104 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. j ?! boVemb�ai7«3 été engagés, inféodés ou échangés par le ci-de¬ vant roi qui prétendait en avoir reçu le droit de la nation. L'abus qui est résulté de ces espèces d’aliénations, a porté ce comité à proposer un projet de décret dont la Convention a ordonné l’impression et l’ajournement (1). Compte rendu du Moniteur universel (2). Cambon. Le peuple, après avoir abattu de sa main le tronc de la féodalité, vous a abandonné le soin d’en détruire toutes les ramifications. Vos comités des domaines, de liquidation et des (1) Procès-verbaux de la Convention, t. 25, p. 187. (2) Moniteur universel [n° 54 du 24 brumaire an II {jeudi 14 novembre 1793), p. 220, col. 1] et [n° 55 du 25 brumaire an II (vendredi 15 novembre 1793), p. 222, col. 1]. D’autre part, le Journal des Débats et des Décrets (brumaire an II, n° 420, p. 298) rend compte du rapport de Cambon dans les termes sui¬ vants : « Cambon est à la tribune. Il fait un rapport sur la révocation des ci-devant domaines de la Cou¬ ronne. La Convention en ordonne l’impression et ajourne la discussion à trois jours. « Cambon a dit en substance que presque tous les domaines, appelés de la Couronne, avaient été inféo¬ dés ou échangés par le ci-devant roi, avec des grands qui, soit pour cause de services essentiels vendus à l’État, soit sous la promesse d’une rétribu¬ tion qui n’a jamais été payée, sont devenus proprié¬ taires de ces biens. L’Assemblée constituante, à la fin de sa session, trompée ou gagnée par les hommes de loi qui la dominaient, se faisant rendre compte de ces enga¬ gements, se contenta de décréter, au mois de dé¬ cembre 1790, que ces domaines rentreraient entre les mains de la nation, sauf par les propriétaires à indemniser les possesseurs obligés d’abandonner ces domaines. A son tour, l’Assemblée législative s’occupa de cet objet important. Influencée de même, sans doute, elle décréta que les propriétaires remettraient leurs titres au comité de liquidation de domaines inféodés. Cependant, elle les maintint dans leur pos¬ session. Ainsi, ces hommes froids, patriotes à la manière des rois, récompensés comme tant d’autres du produit des sueurs du peuple, furent confirmés dans une possession, illégitime d’ailleurs, jusqu’à ce qu’une Révolution contraire et favorable à leurs vues vînt leur rendre l’impunité. Alors, dis-je, les seigneurs gardèrent leurs titres et leur impudence. « Votre comité des finances, dit Cambon, le moins peureux des trois, le plus révolutionnaire de tous, s’est, en dernière analyse, occupé de cet objet. Il a réduit à leur juste valeur les prétentions de ces mes¬ sieurs. Il a examiné la question au fond; il a bien voulu ne voir dans les engagistes que des créan¬ ciers; il a pensé qu’ils devaient être traités comme tels, obligés de porter leurs titres pour faire masse sur l’État, ou déchus; mais, il a cru qu’en tout état de cause, la République devait rentrer en posses¬ sion de tous les domaines dont elle acquittait le prix. « Mais, il est peut-être une sorte d’exception qui pourra être réclamée. Le ci-devant roi et ses ges¬ tionnaires ont vendu, inféodé ou cédé des terrains vagues; et, dans ce cas, les possesseurs, ou plutôt les propriétaires pourront réclamer des distinctions. Votre Commission ne connaît qu’une sorte de dis¬ tinction, celle-ci : « On a cédé des terrains vagues, mais ces terrains vagues ont été défrichés par des sans-culottes; ils ont été mis en valeur. Voilà des droits à votre atten¬ tion; je les réclame pour ces cultivateurs utiles qui ont tiré parti de ces terrains vagues destinés, dans l’origine, aux plaisirs des ci-devant seigneurs, et des fossés ou remparts restés libres, ou par la paix, ou par leur situation intérieure. « Mais la liquidation des inféodations exigera le finances, se sont concertés pour faire rentrer dans le Trésor de la République, environ 2 mil¬ liards provenant de la rentrée des domaines en¬ gagés par la ci-devant cour. Cet objet est im¬ portant; la République soutient 18,000 procès contre les engagistes; mon rapport ne sera pas long; je prie la Convention de m’entendre. La Convention décrète qu’elle entendra Cam¬ bon dans la séance. Cambon, au nom du comité des finances. Les domaines appartenant à la couronne, avaient été presque tous engagés, inféodes, ou échangés par le ci-devant roi, qui prétendait en avoir reçu le droit de la nation. Ils avaient été ainsi cédés aux grands qui environnaient le trône, sur de prétendus services, ou à la décharge par eux de verser une certaine somme dans le Tré¬ sor public; ils promettaient bien, mais ils ne payaient pas. L’Assemblée constituante, à la fin de sa ses¬ sion, trompée par les hommes de loi qui la do¬ minaient, se contenta de décréter que ces do¬ maines rentreraient entre les mains de la na¬ tion ; mais en laissant aux possesseurs la faculté de jouir, et n’ordonna la vente pendant la vie des possesseurs, qu’autant qu’ils le jugeraient convenable; elle provoqua la dépossession, mais les nobles n’étaient pas disposés à abandonner leur proie; ils gardèrent les domaines, et le Trésor public ne reçut rien. L’Assemblée législative s’occupa de ce même objet; elle décréta que tous les domaines en¬ gagés, qui avaient été déclarés révocables, étaient révoqués; mais elle laissa les engagistes en possession, en les obligeant de remettre leurs titres au comité de liquidation, jusqu’à ce que les acquéreurs se présentassent et les indemni¬ sassent. Les hommes de loi s’en mêlèrent encore; par des chicanes de procureur ils paralysèrent tous les décrets, mirent la République en pro¬ cès avec tous les engagistes, et maintenant 18,000 procédures sont pendantes devant les tribunaux. Votre comité des finances a pensé qu’il fal¬ lait réduire les prétentions de ces • messieurs à leur juste valeur; ils rendront à la République les domaines dont ils sont en possession; ils remettront leurs titres, et seront traités comme les autres créanciers de l’État. Ainsi, commen¬ çons par nous emparer de tous les domaines ministère d’experts : Votre Commission a pensé que si cette mesure était utile, elle devait être débar¬ rassée de toutes les entraves de convenance et de faveur : en conséquence, son premier soin, pour l’épurer, a été d’exclure de cette fonction les avo¬ cats, les ci-devant procureurs, toujours faibles de¬ vant l’or, toujours enclins à favoriser la caste ci-de¬ vant privilégiée. « Mais il est impossible d’éviter les procès dans une matière qui naît des réclamations : Eh bien ! votre Commission a pensé que des arbitres devaient être nommés, mais que le moyen d’éviter et la prévention et la faveur était de composer les tri¬ bunaux de vrais sans-culottes, d’ordonner que l’ins¬ truction sera faite sommairement et sans frais. Mais il serait possible, car tout est possible à l’intrigue, que les arbitres fussent gagnés ; eh bien ! le comité a pensé qu’il en devait être référé au Corps légis¬ latif, avec pouvoir d’annuler. » Telles sont les bases du décret proposé par Cam¬ bon, auquel la Convention applaudit. [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. | || Novembre ll93 105 engagés, nonobstant les lois précédentes ; faisons-les vendre; par là nous terminerons tous les procès ; car ceux qui ne les ont intentés que pour rester en jouissance comme ils sont, dès qu’ils se verront dépossédés, n’auront plus d’intérêt à poursuivre leurs chicanes. Nous avons examiné les exceptions pronon¬ cées par les Assemblées constituante et légis¬ lative. La première est en faveur des pays réu¬ nis en 1566. Cette exception ne peut convenir, puisque l’égalité doit être la seule règle de notre conduite, puisque la République est une et in¬ divisible. Le comité a cru devoir plus d’égards à l’excep¬ tion en faveur des terres vaines et vagues, pourvu qu’elles aient été mises en valeur, et qu’elles y soient maintenant par les soins des possesseurs. Dans le cas contraire, nous les partagerons en petits lots, et nous les fertiliserons. Les mêmes motifs nous ont engagés à mettre une exception en faveur de ceux qui ont bâti des maisons sur les remparts des villes. Vous dis¬ tinguerez aussi parmi les engagistes, ceux qui ne possèdent que dix arpents, pourvu que le capital de leur fortune n’excède pas 10,000 li¬ vres, parce que vous ne voulez pas priver le pauvre d’un bien qu’il a fait fructifier à la sueur de son front. Le comité a prévu qu’il s’élèvera beaucoup de questions sur la possession de ces biens. On nommera des experts pour les décider. La Con¬ vention doit bien se garder de confier ce soin aux avocats, aux anciens feudistes, aux hommes d’affaires. Ils plaideraient pour les privilégiés, contre la République; il faut qu’ils soient exclus. L’estimation de ces biens occasionnera des procès. Ce ne sont pas les tribunaux de district qui les jugeront, mais des sans-culottes qui sont assez instruits, qui ne consulteront que la pro¬ bité et la justice; s’il se trouvait parmi eux quelque monstre qui se laissât gagner par l’ar¬ gent, la nation en tirerait une vengeance écla¬ tante. Pour cela, le comité a pensé que le Corps législatif devait revoir les jugements; il annu¬ lera ceux qui blesseront les intérêts de la Ré¬ publique, et punira les coupables. En faisant l’estimation des domaines enga¬ gés, on rencontrera des traces de féodalité. Le possesseur prétendra sans doute à une indem¬ nité; nous lui dirons : « Tu as voulu jouir d’un privilège, il s’est perdu dans tes mains; tu ne peux rien réclamer. » Ainsi forçons tous les engagistes à porter leurs titres à la liquidation, dans un espace de temps déterminé. Forçons tous les greffiers et les no¬ taires qui seraient dépositaires de ces titres, à en faire la déclaration. Les détenteurs des do¬ maines engagés qui n’obéiront pas à votre dé¬ cret, seront dépossédés, et ne pourront réclamer aucune indemnité. Cambon lit un projet-de décret conforme aux bases de son rapport. L’Assemblée en ordonne l’impression et l’a¬ journement. ( Suit le texte du projet de décret présenté par Cambon d'après le document imprimé.) Projet de décret sur les domaines aliénés, PRÉSENTÉ AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES ET DES COMITÉS DES DOMAINES, DE LÉGISLATION ET DES FINANCES RÉUNIS, PAR Cambon, député par le département de l’Hérault. (Imprimé par ordre de la Con¬ vention nationale) (1). La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de sa commission des finances, et de ses comités des domaines, de législation et des finances réunis, décrète : I. Révocation de toutes les aliénations et engagements des domaines et droits domaniaux. Art. 1er. « Toutes les aliénations et engagements des domaines et droits domaniaux, à quelque titre que ce soit, qui ont eu lieu dans toute l’étendue du territoire de la République, avec clause de retour, ou sujettes au rachat, à quelque époque qu’elles puissent remonter; celles d’une date postérieure à l’ordonnance de 1566, quand même la clause de retour y serait omise et celles ré¬ sultant des échanges non consommés, ou qui ont été consommés par l’ancien gouvernement, de¬ puis le 1er janvier 1789, autres que les aliéna¬ tions qui ont été faites en vertu des décrets des Assemblées nationales, sont et demeurent dé¬ finitivement révoquées. Art. 2. « Les baux, emphytéotiques, les baux à une ou plusieurs vies, et tous ceux au-dessus de 9 années, sont réputés aliénations, et sont com¬ pris dans la révocation prononcée par l’article précédent. Art. 3. « Sont exceptés les inféodations et acense-ments des terres vaines et vagues, landes, bruyères, palus et marais, autres que ceux si¬ tués dans les forêts, ou à cent perches d’iceux, pourvu qu’ils aient été faits sans dol ni fraude, et dans les formes prescrites par les règlements en usage au jour de leur date, et qu’ils aient été mis et soient actuellement en valeur; les sous-aliénations et sous-acensements faits par acte ayant date certaine avant le 14 juillet 1789, par les engagistes des terres de même nature, et sous les mêmes conditions; et les inféodations, sous -inféodations et acensements dépendants des fossés et remparts des villes, justifiés par des titres valables ou par une possession paisible et publique depuis 40 ans pourvu qu’il y ait été fait des établissements quelconques. Art. 4. « Le dol et la fraude pourront se prouver par la notoriété publique et par enquête, si les ob¬ jets aliénés sous le nom de terres vaines et va¬ gues, landes, bruyères, etc., étaient, lors de l’aliénation, des terrains en culture ou en va¬ leur. Art, 5. « Sont aussi exceptées les sous-aliénations faites par acte ayant date certaine avant le (1) Bibliothèque nationale : 20 pages in-8° Le38, n° 573.