SÉANCE DU 13 VENDÉMIAIRE AN III (4 OCTOBRE 1794) - N° 52 287 on fasse arrêter vingt-cinq individus qui sont les chefs. Lorsque j’eus fait part à Couthon de l’état de Commune-Affranchie, il me répondit : « Vas le pas de charge ; arrache le masque ; tu as la confiance de la Convention et du comité. » J’avais désigné alors ces fripons; mais au moment où j’allais exécuter contre eux les mesures que j’avais méditées, Couthon me récrivit qu’il fallait rétablir tous ceux qui avaient été destitués. On exila mes collègues Laporte et Méaulle à l’armée et dans les départements voisins, et l’on me laissa à Commune-Affranchie ; mais je ne voulus pas accomplir cet ordre infâme, et je me retirai dans les départements de la Loire et l’Isère. Charlier et Pocholle arrivèrent à Lyon, et ils ne tardèrent pas à reconnaître que ces gens étaient des scélérats (75). On demande le renvoi du tout au comité de Sûreté générale. FOUCHÉ : Pour en faire un rapport séance tenante. Un membre : Pour statuer sur-le-champ. REVERCHON : Ces scélérats qu’on nous avoit demandé de remettre en place, qui avoient avili, outragé la Convention, Robespierre et Couthon les ont nommés au tribunal révolutionnaire : c’est ainsi qu’ils composoient leur juré. Un membre : Il ne faut ni fausse pitié, ni terreur ; il faut que la justice règne seule : nous poursuivrons sans relâche les intrigans, les fripons, tous les coupables ; mais je m’oppose à la création d’une commission : qu’on les livre à la justice établie. Applaudissemens. CLAUZEL : Je m’oppose aussi à la création d’une commission : mais Reverchon vous demande l’arrestation de vingt-cinq fripons; je vais vous faire part d’un fait qui vous prouvera la nécessité de vous prononcer, de poursuivre avec vigueur tous les fripons (76). Quand la Convention mit Chrétien en arrestation, ce fut pour empêcher qu’il conspirât avec une foule d’intrigants comme lui. Il se présenta, pour empêcher son arrestation, un adjudant de l’armée du Nord, nommé par Robespierre, et qui recevait ici les émoluments de sa place, sans avoir jamais paru à l’armée. Cet homme était accompagné de trois ou quatre coupe-jarrets à moustache, à grands pantalons et à gros bâtons. La vue des bons citoyens fit fuir ces fripons ; mais ils menacèrent en disant qu’ils reviendraient en plus grand nombre (77). Plusieurs voix : L’arrestation de ces gens-là. REVERCHON : Le renvoi de ma proposition pour statuer sur-le-champ. (75) Moniteur, XXII, 153. (76) Débats, n' 744, 222. (77) Moniteur, XXII, 153 ; Débats, n° 744, 221-222 ; Ann. Patr., n” 642; Ann. R. F., n° 13; C. Eg., n° 777; F. de la Ré-publ., n” 14; Gazette Fr., n" 1007 ; J. Fr., n° 740; J. Mont., n° 159; J. Paris, n° 14; J. Perlet, n“ 741; J. Univ., n’ 1775; Rép., n" 15. RICHARD : Je ne m’oppose pas au renvoi; mais je demande que la Convention ne se borne pas à des mesures partielles (78). 52 Un secrétaire donne lecture d’une lettre de l’agent national du district de Mor-tagne, département de l’Orne, à laquelle est jointe la copie de celle du citoyen Cailly, résidant à La Corbière, qui fait don de 10 L pour les frais de la guerre; à la suite est la quittance de cette somme, payée au receveur du district. Mention honorable, insertion au bulletin (79). [L’agent national du district de Mortagne au président de la Convention nationale, le 26 fructidor an II] (80) Citoyen, Je t’adresse ci-jointe copie de la lettre du citoyen Cailly de ce district contenant don de 10 L pour les frais de la guerre. Tu voudras bien en faire la mention honorable et l’insertion au bulletin. Je joins aussi quittance de cette somme payée au receveur de ce district. Salut et fraternité. Gohyer. [Copie de la lettre de Cailly, de La Corbière, canton de Maurice-le-Bon-Air, le 2 fructidor an II] Citoyen, Je crois devoir te prévenir qu’il s’est présenté chez moi il y a quelques jours trois particuliers dont deux revêtus de l’uniforme de canonniers accompagnés du maire et d’un officier municipal de la commune de La Corbière dans laquelle je demeure, qu’ils sont entrés chez moi avec audace capable de troubler des citoyens paisibles. Ma femme enceinte de huit mois a été si saisie d’une telle démarche qu’elle en a été très incommodée; ces particuliers m’ont demandé mes armes, je leur ai déclaré que j’étois prest de leur remetre, si ils avoient le droit de me les demander et des motifs. Je leur ai demandé qui ils étoient et les pouvoirs de leurs missions, l’un d’eux feignÿ de me montrer leurs pouvoirs mais il n’en fit rien. Je demandai au maire qui les accompagnoit s’il connoissait ces gens là et si il avoit vu leurs pouvoirs, il me dit en leur présence qu’ils avoient été requis par eux mais (78) Débats, n° 744, 222-223. Voir la suite de cette discussion, n° 53. (79) P. V., XLVI, 274. (80) C 321, pl. 1340, p. 27. 288 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE qu’ils ne lui avoient montré aucuns pouvoirs, enfin ces particuliers se retirèrent ; une pareille visite m’a fait frémir lorsque je vois venir des gens armés sans pouvoir les connoitre; si de pareille chose étoient tollérés il pourroit en résulter de grands abus parce que de mauvais sujets pouroient s’introduire dans le domicile des citoyens pour ÿ prendre des connoissances et y comettre des crimes. Je suis bien persuadé que les trois citoyens qui sont venus chez moi sont d’honnêtes gens mais je ne les connois pas et ils ont refusé de se faire connoitre. Je suis d’autant plus inquiet sur les personnes qui pour-roient s’introduire chez moi que ma demeure est dans une maison isolée et dans un bois. Je t’observe citoyen que je n’ai aucune arme chez moi qui ne soit déclarée à la municipalité, que je ne suis ni cy-devant ni prêtre mais bon pa-triotte et en état d’en faire preuve pour mon service fait dans la garde nationale et mes dons en habit et argent pour la République. Je ne suis pas riche je te prie de recevoir dix livres pour emploier aux frais de la guerre contre nos ennemis ou pour soulager un patriote blessé à l’armée ; salut et fraternité. Signé Cailly, capitaine dans la garde nationale. [Copie du reçu des 10 L par le receveur du district de Mortagne, le 25 fructidor an II] Je receveur du district de Mortagne, recon-nois avoir reçu du citoyen Cailly capitaine de la garde nationale demeurant à La Corbière la somme de dix livres en don pour les frais de la guerre. Signé Delangle. 53 Un membre [RICHARD] présente différentes' réflexions; elles se réduisent en analyse : qu’il ne suffît pas d’adopter des mesures partielles, mais qu’il en faut prendre qui assurent la félicité publique par de bonnes lois et un gouvernement vigoureux ; que la Convention a souvent été la dupe des meneurs; qu’il voit des meneurs par-tout où l’action de l’autorité est comprimée par des menaces ou par la crainte, par-tout où l’on établit des tarifs de patriotisme; qu’il voit des meneurs dans ceux qui accusent leurs collègues et qui s’occupent de dénonciations particulières ; dans ceux qui font passer un temps considérable à décréter des mentions honorables et des insertions au bulletin, que c’est perdre un temps précieux, tandis que des milliers de Français volent aux frontières, bravent les périls et les dangers; qu’il faut prendre pour exemple nos bataillons : lorsque la générale est battue, tous les soldats se serrent et se réunissent, tous les coeurs ne sont animés que de l’amour de la patrie ; qu’il ne faut pas souffrir que des hommes viennent impunément dire à la barre des choses qui attaquent les principes et sappent les bases du gouvernement ; que souvent l’on parle du gouvernement révolutionnaire, mais qu’il ne voit que le mot et non la réalité; qu’il ne reconnoît pour patriotes que ceux qui respectent la Convention, et qui veulent le maintien du gouvernement. Il termine par proposer que les trois comités de Salut public, Législation et de Sûreté générale, prennent des mesures qui préviennent la dissolution du corps social; et il invite la Convention à gouverner elle-même, en faisant tourner au profit de la chose publique tous les talens qui sont dans son sein. L’on demande que ces réflexions soient mises par écrit, afin qu’elles soient envoyées aux armées et aux départemens. Cette proposition est décrétée (81). RICHARD : Il ne faut pas, dans les circonstances où nous sommes, nous borner à des mesures partielles. Vous avez chargé les comités réunis de vous présenter une Adresse pour fixer l’opinion pubbque ; c’est là une mesure partielle, une mesure de faiblesse ; car vous allez ouvrir la discussion avec tous les faiseurs d’Adresses de la répubbque. C’est par de bonnes lois, c’est par des mesures salutaires, c’est par un gouvernement vigoureux que la Convention doit fixer l’opinion publique. Trop longtemps on a leurré le peuple par de belles paroles ; il est temps de lui donner le bonheur (. Applaudissements ). Votre faiblesse laisse incertainement flotter les rênes du gouvernement, et toute la Convention a été la dupe des meneurs qui aujourd’hui se disputent les lambeaux du pouvoir qu’ils lui ont arraché. Je vois des meneurs partout où l’action de l’autorité est comprimée par des menaces ou par la crainte, partout où l’on établit des tarifs de patriotisme, d’après lesquels on juge les individus. Je vois des meneurs dans ceux qui accusent leur collègues sur des faits dont ils ont été acquittés ; je vois des meneurs dans ceux qui vous font passer un temps considérable à décréter des mentions honorables et des insertions au Bulletin des Adresses qui sont dans leur sens. J’arrive de l’armée, je ne connais rien de ce qui se passe ici, et je ne partage pas plus une opinion que l’autre ; mais je dis la vérité, je dis ce que je sens. Songez que, d’après l’arrêté d’un de vos comités, des milliers de Français vont affronter la mort avec une sorte de volupté ; et songez aussi que vous souffrez que des hommes viennent impunément vous dire à votre barre des choses pour raisons desquelles ils seraient arrêtés s’ils les avaient dites en présence de quatre ou cinq personnes : jugez d’après cela quelle est votre faiblesse! Citoyens, cet ordre de choses ne peut pas durer, et vous ne pouvez pas souffrir qu’on vienne ainsi dans votre sein attaquer les principes et saper les bases du gouvernement. (81) P.-V., XL VI, 274-275. J. Univ., n” 1775.