SÉANCE DU 21 FRUCTIDOR AN II (7 SEPTEMBRE 1794) - N° 35 339 s’agira de l’organisation entière de la République; je demande le renvoi du rapport et de l’instruction aux comités. Cette proposition est décrétée (76). 34 VILLERS, au nom du comité de Commerce et des Approvisionnements: La nécessité de mettre un frein à cette cupidité mercantile dont les ennemis de la patrie se servoient avec tant d’avantages, vous a déterminés à fixer le maximum du prix des denrées et des marchandises. Vous rendîtes, en conséquence, la loi salutaire du 29 septembre 1793 (v. s.) qui calma les inquiétudes du peuple en désespérant les conspirateurs; mais l’article III de cette loi portant qu’elle aura lieu, dans toute la République, jusqu’au mois de septembre suivant, il est urgent que la Convention nationale s’explique sur la durée de son exécution. Votre comité désireroit pouvoir vous proposer de la supprimer: mais en donnant au commerce trop de liberté, ce seroit rendre aux agioteurs leurs espérances. Le moment n’est pas encore venu, où il sera possible d’abandonner avec confiance à des spéculations particulières les besoins de la République: il faut pour cela qu’elle soit en paix dans l’intérieur, et qu’elle n’ait plus d’ennemis à combattre au dehors. C’est un malheur, sans doute, d’être obligé de recourir à des lois prohibitives, sur de pareils objets. Tel est le sort des révolutions, qu’elles forcent souvent de s’écarter des principes. Mais s’il est reconnu que le maximum est encore nécessaire pour assurer la subsistance du peuple, une vérité non moins incontestable, c’est que l’expérience d’une année, et les renseignements que votre comité va se procurer, le mettront à même de vous présenter des mesures qui en perfectionneront l’exécution, et qui, en inspirant plus de confiance, rétabliront entre le marchand et le consommateur cet équilibre qui ramène toujours l’abondance. En attendant, voici le projet de décret que votre comité de Commerce et des Approvisionnements est chargé de vous proposer (77). Sur le rapport du comité de Commerce et des Approvisionnements, la Convention nationale rend le décret suivant relatif au délai pour le maximum. La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [Villers au nom de] son comité de Commerce et des Approvisionnements, Décrète que le délai fixé par l’article III du décret du 29 septembre 1793 (vieux style), pour le maximum du prix des denrées, matières et marchandises, est prorogé jusqu’au premier vendémiaire de la quatrième année de la République. (76) M. U., XLIII, 346; Rép., n° 262; J. Fr., n° 713. (77) C 318, pl. 1 284, p. 17, minute de la main de Villers. Bull., 21 fruct. Moniteur, XXI, 694-695. Débats, n° 717, 353-354. L’insertion du présent décret au bulletin de correspondance tiendra lieu de publication (78). 35 Un membre fait une proposition sur le code civil, et pour un projet d’institutions républicaines. BARÈRE : Citoyens, depuis quelques jours il se présente des lacunes dans l’ordre des travaux de la Convention, quoiqu’il existe dans plusieurs comités des projets de décrets et des rapports très importants. Je n’en citerai qu’un, et mes collègues sentiront l’objet utile de ma motion; c’est ce qui concerne la législation civile. Nous savons tous que c’est là une des bases de l’organisation sociale; que tous les intérêts, toutes les transactions, toutes les questions relatives à l’état des citoyens, à leurs propriétés, à leurs contrats, tiennent au code civil. Il est peu de législateurs qui aient pu encore parvenir à simplifier un pareil code; ce ne sera pas un petit avantage d’avoir publié un code civil simple, clair, concis, répondant à tous les besoins d’une nation nombreuse, et analogue aux principes d’une république démocratique. Le code civil des Romains, tant vanté par ceux qui n’ont pas été condamnés à le lire ou à l’étudier, était un volume énorme, corrompu par le chancelier pervers d’un empereur imbécile. Nos lois civiles, nos coutumes étaient, comme toutes celles des peuples de l’Europe, un mélange bizarre de lois barbares et disparates, appartenant à des gouvernements et à des siècles divers. Il n’appartenait qu’aux fondateurs de la République française d’entreprendre d’effectuer le rêve des philosophes, et de faire des lois simples, démocratiques, et intelligibles à tous les citoyens. Il y a déjà plusieurs mois que le comité de Législation s’est occupé de ce travail. Il est dans le style concis et dans les principes sévères de la constitution républicaine, acceptée il y a un an par le peuple français. Ce travail, qui ne tiendra pas une heure de lecture, est précédé d’un rapport très développé sur les avantages résultant de ce code civil. Je demande que Cambacérès soit chargé de la présenter à la Convention nationale dans deux jours, afin que cette première lecture, précédant l’impression, frappe l’attention des représentants du peuple d’une manière plus générale et plus forte que dans des lectures partielles et interrompues. L’ensemble d’un pareil ouvrage ne peut être saisi que par la connaissance que nous en prendrons dans la même séance. L’impression et l’ajournement de la discussion pourront ensuite en éclairer mieux les imperfections. Il est temps que le peuple français jouisse des avantages législatifs de la révolution glo-(78) P. V., XLV, 140-141. Décret n° 10 784. J. Paris, n° 616; Ann. Patr., n° 616; C. Eg., n° 751; F. de la Républ., n° 428; Gazette Fr., n° 981; J. Fr., n° 713; J. Perlet, n° 715; J. S.-Culottes, n° 570; M. U., XLIII, 347; Rép., n° 262; J. Mont., n° 131. 340 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE rieuse qu’il a faite par son courage; il est temps que les malveillants soient avertis que les législateurs voient déjà le port où le vaisseau de la République doit arriver. Il est temps qu’au milieu des agitations inséparables du gouvernement révolutionnaire, nous travaillions pour les temps calmes et de paix, et que les citoyens sachent bien que ceux-là sont les vrais amis de la liberté qui veulent ne pas en perpétuer les convulsions; que c’est en préparant les lois des temps ordinaires et constitués qu’on abrège la durée du gouvernement révolutionnaire. Il faut préparer les lois nécessaires pour l’époque où nous jouirons des bienfaits d’une constitution libre, d’une constitution républicaine et démocratique; de même que les peuples libres font une guerre terrible pour arriver plus vite à une paix honorable et assurée (car les rois ne font la guerre que pour opprimer davantage), de même les législateurs ne se servent du gouvernement révolutionnaire avec force que pour arriver plus rapidement à l’affermissement de la République et à l’exécution des lois constitutionnelles. Ce sont ceux qui voudraient arrêter ou obstruer la marche du gouvernement révolutionnaire qui ne veulent pas arriver à la constitution, mais qui veulent prolonger les crises et les chances de la révolution pour la détruire ou pour l’altérer. Mais chacun de nous, en votant aujourd’hui pour un code civil, posera une pierre pour le fondement des lois constitutionnelles; chacun de nous stipulera ainsi pour l’intérêt du peuple, qui n’est heureux que par l’exécution des lois. Je demande donc que le code civil soit mis à l’ordre du jour, pour être discuté tous les jours, après que Cambacérès en aura fait lecture à la Convention le 23 de ce mois. J’ajoute une autre proposition non moins importante à l’organisation de la République: c’est de créer une commission de trois députés, ou de charger une section de trois membres du comité d’instruction publique, qui présente, le 15 brumaire, un plan d’institutions républicaines. Citoyens, sans les institutions, il n’est point de république organisée, sans les institutions bien ordonnées il n’est point de république durable. Partout la décadence des républiques a été précédée de la corruption des institutions sociales. Lycurgue ne parvint à faire sa république si extraordinaire que par des institutions, et il ne la conserva que par les mêmes institutions. Cependant sa constitution était sévère, et en plusieurs points contraire aux droits de la nature, tandis que la constitution française n’a fait que proclamer ces mêmes droits. Vous sentez donc tous les avantages qui peuvent résulter de la création des institutions républicaines et de la bonté de ces institutions. Un de ces tyranneaux qui, jusqu’au 9 thermidor, avait porté à l’excès tous les principes de la démocratie pour renverser la République plus sûrement, avait travaillé à ce plan d’institution; mais quel funeste présent ce conspirateur ne nous eût-il fait ? C’est à la Convention à réclamer et à surveiller un travail aussi intéressant, et dont l’influence est aussi majeure sur l’affermissement de la République. Quand des lois civiles et criminelles bien démocratiques, quand des institutions sociales bien républicaines existeront, qui pourrait tenter d’altérer le gouvernement du peuple et corrompre la République ? Quel crime, quelle conspiration pourrait désormais entreprendre ou espérer de faire rétrograder la liberté des français ? Prenez garde; cet objet n’est pas du ressort ordinaire de l’instruction publique: des écoles, des collèges, des théâtres ou quelques espèces d’académies, ne sont point des institutions républicaines; cet objet est entièrement politique-constitutionnel et attaché aux grands principes de la révolution et des gouvernements démocratiques. Je demande donc aussi qu’une commission de trois députés, ou qu’une section du comité d’instruction publique soit chargée expressément de présenter, le 15 brumaire, un plan complet d’institutions républicaines (79). CHÉNIER : Le comité d’instruction publique s’était occupé sérieusement des institutions républicaines que Barère vient de demander. Lorsque le travail fut fini, le comité de Salut public le retira à lui avec celui des fêtes nationales. Le comité d’instruction publique ne s’en est pas occupé depuis; mais, d’après la nouvelle organisation que vous avez décrétée, il a regardé cet objet comme de son ressort, et a nommé une section pour s’occuper de ce travail. Si vous créez la commission proposée par Barère, il faudra donc aussi décréter que ce travail n’appartient point au comité d’instruction publique. Je demande l’ordre du jour, motivé sur le décret relatif à l’organisation des comités (80). [Lorsque je fis la motion au comité d’instruction publique (je parle de l’ancien) de s’occuper des institutions républicaines, je trouvai qu’il m’avoir prévenu dans cette idée, et que déjà il avoit nommé une section dans son sein, à laquelle il avoit attribué ce travail; mais le comité de Salut public retira à lui cette partie, et je ne pense pas que depuis lors l’ancien comité s’en soit occupé. Si on nomme une commission, je demande que le comité d’instruction publique soit autorisé à présenter, de son côté, ses idées sur l’objet dont ils s’agit. Plusieurs voix : Non, non. J’observe que le comité nouveau que vous avez formé, avoit tellement regardé ce travail comme de sa compétence, qu’il avoit créé une section qu’il en avoit chargée spécialement...] (81). GOUJON : Je m’oppose à l’ordre du jour. Il est bien évident que l’objet dont il s’agit ne regarde point le comité d’instruction publique. Ce comité a un travail immense, auquel il n’a (79) C. Eg., n° 750; J. Fr., n° 713; Rép., n° 262; J. Mont, n° 131; M. U., XLIII, 347; J. Univ., n° 1 748; J. Perlet, n° 715; J. Paris, n° 616; Ann. Patr., n° 615; Ann. R. F., n° 279; F. de la Républ., n° 428; J. S.-Culottes, n° 570. (80) Moniteur, XXI, 695-696, 700. (81) D’après Débats, n° 717, 355. SÉANCE DU 21 FRUCTIDOR AN II (7 SEPTEMBRE 1794) - N° 36 341 pas encore touché. Je parle de l’enseignement public, qui n’existe point encore. Il n’y a point d’écoles primaires ni secondaires. Notre but commun est de faire tout ce qui peut être utile à la République. Qu’importe qui le fasse, pouvu que ce soit bien fait ? Le comité d’instruction publique est chargé de l’enseignement, de la réunion des monuments des arts, des théâtres; cela est immense. J’appuie la proposition de Barère. REUBELL : Si les comités n’ont pas rempli leur devoir, c’est parce qu’un d’entre eux et les commission que vous avez trop souvent créées les ont paralysés. Créez-en de nouvelles, et vous les empêcherez encore de travailler. Je pense que les institutions sociales sont du ressort du comité d’instruction publique. S’il y a des citoyens qui aient déjà fait un travail dans cette partie, qui les empêche de communiquer ce travail au comité d’instruction publique ? Ils le doivent même, ils doivent mettre de côté tout intérêt d’amour-propre. Je demande l’ordre du jour. PELET: J’appuie l’ordre du jour. Si vous créez une commission parce que le comité d’instruction publique est surchargé de travail, la même raison vous en fera bientôt créer d’autres� qui paralyseront les autres comités. BARERE : J’ai moins demandé la formation d’une nouvelle commission que l’engagement de la part d’un comité de présenter dans un mois et demi à la Convention un travail définitif sur l’important objet des institutions républicaines. Je demande donc que le comité d’instruction publique nomme une section de trois membres pour s’en occuper. Quelques voix : C’est fait ! L’Assemblée passe à l’ordre du jour (82). La Convention nationale rend les deux décrets ci-après : a Un membre demande qu’il soit formé une commission de cinq membres pour s’occuper d’un plan d’institutions républicaines, et le proposer à la Convention dans un mois et demi. La Convention nationale passe à l’ordre du jour sur la proposition de cette commission, motivé sur le décret d’organisation des comités, et décrète que le comité d’instruction publique lui présentera, dans l’espace d’un mois et demi, un plan d’institutions républicaines (83). b La Convention nationale décrète que le code civil sera mis à l’ordre du jour, pour être discuté après que le rapporteur, chargé de ce travail, en aura fait lecture à la (82) Moniteur, XXI, 700. Débats, n° 717, 354-356. F. de la Républ, n° 428; M. U., XLIII, 347; Ann. R. F., n° 279. (83) P. V., XLV, 141. C 318, pl. 1284, p. 18. Décret . n° 10 791. Rapporteur : Barère. Moniteur, XXI, 719. Convention. Cette lecture se fera au plus tard dans trois jours (84). 36 GASTON : Je demande que l’Assemblée la plus auguste de l’univers, je dis la plus auguste, et c’est vrai, fixe son attention sur un objet non moins important, sur celui qui peut faire le bonheur du peuple. Nous avons déjà terrassé ses ennemis; s’il s’en élève encore, nous sommes en armes, nous les atteindrons, aucun ne restera. (On applaudit). Mais il faut aussi nous faire aimer du peuple. (Nouveaux applaudissements). Des objets de la plus haute considération sont présents à mon esprit; j’y pense depuis longtemps. Dans les missions dont la Convention m’a honoré, j’ai vu partout que le peuple français demande à se trouver mieux; je m’explique : je l’ai vu porter ses idées sur ce qui regarde l’impôt et les biens des traîtres qui ont été guillotinés. Oui nous avons six milliards qui appartenaient à cette exécrable séquelle de bandits; mais ces biens immenses dont la nation s’est emparée à si juste titre, où sont-ils ? ils sont dans la main d’administrateurs infidèles. (H s’élève des murmures et des applaudissements). Voici un vieux proverbe qu’il ne faut jamais oublier : « Voix du peuple, voix de Dieu ! ». Oui, vous serez adorés par vos commettants si vous empêchez ces biens immenses d’être dilapidés, et si vous parvenez à faire face avec eux aux énormes dépenses de la guerre. Il est certain que vous pouvez y faire face; mais il faut des précautions sages. Plusieurs individus, qui sont tous les jours dans les tribunes des sociétés populaires, et qui se trouvent dans les comités révolutionnaires, je le dis avec douleur, ne sont républicains que parce qu’ils y trouvent leur compte. (On applaudit). La plupart de ces jongleurs de l’opinion publique font si bien qu’ils obtiennent la direction, la régie des domaines nationaux, et alors ils mettent pour eux-mêmes le champagne et le bourgogne à la porte. (On rit). Je vous demande qu’on mette à l’ordre du jour la discussion de ces mesures, qui vous sauveront des maux qui vous menacent. Je demande un moyen d’aliéner pour jamais les biens des moines, des émigrés, des conspirateurs. (Plusieurs voix : C’est fait.) Entendez-moi jusqu’au bout. On demande l’ordre du jour. VILLERS : Tout le monde rend justice aux intentions pures de notre collègue Gaston; mais le zèle l’emporte trop loin, je demande l’ordre du jour. BENTABOLE : Je demande, moi, qu’il rédige ses propositions; alors vous les renverrez au comité. GOUJON : Il faut entendre Gaston jusqu’au bout. GASTON : Je demandais donc, et je demande de nouveau que ces biens soient enfin vendus et aliénés d’une manière définitive, qu’il n’y ait (84) P.-V.XLV, 141. C 318, pl. 1 284, p. 19. Décret n° 10 793. Rapporteur anonyme selon C*Il20, P-288.