[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 juillet 1789.] 233 invoquer ensuite les formes judiciaires, et livrer les coupables à la rigueur des lois. La discussion s’engage et les débats devenaient très-vifs lorsqu’on annonce M. le vicomte de Itioailles, qui arrive de Paris portant des nouvelles désastreuses. Il entre dans l’Assemblée entouré d’autres députés qui se pressent autour de lui. Dès qu’il paraît il se fait le plus grand silence. Il rend compte de ce qu’il a vu; il dit que la bourgeoisie de Paris est sous les armes et dirigée dans sa discipline par les gardes françaises et les Suisses; que l’Hôtel des Invalides a été forcé; qu’on a enlevé les canons et les fusils; que les familles nobles ont été obligées de se renfermer dans leurs maisons; que la Bastille a été enlevée d’assaut; que M. de Launay qui en était le gouverneur, et qui avait fait tirer sur les citoyens, a été pris, conduit à la Grève, massacré par le peuple, et sa tête portée au haut d’une pique. Ce récit produit dans l’Assemblée l’impression la plus triste, toute discussion cesse. On s’empresse d’envoyer une députation vers le Roi pour lui peindre l’état cruel où se trouve la capüale, et il est arrêté que M. le vicomte de Nouilles sera de la députation pour soutenir par sa présence, comme témoin, les vérités qmon doit faire entendre au Roi. M. le Président sort avec la députation. M. de liafayette prend place au bureau comme vice-président. Il observe qu’il est de la dignité comme du devoir de l’Assemblée de ne pas interrompre ses travaux et de les continuer avec le calme du courage que les circonstances ne doivent pas altérer. Plusieurs motions sont faites : les unes pour établir une correspondance, de deux en deux heures, entre Paris et l’Assemblée nationale; les autres pour que l’Assemblée soit toujours en séance jour et nuit, jusqu’après l’établissement des lois constitutionnelles, ou du moins jusqu’après le rétablissement de la tranquillité publique. Pendant qu’on discutait ces motions, on a annoncé l’arrivée d’une députation de Paris portant des nouvelles sinistres. Aussitôt toute délibération cesse; un morne silence se répand dans toute la salle. Après un moment d’attente les deux députés sont introduits. M. Bancal des Issarts, l’un d’eux a prononcé le discours suivant : Messieurs, il est impossible à des cœurs Français, vivement affectés dans ce moment, de vous peindre les malheurs de leur patrie. Pardonnez le désordre de nos idées dans une circonstance des plus désastreuses. L’établissement de la garde bourgeoise qui avait été fait hier, fort heureusement, avait procuré une nuit assez tranquille. Par le compte des opérations des districts, rendu au comité permanent, il est constant que plusieurs particuliers non enrégimentés ont été désarmés, et leurs armes apportées, soit aux districts, soit à l’Hôtel-de-Yille. Ce matin, un escadron de hussards, qui s’est présenté dans le faubourg Saint-Antoine, a répandu une alarme générale, et excité la fureur au peuple. Il s’est porté dans le quartier de la Bastille pour connaître les intentions du gouverneur. Sur l’avis qui en a été donné au comité, il a invité M. de Rulhière, commandant de la garde de Paris, et deux compagnies de gardes françaises, à aller au secours des citoyens qu’on disait avoir été attaqués par les hussards; à peine étaient-ils arrivés que les hussards ont disparu. Bientôt après une partie du peuple a appris au comité que le gouverneur de la Bastille avait fait tirer sur les citoyens. Ce même peuple s’était emparé de trois invalides de la Bastille, qu’il a amenés à l’Hôtel-de-Yille, et que le comité a fait mettre en sûreté dans les prisons de l’hôtel. Le comité, voulant prévenir les malheurs qui allaient arriver à la Bastille, y a envoyé trois députations, l’une composée de M. l’abbé Fauchet et de trois autres membres du comité, pour conjurer le marquis de Launay de ne point faire tirer le canon de la Bastille, et afin de calmer le peuple, lui proposer de recevoir une garde bourgeoise. Ces messieurs, après avoir couru le plus grand danger, sont revenus sans avoir eu aucun succès. Une autre députation s’y est présentée avec un drapeau et un tambour, et a fait le signal de la aix. On l’a laissée pénétrer dans une cour de la astille ; et bientôt, une décharge a fait tomber à ses côtés des citoyens morts ou blessés. M. de Corny, procureur du Roi et de la ville, était de cette députation, et à son retour a instruit le comité de ce fait. Nous sommes partis sans avoir entendu le résultat des démarches de la troisième députation. Mais, Messieurs, une heure avant notre départ, nous avons vu le spectacle le plus alarmant. Une partie du peuple, qui avait été témoin des malheurs arrivés a la Bastille, s’est portée à l’Hôtel-de-Ville, est entrée dans la salle du comité, et a demandé à grands cris le siège de la Bastille. Dans ce moment le comité a jugé que notre départ était nécessaire, et que nous ne devions pas perdre un instant pour faire part aux généreux représentants de la nation la plus généreuse de l’univers, de la douleur profonde de tous les habitants de la capitale, et les supplier de nous aider de leurs lumières et de leur patriotisme. Pendant l’intervalle qui s’est écoulé entre la députation vers le gouverneur de la Bastille, et son retour à l’Hôtel-de-Ville, plusieurs citoyens armés ont amené au comité deux courriers, Tun chargé de la dépêche du ministère de la guerre, contenant des lettres adressées àM. de Sombreuil, gouverneur des Invalides, et à M. Bertier, intendant de l’armée; l’autre chargé d’une lettre adressée au gouverneur de la Bastille. Le peuple demandait à grands cris l’ouverture de toutes les lettres, le comité est parvenu à sauver la dépêche du ministère de la guerre, Quant à la lettre au gouverneur de la Bastille, elle avait été ouverte par le peuple qui a exigé ue le comité en fît la lecture ; elle contenait or-re à ce gouverneur de tenir jusqu’à la dernière extrémité, qu’il avait des forces suffisantes pour se défendre. « Yoici, Messieurs l’arrêté que le comité nous a chargés d’avoir l’honneur de vous présenter. « Le comité permanent de la sûreté publique, assemblé à l’Hôtel-de-Yille, a arrêté qu’il serait en correspondance journalière avec l’Assemblée nationale; * Et de députer M. Ganilh, avocat au parlement, et M. Bancal des Issarts, ancien notaire, tous deux électeurs de la ville de Paris, et membres du comité; « A l’effet de peindre à l’Assemblée nationale l’état affreux où est la ville de Paris; les malheurs