[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 août 1790.] 136 Quelque vive que soit la douleur de nous voir éloigné de vous, elle ne dous absorbera pas. Présent d’esprit et de cœur avec vous, nous ne cesserons de faire des vœux pour votre bonheur, et de vous faire entendre notre voix, toutes les fois que les intérêts de la religion ou de votre salut l’exigeront. 0 vous, nos dignes coopérateurs, si vous nous rendez la justice que nous croyons mériter de votre part, de n'avoir jamais voulu dominer sur vous, d’être parmi vous comme l'un d’entre vous , suivant le précepte de l’apôtre ; si vous avez toujours trouvé en nous un père et un ami prêt à partager vos peines, nous ne vous demandons pour toute marque de reconnaissance, et nous vous conjurons de veiller plus soigneusement que jamais sur le troupeau qui vous est confié. L’ennemi du genre humain esta la porte, prêt à le dévorer, écartez-le en faisant la garde nuit et jour, et sans vous reposer ; redoublez de zèle et de soins pour son instruction, et faites-lui éviter ainsi les pièges de son ennemi ; exhortez-le, pressez-le d'approcher souvent des sacrements qui sont une source inépuisable de grâces. Mais engagez-le surtout à prier ; priez avec lui, sans vous lasser, et faites-lui sentir que la prière est la seule arme qui puisse lui assurer la victoire. « Et vous, peuple confié à nos soins, respectez vos pasteurs dont nous avons l’honneur d’être le chef; ils sont les ministres de Jésus-Christ, et c’est par notre bouche qu’ils vous annoncent ses oracles. Ecoutez donc notre voix avec docilité. Regardez-nous tous comme vos pères, nous en avons les entrailles et la sollicitude. Vos seuls ennemis sont ceux qui veulent vous éloigner de nous, et par là éterniser vos maux. « Grand Dieu ! que vous êtes juste dans vos jugements 1 nos crimes étaient à leur comble et nous avions lassé votre patience. Nous avons mérité les châtiments que vous nous envoyez, et nous ne pouvons ne pas reconnaître la main toute-puissante qui nous frappe! Mais après nous avoir puni en Dieu vengeur des crimes, vous nous pardonnerez en père, et en Dieu dont la miséricorde est infinie. Nous vous en conjurons, ô mon Dieu, laissez-vous toucher à nos larmes; daignez jeter un regard de bonté sur le peuple français, ce peuple autrefois si fidèle à votre loi, et la portion la plus riche de votre héritage. Conservez-lui surtout le don précieux de la foi, sans lequel tous les autres ne sont rien. Ramenez la paix parmi lui ; faites que cessant de haïr et de s’entre-déchirer, animé des mêmes sentiments, le lien de la charité fraternelle l’unisse. Ecoutez en particulier les vœux et les prières que nous osons vous adresser pour la portion de ce peuple que vous nous avez confiée. Frappez le pasteur; mais nous vous conjurons d’épargner le troupeau pour lequel nous sommes prêt à verser notre sang. Dieu de saint Louis 1 daignez jeter aussi un regard favorable sur l’héritier de ses vertus et de son trône, sur l’auguste monarque qui nous gouverne ; comblez-le de vos bénédictions les plus abondantes; faites prospérer ses bienfaisantes intentions. Il est le père de son peuule, qu’il en devienne l’amour et les délices 1 Raffermissez son autorité chancelante, et changez en douceur et en consolations les peines et les amertumes que lui font éprouver les maux dont nous gémissons. Ainsi soit-il. « Fait ce 1er juillet 1790. « L. L. Léon, évêque de Toulon. » TROISIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 17 AOUT 1790. Lettre de M. Lambert , contrôleur général, à M. le Président de l’Assemblée nationale , sur l'impôt du tabac (1). Du 17 août 1790. « Monsieur le Président, une des branches les plus importantes du revenu public s’éteint journellement ; il y a cinq mois que j’en réclame la conservation, et que de temps en temps j’en fais remarquer le dépérissement. Bientôt on alléguera qu’il n’est plus possible de sauver cette énorme perte ; et 29,000,000 livres de nouvelles charges seront le remplacement aussi difficile que nécessaire à ajouter, au moins d’une manière efficace, à tant d’autres remplacements. Le 23 mars 1790, j’ai eu l’honneur d’adresser à l’Assemblée nationale un mémoire relatif aux atteintes et aux diminutions qu’éprouvait dès lors, dans quelques parties du royaume, la perception de l’impôt sur le tabac. Je présumais que l’Assemblée nationale trouverait convenable de prendre le pins tôt possible en considération cette portion importante des revenus publics. Mon mémoire proposait à l’Assemblée nationale de décréter que les. municipalités seraient tenues de prêter assistance et secours aux commis chargés de la perception de l’impôt sur le tabac, sous peine de répondre des suites de leur refus ; et que dans le cas où un attroupement populaire les troublerait à l’avenir dans l’exercice de leurs fonctions, la commune entière du lieu en serait responsable, si elle avait été requise, et si elle avait pu l’empêcher, sauf le recours contre les auteurs de l’attroupement. M. le président m’a fait l’honneur de m’écrire le 27 mars, qu’il allait transmettre et recommander ce mémoire à son successeur ; j’ai su depuis qu’il avait été renvoyé au comité des finances ; le 6 juin j’ai écrit à M. le président de ce comité, en lui envoyant l’état du produit des ventes en tabac pendant les trois premiers mois de cette année, que cette perception éprouvait de mois en mois une diminution progressive et continuelle; et je lui ai observé, comme un objet essentiel de l’attention du comité, que l’indécision apparente que semblait indiquer le retard indéfini d’un décret attendu depuis si longtemps, accréditait, affermissait, étendait l’insurrection, lui faisait prendre consistance, et donnait lieu de jour en jour à des plantations de tabac dans le royaume, qui ne se feraient pas si l’improbation eût été annoncée; qu’enfin ce délai conduirait le désordre à un degré de progrès qui finirait par le rendre plus fort que tous les remèdes qu’on voudrait trop tard y apporter. J’ai particulièrement prié le comité de remarquer, d’après les états de produits que je lui faisais passer, que la perte s’accroissait mois par mois, non seulement en somme, mais en étendue de territoire; que sur quarante-deux directions , douze étaient sans perte en janvier 1790, par comparaison à janvier 1789, et étaient même encore en bénéfice, tandis que toutes les autres perdaient, et quelques-unes d’une manière énorme; mais qu’en février 1790, de ces quarantes-deux directions, sept seulement avaient conservé quelque avantage très léger sur (1) Ce document n’a pas été inséré au * Moniteur. (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 137 février 1789 ; et qu’enfia en mars 1790, il ne s’en trouvait que quatre qui ne perdissent pas sur mars 1789. Le 17 juin j’ai encore écrit à M. le président du comité des finances, et j’ai mis de nouveau sous ses yeux les progrès du mal, résultant du retard de la délibération de l’Assemblée nationale sur cette branche de revenus -, je lui ai rappelé l’état progressif de la dégradation en janvier, février et mars, et l’ai informé qu’en avril il n’y avait plus aucune direction qui ne fût en perte sur avril 1789 ; quant au montant des produits, la perte qui, en janvier, était de 247,320 livres de tabac sur janvier 1789, en février de 291,305 livres de tabac sur février 1789, et en mars de 340,168 livres de tabac sur mars 1789, avait été eu avril de 432,179 livres de tabac sur avril 1789. Je priais le comité de juger par ce tableau où conduiraient les délais toujours prolongés de la déc sion de cet objet, dont l’abandon semblait annoncé par ces retards indéfinis, et aurait bientôt causé la destruction du produit le moins à charge aux contribuables qui puisse être imaginé, et à laquelle il ne resterait bientôt plus qu’à pourvoir par un remplacement forcéde29 mllions de livres. Depuis le mois d’avril, trois mois et demi se sont écoulés, et de mois en mois la progression décroissante des produits a continué. Je désire et j’ose encore espérer le rétablissement si précieux de cette partie de revenus, quelque difficile que le rende de plus en plus une aussi longue insurrection ; mais je ne puis me dispenser, d’un côté, de vous représenter que chaque instant porte coup, et peut en porter d’irréparables; d’une autre part, de vous observer que la vente exclusive du tabac est le seul moyen de conserver au Trésor public, sur cette consommation, un revenu égal ou comparable à celui qui a été perçu jusqu’à présent, et qu’il est impossible de l’espérer par le seul établissement de droits à l’entrée du royaume sur le tabac étranger. Un droit de traites sur cette marchandise, capable de produire 29 millions même, une somme beaucoup moindre, serait un véritable droit prohibitif, et par conséquent ne produirait rien, et ne profiterait qu’aux fraudeurs et aux assureurs de fraude. Il est également impossible d’espérer ni 29 millions, ni même un produit beaucoup inférieur de la vente du tabac au profit de la nation, en concurrence avec le commerce; et l’expérience acquise depuis six mois à l’égard de la vente du sel, prouve déjà combien est illusoire une telle spéculation ; il s’en faut du tout au tout que le produit de cette vente au profit du Trésor public réponde aux espérances conçues. Les causes morales, les causes de circonstances ne sont peut être pas assez entrées dans la combinaison de ces espérances; mais elles gouvernent les résultats plus impérieusement que tous les calculs commerciaux. Il en sera de même à l’égard du tabac ; mais il est un calcul commercial et simple qui démontre évidemment jusqu’où peut se porter au plus haut période le produit de la vente du tabac, ouverte au profit du Trésor public, en concurrence avec le commerce libre. La consommation annuelle de la France est dans l’état actuel d’environ 15 millions de livres de tabac fabriqué par la ferme générale; les frais d’achat et de fabrication sont calculés dans les dépenses du bail actuel des fermes, sur le pied de 11 mi'üons de livres; ils ont même excédé dans plusieurs années antérieures. IIfautajouteràcesl5 millions de livres l’approvisionnement des provinces franches, fait par le commerce libre, que j’évalue à 2 millions de [18 août 1790.] livres. Ainsi, la consommation totale du royaume est de 17 millions de livres ; et l’on peut évaluer à 12,500,000 livres le prix intrinsèque de cette quantité de tabac, en ne le composant que des frais d’achat et de fabrication. On ne peut guère douter que la concurrence à laquelle donnera lieu l’ouverture du commerce libre, n’augmente en Amérique, en Hollande et partout ailleurs le prix des achats; et nous sommes peu fondés à espérer que la qualité de nos tabacs indigènes et leur abondance combinées nous dispensent d’en tirer une grande partie des pays étrangers: on peut donc partir d’une mise à peu près de quinze sous par livre de tabac, pour établir la base de ce commerce. Qu’on suppose que la ferme générale partagera par moitié avec le commerce libre l’approvisionnement du royaume, ce dont il ne faut pas se flatter, il s’ensuivrait que le Trésor public vendrait environ huit à neuf millions de livres de tabac par an, et y mettrait 6,250,000 de livres d’avances. Le bénéfice ordinaire du commerce, le seul que la ferme générale pût faire pour se conserver la concurrence, est de dix pour cent : le Trésor public ne pourrait donc retirer qu’envirou 600,000 livres de revenus de la vente du tabac. Quelque calcul hypothétique qu’on pût faire, soit sur la quantité de tabac à vendre, soit sur le prix, et par conséquent sur le tarif du bénéfice, à quelle somme, en partant des bases que je viens de poser, pourra-t-on arvenir? Vous voyez, M. le Président, que les 9 millions livres que le tabac produit actuellement au Trésor public, sont, on peut le dire, anéantis absolument, si la vente non exclusive était seule conservée à la ferme générale. J’ai cru devoir ces observations à l’Assemblée nationale, au bien du service dont je suis chargé, à l’intérêt des peuples, qui auront à supporter un remplacement tout autrement onéreux que ne l’était l’impôt du tabac, remplacement inévitable, puisque la balance des finances publiques ne peut pas permettre la moindre diminution des revenus de l’État. Je remets à votre zèle pour le bien public, et à la sagesse de l’Assemblée nationale de peser toutes ces considérations. « Je suis avec respect, Monsieur le Président, votre, etc. « Signé : LAMBERT. » ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DUPONT (DE NEMOURS). Séance du mercredi 18 août 1790 (l). La séance est ouverte à neuf heures du matin* M. SMntevilIe de Cernon, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier au matin. 11 est adopté. M. Le Chapelier. Messieurs, votre décret du 12 décembre 1789, relatif à la continuation de la régie sur les boissons , reçoit une fausse interprétation dans le département du Finistère, ce qui nuit à la perception des droits. Afin de remédier à un état de chose fort préjudiciable aux villes (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.