357 [Assamblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 juin 1791. J M. Briois-Beaumetï. Comment fermer la discussion quand M. Barnave seul a été entendu? M. Malonet. Je demande la parole. M. le Président. Si quelqu’un doit avoir la parole, c’ed; M. Le Chapelier, je vais consulter l’Assemblée . (L’Assemblée consultée décide que M. Le Chapelier sera entendu.) M. Le Chapelier. Je partage l’avis de M. Barnave et je crois bien que le seul moyen de relever les changes est le rétablissement complet de l’ordre public, et l’achèvement de l’organisation sociale ; mais je dis qu’aucune administration éclairée ne peut refuser de porter ses regards sur les besoins du commerce et sur les pertes momentanées qu’il éprouve. Faut-il, en passant à l’ordre du jour, vous mettre dans le cas d’entendre dire que vous ne voulez pas chercher à vous éclairer sur les moyens propres à diminuer ces pertes. Ordonner l’impression... Voix diverses : Non! non ! Ce n’est pas cela ! M. Le Chapelier. Ordonner l’impression d’un discours où l’on a cherché à vous proposer quelques-uns de ces moyens, c’est inviter à vous en présenter d’autres. Passera l’ordre du jour sans discussion sur la proposition de remédier au désavantage des changes, c’est avoir l’air de décréter que vous ne voulez pas porter vos soins et votre sollicitude sur la situation pénible du commerce. {Murmures.) C’est faire croire à une insouciance que vous n’avez pas. On dit que les moyens proposés ne sont pas bons! Eh bien, Messieurs, il est de votre devoir d’en chercher de meilleurs. Je demande que vous vous occupiez de cela et que vous ordonniez l’impression du discours. M. Anson. Je m’étais borné à appuyer la demande d’ordre du jour présentée par M. Barnave. On me force à développer quelques moyens. Je vais le faire très laconiquement. Messieurs, le discours de M. de Talleyrand mérite l’impression dans un sens. La première partie renferme, sur les changes, des détails connus, mais très bien déduits et très bien conçus; la seconde partie est d’une nature toute différente. C’est à cause d'elle que je m’oppose formellement à ce que l’impression d’une telle opinion soit faite au nom de l’Assemblée. Si, dans ce discours, on vous proposait de chercher des moyens et d’en renvoyer l’examen à une commission quelconque, ce serait une chose très simple; mais on vous propose, dans cette seconde partie, des moyens qui pourraient détruire l’effet de vos plus sages dispositions en matière de finance. Si on pouvait croire que vous adoptiez un instant ces moyens, ou du moins que vous ne les regardiez pas comme contraires à ce que vous avez déjà décrété, cela produirait le plus fâcheux effet. Il serait malheureux que par des interruptions, des motions incidentes et inattendues, on fît varier l’Assemblée nationale dans un sens aussi dangereux et sur une matière aussi délicate. Vous avez décrété la grande mesure des assignats; vous n’avez pu faire autrement, et vous avez bien fait; mais, Messieurs, si vous l’altérez le moins du monde, vous perdez la chose publique. ( Applaudissements prolongés.) Lorsque, comme je n’en doute point, M. de Talleyrand aura fait imprimer son opinion, je prendrai la liberté de lui répondre, non pas pour révoquer les développements sur les changes, mais j’espère lui démontrer, comme je l’ai annoncé personnellement à cette tribune, que la baisse du change, loin d’être un mal, est un remède. Je l’ai dit, je l’ai imprimé et voilà le neuvième mois que ma prédiction s’accomplit. En effet, il serait bien extraordinaire que vous voulussiez dans ce moment-ci vous exposer au très grand danger de mesures fausses ou au moins incertaines pour faire remonter le change, quand l’Angleterre est occupée à faire baisser le sien à son désavantage. Le mai actuel n’est que momentané, et notre commerce reprendra toute son activité. Quoi qu’on puisse dire, la fabrication augmente prodigieusement dans nos manufactures, les commandes sont extrêmement nombreuses : les habitudes en ce genre sont bientôt prises, et on ne fait pas aisément changer le cours du commerce. On dit que nous fournissons dans une année ce que nous aurions fourni dans deux, et que l’état des manufactures sera l’année prochaine, aussi stagnant qu’il est actif cette année : on ne fait donc pas attention que ce ne sont pas les mêmes commerçants qui doublent leurs commandes, mais que le nombre des commerçants qui travaillent en France s’accroît continuellement, et la chose deviendra de plus en plus sensible, car vos manufactures vont avoir sur celles d’Angleterre l’avantage d’une plus grande liberté. Vous avez tout fait pour le commerce qui n’a plus besoin que de la protection générale. Si les impôts étaient payés, bientôt l’échange serait à votre avantage, et je m’en vais le prouver en un mot, c’est que les commandes ne se font pas en argent comptant, mais en lettres de change à 3, 6 ou 9 mois de date suivant l’usage des nations où l’on trafique. Eh bien, Messieurs, dans 8 mois, dans 1 an, nous serons créanciers de ceux qui ont commandé chez nous ( Vifs applaudissements.), et comme le change est toujours favorable au créancier, il rehaussera alors à notre avantage par les raisons que vous a données M. de Talleyrand. {Applaudissements.) Je n’ai plus qu’un mot à dire pour revenir à la véritable question, dont on m’a détourné involontairement, qui est de ne point imprimer l’opinion de M. de Talleyrand, au nom de l’Assemblée. On arrêterait la vente des biens nationaux, en mettant en doute, comme on le met dans ce moment-ci, que nos forêts soient hypothéquées aux assignats. Cependant on a, hier, évalué l’hypothèque des assignats à 2 milliards 400 millions; je la porte, moi, à 3 milliards, et les forêts nationales y sont comprises. {Applaudissements.) Plusieurs membres : C’est vrai ! c’est vrai ! M. A h sou. On annonce encore, dans l’opinion dont il s’agit, la possibilité de faire un emprunt sur des annuités territoriales. Eh bien! il est déjà très fâcheux qu’on ait prononcé ce mot-là dans l’Assemblée, car si l’on pouvait s’attendre que les annuités fussent un placement, vos ventes seraient interrompues. On ne pourrait prudemment parler d’annuité qu’à l’instant de la dernière vente. Pour toutes ces raisons, et pour beaucoup d’autres qui frappent sans doute l’Assemblée, sans qu’il soit besoin de les déduire, je demande qu’on passe à l’ordre du jour. (L’Assemblée, consultée, décrète à la presque 358 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 juin 1791.] unanimité qu’elle passe à l’ordre du jour sur la proposition d’impression du discours de M. de Talleyrand-Périgord.) M. Ic Président lève la séance à trois heures et demie. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. ALEXANDRE DE BEAUHARNAIS. Séance du mardi 21 juin 1791, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Dauchy, ex-président , prend le fauteuil en l’absence du président. Un de MM. les secrétaires commence la lecture du procès-verbal de la séance d’hier. Un membre, entrant dans la salle : 11 est bien question de lire le procès-verbal 1 M. Alexandre de Beauharnais, président , prend place au fauteuil et dit : Messieurs, j’ai une nouvelle affligeante à vous communiquer; je dois prévenir l’Assemblée qu’à 8 heures du matin, un momeni avant de me rendre ici, M. le maire s’est rendu chez moi et m’a annoncé la nouvelle, qui sans doute jettera la consternation dans l’Assemb ée, du départ du roi avec une pnrtie de la famille royale. J’imagme qu� l’A-semblée nationale, dans une conjoncture aussi imprévue et aussi importante, croira utile, pour la tranquillité du royaume, pour le maintien de la Constitution, de donner les ordre-s les plus prompts pour que dans toutes les parties du royaume on soit instruit au plus tôt de cette nouvelle alarmante. (Un profond silence règne dans l’Assemblée). M. Regnand (de Saint-Jean-d' Angêlÿ) . Je ne m’ét«-ndrai nas s r les suites de la circonsiance où nous nous trouvons; je ne rappellerai point à l’Assemblée le «murage, le sang-froid, la tranquillité qu’elle déployé, il y a deux ans, dans des conjonctures moin< importantes peui-être «t moins nifficiles. Les hommes qui ont su à cette époque cou iu rir la liberté, sauront aujour l’hui la conserver et la défendre; tous les amis de la Constitution vont s'unir et se presser pour la maintenir, et j’espère que chacun de nous trouvera dans son cœur le même sentiment que je trouve dans le mien. Vous aurez, Messieurs, lorsque vous serez instruits, des mesures essentielles à préparer et à prendre. Dans cet instant, il me paraît indispensable d’en adopter deux : La première, d’ordonner à l’instant que les ministres soient appelés à la barre de l’Assemblée pour y recevoir ses ordres; La seconde, qu’il soit donné ordre au ministre de l’intérieur d’expédier à l’instant des courriers dans tous les départements du royaume, avec ordre à tous les fonctionnaires publics, gardes nationales, ou troupes de ligne d’arrêter ou de faire arrêter toute personne sortant du royaume. M. Camus. J’appuie la motion de M. Regnaud : il faut arrêter toute personne sortant du royaume. Je sais à merveille que ce n’est pas la seule mesure à laquelle l’Assemblée nationale doit se borner; mais je crois que celle-ci est urgente et imnérieuse, car enfin il faut que le gouvernement, que le timon de l’Etat repose en quelques mains : c’est pour cela qu’il faut empêcher une émigration qui peut devenir aussi dangereuse pour la nation et que j’appuie la proposition d’envoyer des courriers. Ces deux mesures sont nécessaires et je crois qu’il est important de les prendre et de les arrêter à l’instant. (Applaudissements.) En ce qui concerne les ministres, je demande que M. le Président soit à l’instant autorisé à écrire à chacun un ordre au nom de la nation, pour qu’ils se rendent à la barre. M. le Président. Je dois prévenir l’Assemblée, afin qu’elle apporte dans cette importante question toute la sévérité, toute la maturité nécessaire, que M. le commandant général, que j’ai vu chez M. le maire, il y a 5 minutes, m’a dit avoir donné des ordres pour faire partir des courriers sur toutes les routes. M. Regnaud (de Saint-Jean-d’ Angèly). Ces courriers ne partent pas au nom d’une autorité légale; c’est au nom du souverain que vous devez les envoyer-, puisqu’en ce moment il n’y a pas d’autre autorité qui doivent donner des ordres. M. Re for mon. Mettez les propositions aux voix, Monsieur le président. M. Ce Chapelier. Quand le chef héréditaire du pouvoir exécutif est absent des lieux où il doit être, quant il fuit la patrie au moment où elle le réclame, certes il faut prendre une grande mesure. Eh bien, peur cela il fmt nommer un comité chargé de préparer un projet de décret, car nous serons très longtemps à délibérer. Quant à la venue du ministre, elle me paraît prématurée d’une demi-heure au moins. Je voudrais avoir quelque chose à leur dire lorsqu’ils viendront et certes vous n’aurez rien à leur dire si vous n’avez pas un projet de décret. (La motion de M. Le Chapelier est rejetée par la question préalable). M. le Président. Je mets aux voix la proposition de charger le ministre de l’intérieur d’expédier des courriers dans tous les départements. (Cette motion est décrétée.) M. Camus. Dam le décret, il faut mettre les ordres qu’on donnera aux courriers. Je demande qu’l soit enjoint, delà part de la nation, à tous gardesnationales fonctionnaires publicsou troupes de ligne, d’arrêter non seulement toute personne qui voudrait sortir du royaume, mais encore tous effets armes, munitions, espèces d’or et d’argent, chevaux et voilures; et je crois qu’on pourrait rendre les officiers municipaux et les commandants desgar les nationaux responsables en leur propre nom de tout ce qui pourrait sortir. M. Regnaud (de Saint-Jean-d’ Angély). Voici ma rédaction : « L’Assemblée nationale ordonne que le minis-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.