182 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Ce décret est adopté (137). Dubois-Crancé observe que Dugommier avait été choisi par ses concitoyens de la Martinique pour les représenter à la Convention nationale ; mais que, regardé comme plus utile à la tête des armées de la République, il y avait été envoyé de préférence. Dubois-Crancé demande que ce fait soit aussi consigné sur la colonne. {Adopté). Porcher fait lecture de la lettre suivante, adressée à la Convention nationale par un adjudant général de l’armée de Dugommier et son ami particulier. [L’adjudant général Boyer jeune au président de la Convention nationale, Laguïlana, le 28 brumaire, l’an 3 de la République ] (138) Citoyen président, pénétré, comme je le suis, des bonnes dispositions de la Convention nationale à l’égard des enfants qui ont perdu leur père en défendant honorablement la cause de la République; pénétré de la reconnaissance qu’elle conserve à leur souvenir et de la certitude qu’elle s’empressera d’accorder à une famille malheureuse toutes les consolations que réclame sa déplorable situation, je viens fixer un instant votre attention sur celle du brave général Dugommier, mort au milieu de ses triomphes et au comble de sa gloire. Ayant été honoré plus particulièrement de sa confiance, et ayant connu, pendant sa vie, les ressources et les facultés qu’il pouvait avoir, je vais vous donner des renseignements exacts, et que personne ne pourrait vous donner avec plus de vérité. Le général Dugommier jouissait en Amérique, avant la Révolution, de 2 millions de biens; à cette époque il fut un des premiers à embrasser avec enthousiasme la cause de la liberté. Son patriotisme hautement prononcé le fit nommer colonel des gardes nationales de la Martinique ; la défense vigoureuse du fort de Saint-Pierre, qu’il soutint à leur tête contre les troupes rebelles du traître Béhague, est connue de tout le monde. Les patriotes des colonies étant alors réduits à un petit nombre et gémissant dans la plus grande oppression, il fut envoyé en France par ses concitoyens, pour y solliciter des secours contre les ennemis de la Révolution. Il vint donc en France en 1792, et fit alors auprès des ministres tout ce qu’il put pour délivrer ces contrées éloignées de l’état d’oppression qui les accablait. Les communications ayant été interrompues, il prit le parti de rester en France et de se vouer de nouveau à la défense de la patrie. Il fut employé comme général de brigade à l’armée d’Italie ; il eut ensuite le commandement du siège mémorable de Toulon, et fut enfin nommé général en chef de l’armée des Pyré-(137) Moniteur, XXII, 606. Débats, n° 793, 930 ; Ann. Patr., n° 695 ; J. Univ., n° 1825 ; Mess. Soir, n° 830. (138) Moniteur, XXII, 606-607. Bull., 6 frim. Rép., n° 67 ; Débats, n° 795, 951-952 ; F. de la Républ., n° 66 ; J. Fr., n° 791. nées-Orientales. C’est à ses sages dispositions que l’on a dû les fameuses journées des 11 et 12 floréal, la prise de Saint-Elme, Collioure, Port-Vendres et Bellegarde, tous les succès, enfin, de cette armée et l’évacuation totale du territoire de la République par les Espagnols. Toutes ces victoires lui avaient mérité, à juste titre, le nom de libérateur du Midi ; mais enfin, il était parvenu au plus haut point de gloire, et il ne manquait plus à ses triomphes que de mourir les armes à la main, comme il est mort hier 27, en donnant ses ordres pour le nouveau succès qui a couronné cette journée. En mourant il laisse deux fils, tous deux adjudants généraux dans cette armée, dignes héritiers des vertus républicaines de leur père ; c’est le seul héritage qu’il leur a transmis, et ils n’ont absolument d’autres ressources que leurs appointements ; et une fille qu’il adorait, et qui dans ce moment est à Marseille, et se trouve sans aucun moyen d’existence. Sa femme, qui est restée dans les colonies, auprès de sa mère, se voit, à l’âge de cinquante-six ans, dans la plus affreuse détresse, ayant vu tous ses biens devenir la proie des rebelles, et les Anglais étant, pour cet instant, maîtres de la partie qu’elle habite. Un autre de ses fils s’était embarqué sur la flotte destinée à porter des secours aux Iles-du-Vent; le vaisseau qu’il montait fut séparé des autres par une bourrasque, et on n’a aucune connaissance de son sort. Voila, en peu de mots, la triste situation de la famille du brave général Dugommier, qui n’a d’autre ressource que dans la bienfaisance et la reconnaissance nationales. Outre les quatre enfants dont je viens de parler, le général Dugommier avait encore un fils et une fille naturels ; il prenait soin de leur enfance, et avait placé l’un dans orne maison d’éducation à Belleville près Paris, et l’autre auprès de sa fille à Marseille. Ces deux enfants se trouvent aujourd’hui seuls et étrangers dans le monde, sans aucune espèce de fortune, leurs mères étant deux personnes de couleur. Ne pensez-vous pas comme moi, citoyen président, que la Convention nationale se fera un plaisir et même un devoir d’assurer l’existence et l’éducation de ces deux infortunés ? Voila, citoyen président, les réflexions que mon cœur m’a dictées; en vous les communiquant, c’est un tribut que je paie à l’amitié et à la mémoire d’un homme auquel nous devons tous la plus grande estime, et qui va exciter les regrets de la République entière. Salut et fraternité. Signé, Boyer jeune. Cette lettre est renvoyée au comité de Salut public, pour donner des renseignements sur la famille du général Dugommier. La Convention ordonne en outre l’insertion au Bulletin (139). MAREC : Je me sens pressé de rappeler à l’Assemblée un fait qui honore encore le brave géné-(139) Moniteur, XXII, 607.