(Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 19 août 1789.] 373 douze, qu’on n’y a reçu aucun éclaircissement ni connaissance sur les troubles arrivés. M. Malouet. Messieurs, il est nécessaire de prendre un parti. Si on me dit que l’Assemblée nationale compromettra son autorité, son crédit, je dirai hautement que je vois déjà l’empire français s’écrouler. Il est donc nécessaire de prendre l’arrêté suivant : « D’après l’exposé qui a été fait des malheurs qui arrivent dans les différentes parties du royaume, considérant que la liberté publique est en danger, l’Assemblée déclare : « 1° Que les lois seront exécutées-, « 2° Que les officiers donneront main-forte; « 3° Que le Roi continuera la levée des impôts. » M. le duc du Châtelet. Je propose, par amendement, de déclarer au peuple que l’on s’occupe de son bien. Il faut faire de nouveaux sacrifices, ce sera ainsi qu’on ramènera la paix ; et enfin, il me paraît nécessaire de faire imprimer ce qui s’est passé à la séance du 4, et de l’envoyer dans les provinces. On demande que la séance soit levée. M. le Président indique la prochaine séance au lendemain 10 heures du matin pour s’occuper uniquement de l’emprunt. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CHAPELIER. Séance du dimanche 9 août 1789. Il a été présenté des adresses de félicitation, remercîments et adhésion de la part de la communauté de Yezenobre, des officiers municipaux, notables et troupes nationales d’Arbois, des électeurs de la ville de Mont-Cenis, du curé de Saint-Martin de Chaumont en Vexin, des commissaires de la noblesse de Nîmes, des trois ordres de la ville de Trévoux, des électeurs et du comité des communes de la sénéchaussée de La Rochelle, de la ville et commune de Châtillon-sur-Seine, de la ville de' Brives en Limousin, de celle de Saint-Flour et des citoyens deTaraseon, avec l’imprimé d’une délibération prise par ces derniers, le 27 juillet. M. le Président annonce que la délibération est ouverte sur la forme de l'emprunt décrété hier . M. le duc de Liancourt. Je m’estime heureux que mes commettants m’aient laissé la liberté de voter des secours provisoires pendant la tenue des Etats généraux. Il est noble sans doute et glorieux pour les représentants de la nation d’offrir leur garantie personnelle pour la sûreté d’un emprunt; mais je crois que cette démarche est un outrage pour leurs commettants. Je suis certain qu’ils nous envieraient la gloire d’avoir voulu seuls et sans eux courir au secours de la patrie. Ils ne désapprouveront pas l’emprunt que nous allons consentir; s’ils devaient le désapprouver, ils le désapprouveraient également s’il était fait sous notre garantie. La proposition, qui a été faite, d’engager les biens du clergé comme une hypothèque de cet emprunt, est absolument inadmissible. Ce serait décider une grande question avant de l’avoir discutée. L’emprunt est instant, et nous n’avons pas le temps de discuter. Quant à la forme de l’emprunt, je pense qu’il vaut mieux mettre l’intérêt à un prix un peu plus bas, sans retenue, que de le soumettre à une retenue qui pourrait retarder le succès de l’emprunt. M. B*étion de Villeneuve. Le projet de voter un emprunt sous notre caution individuelle ne peut pas être admis. Nous violerions en cela l’esprit de nos mandats, quoique nous parussions en observer la lettre. Plusieurs membres de l’Assemblée pourraient ne vouloir pas se soumettre à la solidarité; d’ailleurs, les prêteurs ne se soucieraient pas d’être forcés de courir après leur gage, et l’emprunt serait manqué ; il doit donc être fait au nom et sous la garantie de la nation. C’est à nous de le voter librement, et de surveiller par un comité l’emploi des deniers pour qu’ils ne soient employés qu’à des besoins indispensables. Je propose donc l’établissement de ce comité; ce sera un sûr moyen de tranquilliser nos commettants et d’inspirer de la confiance. t/intérêt proposé par le ministre me paraît illégal. C’est en s'écartant de la loi que le gouvernement a causé tous nos malheurs, et a sans cesse accru la masse excessive de nos dettes. M. d’André. Il y a bien des articles à rayer dans l’état de dépense qui vous a été fourni par le ministre, et j’en cite trois: 1° cet état porte 120,000 livres par mois, pour les arrérages d’uu emprunt fait pour payer les dettes d’un prince du sang. Ce n’est point à la nation à payer cette dette; d’ailleurs, ce prince du sang s’est retiré dans ses terres; il y va vivre d’économies, et il payera lui-même ses dettes; 2° Qu’importe à ma province que l’on construise le pont de Louis XVI? elle ne doit aucun impôt à cet égard ; 3° Le payement des murs pour la clôture de la ville de Paris, invention des financiers qui tourne à leur profit seul. M. le vicomte de Mirabeau. Je réclame le payement des murs; les murs sont faits et ils ont été faits par des Limousins; je les représente, ce sont des ouvriers de ma province, il est équitable qu’ils soient payés. M. Pothée. Il semble que l’on ait voulu établir une différence entre les intérêts ou arrérages de l’emprunt actuel, et les intérêts et arrérages des anciens emprunts. Cela suppose que, quant aux payements des arrérages, il peut y avoir de l’inexactitude; et, en effet, elle existe. Les créanciers des rentes éprouvent un retard considérable. — Il est de la justice de la nation d’empêcher que leur condition ne soit pire que celle des nouveaux prêteurs ; les nouveaux prêteurs n’ont pas plus de droit à l’exactitude des payements que les anciens. Ainsi, la distinction proposée par le projet est dangereuse et alarmante pour les anciens créanciers; elle est d’ailleurs contraire à l’équité, naturelle. Il faut comparer le Roi à un citoyen; supposons qu’un citoyen qui aurait beaucoup de dettes fasse de nouveaux emprunts, supposons qu’il prenne des mesures pour que les derniers prêteurs aient la préférence sur les anciens, cette préférence serait-elle donc compatible avec les premières lois 374 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 août 1789.] de la morale? La première des maximes, en matière de gouvernement, c’est l’honnêteté; et la référence dont il s’agit dans le projet est mal-onnête. Je réclame encore contre cette promesse, qu’il ne sera point fait de retenue sur les intérêts. Déjà elle suppose qu’il pourra en être fait sur les anciens créanciers, et j’avouerai que cela est injuste, parce que le sort de tous ceux qui ont des revenus doit être égal. Je sais bien que l’on pourra me répondre que c’est une opération de finance, et qu’en matière de finances tous les calculs se portent sur les besoins, et non pas sur les règles d’une véritable justice, de cette justice qui doit diriger la conduite de tous les hommes ; car, dans quelque situation qu’un homme se trouve, son premier devoir est d’être juste et honnête. Mon opinion est donc que Femprunt doit être pur et simple, et qu’il ne doit y être question ni de préférence accordée aux nouveaux sur les anciens, aux derniers venus sur les premiers venus, ni de l’affranchissement de toute espèce de retenue. . Il résultera de là un grand bien: c’est qu’enfin on parviendra à bannir l’agiotage et à tarir cette source de la facilité des emprunts qui ont réduit la France dans l’état déplorable où elle est. Je réclame encore sur ce que l’un des motifs du nouvel emprunt a pour objet le payement des pensions. Quoi donc! il sera emprunté pour payer des pensions ! À qui ces pensions sont-elles payées? A quelques familles privilégiées, à des musiciens, à des musiciennes, à des histrions , à des officiers de chasse, à d'autres personnes de cette espèce! Un autre objet de l’emprunt est la construction des murs de Paris. Vous savez tous, Messieurs, que les financiers ont voulu mettre cette ville immense entre quatre murailles, dans une sorte de prison. Vous savez tous, Messieurs, combien cette construction, qui présente des bureaux si dispendieux, a excité de réclamations; d’ailleurs, il s’agit de savoir si ces murs subsisteront. Emprunter pour les payer, c’est reconnaître leur légitimité; et voilà peut-être ce qui excitera la plus vive réclamation, et de la part de la ville de Paris, et de la part de la nation entière. Ainsi je demande que les pensions soient rayées de l’état jusqu’à nouvel examen. Je demande que l’article concernant la dépense des murs de Paris soit purement et simplement rayé. M. Espic. Tout emprunt en finance nécessite un impôt, parce que ce n’est que par l’impôt que l’Etat peut se libérer de l’emprunt; de sorte que, lorsque hier vous avez voté un emprunt de 30,000,000, vous avez nécessairement voté l’impôt de la même somme à des époques plus ou moins rapprochées. L’article 2 du projet des arrêtés qui furent pris dans la mémorable et délicieuse nuit du 4 au 5 de ce mois porte que tous les privilèges pécuniaires, en matière de subsides, sont abolis, et que la perception se fera sur tous les citoyens et sur tous les biens, de la môme manière et dans la même forme. Je demande, pourla satisfaction du royaume et pour la consolation de mes commettants, qu’il soit sursis à la délibération de la forme de l’emprunt jusqu’à ce que la rédaction de l’article 2 soit approuvée, et je prie l’Assemblée de délibérer sur ma motion. M. le comte de Mirabeau. On ne peut, sans attenter à la foi des engagements, lever le plus léger tribut sur les rentes anciennes, ni en imposer sur les nouvelles, sans rehausser les intérêts et commettre une grande faute en finance. Je demande que la proposition des retenues soit, à cause de sa haute importance, traitée a part, et discutée avec d’autant plus de maturité, que de son résultat dépendent exclusivement l’honneur et le crédit national. Dans un temps où les droits de l’homme et du citoyen sont le cri général du ralliement, où la restauration du crédit public, ruiné par de longs désordres, est l’un des premiers objets qui réclament l’attention ; dans un temps où l’Assemblée nationale vient de déclarer qu’elle place les créanciers de l’Etat sous la sauvegarde de l’honneur et de la loyauté nationale; où elle a dit qu’il n’appartient à personne de prononcer l’infâme mot de banqueroute, nous avons peine à concevoir cette proposition d’assujettir les créanciers de l’Etat à des impositions, à des retenues, sur les rentes que leur doit la nation. On nous dit que toute nation étant souveraine, n’est liée par ses propres actes qu’autant qu’elle juge à propos de leur continuer sa sanction. Celte maxime est vraie; elle est juste relativement aux actes par lesquels cette nation agit sur elle-même; mais elle ne l’est pas relativement à ceux par lesquels elle contracte avec une autre partie. Les premiers sont des lois, vraies émanations de la volonté générale, qui cessent d’exister toutes les fois que la volonté qui leur donna l’être juge à propos de les détruire. Les autres sont de véritables contrats soumis aux mêmes règles, aux mêmes principes que les conventions entre particuliers. Si, par le contrat, la nation s’est obligée en recevant une certaine somme à payer annuellement une certaine rente, cette obligation est aussi sacrée pour elle que pour tout particulier qui en aurait contracté une du même genre ; et si celui-ci ne pourrait refuser le payement de ce qu’il aurait promis, sans tomber dans l’injustice ou la banqueroute, comment et sous quel prétexte une nation pourrait-elle s’en dispenser ? On nous dit que la nation a le droit d’imposer. Sans doute que les impositions doivent être réparties avec justice, — nous en convenons encore ; — mais on ajoute qu’il faut pour cela que tous les genres de propriété soient imposés : ceci demande quelques explications. Il n’est point vrai qu’il faille que tous les genres de propriété soient imposés ; mais ce qui est vrai, c’est que tous les individus sans exception doivent être soumis à l’impôt. Or, direz-vous, par exemple, qu’un impôt mis sur les terres seulement ne porte que sur les propriétaires ou les fermiers ? N’est-il pas évident que s’ils en font l’avance, ils exercent à leur tour une reprise sur le consommateur, et, qu’en dernier résultat, c’est toujours celui-ci qui paye l’impôt, quoique en apparence l’Etat ne lui demande rien ? Or, ce consommateur qui vient de payer sa part de l'impôt sur les terres est précisément ce rentier sur qui vous voudriez mettre un impôt direct en lui retenant une partie de la rente que lui doit la nation. La même observation peut se faire pour tous les autres impôts, gabelles, traites, aides, etc. 11 n’en est aucun que le rentier ne supporte en proportion de ses facultés et de ses dépenses. Soumettre le rentier à une retenue, à un impôt direct sur sa rente, ce n’est donc pas vouloir qu’il paye sa part des contributions publiques ; c’est vouloir qu’il la paye deux fois. Et combien cette prétention n’est-elle pas injuste, si l’on réfléchit que cette retenue, cette imposition directe est formellement condamnée [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 août 1789.] par le contrat du rentier avec la nation ; qu’en lui demandant son argent, on lui a promis qu’aucune retenue, aucun impôt ne pourraient avoir lieu sur la rente qui lui fut promise? Alors la retenue, l’impôt dont on parle, étant une contravention manifeste a un contrat exprès, devient, quant à la nation qui a promis, quant aux prêteurs à qui la promesse a été faite, une véritable banqueroute-Ne nous laissons point tromper par des mots. Une banqueroute n’est aulre chose que la rupture des engagements d’un débiteur envers ses créanciers. Elle est innocente lorsqu’elle résulte d’une impossibilité réelle de remplir ses engagements ; elle est frauduleuse lorsque cette impossibilité n’est que simulée, lorsque le débiteur qui prétend ne pouvoir pas payer est réellement en état de le faire. Quel est ici le cas de la nation?. Quelqu’un peut-il dire qu’elle soit hors d’état de payer? et lors même qu’on hasarderait de le dire, est-il bien vrai qu’une telle assertion suffit pour autoriser ce qui, dans le fait, est une banqueroute? Ne perdons point de vue que les engagements des nattons envers les particuliers sont du même genre, ont la môme force, entraînent les mêmes obligations, et de plus strictes encore, que ceux des particuliers entre eux. Suffit-il qu’un négociant dise à ses créanciers: je ne puis pas payer les intérêts que je vous ai promis, pour qu’il soit dispensé de les payer en entier ? La loi civile, qui n’est ici que l’interprète du droit naturel, l’assujettit à des formalités dont le but est de prouver que cette impossibilité existe; ne faut-il pas qu’il dresse un état particulier de ses créances et de ses dettes ; qu’il le présente aux créanciers; qu’il joigne toutes les pièces; qu’il en affirme la vérité par serment ? Et l’on voudrait que, sans aucun examen, sans avoir fait son inventaire, avant d’avoir sondé ses ressources, une nation riche et puissante manque à ses engagements; que, se déclarant bahquerou-tière, opprobre inouï dans les fastes des nations, elle se prive pour jamais de tout moyen de rétablir son crédit? Non, Messieurs, vous ne le souffrirez pas. M. Delandine. Je propose de charger les biens ecclésiastiques d’une somme annuelle de 1,500,000 livres pour les intérêts, et 500,000 livres pour l’amortissement; de prélever à chaque mutation un droit d’annate sur les bénéfices qui viendront à vaquer; et à la vacance des grands bénéfices, de tourner au profit de la nation ces pensions inutiles, ou peu méritées, dont ils étaient grevés. Venez, ministres des autels, venez au secours de la patrie ; écoutez sa voix qui vous appelle ! C’est elle qui vous donna ces biens ; vous en êtes les sages usufruitiers, vous lui en devez le sacrifice; quelque grand qu’il soit ; c’est l’avoir obtenu que de vous en offrir l’idée. MM. l’archevêque d’Aix, les évêques de Langres, de Nîmes et d’Autun se sont levés avec vivacité. M. lie Franc de Poinpignan, archevêque d'Aix , a dit : La démarche à laquelle M. Delandine nous invite honorerait infiniment le clergé. Je m’empresse de publier ses vœux: c’est un devoir, c’est un sentiment naturel qu’il me charge de vous exprimer, et nous allons nous retirer pour délibérer sur les moyens. M. Afassieu, curé deSergy , dit qu’il s’oppose à ce queleclergé se retiredans une chambre séparée. 373 M. Le Franc de Pompignan, archevêqu » d'Aix. Il faut savoir par quels moyens nous pouvons donner un gage assuré pour le remboursement du capital et des intérêts dont nous voulons nous charger. MM. le comte de Fameth et de France observent que l’emprunt est voté par la nation, et que c’est à elle de le remplir et d’en fournir le gage. M. Le Franc de Pompignan, archevêque d'Aix. Je n’ai pas pensé un seul instant que ce fût la nation qui votait l’emprunt; et je me serais grandement trompé si j’avais exprimé une autre idée. La nation aura voté l’emprunt, il sera affecté sur les biens ecclésiastiques, et nous serons trop heureux d’offrir nos biens à son hypothèque. M. le duc de Liancourt. Je m’oppose à l’admission de celte offre. Je réclame pour la nation l’honneur de supporter en entier le fardeau des charges publiques. M. Mounier. J’appuie l’avis de M. Pétion. J’observe ensuite que cet emprunt ne peut suffire que pour les dépenses de deux mois ; qu’il faut se presser d’achever le travail de la constitution et sur les finances, qu’alors on s’occupera des moyens d’économie. Quant au comité de surveillance qu’on a proposé, je le crois inutile. Cette surveillance empiéterait sur le pouvoir exécutif. Les besoins connus de l’Etat éloignent toute crainte de dilapidation. La responsabilité des ministres doit nous rassurer encore, ainsi que le terme prochain de la reddition de leurs comptes. Dans le projet produit par le comité des finances, on annonce l’établissement, d'une caisse nationale. Je croirais cet établissement dangereux dans ce moment. Je crois que sous tous les rapports il mérite de longues et de sérieuses réflexions. M. d’Antralgucs. Je regarde l’intérêt à cinq pour cent sans retenue comme illégal, usuraire et contraire à tous les principes. Existerait-il donc des Français assez avides pour se prévaloir de notre profonde et douloureuse détresse? Nous ferions renaître les privilèges pour favoriser les capitalistes; quand le peuple meurt accablé sous le faix des impôts, eux seuls en seraient affranchis! C’est alors qu’il faudrait imprimer les noms des prêteurs, afin qu’ils retirassent tout à la fois leur or et l’exécration publique. L’extrême nécessité, le salut de l’Etat vous ont forcés à accorder l’emprunt; n’empêchez pas que l’impôt l’atteigne; sinon ce n’est pas à la nation à le garantir, c’est à nous à supporter individuellement les maux auxquels nous aurions gratuitement donné naissance. Eloignons du trésor royal celte foule d’agioteurs qui sucent le sang des peuples; sauvons l’Etat par nos sacrifices, sans offenser les principes par nos décrets. M. Barrère de Fieuzac. En quelle forme l’emprunt délibéré doit-il être fait? Est-ce au nom de la nation ? Est-ce au nom du souverain, sous la garantie naiionale? Un impôt serait moins funeste à la nation ; il ne frappe que la génération présente, tandis que l’emprunt écrase les générations futures. Le corps législatif ne doit donc pas consacrer d’avance une pareille forme d’administration, contre 376 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 août 1789.] laquelle plusieurs cahiers s’élèvent. Pour concilier les principes avec les besoins, le Roi ouvrira l’emprunt et vous n’aurez fait que le délibérer, le crédit naîtra de votre garantie. Quant au gage offert par le clergé, il ne serait pas décent d’offrir celui d’un corps particulier; la nation n’a besoin que d’elle-même. D’ailleurs combien d’obstacles un pareil gage mettrait à l’exécution de projets sur les biens ecclésiastiques ! Il faut soumettre aussi les prêteurs aux retenues, afin que les citoyens les plus riches contribuent aussi aux charges de l’Etat. Le comité de surveillance qu’on vous propose ferait tort aux représentants de la nation. Cet établissement, injurieux à la dignité royale, serait encore destructif de la confiance que vous avez témoignée si solennellement à un ministre vertueux, et contraire à la majesté du peuple français. M. Prieur demande que, dans le préambule du décret sur l’emprunt, l’Assemblée nationale énonce les motifs qui l’ont déterminée. M. Dupont présente des vues générales sur les emprunts, et propose ensuite d’établir celui-ci à quatre et demi pour cent ; et pour augmenter l’attrait, voici la forme qu’il adopte: quatre pour cent en rente perpétuelle, un demi pour cent en tontine, de maniéré que le dernier de deux cents prêteurs aurait la totalité de son capital en rentes viagères. Pour éviter l’agiotage, les deux intérêts seraient stipulés dans le même contrat. M. deCIepmont-Tonnerre.il serait précoce d’entamer la question des biens du clergé. Vous avez mis les créanciers de l’Etat sous la sauvegarde de la loyauté française ; il est inutile de chercher un autre gage, personne ne doute de la sûreté de cette hypothèque. La responsabilité des ministres dispense l’Assemblée de surveiller l’emploi des finances. On demande de toutes parts que la discussion soit fermée, et que le projet soit mis aux voix. M. Guinebaud, député de Nantes, dit qu’il versera 30,000 livres dans l’emprunt sans intérêts. M. Bcgouen, député du bailliage de Gaux, fait la même offre. On applaudit, et on demande par acclamation que le nom de ces députés soit inscrit sur le procès-verbal. M. le baron d’AUarde veut présenter un projet de décret, il est interrompu; les cris aux voix! aux voix! l’empêchent de se faire entendre. Les articles du projet du comité sont mis successivement aux voix. L’article qui fixait l’intérêt à cinq pour cent avec retenue est de nouveau débattu ; on observe qu’il valait mieux prendre cette retenue dans l’intérêt même, et on a proposé de le fixer à quatre et demi pour cent sans retenue. M. le vicomte de IVoailles appuie cette observation en faisant sentir l’incertitude qu’entraîne avec lui le mot retenue ; et il ajoute que cette incertitude éloignerait beaucoup de capitalistes. � Cette observation est approuvée, et l’intérêt est fixé à quatre et demi pour cent. Voici les articles tels qu’ils ont été décrétés. DÉCRET. « L’Assemblée nationale, informée des besoins urgents de l’Etat, décrète un emprunt de 30 millions aux conditions suivantes ; « Art. Ier. L’intérêt sera à quatre et demi pour cent, sans aucune retenue. « II. La jouissance de l’intérêt appartiendra aux prêteurs, à commencer du jour auquel ils auront porté leurs deniers. « III. Le premier payement des intérêts se fera le 1er janvier 1790, et les autres payements se feront ensuite, tous les six mois, par l’administrateur du trésor public. « IV. Il sera délivré à chaque prêteur (1) des quittances de finances, sous son nom, avec promesse de passer contrat, conformément au modèle ci-après. « V. Aucune quittance ne pourra être passée au-dessous de 1,000 livres. » La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CHAPELIER. Séance du lundi 10 août 1789, au matin. La séance est ouverte à 9 heures du matin par la lecture d’une ampliation de pouvoirs aux députés de la noblesse du Poitou. M. Target, au nom du comité de rédaction, fait lecture d'un projet de décret pour le rétablissement de la tranquillité publique. Il lit ensuite la formule du serment pour les troupes. M. Dupont juge convenable qu’on établisse une formule pour avertir le peuple qu’on agira contre ceux qui fomenteront et participeront à des mouvements séditieux comme contre les rebelles. Il cite le bill de mutiny publié en pareil cas en Angleterre, et il réclame l’exécution de formes semblables dans la proclamation proposée. M. le duc du Châtelet appuie cette proposition; il ajoute qu’elle produit en Angleterre les effets les plus prompts pour dissiper les attroupements, puisqu’après la promulgation de cette loi cinq personnes trouvées ensemble sont arrêtées et condamnées à mort. M. le marquis de ..... Dans diverses provinces, le peuple, non content de brûler les cbartriers des seigneurs, porte ses excès jusque sur les personnes. Je propose donc d’ajouter à la proclamation que tous les habitants d’une paroisse répondront des incendies, à moins qu’ils ne prouvent que ces désordres ont été commis par des étran * gers. M. Mouiller. La formule de serment pour les troupes, proposé par le comité, demande un examen réfléchi. Si les troupes juraient de ne prendre les armes contre les citoyens que sur la réquisition de l’Assemblée nationale et des ma-(1) Le mot prêteur a été remplacé parle mot porteur. Voy. plus loin la séance du 10 août au soir.