] Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 décembre 1789.] 55 et maréchaux de France, jouissant actuellement en pensions de retraite ou traitements conservés, savoir -.les colonels de 3,000 livres, les brigadiers de 4,000 livres, les maréchaux de camp de 5,000 livres, les lieutenants généraux de 6,000 livres, et MM. les maréchaux de France de 12,000 livres, continueront d’en être payés comme par le passé, mais que lesdites pensions seront réduites à la quotité ci-dessus Fixée à chaque grade, si elles étaient plus fortes; 3° Qu’il sera néanmoins conservé aux susdits pensionnaires à pensions réductibles, un vingtième en sus de la pension de leur grade, pour chaque campagne de guerre qu’ils auront faite, n’importe dans quel grade, ainsi que pour chaque blessure qu’ils auront reçue en combattant les ennemis de l’Etat ; et ce, sur les certificats qui leur en seront délivrés par le ministre du département de la guerre; 4° Que les susdites pensions seront exemptes de toute retenue ou impôt quelconque, dans le cas où les pensionnaires n’auraient pas de leur chef une fortune personnelle équivalente de leur pension; dans le cas contraire elles seront imposées au dixième, jamais plus, payable dans le district ou le département où les pensionnaires seront domiciliés; 5° Que les militaires qui ne jouiraient pas actuellement de la pension ci-dessus affectée à leur grade, ou dont la pension dont ils jouissent actuellement se trouverait au-dessous du tarif, soit pour le principal, soit pour les additions, en raison du nombre des campagnes de guerre, ainsi que cela est expliqué, ne pourront se prévaloir du présent décret pour prétendre à une pension ou pour faire augmenter celle dont ils jouissent actuellement; 6° Que le ministre de la guerre remettra, dans la quinzaine, au comité des pensions, l’état du nombre des campagnes qu’auront faites, et des blessures qu’auront reçues les pensionnaires de son département, dont les brevets de pensions devront être rectifiés; 7° Que ceux des pensionnaires qui éprouveront des réductions, conformément au présent décret, et qui croiraient avoir des titres pour être exceptés de la loi générale, porteront leurs réclamations au comité des pensions, pour le rapport en être fait à l’Assemblée nationale, qui fera droit à qui il appartient. Je vous observerai à ce sujet, Messieurs, que la politique de la France a été jusqu’à ce jour, d’attirer à son service des étrangers de tout pays, qui y sont entrés à des conditions auxquelles vous ne sauriez manquer sans violer la loi des traités. Par exemple, M. le baron de Lukner, qui, en nous battant quelquefois dans la dernière guerre d’Allemagne, a fait preuve de grands talents, fut recherché par toutes les puissances de l’Europe ; plusieurs lui offrirent, dès la paix de 1763, le bâton de feld-maréchal, équivalent du grade de maréchal de France. 11 préféra d’accepter en France celui de lieutenant général, avec un traitement fort au-dessous de celui qu’on lui offrait ailleurs; Quant aux pensions accordées à la famille du Curtius français, du chevalier d’Assas, et celle du comte de ‘Gbambaure, elles doivent être respectées et rester inaltérables comme l’honneur national. A la suite de ce premier décret, Messieurs, je vous en proposerai un second pour régler le sort à venir des militaires actuellement en activité, et dans lequel vous déterminerez , par une même loi , la retraite de chaquegrade, depuis le soldat jusqu’au colonel inclusivement. Je dois préalablement vous observer qu’il est indispensable de comprendre, dans le prêt des soldats et bas-officiers, toutes les petites sommes affectées aux objets de leur entretien, puis-qu’après qu’ils seront retirés ils auront également besoin de ces différents objets. Mais, pour vous éviter un détail fastidieux et inutile, il vous suffira sans doute, Messieurs, de savoir qu’un soldat coûte 222 livres par an, non compris l’engagement, l’armement et les effets de campement. C’est donc de 222 livres que je partirai pour le tarif graduel du décret suivant : « L’Assemblée nationale a décrété et décrète : 1° Que, depuis le simple soldat jusqu’au colonel inclusivement, celui qui demandera sa vétérance conservera, à titre principal de retraite: savoir, après 30 ans et plus de service actif, le tiers de la solde ou des appointements de son grade;, après 35 ans et plus, la moitié; après 40 et plus, les trois quarts; après 50 et plus, la totalité. Et ensuite il lui sera accordé un vingtième en sus de ce principal du tiers, de la moitié, des trois quarts, de la totalité, pour chaque campagne de guerre qu’il aura faite, ainsi que pour chaque blessure bien constatée qu’il aura reçue en combattant les ennemis de la patrie; 2° Que celui qui perdra un membre, ou sera mis hors d’état de continuer son service, conservera, à titre de retraite définitive, la totalité de la solde ou des appointements de son grade; 3°. Que des colonels, qui seront à l’avenir promus au grade d’officier général, jouiront du traitement affecté à leur grade, conformément au précédent décret; 4° Que Sa Majesté sera suppliée de ne plus faire de promotion d’officiers généraux, et de n’en nommer qu’au fur et à mesure que le bien du service l’exigera, l’Assemblée nationale pensant que 60 lieutenants généraux et 120 maréchaux de camp suffisent pour la conduite d’une armée de 2 à 300,000 hommes; 5e Que le ministre de la guerre présentera, tous les ans, à la législature séante, la liste des pensionnaires qui seront morts dans le courant de l’année, ainsi que celle des nouveaux pensionnaires; et que ces listes seront rendues publiques par la voie de l’impression, afin que la nation entière soit à portée déjuger de l’emploi desfonds qu’elle aura accordés cette année à la récompen se des défenseurs de la patrie. Il serait peut-être à désirer que chaque ministre fût tenu de présenter une semblable liste des pensionnaires de son département. On demande l’impression de la motion de M.de Wimpfen. Elle est ordonnée. M. l’abbé Grégoire. Je demande que les bénéficiers actuellement hors du royaume soient privés des revenus de leurs bénéfices à défaut de justification de la légitimité de leur absence. M. l’abbé Maury. La matière qui vous est soumise est évidemment la plus délicate de vos opérations ; vous êtes placés entre votre patriotisme et votre justice ; vous avez à ménager le sang du peuple. Si les courtisans, dit Montesquieu, jouissent des faveurs des rois, les peuples jouissent de leurs refus. . . On a avancé que les pensions de la France s’élèvent plus haut que celles de tous les autres royaumes de l’Europe. J’ai vérifié cette assertion, et j’assure qu’elle n’est 56 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 décembre 1789.] pas juste. On devait d’abord observer que ces puissances ne sont pas toutes obligées à entretenir des armées de terre et de mer ; qu’elles n’ont pas comme nous la vénalité des offices, qu’il a bien fallu compenser par d’autres grâces. Nous avons cette consolation que, jusqu’à présent , notre gouvernement n’a fait que des sacrifices d’argent, tandis que dans les pays du Nord les faveurs des rois consistent dans le don de mille, de deux mille paysans. Dans un moment de crise où vous avez à vous défendre d’un amour aveugle du bien, rappelez-vous un grand exemple. Quand Henri IV monta sur le trône, Sully relira tout ce que les rois n’avaient pu donner légitimement; mais lorsqu’on lui proposa de supprimer les faveurs particulières des princes prédécesseurs de Henri, il répondit que la bienfaisance des rois de France était immortelle comme leur autorité... Nous ne devons pas toucher aux grâces accordées aux militaires; elles sont sacrées, parce qu’elles sont légitimes ; le militaire élève la puissance des rois. On vous propose d’exclure les femmes de la bienfaisance du prince ; mais les services du mari n’ont-ils pas englouti souvent la fortune de l’épouse? On vous propose d’établir une chambre ardente , uniquement pour les grâces , tandis que les agioteurs, les financiers, les voleurs de l’Etat restent tranquilles. Il faut, en chargeant un comité de l’examen des grâces, excepter de ce travail les faveurs accordées aux militaires. Je les crois toutes justes. Il est de la dignité de la nation de respecter les grâces obtenues parses défenseurs; elles n’ont enrichi aucune famille, il ne faut pas compter ce que coûtent les militaires, quand ils ne comptent pas, eux , ce que le service de la patrie leur a coûté. Ne répandez pas les alarmes parmi eux ; ne les faites pas repentir, dans leurs derniers jours, d’avoir eu de la confiance dans une nation généreuse et noble. Ils sont tous créanciers de l’Etat , vous avez pris sous la sauvegarde de votre loyauté cette dette avant toutes les autres ; serait-il décent d’interpréter vos engagements , pour éviter de les remplir avec les militaires seuls? 11 n’y aurait, pour payer sa honte, pas 3 millions à rabattre sur votre dépense, vous perdriez trois mois, et vous alarmeriez tous les citoyens. M. l’abbé de Monlesquiou. La portion malheureuse des citoyens semble justifier d’une manière particulière la sévérité des principes sur les pensions ; mais vous serez justes et sévères à la fois : vous retrancherez ce qui doit l’être, et le patriotisme ne se portera pas sur une seule classe ; toutes en sont dignes. On vous a proposé de supprimer toutes les pensions et de les recréer ensuite ; cette mesure paraît sévère, c’est dire qu’elles sont mal données : il serait plus simple de faire des retranchements. Je sollicite surtout l’intérêt de l’Assemblée pour cet âge qui a inspiré du respect dans tous les temps et chez tous les peuples ; respect qui a été si bien peint chez les anciens par ce mot de Polyxène , dans la tragédie d’Euripide : les vieillards ri ont point péri sous le fer de vos soldats .... Je voudrais donc qu’on ne se bornât pas à excepter les octogénaires ; je crois que la vieillesse, également digne d’égards dans un âge moins avancé , mérite une exception plus étendue. Quant aux réductions , je pense que celle des trois dixièmes, faite par M. l’archevêque de Sens, est suffisante. Cependant, je ne dissimule qu’il est des pensions d’un tel abus qu’elles déshonorent le gouvernement ; on sera trop heureux de pouvoir les effacer avec le temps, mais il faut être très-avare de ces retranchements subits qui désolent les familles. Les morts seront pour nous des moyens de réductions suffisants. Chaque année, chaque mois, chaque jour, seront une réforme en faveur de la chose publique. Les révolutions ont toujours été faites dans des temps de barbarie ; il faut que celle-ci se ressente des lumières et de la bienfaisance de ce siècle ; il faut qu’elle soit digne des sentiments d’humanité qui honorent l’Assemblée nationale ; je pense qu’il faut retrancher seulement les pensions vraiment abusives, c’est-à-dire les pensions de ceux qui n’oseraient pas monter à cette tribune pour en défendre les motifs; celui qui n’ose pas montrer ses services est indigne de récompense. M. le Président interrompt la discussion pour donner lecture d’une lettre qu’il vient de recevoir de M. le contrôleur-général. Ce ministre expose que l’Assemblée nationale s’est déjà occupée des demandes de différentes villes qui voudraient être autorisées à faire des emprunts pour des approvisionnements de grains et des demandes de plusieurs autres villes qui sollicitent la prorogation de leurs octrois près d’expirer. Cette lettre est accompagnée d’un mémoire. L’Assemblée renvoie la lettre et le mémoire au comité de finances, pour en être reudu compte le samedi 2 janvier. Les daines de la halle demandent à présenter à l’Assemblée l’hommage de leurs respects. Elfes sont introduites. Madame Dupré, du marché Saint-Paul, pro* nonce le discours suivant : « Messieurs , daignez nous permettre, en cette nouvelle année, de témoigner la joie et la satisfaction que nous éprouvons à la vue de vos illustres personnes. Ce zèle infatigable pour le bien de la patrie, vos nombreux travaux éclairés par l’esprit le plus sublime et le plus grand désintéressement, vous mettent déjà au rang des grands hommes. Non-seulement nous l’espérons, mais nous sommes sûres que la fin de ce grand ouvrage va, sous peu, vous donner l’immortalité. Quelle gloire, en effet, quel triomphe pour ceux qui composeront cette honorable liste, puisque nos enfants diront, à son aspect, voilà nos pères ! « Agréez donc, s’il vous plaît, les vœux les plus ardents, que nous ne cesserons d’adresser au ciel, pour le supplier d’accorder des jours sans orages à des têtes si précieuses, et pourvues d’un mérite si éminent. » M. le Président leur répond : « L’Assemblée nationale s’est occupée sans relâche du bonheur et de la liberté de tous les citoyens indistinctement. Au milieu de tant de pénibles travaux, les représentants de la nation trouvent de la consolation et de la douceur, en recherchant avec un zélé iufatigable tout ce qui répandra l’aisance et la tranquillité au sein des familles les moins favorisées de la fortune ; mais , pour recueillir les fruits de nos soins , pour en avancer l’époque, nous avons besoin de calme et de paix. L’Assemblée vous exhorte à