[Assemblée nationale.] ARCHIVES ÊAftLÊMËNTAIRËS. [30 mai 179 1.] 62$ S’en passer? Par quelle fatalité ces peuples ont-ils été les plus sages, les plus heureüx et les plus libres? Si la peine de mort est la plus propre à prévenir les grands crimes, il faut donc qu’ils aient été plus rares chez les peuples qui l’ont adoptée et. prodiguée : or, c’est précisément tout le contraire. Voyez le Japon; nulle part la peiné de mort et les supplices ne sont autant prodigués; mille part les crimes ne sont ni si fréquents ni si atroces. On dirait que les Japonais veulent disputer de, férocité avec les lois barbares qui les outragent et qui les irritent. Les républiques de la Gièce, où les peines étaient modéré» s, où la peine de mort était ou infiniment rare, ou absolument inconnue, offraient-elles plus dë crimes et moins de vertus que les pays gouvernés par des lois de sang? Croyez-vous que Rome fût souillée par plus de forfaits, lorsque dans les jours de sa gloire, la loi Porcia eut anéanti les peines sévères portées par les rois et par les décemvirs, qu’elle ne Je fut sous Sylla qui les fît revivre, et sous les empereurs qui en portèrent la rigueur à un excès digne de leur infâme tyrannie! La Russie a-t-elle été bouleversée depuis que le despote qui la gouverne a entièrement supprimé la peine de mort, comme s’il eût voulu expier, par cet acte d’humanité et de philosophie, le crime de retenir des millions d’hommes sous le joug du pouvoir absolu? Ecoutez la voix, de la justice et de la raison; elle nous crie que les jugements humains ne sont jamais assez certains pour que la société puisse donner la mort à un homUie condatpné par d’autres hommes sujets à l’erreur. Eussiez-vous imaginé l’ordre judiciaire le plus parfait, eussiez-vous trouvé les juges les plus intègres et les plus éclairés, il restera toujours quelque place â l’erreur et à la préveution. Pourquoi vous interdire le moyen de les réparer? Pourquoi vous condamner à l’impuissance de tendre une main secourable à l’innocence opprimée? Qu’importent ces stériles regrets, ces réparations illusoires que vous accordez à une ombre vaine, à une cendre insensible? Elles sont les tristes témoignages de la barbare témérité de vos lois pénales. Ravir à l’homme la possibilité d’expier son forfait par sOù repentir ou par des actes de vertus; lui fermer impitoyablement tout retour à la vertu, à /'estime de soi-même, se hâter de le faire descendre, pour ainsi dire, dans le tombeau encore tout couvert de la tache récente de son crime, c’est à mes yeux le plus horrible raffinement de la cruauté. Le premier devoir du législateur est de former et de conserver les mœurs publiques, source de toute liberté, source de tout bonheur social ; lorsque, pour courir à un but particulier, il s’écarte de ce but général et essentiel, il commet la plus grossière et la plus funeste des erreurs. Il faut donc que la loi pré-ente toujours aux peuples le modèle le plus pur de la justice et de la raisoD. Si, à la place de cette sévérité puissante, calme, modérée qui doit les caractériser, elles mettent’la colère et la vengeance ; si plies font couler Je sang humain qu’elles peuvent épargner, et qu’elles n'ont pas le droit de répandre; si elles étalent aux yeux du peuple des scènes cruelles et des cadavres meurtris par des tortures, alors elles altèrent dans le cœur des citoyens les idées du juste et de l’injuste; elles font germer, au sein de la société, des préjugés féroces qui en produisent d’autres à leur tour. L’homme n’est plus pour l’homme uiai objet si sacré; on a une idée moins grande de sa dignité quand l’autorité publique se joue de sa vie. L’idée du meurtre inspire bien moins d’effroi, lorsque la loi même en donne l’exemple et le spectacle; l’horreur du crime ai-minuedès qu’elle ne le punit plus que par un autre crime. Gardez-vous bien de confondre l’efficacité des peines avec l’excès de la sévérité : l’un est absolument opposé à l’autre. Tout seconde les luis modérées; tout conspire contré les lois cruelles. On a ob-ervé que, dans les pays libres, les crimes étaient plus rares et les lois pénales plus douces. Toutes les idées se< tiennent. Les pays libres sont ceux où les droits de l’homme sont respectés, et où, par conséquent, les lois sont justes. Partout où elles offensent l’humanité pâr un e,xcès de rigueur, c’est une preuve que la dignité de l’homme n’y est pas connue ; que celle du citoyen n’existe pas : c’est une preuve que le législateur nVst qu’un maître qui commande à des esclaves, et qui les châtie ‘impitoyablement suivant sa fantaisie. Je conclus à ce que la peine de mort soit abrogée. (Applaudissements.) (La suite de la discussion est renvoyée à la séance de demain.) M. Prieur. Messieurs, l’Assemblée a ajourné hier, à l’heure de deux heures, l’alfaire relative aux mesures à prendre pour la province d'Alsace en raison de son état actuel. M. le Président. Les comités sont assemblés dans ce moment-ci ; probablement ils ne sont pas prêts. M. Rœderer donne à l’Assemblée quelques détails sur les affaires politiques du royaume et sur l’état de situation dans lequel se trouvent les frontières ; et dans la persuasion où il paraît être que les gardes nationaux de l’Empire pourraient être mis en activité, il ajoute : Je prends, Messieurs, occasion de cette circop-tance pour vous rappeler le décret que vous avez rendu et par lequel vous avez accordé des pensions aux veuves des gardes nationales de Metz qui ont péri en voulant faire exécuter la loi à Nancy. Il est bien étonnant que, depuis 11 mois que ce décret est rendu, il n’ait pas encore reçu son exécution. Je crois cependant qu’il est du devoir de l’Assemblée nationale de ne pas les laisser sans récompense, surtout après l’avoir promise. Je demande donc que le comité des pensions noos présente sans délai un rapport sur cet objet. M. Emmery. Je demande que ce rapport soit fait samedi soir au plus lard. (L’Assemblée ordonne que son comité des pensions sera tenu de lui faire, samedi soir, le rapport des récompenses à accorder aux veuyes et enfants dont les maris ou les pères sont morts à Nancy pour la défense de la loi.) M, le Président lève la séance à trois heures*