs des temps n’ont que trop souvent occasionnées depuis l’achat de l’office, a permis à la communauté de se rembourser du prix de l’achat et de tous intérêts. Ce vœu de la communauté est rempli ; elle doit donc renoncer désormais à la perception d’un droit qu’elle n’avait acquis que parce qu’il était trop onéreux à ses habitants, et dans l’unique objet de l'éteindre. Ce sacrifice que nous attendons de la communauté, sera un soulagement pour les malheureux débiteurs, dont tout conspire à consommer la ruine, et pour les créanciers, plus malheureux encore, qui, presque toujours, seraient payés, si la principale partie de la fortune de leurs débiteurs n’était pas dévorée par cette foule de droits de contrôle, insinuation, centième denier, 1 sou pour livre, 3 sous pour livre, 8 sous pour livre, timbre, parchemin, et tant d’autres impôts accablants, dont la perception, toujours croissant, dépouille la justice de son attribut le plus précieux. Ne craignons pas que ces objets de détail, ces abus particuliers, que nous sommes plus à portée de connaître à raison de notre état, se perdent dans l’immensité et l’importance du grand intérêt national dont les Etats généraux vont s’occuper. Fondons nos espérances, pour la réformation de ces abus, sur la promesse paternelle du souverain, qui a bien voulu annoncer à ses peuples que le royaume et tous ses sujets en particulier ressentiront pour toujours lés effets salutaires qu’ils doivent se promettre d’une telle et si notable assemblée. Fait et arrêté dans l’assemblée de la communauté des procureurs, tenue au palais, le 23 mars 1789. Signé Seytres, Martichou, syndics ; Emerigou, doyen ; Ëstuby, Audibert, Ghalvet., Court, Gras,Mouret Rolland, Estelle, Esmenard, Nicolas, Arnaud, Martin, Larguier, Terres, Maquan, Mon-taud. DOLÉANCES Des ménagers , agriculteurs et paysans du terroir de Marseille. C’est au nom des propriétaires et possédants biens du territoire de Marseille, résidant à la paroisse de Saint-Julien, qu’en notre qualité de députés, nous adressons nos plaintes et doléances aux pieds de notre auguste monarque. Ce grand Roi comble son peuple d’un bonheur dont nous n’aurions jamais osé nous flatter, et il n’était dû qu’à un prince aussi juste et à un ministre aussi éclairé de nous retirer de l’assoupissement léthargique où nos ancêtres et nous étions plongés depuis tant de siècles. Le ciel bénisse à jamais le règne d’un si grand Roi qui, s’occupant du bonheur de ses peuples, nous facilite les moyens de sortir de l’esclavage où nous étions réduits ! Toutes ces phrases étudiées, tous ces grands mots dont on embellit les discours, ne seraient pas analogues à notre état d’agriculteur. Détaillons énergiquement et simplement nos malheurs, et implorons la justice et la clémence du souverain. Les aliments de première nécessité, tels que le pain et la viande, sont, à Marseille et son territoire, à un si haut prix, par les impositions dont ils sont surchargés, qu’ils réduisent le propriétaire, le cultivateur et l’artisan à toute extrémité, ce ui a été la funeste cause, surtout dans le cours e l’hiver, que nous avons vu tant de malheureuses victimes se porter, par extrémité, à des crimes et à des violences, dont nous n’avons, malheureusement pour nous, que d’exemples funestes trop récents à nos yeux. j De pareils malheurs auraient pu se prévoir, en soulageant le pauvre et l’indigent et laissant un prix libre et naturel aux aliments de première nécessité, dont le pauvre fait la plus grande consommation; et par cet unique moyen, le salaire de sa journée aurait suffi à sa subsistance et à celle de sa famille. Chers agriculteurs, compagnons de nos travaux et de nos misères, malheureuses victimes du caprice du riche, attendons-nous à voir renaître ces temps heureux où notre classe intéressante était si estimée; c’est dans nos anciens Romains que nous en puisons le souvenir : ils obligeaient l’agriculteur à quitter sa charrue pour en faire un sénateur ou un capitaine, dès lors qu’il avait du mérite. Temps heureux! la qualité d’honnête homme tenait alors lieu de tout ; ces temps ont bien changé, il ne suffit à présent que d’être opulent. C’est à notre Roi, chers patriotes, à qui nous devons l’honneur d’avoir été convoqués aux con-„ seils municipaux. Sans sa voix nous en étions exclus pour toujours. Les seules personnes nourries dans le luxe, l’opulence et la mollesse avaient le droit d’y assister et de s’y rendre, au gré de leurs caprices, arbitres de notre sort. Oui, chers laboureurs, ne craignons pas que ce sage Necker, ministre si éclairé, suive l’exemple de bien des personnes qui ont environné nos tribunaux ; qui, sans écouter nos plaintes et douleurs, nous foulent et méprisent ; souvent engraissés de notre propre sang, ils en sont tous les jours plus avides; espérons que ce grand homme domptera leur audace et calmera leurs fureurs. Jetons un clin d’œil sur notre déplorable situation. Concentrés au milieu du territoire de Marseille, nous voilà bientôt sans ressource; nos terres, depuis la perte du privilège du vin, ont [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Marseille.] 719 diminué au moins île 3 p. O/O de leur valeur et cependant toutes les denrées que nous achetons ont augmenté au moins d’un tiers, ce qui met le comble à notre misère; l’avenir le plus funeste s’offre à nos yeux sans pouvoir l’éviter. Divisons les propriétaires du territoire en trois classes, et regardons-nous sous trois points de vue différents : 1° Les propriétaires qui restent aux environs de la mer, quand leurs récoltes ou leurs denrées leur manquent, ont une ressource en la pêche, et cela les indemnise en partie. 2° Les propriétaires qui ont des jardins trouvent, tant sur les fruits que sur les fleurs, de quoi s’affranchir de la misère. 3° Mais nous, qui sommes de cette troisième classe malheureuse, où nos terres ne consistent u’en vignobles qui à peine produisent la moitié e ce qu’elles rendaient autrefois, parce que nos terrains en sont las et épuisés , nous, dis-je, que le froid vient de priver de nos oliviers, nous enfin qui ne vivions qu’en comptant que notre vin eût un peu de valeur; nous dont les ancêtres ont emprunté de l'argent au 5 p. 0/0 pour acheter des terres, aujourd’hui ces mômes terres ne rendent pas le 3 p. 0/0, de sorte que la succession de nos pères, dont nous vivions en travaillant, va devenir la proie de ceux à qui nous sommes encore redevables, nous voilà donc privés de toute espérance, par l’introduction libre des vins étrangers : en un mot, cette année, le ciel et la terre ont juré notre perte. Un espoir nous reste, c’est de porter nos cris aux pieds du trône. C’est au nom de ceux que nous représentons, que nous demandons qu’il soit dorénavant choisi dans la classe des ménagers, agriculteurs, deux personnes dont la conduite soit irréprochable, pour être élus conseillers et assister à tous les conseils quelconques de la communauté, afin que le pauvre puisse faire entendre ses plaintes, et que justice lui soit rendue lorsqu’elle lui sera due. Nous demandons que les droits du piquet, l’au-ret, soient abolis ; qu’il n’y ait plus aucune imposition sur la viande, et que l’on égorge toute sorte de viandes, pour que le pauvre qui se contente des aliments les plus grossiers, puisse trouver à vivre à bon compte, et que tout soit libre, à l’instar de tant de villes bien policées du royaume. Nous demandons que tous ces embellissements de la ville, ce luxe, édifices, réverbères et autres fastes, ne soient pas à la charge de l’agriculteur : ui veut une commodité doit la payer, c’est la loi u prince. Nous demandons que les places et marchés à vendre le foin, le bois et la paille, soient situés aux trois portes principales de la ville, et à portée de tout le peuple; non pas que nous avons vu cet hiver des familles entières périr de froid dans la ville, pour ne pouvoir aller faire demi-lieue pour en acheter; et le pauvre paysan qui le transporte n’est encore qu’à moitié chemin quand il est arrivé à la ville. Quant à ce qui concerne les travaux, chemins et enchères de la communauté, nous demandons que le citoyen marseillais soit toujours préféré à l’étranger, non pas que nous avons souvent vu des personnes en charge abuser de la confiance des magistrats et critiquer les travaux du propre citoyen, le forcer à plaider, tandis qu’un étranger reçoit à profusion le fruit de ses rapines. Nous demandons qu’à l’arrivée des navires chargés de blé il en soit au moins détaillé sur le quai pendant quatre jours, auparavant que l’avare vienne l’engloutir dans ses magasins. Nous demandons qu’il soit permis au pauvre malheureux paysan qui nourrira toute l’année un pourceau, qui malheureusement sera lépreux, de l’emporter chez lui, non pas que l’on exerce une tyrannie cruelle à son égard ou on le lui achète à moitié prix de sa valeur, ou on le force à le laisser sept à huit jours ; dans cet intervalle les rats de quatrejambes et ceux de deux en consomment une partie, et cela parce que l’on craint, dit-on, que cette viande ne fasse mal aux paysans; mais quand elle est achetée à un bas prix, elle est de recette et sert de nourriture au riche. Nous demandons que puisque nous contribuons à toutes les charges de la communauté, elle soit tenue à entretenir nos chemins, aboutissant directement aux bourgs et villages, et que ces chemins soient propres à rouler charrette. Mais, dira-t-on, comment fera la communauté pour faire face aux dépenses indispensables? 1° Supprimer tout ce luxe dispendieux et inutile. 2° Mettre une imposition sur les capitaux en maisons et beaux édifices, qui rendent à Marseille le 8 et le 10 p. 0/0, tandis qu’à la campagne les terres à l’agriculteur, après bien du labeur, ne rendent pas le 3 p. 0/0. 3° Imposer ces vastes hôtels garnis, où un étranger richement logé en passant, suce à loisir le sang des citoyens, et transporte ensuite l’or et l’argent hors du royaume. 4° Sur tant de carrosses et domestiques. 5° Sur le droit d’ancrage aux • vaisseaux chez qui nous n’avons pas de privilèges en leur nation. 6° Sur la volaille, les agneaux et les veaux ; le riche qui veut sa table somptueusement servie, les payera ; c’est le moyen que dans la suite les bestiaux de tous genres soient plus nombreux. 7° Sur les vins étrangers entrant en ville ou son territoire, uue imposition de 1 livre 10 sous au lieu de 2 livres; quoique l’on crie et que l’on cherche à priver l’agriculteur de ce seul et unique secours, et que l’on représente que le vin est cher à 4 sous le pot, notre souverain est trop juste pour ne pas voir que c’est injustement ; car que nous servira d’être patriote , citoyen , si l’étranger jouit de plus de privilèges que nous ? D’ailleurs c’est un droit accordé de tout temps par les rois, de permettre aux magistrats de mettre des subsides pour fournir à la dépense des communautés ; et de quoi se plaindra l'artisan, quand, le pain et la viande seront à bon compte et le vin à 4 sous le pot ? Veut-il vivre gratis, et nous faire payer bien chèrement son travail ? Rien de plus probable ; que si l’imposition sur les vins était détruite, le ménager, agriculteur et paysan seraient aux abois, l’ar&san et le marchand n’y gagneraient pas, et s’en reconnaîtraient facilement à leur débit. Voilà en. un mot le seul espoir, l’unique ressource de l’agriculteur : ou l’imposition sur les vins, ou abandonner ses terres par rapport à la misère. Chers agriculteurs, voici notre espérance réunie dans les mots suivants : Louis XVI est bon, il est juste; l’honnête ministre qui a mérité sa confiance, imbu de nos besoins, ne voudra pas notre perte, rassurons nous : cet illustre personnage ne permettra pas que la misère oblige les pères nourriciers de l’Etat et de la ville à aller solliciter dans les pays étrangers 720 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Marseille.] rhumanité qu’on lui aurait refusée dans sa patrie. Implorons, chers patriotes, la clémence de notre bon Roi, observons à ses pieds, en les mouillant de nos larmes, que l’élément de la mer, n’étant point l’art de l’agriculteur, nous le supplions que nos enfants à l’avenir ne soient plus destinés à servir sur les vaisseaux! À ce seul nom, à ce seul aspect, à peine ont-ils atteint leur quatorzième année, que de crainte d’aller périr sur cet élément ils abandonnent la maison paternelle, ce qui est cause que nos terres se trouvent désertes de paysans et de laboureurs pour les cultiver; et si nous trouvons des étrangers pour y suppléer, c’est à un si haut prix, que nous achetons nos propres denrées avant de les avoir recueillies. Au lieu que le service de terre ou de garde-côte leur est agréable, parce qu’il tend au service du Roi et au bien général de la communauté ! Nous prions de même Sa Majesté de nous affranchir de tous les péages quelconques. Que les seigneurs concentrés dans la Provence, qui ont des immensités de terres incultes, dont les bois n’ont jamais servi à la construction, par l’ordre que ces seigneurs mettent à les couper toutes les quatre années, pour vendre les bois pour les charbonnières et autres fabriques, aient à souffrir que les chèvres y pâturent, ce qui fournira outre une immensité de bestiaux ou chevreaux qui donneront abondance de viande au même peuple, feront encore beaucoup de fumier pour engraisser ces vastes terres qui ne produisent rien et qui produiraient du blé. Et que ces mêmes seigneurs soient obligés à faire défricher leurs terres incultes ou les donner à défricher aux paysans, à un taux raisonnable. Que généralement tous les droits, épices de juge, avocat, frais de procureur et de notaire soient taxés à un prix raisonnable pour que le pauvre puisse jouir du privilège des lois. Ne cessons, chers agriculteurs, d’adresser nos vœux au ciel,. pour la conservation des jours du monarque qui mérite à jamais le nom d’immortel. Signé Burizel, Simon Blanc, Ailbaud.