296 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 août 1791.] naturels et civils. La seconde est celle qui établit la forme du gouvernement. Sur la seconde partie, les législatures ne peuvent pas changer la forme du gouvernement, et comme c’est une loi toujours existante, elles ne peuvent pas faire une loi contraire à celle qui est constitutionnellement établie. Sur la première partie, elles pourraient faire des lois qui, n’ayaot pas l’air de blesser les droits des citoyens, les blesseront cependant. Eh bien 1 voilà pourquoi la précaution prise par la Constitution de garantir positivement ces droits-là, est d’avertir la législature qu’elle n’a aucun droit d’y porter atteiute, doit être séparée de la disposition générale qui suivra leï articles qui forment la Constitution. M. lianjuinals. Je soutiens, Messieurs, que le fondement de la distinction que vient d’établir le préopinant est nul; ce fondement est qu’il est à craindre que le pouvoir législatif ne fasse des lois qui portent atteinte aux droits garantis par la Constitution, sans avoir l’air d’y porter atteinte. Eh bien ! je dis qu’il n’y a rien de plus manifeste à tous les hommes publics que cette vérité, que le pouvoir législatif peut renverser la Constitution, ou peut tendre à la renverser par des lois qui, sans en avoir l’air, la renverseraient effectivement, et c’est là ce qui prouve d’une manière évidente qu’en effet, l’addition présentée par le comité n’est pas bonne; qu’il faut faire une disposition générale, qui s’applique à toutes les dispositions, à toutes les phrases de la Constitution, et qui disent que le pouvoir législatif ne peut porter atteinte à aucune disposition constitutionnelle. M. Boutteville-Dumetz. Je m’étonne que le préopinant ne sente pas la raison qui a déterminé le comité à proposer cette addition qui, je le soutiens, est intiniment nécessaire. 11 est impossible que les législatures ne fassent pas quelques lois sur les abus qui résulteraient de la liberté de la presse. Il est donc infiniment important de les avertir qu’elles ne doivent jamais, dans les lois qu’elles feront, passer les bornes que nous leur traçons. Je demande que l’on adopte l’addition que M. Le Chapelier propose. M. Telller. Je crois, Messieurs, que faisant des articles particuliers pour défendre aux législatures de toucher aux articles constitutionnels, c’est détruire l’énergie même de cette Constitution. Car, qu’est-ce que vous dites ? La Constitution garantit tel ou tel droit. Assurément il n’y a pas de législature qui ose se permettre de détruire ce que la Constitution garantit, je trouve que cet article additionnel ne fait que répéter ce qui est contenu dans un article final de l’acte constitutionnel où il est infiniment mieux placé : « Aucun des pouvoirs institués par la Constitution n’a le droit de la changer dans son ensemble ni dans ses parties. » M. Démeunier. Messieurs, la garantie générale des articles constitutionnels, se t rouvant dans le dernier article qui vient de vous être lu, je veux prouver ou que 1 Assemblée doit adopter l’addition proposée par le comité, en la laissant à la place où on l’a indiquée, ou qu’elle ne doit admettre aucune espèce d'addition ; mais sui-tout que l’Assemblée ne doit adopter ni l’amendement de M. Guillaume, ni le sous-amendement de M. Beaumetz» ni la nouvelle rédaction. de M. Le Chapelier. Il est facile d’établir cette proposition ; le comité, dans sa première rédaction, avait cru laisser la liberté de la presse dans toute son intégrité. Il n’avait pas cru que les législatures pourraient jamais y porter atteinte. C’est donc, après les quatre premiers paragraphes, qu’il faudrait placer l’addition ; et pour prouver contre M. Beau-metz, qu’il serait impossible, j’ose même dire ridicule, de la placer à la fin du titre, j’observe qu’un des articles subséquents delà Constitution garantit l’inviolabilité des propriétés, nous ne disons pas garantir la transmission des propriétés. Il est donc évident qu’il faut l'addition telle qu’elle a été proposée par le comité, et à la place où elle a été indiquée, ou bien, revenant au premier avis du comité, se contenter de la garantie générale de la Constitution de tous les articles constitutionnels. ( Applaudissements . — Oui I oui 1) M. Briois-Beaumetz. Je soutiens que l’amendement de M. Guillaume est utile et même nécessaire, et je prétends que ceux qui le combattent ne s’appuient que sur une confusion d’idées. Ils ne voient pas qu’il y a deux choses très distinctes : les droits de l’homme que la Constitution garantit, et ensuite la Constitution elle-même. Il est absolument indispensable d’énoncer d’abord que la Constitution garantit les droits, et lorsque vos comités vous ont proposé de faire garantir les droits dans la Constitution, ils ont pris la précaution très importante de recueillir cette loi dans une nouvelle rédaction plus complète, plus claire, s’il m’est permis de le dire. Les droits de l’bomme, voilà la base de la Constitution française ; viennent ensuite les moyens que vous avez pris pour garantir ces droits. Il n’y a nul obstacle à ajouter une garantie spéciale après cette énumération des droits qui appartiennent à tous les hommes vivant en société et non pas seulement aux Français. Ensuite, lorsque vous aurez parcouru toute voire Constitution, lorsque vous aurez délégué et distribué tous les pouvoirs, au moyen desquels vous aurez garanti tous les droits de l’homme, vous apposerez une nouvelle clause, par laquelle vous direz qu’aucun de ces moyens, aucune de ces institutions, que vous avez établis par la Constitution, ne pourront être attaqués. (. Applaudissements .) M. Duport. J’ai peu de chose à ajouter à ce que vient de dire le préopinant; mais il me [tarait nécessaire de relever une équivoque sur laquelle il me semble que toute la discussion a roulé. On a prétendu qu’il suffisait d’avoir établi à la fin de la Constitution un article général d’interdiction aux législateurs, de n’y rien changer, et que sous cette interdiction seraient compris tant les articles constitutionnels que les droits civils énoncés dans ce titre. Or, je crois que cela est une erreur, et voici comme je le prouve ; vous allez décréter une Constitution qui renfermera l’étendue, les limites et la division des pouvoirs ; qui dira au Corps législatif ce qu’il peut faire, au roi ce qu’il peut faire, aux juges ce qu’ils peuvent faire, et la manière dont ils peuvent exercer les pouvoirs. Eh bien I il résul-sultera de là, qu’en suivant les formes qui seront déterminées dans cette Constitution, la législation aura le droit de faire toutes les lois qu’elle aura reconnues utiles pour le bonheur public, et qu’ainsi, lorsqu’une loi aura été proposée par le Corps législatif, et sanctionnée par le roi, elle [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 19 août 1791.] 297 sera obligatoire pour tout le royaume. Voilà ce qui paraît constant. Eh bien, Messieurs, il s’ensuit donc de là que la législature, en suivant ces formes, en proposant cette loi, et cette loi étant décrétée dans les formes constitutionnelles, sanctionnée par le roi, et promulguée dans les formes constitutionnelles, pourrait établir un obstacle à la liberté de la presse, établir, par exemple, des censeurs. Il est impossible de répondre à cette observation; et cependant, Messieurs, non seulement vous voulez que les formes par lesquelles on fait les lois soient constitutionnelles et respectées; mais vous voulez aussi qu’il n’y ait jamais aucune loi même constitutionnellement décrétée, qui puisse mettre obstacle à la liberté de la presse, et en général, aux libertés reconnues à chaque homme sans le titre qui est actuellement à votre délibération. Dès lors il ne suffirait donc pas de dire que la législature ne pourra rien changer à la Constitution. Car, en ne changeant rien à la Constitution, elle ferait une loi qui empêcherait qu’on ne pût librement imprimer, en établissant des censeurs par lesquels on serait obligé de passer avant que de faire imprimer un ouvrage. Je dis donc qu’on n’aurait pas du tout atteint le bot en plaçant à la fin de l’article l’addition proposée, et je demande qu’elle soit expressément placée au titre actuel, dans la rédaction que M. Le Chapelier a proposée. (Applaudissements.) M. Fréteau-Saint-Just. Si l’on adoptait la disposition proposée par M. Le Chapelier, pour le titre 1er, il faudrait la répéter dans chacun des titres de la Constitution ; car, il y a dans la Constitution une foule d'articles aussi nécessaires, aussi essentiels que ceux qui nous occupent actuellement et qu’il est aussi indispensable de mettre à l’abri des entreprises des législateurs. Tel est, par exemple, l’article qui porte que le pouvoir exécutif suprême réside exclusivement dans la main du roi. Pourquoi alors ne pas placer la rédaction protectrice de M. Le Chapelier après chacun de ces principes essentiels à la conservation desquels nous sommes intéressés? Je demande que cette rédaction soit mise à la fin de la rédaction. M. Thouret, rapporteur. Examinons si l’addition que propose le comité présente des inconvénients et si elle n’offre pas quelque utilité. Tout le monde voit la distinction qu’il faut faire entre les droits naturels et civils, et l’organisation du gouvernement politique qui n’est faite que pour assurer la jouissance de ces droits. Il y a donc deux parties très distinctes dans le travail qui vous est soumis, savoir : les lois individuelles antérieures au gouvernement, puis le gouvernement lui-même. Le titre Ier qui nous occupe actuellement consacre les lois antérieures au gouvernement et on désire une expression qui assure une garantie contre les abus et les entreprises des législatures. Il y a donc quelque utilité dans la disposition qui vous est pronosée. Maintenant, y a-t-il des inconvénients? — On objecte que si la même clause ne se trouve pas insérée dans tous les titres, on pourra induire de retie garantie spéciale que les dispositions contenues dans ces titres ne sont pas également garanties. Mais la même clause se trouvera au-si à la fin de la seconde partie de noire travail; ce sera une clause générale de garanties pour toute la partie qui traite du gouvernement. Ce n’est donc qu’une redondance : le titre Ier, qui concerne les droits naturels et civils, est assez précieux pour avoir besoin d'une garantie spéciale, et pour que nous ne négligions pas une clause qui, fût-elle superflue, a de grands avantages, et qu’il n’y ait pas raison de ne pas employer si elle n’a pas d’inconvénients (Applaudissements.) (L’Assemblée ferme la discussion.) M. le Président. Voici, Messieurs, la rédaction proposée par M. Le Chapelier : « Le pouvoir législatif ne pourra faire aucune loi qui porte atteinte ou mette obstacle à l’exercice des droits naturels et civils consignés dans le présent titre et garantis par la Constitution. » (Cette disposition est adoptée.) M. le Président. Je mets aux voix les deux premiers paragraphes du titre premier dont je vais faire lecture. « La Constitution garantit comme droits naturels et civils : 1° Que tous les citoyens sont admissibles aux places et emplois, sans autre distinction que celle des vertus et des talents ; 2° Que foutes les contributions seront réparties entre tous les citoyens également, en proportion de leurs facultés ; 3° Que les mêmes délits seront punis des mêmes peines, sans aucune distinction des personnes. La Constitution garantit pareillement, comme droits naturels et civils : La liberté à tout homme d’aller, de rester, de partir, sans pouvoir être arrêté, ni détenu, que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites; La liberté à tout homme de parler, d’écrire, d’imprimer ses pensées, et d’exercer le culte religieux auquel il est attaché ; La liberté aux citoyens de s’assembler paisiblement et sans armes, en satisfaisant aux lois de police ; La liberté d’adresser aux autorités constituées des pétitions signées individuellement. Gomme la liberté ne consiste qu’à pouvoir faire tout ce qui ne nuit ni aux droits d’autrui ni à la sûreté publique, la loi peut établir des peines contre les actes qui, attaquant ou la sûreté publique ou les droits d’autrui, seraient nuisibles à la société. » (Ces 2 paragraphes sont adoptés.) M. Thouret, rapporteur , donne lecture du 1er alinéa du troisième paragraphe, ainsi conçu : « La Constitution garantit l’inviolabilité des propriétés, ou la juste et préalable indemnité de celles dont la nécessité publique, légalement constatée, exigerait le sacrifice. » M. Heurtault-Lamerville. Notre Constitution est fondée sur le territoire, comme sur les hommes. J’ai remarqué que, dans la Constitution, le mot de territoire n’est pas même prononcé. Cependant les propriétés territoriales sont le principe de toutes les autres. Je demande donc, Messieurs, que la disposition additionnelle que je vais avoir l’honneur de vous lire, soit adoptée et insérée dans le paragraphe : La Constitution garantit également, dans l’intérieur du royaume, la libre circulation de toutes les productions du territoire. *> L’Assemblée a cru devoir insérer, en tête du code rural, que le territoire français était libre comme les personnes. Je crois qu’il est essentiel,