SÉANCE DU 1er VENDÉMIAIRE AN III (LUNDI 22 SEPTEMBRE 1794) - N° 14 353 14 Le membre du comité de Salut public [Carnot], qui vient de faire le précédent rapport, annonce que la séance d’hier ayant été levée plutôt qu’à l’ordinaire, pour célébrer la translation des cendres de Marat au Panthéon, le comité n’avoit pu donner lecture des nouvelles victoires remportées par l’armée de Sambre-et-Meuse ; en conséquence il communique la lettre du représentant du peuple Gillet près de l’armée de Sambre-et-Meuse, et du général Jourdan qui la commande. Les détails heureux et essentiels pour la République qu’elle renferme ont été couverts des plus vifs applaudissemens. Insertion au bulletin (33). Carnot annonce qu’hier, après que l’assemblée a été levée, un courrier a porté la nouvelle d’un avantage remporté par l’armée de Sambre-et-Meuse. Le comité l’a fait afficher : il va, dit-il, faire la lecture de cette lettre, et ensuite il en lira d’autres reçues depuis, et qui contiennent de nouveaux détails. Carnot lit la lettre suivante : Gillet, représentant du peuple près l’armée de Sambre-et-Meuse. Au quartier général, à Tongres, la 3e sans-culottide, l’an II de la République française une et indivisible. Nous n’avons pas perdu un instant chers collègues, pour exécuter l’ordre que vous aviez donné d’attaquer l’ennemi sur la rive droite de la Meuse. Un corps de quarante-deux bataillons et de vingt escadrons, fut détaché aux ordres des généraux Schérer, Marceau et Bonnet, et passa ce fleuve à Namur et à Huy. Dès le 27, les passages de l’Ourt avoient été forcés à Durbui et Comblaine, au Pont. Il res-toit à franchir l’Aywaille ; c’est une rivière dont les bords sont hérissés de rochers extraordinairement escarpés, et qui offre à peine quelques passages praticables, même par l’infanterie. L’ennemi occupoit avec 18 000 hommes, deux camps sur la rive droite de cette rivière ; l’un à Emeux et l’autre à Sprimont ; toutes les hauteurs étoient couronnées de redoutes, et après avoir forcé ces passages, il falloit marcher pendant près d’une lieue sous le feu d’une artillerie rasante pour gagner la crête des montagnes. Jamais position ne parut plus imposante; l’art et la nature sembloient y avoir réuni tous les obstacles : mais l’armée a prouvé qu’elle n’en connoît aucun, lorsqu’il s’agit de vaincre. Hier à la pointe du jour, quatre colonnes attaquèrent en même temps sur toute la ligne, depuis Aywaille jusqu’à Emeux ; tous les passages furent forcés à la baïonnette, et les camps ennemis emportés au pas de charge. 700 prisonniers, 26 pièces de canon presque tous de gros calibre, des affûts de rechange, (33) P.-V, XLVI, 4-5. 3 drapeaux, 1 200 hommes tués ou blessés, beaucoup de fusils abandonnés par l’ennemi, environ 100 chevaux et 40 caissons de munitions, sont le prix de la victoire. Elle a été complète, le reste de l’armée de Latour est en pleine déroute, et dispersée dans les bois. Notre cavalerie est à sa poursuite, et elle en rendra bon compte. Je ne puis encore vous dire qu’elle a été la perte de notre côté, mais d’après tous les ren-seignemens qui ont été pris jusqu’ici, nous n’avons à regretter qu’un très petit nombre de républicains. Pendant que l’aile droite se si-gnaloit dans les rochers du Limbourg, la gauche et le centre battoient l’ennemi vers Ma-seik et devant Maëstricht. Les villages de Lawfeld, Emale, Montenaken, étoient emportés, et l’ennemi poursuivi jusque sur les glacis de la place. [P. S. : Au moment où j’allois fermer ma lettre, j’apprends que l’ennemi a évacué la Chartreuse et se retire. Le passage de Liège est ouvert, et nous allons le poursuivre.] (34) Cette lettre excite de vifs applaudissemens (35). Carnot lit deux autres lettres, qui contiennent de nouveaux détails : a {Gillet, représentant du peuple près de l’armée de Sambre-et-Meuse, au comité de Salut public, Liège, le 3e jour des sans-culottides an 17] (36) Liberté, Egalité, Fraternité. Je vous ai mandé ce matin, chers collègues que l’ennemi avoit levé le camp de la Chartreuse. Sur le champ le général en chef Jourdan à dirigé deux fortes colonnes d’infanterie et de cavalerie, l’une par Liège, l’autre par Visé, pour le poursuivre : la cavalerie à ramassé beaucoup de traineurs. Schérer à porté son avant garde à Verviers. Ce que je vous ai mandé de la journée d’hier est beaucoup au dessous de la vérité; l’ennemi a laissé sur le champ de bataille plus de 2 000 hommes, des bataillons entiers sont réduits à 150 hommes. Sa perte en artillerie est aussi beaucoup plus considérable, on en à trouvé aujourd’hui plusieurs pièces et des caissons dans les ravins, dans les bois, en un mot il paroit que l’armée de Latour à perdu tous ses canons; demain l’armée fait un mouvement général et nous (34) J. Fr., n° 727 ; M.U., XLIV, 10. (35) Débats, n° 731, 5-6. Bull., 1er vend. ; Mention dans Moniteur, XXII, 40 ; J. Mont., n° 146 ; Ann. Patr., n° 630 ; C. Eg., n° 765 ; J. Fr., n° 727 ; M.U., XLIV, 9 ; Rép., n° 2 ; Mess. Soir, n° 765 ; Gazette Fr., n° 996 ; Ann. R.F., n° 2 ; F. de la Républ., n° 2 ; J. Perlet, n° 730 ; J. Univ., n° 1 762, 1 763 et 1 764. L’ensemble des gazettes précise que ce courrier avait déjà été lu la veille. (36) C 321, pl. 1338, p. 2. Débats, n° 732, 9-10 ; Bull., 1er vend. ; J. Fr., n° 727 ; M.U., XLIV, 12 et 18 ; Rép., n° 2 ; Mess. Soir, n° 765 ; Ann. R.F., n° 2 ; F. de la Républ., n° 2 ; J. Perlet, n° 730; J. Mont., n° 146 ; J. Univ., n° 1 763. 354 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE ferons tout ce qui sera possible pour profiter de la victoire sans compromettre nos succès. Il résulte du langage de tous les prisonniers et déserteurs que le moral de ces messieurs est très fort ébranlé, ils sont las de la guerre et soupirent après leur retour en Allemagne. On a pris la voiture de Latour, son secrétaire et ses papiers. Salut et fraternité. Signé, Gillet. b [Jourdan, général en chef de l’armée de Sam-bre-et-Meuse, au comité de Salut public, Liège le 3e jour des sans-culottides an II] (37) Citoÿens Représentans L’ennemi a quitté la nuit dernière le camp de la Chartreuse; les immenses décombres qu’il avoit accumulées à la porte de Liège et qu’il nous a fallu deblaÿer ne nous ont pas permis de marcher à sa poursuite avant huit heures du matin. Nous avons cependant ramené beaucoup de déserteurs. La perte de l’ennemi a été beaucoup plus considérable que je ne vous l’ai annoncé, les rapports des déserteurs s’accordent à dire qu’il est des régimens dont il ne reste plus que cent cinquante hommes (38). Comme nous avons été occupés toute la journée à le poursuivre et à prendre de nouvelles dispositions, je n’ai pas pû me procurer des détails circonstanciés sur la brillante journée d’hier, aussitôt qu’ils me seront parvenus, je vous les ferai passer. Salut et fraternité. Signé, Jourdan. 15 La Convention nationale, après avoir entendu le rapport [de Carnot, au nom] de son comité de Salut public sur l’action qui a eu lieu près de Liège et de Maës-tricht, le deuxième jour des sans-culottides, déclare que l’armée de Sambre-et-Meuse ne cesse de bien mériter de la patrie (39). (37) C 321, pl. 1338, p. 3. Débats, n° 732, 10 ; Bull., 1er vend. ; M. U., XLIV, 18 ; Rép., n° 2 ; Gazette Fr., n° 996 ; Ann. R.F., n° 2 ; F. de la Républ., n° 2 ; J. Univ., n° 1 764. (38) Correction faite sur le manuscrit qui indiquait 300 hommes. (39) P.-V, XLVI, 5. C 320, pl. 1327, p. 4. Décret non numéroté, de la main de Carnot, rapporteur. Débats, n° 731, 6 et n° 732, 10 ; Bull., 1er vend. ; Moniteur, XXII, 40 ; J. Fr., n° 727 ; M.U., XLIV, 12 ; Rép., n° 2 ; Mess. Soir, n° 765 ; Ann. R.F., n° 2 ; F. de la Républ., n° 2 ; J. Perlet, n° 730 ; J. Univ., n° 1 723. 16 Le membre du comité de Salut public [Carnot], qui vient de faire le précédent rapport, fait part de la demande du représentant du peuple Soubrany, d’un congé pour rétablir sa santé. La Convention lui accorde un congé de trois décades (40). 17 La Convention nationale, sur la proposition [de Carnot, au nom de] de son comité de Salut public, nomme aux emplois va-cans dans l’armée les citoyens ci-après. Savoir : 1. A celui de sous-lieutenant au deuxième bataillon du trente-deuxième régiment, Lafaye, grenadier au dix-neuvième bataillon des volontaires nationaux. Lors de la levée du pont de Monçeau, ce brave militaire voyant le citoyen Se-naimont, capitaine d’ouvriers d’artillerie, rester presque seul, lui dit : la patrie nous a confié ce poste; nous y mourrons ensemble, ou nous le sauverons. 2. A celui de capitaine au premier bataillon de tirailleurs de Mayenne-et-Loire, Cabaille, sous-lieutenant au deuxième bataillon du Loiret. Lors de la prise de Liège, il comman-doit quinze hommes avec lesquels il se précipita sur les batteries ennemies, s’empara d’une pièce de canon, et fit 80 prisonniers. 3. A celui de sous-lieutenant au troisième bataillon de la cent quatrième demi-brigade, Blanchard, caporal au deuxième bataillon du quatre-vingt-treizième régiment. Appercevant dans une affaire un de ses camarades embarassé de faire sa retraite, il vole à son secours; il est assailli lui-même par trois esclaves, qui veulent le forcer à se rendre ; mais il ne leur répond qu’en leur donnant la mort, et court délivrer son ami. 4. A celui de sous-lieutenant au dixième bataillon de la Haute-Saône, La-fargue, volontaire au troisième bataillon de Lot-et-Garonne. Blessé d’une balle dans le bois de Rhin-feld, il eut le courage de l'arracher lui-même et d’en charger son fusil. 5. A celui de sous-lieutenant au premier bataillon de Mayenne-et-Loire, Roussel, soldat au deuxième bataillon du cent cinquième régiment. (40) P.-V., XLVI, 5. C 320, pl. 1327, p. 5. Décret non numéroté. Rapporteur : Carnot.