SÉANCE DU 25 FRUCTIDOR AN II (11 SEPTEMBRE 1794) - N° 46 87 46 Adresse de la société des Jacobins, séante à Paris. Elle expose les dangers de la patrie, si l’aristocratie, qui lève la tête, n’étoit comprimée : elle expose l’opinion générale qui se manifeste par les nombreuses adresses des sociétés des dépar-temens et qui réclament l’exécution entière de la loi du 17 septembre (vieux style.) Sur la motion d’un membre [Moïse Bayle], la Convention décrète la mention honorable, l’insertion au bulletin, et le renvoi aux comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, et l’impression et l’envoi aux sociétés populaires (98). Une députation de la société des amis de la liberté et de l’égalité, séante aux Jacobins, est admise à la barre (99). L’orateur : Législateurs, Un cri de douleur retentit de toutes les parties de la République; c’est la voix des patriotes opprimés, plongés dans les prisons et les cachots d’où l’aristocratie vient de sortir; ce n’est pas dans quelques commîmes isolées, ce n’est point dans quelques départemens, c’est sur tous les points de la République qu’éclate ce nouveau système de tyrannie et d’oppression; il éclate contre les patriotes les plus ardens et les plus courageux, ils sont poursuivis et menacés dans les lieux où l’aristocratie ne les a pas encore proscrits. Ce malheur inattendu ne peut plus être révoqué en doute : il nous est attesté tous les jours par ceux qui échappent à la persécution; tous les jours il nous est annoncé par la correspondance de toutes les sociétés affiliées. Quelle confiance peut être refusée à cette clameur unanime qui se fait entendre des distances les plus éloignées, qui nous est transmis par des témoins qui n’ont pu s’entendre ni se concerter? Législateurs, pourriez vous en douter vous-même? Interrogez votre correspondance, interrogez vos comités, interrogez les représentans du peuple rentrés des départemens dans le sein de la Convention, tous vous attesteront que les patriotes gémissent, qu’ils repeuplent les prisons ouvertes aux conspirateurs et aux hommes suspects; que partout ils sont poursuivis comme les complices de Robespierre, ou comme les agens de ses fureurs. Et quels sont ces hommes devenus depuis la mort du tyran l’objet des vengeances d’une tyrannie nouvelle? Sont-ce des hommes riches et opulens, des égoïstes durs et insensibles? Sont-ils sortis de ces castes privilégiées, ennemies de l’égalité par orgueil et par intérêt? (98) P.-V., XLV, 207-208. (99) Débats, n° 721, 422-425. Législateurs, l’évidence même des faits ne nous permet pas de douter que tous ou presque tous, sont de vrais sans-culottes, des hommes nourrissans leur famille du fruit de leur travail, des patriotes aussi pauvres qu’incorruptibles, qui n’ont pu provoquer la haine de l’aristocratie que par l’ardeur de leur zèle et l’énergie de leur patriotisme. Ceux-là n’ont pas des amis puissans et accrédités qui viennent fatiguer vos comités de leur réclamations et de leurs plaintes; ils n’ont pas des solliciteurs adroits et artificieux pour les défendre; leurs amis sont les sociétés populaires; leurs défenseurs sont les jacobins, l’asyle naturel de tous les malheureux opprimés; leur appui, c’est la Convention nationale, aussi forte de la puissance du peuple, que jalouse de son amour. S’il falloit vous rendre sensible par d’autres caractères le patriotisme des hommes pour lesquels nous venons invoquer votre justice, nous vous dirions que le témoignage de l’opinion publique les désigne tous, ou presque tous, pour avoir donné le signal du combat contre le monstre hideux du fédéralisme armé contre la révolution nationale; nous vous dirions que c’est par la pluspart d’entr’eux qu’ont été vaincus et désarmés les rebelles retranchés à Commune-Affranchie et à Toulon, cantonnés dans la Vendée, dans le Calvados, dans le Jura et dans les départemens révoltés : nous vous dirions qu’ils sont recommandés à notre sollicitude par les sociétés populaires les plus fidèles à la cause de la liberté, par celles qui, dans les derniers troubles, ont montré plus de zèle à réveiller l’énergie du peuple, à armer son courage, et à diriger son ardeur contre ces hordes sanguinaires sorties du sein de plusieurs départemens pour allumer par-tout les horreurs de la guerre civile. Législateurs, vous faut-il d’autres signes sous lesquels l’aristocratie ne puisse pas même se masquer ? Ah ! si nous pouvions vous développer dans une analyse fidèle le caractère particulier de toutes les plaintes qui nous sont adressées, il seroit impossible de se tromper, et sur le patriotisme des opprimés qui demandent justice, et sur le patriotisme de ceux qui les défendent. Pénétrés de vénération et de respect pour la représentation nationale, pour les décrets émanés de son autorité, pour la nécessité reconnue d’un gouvernement révolutionnaire, ce n’est pas principalement sur le sort des patriotes qu’ils gémissent, c’est sur le sort de la liberté menacée; ils craignent que l’aristocratie, fière de ses espérances, ne consomme la perfidie de ses projets; ils craignent que la liberté persécutée dans la personne de ses défenseurs les plus ardens, ne courre de nouveaux dangers; ils craignent de trouver dans la révolution subite qui a si fort changé le sort des patriotes et celui de leurs ennemis, l’explication de la promesse insolente faite par le tyran d’Angleterre, de forcer dans peu la France à la paix par des mesures infaillibles. Législateurs, nous avons rempli notre devoir, nous avons répondu à la confiance des sociétés populaires qui nous ont invités à vous 88 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE transmettre les plaintes des patriotes; vous vous empresserez de les protéger : cette sollicitude est digne de vous, et de l’auguste mission dont le peuple vous a chargés. Nous vous demandons l’éxécution de la loi du 17 septembre; elle suffit pour prévenir également, et les dangers de la tyrannie, et ceux du modérantisme. Législateurs, vous avez livré deux tyrans à l’échafaud, vous avez frappé des factions puissantes, vous avez triomphé de tous les rois coalisés; encore quelques jours, et vous cimentiez définitivement le bonheur des français, par la victoire et raffermissement de la République; Il ne restoit plus aux contre-révolutionnaires que l’espoir de déchirer l’intérieur; il ne leur restoit plus qu’à briser leurs fers pour en meurtrir les patriotes; il falloit combiner la dissolution de la Convention nationale qui, après avoir sauvé tant de fois la patrie, ne laisse aucun moyen de contre révolution tant qu’elle restera ferme à son poste; il falloit jeter dans la société des germes de guerre civile, en y déversant l’aristocratie rugissante, tandis qu’on incarcère les plus forts appuis de la liberté. Il falloit, en un mot, provoquer la destruction du gouvernement, pour amener l’anarchie et sauver les hommes tarés, au milieu du désordre et du chaos. Ce tableau est effrayant, et cependant c’est l’image douloureuse de ce qui se passe sur tous les points de la République. Si l’opinion fait la puissance des Etats libres, le ralliement des patriotes constitue leur force; que nous importe le nombre de nos ennemis ! on ne compta pas les chevaliers du poignard et les sbires retranchés aux Tuileries dans la journée du 10 août, mais on les vainquit. Législateurs, levez-vous avec assurance, les républicains vous entourent : quoique l’intrigue puisse dire, ils sauront ou défendre avec vous les droits du peuple, ou mourir à vos côtés. Réponse du président (100). La Convention entend toujours avec plaisir les réclamations qui lui sont faites en faveur des patriotes opprimés, puisque c’est parler en faveur des défenseurs et des amis de la liberté et de l’égalité : la Convention qui a proclamé ces deux grands principes, saura les maintenir contre tous les efforts de l’aristocratie; elle qui a vaincu toutes les factions, elle qui a abattu toutes les tyrannies, elle ne sera pas arrêtée par les clameurs de quelques aristocrates qui voudroient lever une tête impudente; elle est décidée à maintenir, d’une main vigoureuse le gouvernement révolutionnaire, et elle voit avec plaisir les vrais républicains venir réclamer l’exécution des lois; forte de l’opinion publique, elle marchera toujours d’après les principes, avec les défenseurs de la liberté : elle s’occupe de l’objet de votre demande, et vous accorde les honneurs de la séance. La pétition et la réponse excitent les ap-plaudissemens de l’assemblée. (100) J. Perlet, n° 719; J. Fr., n° 717; Ann. R. F., n° 283 signalent que Cambon occupait le fauteuil. La députation entre au milieu des plus vifs applaudissemens. Moïse BAYLE : Je demande l’insertion au bulletin de la pétition qu’on vient de vous présenter, et l’envoi à toutes les sociétés populaires. MERLIN (de Thionville) : J’en demande en outre le renvoi aux trois comités (101) chargés de vous faire le rapport sur la situation de la République. Ces propositions sont décrétées (102). 47 La commune de Blanzac [district d’An-goulême, département de la Charente] envoie à la Convention un bon de la poste, de la somme de 95 L 4 s., savoir, 47 L 12 s. en argent, et autant en assignats. Mention honorable, insertion au bulletin (103). [Le conseil général de la commune de Blanzac au président de la Convention nationale, le 15 fructidor an II] (104) Citoyen président Le conseil général de la commune de Blanzac t’adresse avec la présente une somme de cent livres, moitié en numéraire moitié en assignats, offerte en don à la patrie par le citoyen Jean Deroullede cy-devant prêtre habitant notre commune. Offre au Sénat français qui la préside avec cette modique somme, nos vœux et les senti-mens qui nous animent pour votre conservation dont dépend la prospérité de la République. Salut et fraternité. Dugenti, officier municipal, Tissiau agent national, Roze, Delauriere, secrétaire greffier, plus trois autres signatures. (101) Moniteur, XXI, 740 n’en retient que deux. (102) Débats, n° 721, 422-425. Moniteur, XXI, 739-740; M. U., XLIII, 436-438; J. Univ., 1754. Mentionné F. de la Républ., n° 432; J. Mont., n° 135, 1107 suivi d’un erratum au n° 136; Ann. R. F., n° 283; Ann. Patr., n° 619; J. Perlet, n° 719. J. Univ., n° 1752; Rép., n° 266; C. Eg., n° 754; M. U., XLIII, 413; J. Fr., n° 717; Mess. Soir, n° 754; J. Paris, n° 620; Gazette Fr., n° 985. La lecture de cette adresse se situe, selon l’ensemble de la presse, après la remise du drapeau américain (voir ci-dessus n° 22), elle est suivie par la prise de parole de Méaulle (voir ci-dessous n° 52). (103) P.-V., XLV, 208. (104) C 318, pl. 1295, p. 20. En mention il est indiqué que la différence entre la somme envoyée et la somme reçue s’explique parce qu’ «apparemment que le directeur de la poste a retenu 4 L 16 s. pour le port » Le bon est reçu le 20 fructidor. Mentionné dans Bull., 29 fruct. (suppl.). Le ci-de-vant prêtre est appelé Jean de Roullide