464 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1789. J uuiformité dans les différents tribunaux du royaume. Après avoir prescrit le rapport public et la prononciation du jugement à l’audience, cet article porte que l’accusé n’y comparaît que pour-le dernier interrogatoire; « mais que son conseil pourra être présent pendant la séance entière, et parler pour sa défense après le rapport fini, les conclusions données et dernier interrogatoire prêté; et que les juges seront tenus de se retirer ensuite à la chambre du conseil, d’y opiner sur délibéré, et de reprendre leur séance publique pour la prononciation du jugement. » Le plus grand nombre des juges laisse prendre la parole au conseil de l’accusé, immédiatement avant le jugement et après les conclusions du ministère public, de manière qu’il a l’avantage dé parler le dernier. Dans d’autres tribunaux il parle aussitôt le rapport et avant les gens du Roi. Peut-être ne doit-on cette diversité qu’à une faute de ponctuation glissée dans l’une des éditions imprimées de la loi; faute qui rendait le texte équivoque, mais faute qui, par les soins de M. le garde des sceaux, fut rectifiée aussitôt que connue. Cependant les juges qui ont adopté l’usage de donner la parole au conseil de l’accusé immédiatement après le rapport, et avant les conclusions du ministère public, préféreraient de le conserver, et en exprimant ici leur vœu, il est indispensable d’en indiquer les principaux motifs. Ils sont fondés sur des vues d’équité, de sagesse et d’ordre public. Sans doute il faut laisser à l’accusé toutes les voies possibles de justification, et lui faciliter tous les moyens d’une légitime défense; mais il faut aussi que la justice prononce des décisions sûres, et le moment qui les précède immédiatement, doit appartenir à l’impartialité. Trop souvent les conseils sont tentés de faire fléchir les principes à la nécessité de la défense, de dénaturer les circonstances pour atténuer la force des preuves, d’en altérer l’ensemble pour en écarter les conséquences. Alors des notions vagues et incertaines sont substituées à des idées précises et exactes, qu’il est si important de recueillir à l'instant des opinions. Les efforts et les ressources de l’éloquence, le prestige qui l’accompagne, les impressions qu’elle produit, sont autant de dangers qu’il faut écarter peut-être du moment qui précédé la délibération. Ne serait-il pas de toute équité qu’un magistrat fut chargé du soin de présenter aux juges un dernier ensemble auquel ils pussent accorder toute leur confiance, que ce fût lui qui en mît le tableau fidèle sous leurs yeux, et qu’un organe avoué par la loi, sans passion comme sans intérêt, fût entendu immédiatement avant l’arrêt? Cette fonction doit appartenir au ministère public. 11 est à la vérité la partie coupable; mais quand il reconnaît la calomnie de l’accusation, il s’empresse d’être l’appui, le défenseur de l’innocent, et de solliciter lui-même la proscription d’une poursuite qu’il avait engagée, ou à laquelle il s’était joint. Le cercle étroit de l’affaire particulière n’est pas celui dans lequel il est renfermé. Tout ce qui tient à l’ordre général, à l’utilité publique, à l’intérêt de la société, est également de son ressort, et c’est sur tous ces rapports qu’il peut et doit présenter le compte d’une procédure criminelle. Des considérations aussi graves paraîtront peut-être à l’Assemblée nationale dignes d’être pesées et réfléchies par elle, et de nature à déterminer une modification au décret qu’elle a rendu. Elle a senti elle-même que l’expérience et l’usage pouvaient seuls découvrir les avantages comme les inconvénients d’une loi, et dans sa sagesse elle n’a voulu faire qu’un décret provisoire. Aujourd’hui diverses questions la porteront à un seul examen de quelque-unes des dispositions qu’elle avait adoptées, et elle jugera si en donnant au conseil de l’accusé la faculté de le défendre après le rapport du juge, et au ministère public le droit de porter le dernier la parole, elle n’aura pas concilié ce qu’elle doit à l’humanité, avec ce qui peut assurer l’exercice, le bien et l’avantage de la justice. Signé : Champion DE GiCÉ, -g Archevêque de Bordeaux. Addition. Depuis la rédaction de ce mémoire, on a présenté à M. le garde des sceaux une nouvelle question. L’article 12 porte : « Pour cet interrogatoire (le premier) et pour tous les autres, le serment ne sera plus exigé de l’accusé, et il ne le prêtera pendant tout le cours de l’instruction, que dans le cas où il voudrait alléguer des reproches contre les témoins. » Deux accusés sont impliqués dans la même procédure, et l’interrogatoire de l’un des deux fait charge contre l’autre. Quand on le lui a opposé, il l’a rejeté en disant que rien n’attestait la vérité d’une déclaration qui n’avait pas été précédée du serment, etc., etc. La loi n’a pas néanmoins paru au juge permettre d’imposer à l’accusé la condition de le prêter, puisqu’on n’en peut exiger un que lorsqu’il s’agit de proposer un reproche. Il est impossible de supposer l’intention d’annuler la preuve résultant respectivement contre les accusés de leurs interrogatoires. Ne serait-il pas indispensable de prescrire alors les conditions sous lesquelles ils feraient charge; de déterminer la portion de son interrogatoire que l’accusé seraitobligé d’assertion ner par le serment, de fixer le moment où le juge pourrait l’exiger de lui? Ne serait-il pas naturel que lors de l’affrontation à son coaccusé, il fût soumis à la nécessité que l’on impose à tous les témoins? 3e ANNEXE. Rapport fait au comité féodal sur les usements de la Basse-Bretagne, par M. Baudouin de ülaisonblanche, député de Lannion et Morlaix , et membre du comité féodal. Messieurs, une tâche peu brillante, mais difficile, m’est imposée : celle d’analyser les lois territoriales de la Basse-Bretagne, et de vous en présenter les rapports avec les décrets de l’Assemblée nationale du 4 août dernier. Dans les discussions ordinaires sur les fiefs, chacun de nous est entouré des lumières de tous; chaque membre de ce comité trouve des guides éclairés dans ses collaborateurs. Mais je dois mettre sous vos yeux des localités concentrées dans une frontière de la France, et presque inconnues au reste du royaume. Seul parmi vous, habitant de ces cantons reculés, je suis réduit à mes propres forces dans le travail que je soumets [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1739.] à votre examen. Vous en jugerez, Messieurs, les formes et les vues avec d’autant plus d’indulgence. Au fond et sur la fidélité de l’exposé de ces coutumes locales, je n’en demande aucune : je dois et je promets la plus grande exactitude. Trois genres principaux d’usements régissaient autrefois les biens prédiaux de la Bretagne-Bre-tonnante; ceux de Motte, de Domaine congéable et de Quevaize. Le premier, qui n’était qu’une main morte affreuse, est totalement aboli; l’on n’en connaît plus de vestiges. Ainsi je m’abstiendrai de vous en rendre compte, quoique quelques cahiers de Bretagne, spécialement celui de Rennes, en fassent encore mention. Tous les Bretons abhorrent jusqu’au fantôme de la servitude même anéantie. Le Domaine congéable et la Quevaize subsistent; mon devoir est de vous entretenir de ces use-ments. Gomme ils n’ont ensemble aucune analogie (si ce n’est dans le duché de Rohan, qui exigera des observations particulières), on ne saurait les traiter que séparément. L’ordre et l’importance des matières veulent que l’on commence par la teneur la plus intéressante et la plus étendue. Domaine congéable. Définissons d’abord la chose avant d’en raisonner, et généralisons nos idées, avant de descendre aux subdivisions des usances , qui forment les espèces du même genre. Qu’est-ce que le domaine congéable? G’est un contrat par lequel le propriétaire d’un héritage retenant la propriété du fonds, en transporte la superficie, et donne la jouissance du fonds à la charge d’une redevance annuelle, avec faculté perpétuelle de congédier le preneur en lui remboursant ses améliorations. Remarquons, avec un célèbre jurisconsulte, breton (1), que la substance du bail convenancier consiste en trois caractères principaux : 1° rétention de propriétés par le bailleur; 2ü acquisition des superficies par le domanier, qui paye une rétribution pour la jouissance du fonds; 3° la faculté conservée par le foncier de reprendre cette jouissance et d’évincer le superliciaire par un remboursement; nonobstant quelque longue suite d’années que ce soit , après l’expiration des baillées, qui sont ordinairement de neuf ou dix-huit ans. Certes, un pareil titre diffère de l’investiture féodale et de la dation à rente purement foncière, puisque l’aliénataire reçoit uniquement les droits extrinsèques et superficiels à jamais remboursables d’un fonds qui reste perpétuellement au propriétaire. On ne peut aussi le confondre avec la ferme, puisque le simple conducteur n’a nul intérêt dans la superficie, puisque d’ailleurs à l’expiration de son bail, il a le droit de délaisser l’héritage et de requérir la reprise des impenses et des améliorations, si elle fut convenue : le colon convenancier ne saurait provoquer son remboursement. Ainsi, d’un côté , c’est un propriétaire qui n’entend pas s’exproprier de ses domaines, quoiqu’il consente à leur culture par des mains étrangères, intéressées à leur bonne tenue et à leur fertilité ; de l’autre , un cultivateur laborieux qui, en les exploitant, ne veut pas perdre ses peines et ses dépenses; elles lui sont remboursées sur un pri-sage par experts, aux frais du congédiant. La nature du domaine èongéable clairement déterminée, passons aux difficultés qu’elle fait naître et que vous avez à résoudre. Il en est une absolument préalable, et de la plus grande importance. Déjà, Messieurs, elle vous a été présentée par le secrétaire de votre comité, qui a su classer si savamment l’objet et l’ordre de votre travail. Appliquera-t-on aux rentes convenancières le décret national du 4 août, qui déclara rachetables tous les droits féodaux et censuels, toutes les rentes foncières et perpétuelles, soit en nature, soit en argent, de quelque espèce qu'elles soient, quelle que soit leur origine ? Des doutes se sont élevés sur cette question en Bretagne. Plusieurs mémoires imprimés ou manuscrits (1 1, quantité de lettres ou de requêtes adressées au comité, réclament contre cette extension du franchissement permis par l’Assemblée nationale ; extension demandée au contraire par quelques cahiers et par les mémoires. Permettez par conséquent, Messieurs, qu’on vous expose les raisons respectives qui appuient ces opinions opposées, afin que vous prononciez avec connaissance sur l’intérêt de près de 400,000 citoyens fonciers ou superficiaires. Moyens des colons. Les partisans de l’abolissement de la tenure convenancière disent : Premièrement, que les prestations dues par le domanier la qualifient dans les titres renitoires... rentes foncières et convenancières... qu’elles sont d’ailleurs perpétuelles, puisque le débiteur n’est point admis à provoquer le congément qui l’en décharge : il n’a que la voie ruineuse de l’exponce pour s’en débarrasser. Secondement, le convenancier mérite plus de faveur que les censitaires certainement compris dans les articles I et 4 du 4 août deruier, puisqu’il est plus maltraité, plus vexé; corvées grevantes, recherches pour bois dégradés , tracasseries pour innovations dans les édifices, etc. : tout écrase la classe précieuse des agriculteurs dans la Basse-Bretagne (2). Troisièmement, le domaine congéable est une vraie féodalité dont le régime, quel qu’il soit, tombe sous le coup de la proscription universelle décrétée par les représentants de la nation. L’inamovibilité n’est point de l’essence du fief, et les auteurs bretons des actes de notoriété traitent ce genre de bien de fief anomal et hétéroclite. Le foncier de convenants, parties intégrantes d’une glèbe seigneuriale, exerce sur les colons le justiciement et la coaction à son moulin. Le superliciaire est tellement vassal qu’on le voit indifféremment nommé sujet (3), homme (4); dénominations qui ne conviennent qu’à la véritable directe. Aussi les lods et ventes sont-ils dans un seigneur féodal sur le prix des droits et convenanciers en premier démembrement du fonds (5). Moyens des fonciers. Les mots (répondent les propriétaires fonciers) (1) Parmi ces pièces instructives, il faut distinguer celles de Quimperlé, de Vannes, de M. Gecile de Lam-balle, de M. le b... de Quintin. (2) Cahier de Rennes, vers la fin, article 210. (3) Rohan, articles 6 et 34. (4) Cornouailles, article 9. Bronerec, article 3. (5) L’on a remis au secrétariat du comité un mémoire 30 (1) Herin, consultation 104. in SÉRIE, T. X. 466 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1789.] ne doivent nous aveugler sur les choses, et les colons se prévalent mal à propos de la décision de l’Assemblée nationale, qui précisément a rejeté leur prétention. Le projet de son décret du 4 août, portait d’abord: toutes les rentes foncières... convenancières et autres sont rachetables... Si la mémoire du comité ne lui rappelait pas cette anecdote intéressante, il cesserait d’en douter à la vue d’un de ces journaux dont la foule innombrable s’imprime avec autant de précipitation que d’inexactitude, sur les dires de quelques membres aux séances de l’Assemblée, sans attendre les résultats. Dans le Courrier Français , séance 29, on lit guilleme-tées et comme texte du décret national, ces expressions qu’il ne renferme pas.... rentes foncières,... convenancières ou autres ..... Elles furent supprimées sur la réclamation de quelques députés, malgré l’opposition d’autres membres de l’Assemblée nationale. La question est donc jugée à l’avantage des fonciers, dont on avait prétendu faire déclarer les revenus susceptibles de rachat. Imaginons néanmoins (continuent-ils) que la question soit encore entière, et ne craignons pas de la remettre à la discussion. Apprécions les moyens des superficiaires. Première objection. « La rente convenancière est foncière et perpétuelle... » Non, dans le sens manifeste du décret national, qui seulement a trait aux prestations, dont sont grevés les héritages aliénés à perpétuité. De ce nombre ne sont pas les tenues à domaine congéable, dont le fonds appartient et demeure au bailleur de la superficie, dont la rente s’éteint à sa volonté par le con-gément du colon. Seconde objection « Ce dernier mérite plus de faveur que le censitaire, parce qu’il est plus maltraité... » De ce principe vague on inférerait aisément que le simple fermier est encore plus favorable, sous le prétexte qu’il est moins avantagé que le doraanier. Le vice de la comparaison est au reste saillant, des raisons directes le démontrent. Le concessionnaire à cens est vraiment propriétaire, l’unique propriétaire (1) : le seigneur, qui lui en transférera le domaine plein sous la seule rétention d’une redevance, s’en est absolument exproprié; car la même personne ne peut posséder le fief et le domaine, en propriété d’un héritage (2). L’Assemblée nationale a voulu que ces possessions permanentes puissent être libérées des arrentements qui en gênaient le commerce ; imprimé, fait par M. Lanjuinais, dans un procès pendant au parlement de Rennes. Il s’y agit de savoir si, en affengeant des domaines congéables, dépendants de son fief, un seigneur en a pu retenir la mouvance quoiqu’il ait pris plus de 100 francs par journal. A cette occasion, l’auteur du mémoire traite savamment la question de savoir si la dation à convenant d’un héritage ayant principe de fief, est un féage, et le défenseur particulier soutient l’affirmative. Mais, en adoptant môme son opinion, l’afféagiste serait amovible, et si les possesseurs des fiefs n’étaient aujourd’hui que des usufruitiers, comme autrefois, l’Assemblée nationale leur en aurait-elle accordé la perpétuité ? L’aurait-elle enlevée aux propriétaires? Voilà l’hypothèse dont il faut partir, pour appliquer le décret du 4 août aux domaines congéables dans l’opinion même qui les range dans la classe des fiefs. ' (1) Voy. Dufail, livre Ier chap. 243. Il faut y voir la disparité des deux modes de tenir à cens ou convenant. 2) Acte de notoriété du 11 juillet 1698. — Quinzième dans Devolant. mais elle n’entendit nullement détruire le droit sacré de la propriété par l’attribution de la domi-nité des convenants à des détenteurs précaires. Elle a tout fait pour les propriétés et ce sont ici les fonciers; donc elle n a rien fait à leur désavantage. Troisième objection. « Le domaine congéable est une sorte de fief... » Pour la réfuter, il suffirait peut-être de considérer que le possesseur du terrain le plus exigé, d’un champ roturier et sans principe de fief, peut l’éconvenance (1). Mais les fonciers invoquent de plus les usements, les jurisconsutes et la nature même du ténement convenancier, qu’ils soutiennent incompatible avec l’investiture féodale. Consultons d’abord ces coutumes locales : partout elles différencient le superüciaire du vassal de fief : comme elles refusent au premier la propriété qui résulte de l’inféodation, elles l’exemptent des droits seigneuriaux des lods et ventes , rachat, commises, hommages, aveu, etc. (2). Si l’on y trouve la sujétion du convenancier au payement du fouage et des chefrantes, c’est en acquit , c’est à la décharge du propriétaire : ainsi s’explique l’usement de Tréguier. L’assujettissement aux ventes sur le prix de la superficie démembrée par un premier bail à convenant, fait de plus en plus ressortir le contraste des deux tenures qu’on voudrait assimiler. Le péage ne doit en effet aucun droit seigneurial, et si la jurisprudence y oblige l’aliénataire des superficies envers le seigneur immédiat du foncier, quel en est le motif? Réunis au fonds, avant d’être aconvenancés, Je s droits superficiels étaient une partie intégrante de l’héritage tenu en fief : or, si aucune chose tenue en fief est vendue (dispose l’article 52 de la coutume de Bretagne), les ventes en appartiennent au prochain seigneur. Au reste, les auteurs Bretons ne laissent aucun nuage sur la différence extrême, qui sépare le fief du domaine congéable. « Il y aurait de l’implication (dit Hevin fils, consultation 71) que le même héritage fût en même temps possédé en fief et à domaine congéable » : maxime ancienne et constamment attestée par Lesrat (3) et par d’Argentré (4), dès le XVIe siècle ; par Frain dans le dernier (5); par l’éditeur Devolient dans le nôtre (6). Les fonciers néanmoins avouent qu’Hevin et quelques autres écrivains ont qualifié le domaine congéable de fief anomal et hétéroclite, à cause de la suite de moulin et de justiciement sur les tenanciers qu’a le foncier dont la terre est fief-feuse. Mais en Bretagne, un seigneur assujettit ses fermiers même à sa banalité; la justice de quelques seigneuries s’étend jusque sur ses métayers, et toutes les grueries ont reçu la même extension. De ces prérogatives extrinsèques au lieu féodal qu’elles ne constituent nullement, est provenue l’expression de fief anomal et hétéroclite , c’est-à-dire de fief qui n’est pas fief; de fief qui ne suit (i) Tréguier, art. 13. (2) Bronerec, art. 2, Tréguier, art. 10. (3) Recueil d’arrêts rendus en robe rouge, arrêt 2. (4)... fndistincti certè scitnm est nullo casu domi-num ab concedente abscedere, et conditionem reliqui domani ab domino retenti servare. D’Argentré, sur l’art. 298 de l’ancienne coutume de Bretagne, en parlant des domaines congéables. (S) « Le convenant n’est, ni ne peut être estimé fief... » Frain, plaidoyer, 13. (6) Lettre V, au mot usement. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1789.] pas le régime féodal aboli par l’Assemblée nationale. Est-ce donc sur des jeux de mots que porte le sens de ses respectables décrets? Rendons à la dignité du Corps législatif un hommage plus pur; oublions ces pointillés grammaticales; écartons les autorités pour fixer notre attention sur la nature du domaine congéable, tout à fait dissemblable de l’afféagement. L’af-féagiste en effet devient propriétaire incommu-table, et le colon n’est jamais qu’un détenteur amovible et précaire. Amovible, puisqu’il n’acquit, puisqu’il ne possède la superficie qu’à la charge perpétuelle et imprescriptible du congément (1). Précaire; concedo tibi fundum precario , dit un propriétaire, qui a convenance, suivant d’Argen-tré, sur l’article 266 de l’ancienne coutume de Bretagne, chapitre II. Les droits superficiels sont des édifices bâtis sur le fonds d’autrui, enseigne du Parc-Poullain, tome III, de ses principes. Un témoignage plus irrécusable encore, est celui de l’auteur de la lettre imprimée, qui sollicite l'abolissement du domaine congéable et de tous les usements locaux. « La propriété du domanier (reconnaît-il) se réduit aux édifices et superficies; le fonds de la tenure appartient au seigneur (2).» Au surplus, recourons aux usements eux-mêmes, pesons leurs dispositions, d’après lesquelles les parties ont contracté. Les droits convenan-ciers sont meubles relativement au foncier, parce qu’il a retenu le domaine de son héritage. — Les bois à merrain lui sont réservés ; le colon n’en peut disposer... Colombiers, enfeux, garennes, tous les droits honorifiques sont des attributs naturels de la do minité du propriétaire, qui n’a pris que des bras auxiliaires pour manœuvrer sa tenure, sans intention de s’en dépouiller. Toute innovation dans les édifices et les clôtures, toute augmentation dans les dimensions et la forme des bâtiments sont interdites au domanier. — Enfin, le seigneur a la faculté de congédier toutes fois et quantes ses convenanciers. Certes, voilà des marques clairement caractéristiques d’une détention purement coloniale. Or, l’Assemblée nationale aurait-elle eu et réalisé le dessein d’arracher ses domaines au possesseur légitime pour en gratifier des colons qui n’en jouissent qu’à titre précaire ? la raison et l’équité permettent-elles de croire que ses sages décrets autorisent les tenanciers à s’emparer de propriétés qui ne leur ont point été aliénées, dont cependant ils évinceraient le propriétaire en mobilisant malgré lui ses terres et ses possessions? Si les conventions légales sont obligatoires entre concitoyens, si les propriétés sont sacrées, si les lois ne doivent point avoir un effet rétroactif, en un mot, si la Déclaration des droits de l’homme citoyen renferme les bases éternelles de notre législation, il est impossible aux représentants d’une nation juste d’exproprier les fouciers de leurs domaines pour les tranférer à des convenanciers que la nature seule de leur détention exclut de cette propriété. Considérons d’ailleurs quels hommes privilégiés profiteraient d’une pareille injustice. Serait-ce la postérité de ces laboureurs entreprenants, qui (1) Ex hoc titulo nullis sœculis posset congediurius prœscribere adversus dominum... quamdiù pro sno possidet. D’Argentré, article 266 de l’ancienne coutume de titulis omni faciam. (2) Qui concessit, rei dominus fuit et adhuc est : D’Àrgentré, de Laudimiis, % 40. 467 cultivèrent primitivement les landes converties en domaines congéables? Non : ces biens ont mille fois changé de mains depuis leur établissement. Le lucre de ce bouleversement reviendrait privativement à des gens pécunieux, qui récemment obtinrent la permission de congédier les tenures, à la condition expresse d’être eux-mêmes éternellement sujets au congément. Quel est le titre de leur détention? L’amovibilité en fut le principe; il est juste qu’elle y mette un terme. C’est la convention fondamentale de leur jouissance. Les fonciers vont plus loin, Messieurs, dans leur système; l’intérêt même de l’agriculture sollicite la conservation du régime convenancier. Ecoutons leurs réflexions ; peut-être paraîtront-elles de quelque poids dans la balance de l’économie politique. Les rentes féodales et foncières perpétuelles sont rachetables, et l’arrentement infranchissable d’héritages aliénés perpétuellement est désormais prohibé. Supprimez, interdisez encore le bail à convenant : tout moyen dès lors est interdit d’arrenter ses terres en denrées et de se procurer des rentes stables : dès lors nulle ressource que la dation à ferme ne reste au propriétaire qui veut conserver des revenus prédiaux, les plus solides de tous. Quel sera l’effet inévitable de ce nouvel ordre de choses? Le citadin opulent, le seigneur remboursé de ses droits féodaux et chargé du numéraire, placeront leurs fonds en tenures qu’ils ne pourront rétrocéder avantageusement, et nos campagnes n’offriront que des fermiers, des cultivateurs mercenaires. Maintenant au contraire le domaine est congéable, et au lieu de pauvres conducteurs, dont tous les désirs tendent à épuiser les sucs de nos champs, l’Etat aura des domaniers intéressés à engraisser un sol dont la superficie leur appartient. Il aura des cultivateurs qui, continuellement aiguillonnés par la crainte du congément, se livreront à des défrichements, à des bonifications qui rendent leur éviction plus coûteuse, par conséquent plus difficile. Le grand terrier, qui ne saurait exploiter toutes ses possessions, le plus petit propriétaire, qui veut s’épargner les réparations d’un bien éloigné, tous concéderont volontiers à convenant, parce que ce bail laisse l’espoir de recouvrer la disposition de son héritage; parce que, d’ailleurs, il est maintenant le seul qui puisse procurer des rentes territoriales insusceptibles de franchissement. L’expérience garantit les avantages de cette association de fonciers sans inquiétudes , et de su-perficiaires toujours actifs, toujours excités à l’amélioration d’un domaine. La tenure convenancière dut, en effet, son origine en défrichant les landes immenses qui couvraient la surface de la Bretagne presque entière. Si ces terrains infertiles y sont encore trop communs, c’est qu’appartenant aux seigneurs de fief, ils ne sont abandonnés à des colons qu’en Cornouailles, où l’ouverture de ces landes assujettit à un champart au tiers ou au cinquième. Qu’on arrête maintenant ses regards sur l’état actuel des cantons, où la fréquence des congé-ments se fait le plus sentir, sur les côtes de Vannes, de Quimper, de Tréguier et de Paimpol et Saint-Brieuc, les campagnes y sont bien cultivées ; les domaniers y vivent dans l’aisance, y possèdent souvent 3 à 4,000 livres de revenu en droits con- 468 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1789.] venanciers. Leur sort, quel qu’il soit, est sans contredit préférable à celui des fermiers malheureux qui, à leur sortie, les mains vides et incapables d’avances, errent quelquefois sans asile, et retombent à la dure nécessité d’exercer la profession de simple journalier. Qu’on cesse donc de calomnier le domaine congéable. Ainsi raisonnent les fonciers. C’est à vous, Messieurs, qu’il appartient de préparer par votre avis la décision de l’Assemblée nationale. Vous vous empresserez sans doute de prévenir l’effervescence dangereuse qui naîtrait d’un silence trop proloagé sur une question semblable. La solution en est urgente et par une division des sentiments en Bretagne, et par l’affectation de certains praticiens d’y répandre des imprimés qui, prévenant les décrets nationaux, s’ils ne les contredisent pas, insinuent aux domaines, jusqu’à présent paisibles, l’extinction du régime convenancier. Jusqu’ici, Messieurs, je ne suis que le rapporteur impartial des moyens, tant des superliciaires que des fonciers, sans embrasser aucun parti dans cette grande controverse qui divise mes concitoyens. Pour envisager la matière du domaine congéable sous tous les aspects de la politique, je pars maintenant de la supposition où le Corps législatif en maintiendrait l’existence, et je vais plaider avec vous la cause des colons. Toutes les institutions humaines ont leurs abus. Il s’en est glissé dans la tenure convenancière, il faut les extirper; et plusieurs réclamations de domaines se bornent à vous en demander la réforme, sans empiéter sur la dominité des convenants. De ces abus, les uns tiennent à certains usent ents, tels que Rohan et Poher; les autres sont communs à tous. Usement de Rohan. Examinons d’abord quelques dispositions hétéroclites de l’usement de Rohan, purement accessoires au régime du domaine congéable. Indivisibilité absolue de la tenue ; attribution du convenant au seul juveigneur qui la recueille entière exclusivement à ses aînés, sans dédommagement si elle est patrimoniale; nul douaire à la veuve du tenancier, qui cependant ne saurait être secourue par ses enfants les plus âgés que leur cadet deshérite; exclusion d’héritiers collatéraux et réversion au seigneur de la tenue du colon décédé sans enfants; corvées indéfinies. Ces dispositions ressentent la mainmorte, qui désormais est bannie de l’empire français parles décrets du 4 août dernier. Proscrivez donc, Messieurs, ces singularités barbares entées par la force sur le domaine congéable. Elles dépeuplent un pays où des friches considérables appellent depuis longtemps des bras qui s’attachent â un soi moins opprimé. Mais de là naissent des questions relatives aux droits des seigueurs. Les remboursera-t-on d’un casuel très-fructueux des déshérences et du produit assez faible des lods et ventes ? Le droit de réversion, le privilège d’en faire rouler la contingence sur la tête d’un seul tenancier et du plus faible enfant de la famille, est extrêmement odieux; la tyrannie seigneuriale eut beaucoup de part à ces lois qui contrarient si fortement les sentiments de la nature chez d’honnêtes cultivateurs. Quel remboursement, d’ailleurs, exiger des colons qui, dès le lendemain, seront peut-être congédiés, qui, par conséquent, ne profiteront point du nouveau mode de successibilité? Ajoutons, Messieurs, l'impossibilité d’imaginer des règles justes et générales de rachat. Le danger de la déshérence n’est, en effet, qu’une perspective idéale aux yeux du chef de famille qui a des enfants et des petits-enfants; il est imminent, il est douloureux pour le domanier qui n’en a point, pour le père qui voit le juveigneur ecclésiastique, ou marié, mais privé de postérité. Le taux du rachat devrait donc être calculé pour chaque tenue individuelle et sur sa valeur et sur la position personnelle du tenancier, puisque la probabilité de l’obvention casuelle à racheter varie totalement ; et dès lors que d’arbitraire dans cette opération 1 Peut-on espérer, au reste, que le célibataire, que l’homme sans hoirs se priveront de leur aisance et verseront leurs fonds dans le coffre d’un seigneur pour affranchir leurs tenues de la déshérence au profit des collatéraux? L’injustice serait d’un autre côté criante de les y forcer. Gomment, d’ailleurs, généraliser le taux de ce franchissement, si ce n’est d’après l’une ou l’autre de ces bases : ou la quantité de la rente convenancière, ou le revenu des droits convenanciers? Or, la première est évidemment fautive, puisque les convenants les moins arrentés sont précisément ceux dont la conservation importe le plus au colon ; la seconde n’est pas plus faible, puisque les tenues les plus productives sont les plus exposées au eongément. N’oublions pas enfin que la casualité de la réversion, et conséquemment sa valeur, sont plus ou moins grandes, suivant la position du tenancier. Ici, Messieurs, je présume que dans la perplexité qu’occasionnent ces embarras, vous vous demandez à vous-mêmes : « Ne pourrait-on pas laisser ces opérations aux assemblées de département?... » L’objection est spécieuse, mais veuillez l’approfondir, et vous apercevrez, Messieurs, le péril certain où l’on jetterait le duché de Rohan si dans son sein l’on agite le sort de tous les paysans et l’intérêt de tous les fonciers. Vous vous convaincrez qu’aucun département ne trouverait un résultat, un mode juste et général de rachat que la nature des choses démontre impossible. Où donc aborder dans cet océan de difficultés? Prenons pour guides les décrets que l’Assemblée nationale nous a chargés d’appliquer : ils abolissent sans indemnité tous les droits et devoirs qui tiennent à la main-morte réelle ou personnelle. Or, rien ne tient plus à la mainmorte que d’enlever à des proches, aux frères du juveigneur, un bien cultivé par leurs mains et arrosé de leurs sueurs ; que de leur arracher un champ souvent acheté par leur père commun ; rien ne tient plus à la main-morte que de frustrer une famille agricole du prix de ses dépenses et de ses améliorations sur une tenue que d’aggraver le deuil où l’a plongée la mort du plus chéri de ses membres par l’affliction de perdre l’héritage qui formait son patrimoine. Tout conduit, par conséquent, à l’abolissement du régime main-mortable de l’usement de Rohan. Les fonciers y seront assez favorisés en les assimilant aux autres seigneurs de domaines con-géables, en leur conservant leurs prestations convenancières avec les droits naturellement inhérents à ce genre de domiuité. A l’égard du devoir de lods et ventes, exigibles en Rohan, dans le cas, assez rare, d’aliénation des superficies, le rachat en paraît aussi juste qu’en matière féodale ; mais l’équité dicte uue modifi- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1789 ] 409 cation: dans la contingence du congément, avant les neuf ans du rachat, le colon congédié doit en avoir la reprise, et le motif en est si sensible qu il serait superflu de le développer. Quant au taux de ce franchissement, mon opi ¬ nion personnelle inclinerait à le fixer à une année de Farrentement. Au surplus, rien n’empêche d’en confier la fixation aux départements, sous la restriction du rapport éventuel dont on vient de parler. Je vous dénonce ultérieurement, Messieurs, Fusement de Porhoet, dont l’unique mais très-abusive particularité consiste à charger le superfi-ciaire , qu’on rembourse , des frais du congément. Ce statut bizarre prive le cultivateur du fruit de ses travaux. L’on y voit fréquemment le tenancier d’un ou deux champs qu’il a fertilisés ; le possesseur de prairies qu’il a formées, abandonner gratuitement ses droits superficiels dès qu’on l’assigne pour un remboursement dont la procédure et le prisage excéderaient le capital. Une localité aussi oppressive naquit certainement de la violence : elle n’a pu s’établir que dans ces temps désastreux où les seigneurs armés dominaient impérieusement sur leurs vassaux; où leurs juges, ordinairement leurs parents, décidaient en dernier ressort les causes criminelles, et, par le despotisme, arrachaient de leurs justiciables les sujétions les plus irraisonnables. Remarquez de plus, Messieurs, que les limites du comté de Poher, dans lequel cette bizarrerie devait être concentée, ne sont ni déterminées, ni connues. De là les incertitudes mises à profit par l’avidité des fiscaux toujours entendeurs contre la faiblesse et l’ignorance du paysan, Ni la coutume d’ailleurs, ni le procès-verbal de sa réformation, ni les monuments anciens de notre histoire, ne font mention de cette localité, qui fut simplement confirmée dans le dernier siècle par un ou deux arrêts du parlement de Bretagne, en faveur de M. Ferret conseiller, et membre de cette compagnie. Conséquemment extinction de Fusement de Poher. Des colons, moins maltraités, fertiliseront des convenants aujourd’hui stériles : moins pauvres, ils enrichiront leur foncier par le renouvellement et les commissions des baillées. A ce moyen, les usements de domaine con-géable deviennent uniformes, et vous concevez, Messieurs, le précieux avantage de l’uniformité dans la législation. Cependant il resterait encore à supprimer les abus qui leur sont communs; car, si l’Assemblée nationale consacre le régime convenancier, l’intérêt public exige l’adoucissement du sort des domaniers, sans porter une atteinte directe à la foncialité des propriétaires. Indiquons ces tempéraments. En premier lieu , l’éviction du colon par congément s’exécute en quelque temps de l’année que ce soit. Ces expulsions inopportunes affligent les colons, les obligent quelquefois de se défaire de leurs bestiaux, de leurs instruments aratoires, et ces pertes du cultivateur retombent sur l’agriculture. La loi serait donc utile, qui décréterait qu’un convenancier congédié disposera de sa récolte, et jouira de son convenant jusqu’à la Saint-Michel suivante, en payant les rentes et les impôts proportionnellement à sa jouissance. En second lieu , le superficiaire n’a nul droit au corps des arbres à merrain, ou de haute futaie, plantés même par lui sur les clôtures ou le plat de ses champs. Il peut uniquement élaguer les bois émondables. L’établissement de plusieurs forges, l’ouverture de plusieurs mines en Bretagne, les exploitations surtout, ou plutôt les destructions de bois fonciers, récemment faites par quantité de seigneurs, qui ne replantent jamais, ces causes réunies rendent déjà sensible la disette des combustibles dans cette province; comment y remédier? en associant les colons à la propriété des arbres à merrain. C’est l’intérêt personnel des fonciers, c’est le bien public, et la position maritime de la Bretagne ajoute un nouveau degré d’importance à cet arrangement. En effet, sans enlever au domanierles fruitiers et les morts-bois, dont il a déjà* la disposition exclusive, qu’on lui assure la moitié du bois à merrain qu’il plantera, aussitôt les plantations se multiplieront, le profit en sera commun aux fonciers et aux droitistes. En troisième lieu, la province, environnée de mers, et placée sous un ciel nébuleux et froid ; la récolte y est tardive, et souvent les pluies qu’amène l’équinoxe la gâtent et la détruisent. Cette année vient d’en fournir un exemple affligeant. Des granges suffisantes pour amasser et même pour battre les grains, écarteraient, diminueraient au moins un inconvénient aussi grave. Mais toute bâtisse nouvelle est interdite au do-manier, sans la permission écrite du propriétaire, qui fréquemment la refuse ou ne l’accorde qu’à prix d’argent. Mon vœu, Messieurs (et je désire ardemment qu’il devienne le vôtre), mon vœu personnel fut, dès 1776, qu’une autorité supérieure autorisât la construction des édifices nécessaires à la conservation des moissons, sans exiger l’agrément des fonciers; je l’exprimai dans mes Institutions convcnancières (1). L’unique précaution à prendre pour prévenir l’abus de cette faculté, serait peut-être que le seigneur, ou son agent, appelé par simple avertissement, elle fut accordée, sans frais, par l’assemblée du district, à la vue des titres qui constatent l’état et la consistance du convenant. Cette voie a le double avantage de ne rien laisser à l’arbitraire, et d’être exempte de formalités dispendieuses. En quatrième lieu, les corvées gênent le colon, dont elles troublent les travaux. Il conviendrait de les apprécier et de lui déférer l’option de les acquitter en espèces, ou en argent (2). Vainement on lui donnerait le droit de les racheter; soumis à une éviction perpétuelle, la prudence et l’intérêt le dissuaderaient d’en user. En cinquième lieu, les gens d’affaires vexent journellement le superficiaire par la reddition et par le blâme de déclarations convenancières. Leur rapacité serait réprimée, s’il n’était tenu que de 30 ans en 30 ans à la rénovation de ses connaissances, qui duraut ce temps, seraient exécutoires, malgré les mutations de possesseurs, soit du fonds soit des superficies. Ces désagréments une fois épargnés au colon, sa condition sera beaucoup plus tranquille; il bénira la révolution actuelle, dont les avantages ne lui sont pas étrangers. L’exemption de l’entretien des grandes routes, dont il est encore (1) Tome II, page 33 et 34. (2' Plusieurs seigneurs les ont abonnées avec leurs domaines. Ces abonnements tiendront. �,70 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1789.] grevé, la destruction de la banalité de moulin, dont le rachat (s’il est ordonné) ne tomberapas à sa charge, l’extinction delà dîme, la suppression des fouages qu’il acquitte pour le foncier, l’anéantissement des justices seigneuriales, dont les suppôts le dévoreraient, la dispense de contribuer aux réparations des églises et des presbytères, qui seront entretenus sur les biens ecclésiastiques : accompagnées des réformes que je propose, ces innovations avantageuses répandront la joie, ranimeront l’activité dans les campagnes. Vous pouvez, vous devez, j'ose le .dire, Messieurs, faire encore d’autres heureux : ce sont les cultivateurs qu’accable le plus désolant des fléaux, dans une partie de la même contrée. A cette annonce un Bas-Breton devinerait P usement quevaizier. Quevaize. Le Quevaize est une tenue féodale, plus oppressive que la mainmorte des autres provinces, qui gémissaient sous ce joug tyrannique. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les dispositions de cette étrange loi ; elles sont brèves et peu nombreuses, mais c’est la foudre, qui d'un coup violent écrase les malheureux mortels (1). Maintenant, Messieurs, vous voyez que ce régime, contient en même temps, et les vexations de la mainmorte personnelle, et les duretés de la mainmorte réelle. Mainmorte personnelle... On la trouve, elle est évidente, — dans l’obligation du tenancier d’occuper personnellement sa tenure, — dans la défense de l’affermer au laboureur le plus intelligent, — dans la prohibition de posséder plusieurs tenures et dans l’assujettissement à des corvées indéfinies; — dans l’incapacité de tous autres enfants que le juveigneur , d’en recueillir aucune portion. Quel servage odieux! il dégrade l’homme, il le rend esclave de la glèbe. Main morte réelle... N’existe-t-elle pas dans le droit de déshérence, qui défère au seigneur la dépouille immobilière du juveigneur, mort sans hoirs directs, avec ses cultures et ses améliorations? Ni l’habitation du quevaizier avec ses frères et soeurs, même mineurs et non partagés, ni la survie de ses père et mère (2) dont il aurait reçu la tenure par démission, ou des fonds pour l’acquérir; ces circonstances, ailleurs si favorables, ne font point obstacle à la reversion de la quevaize. Ces us barbares ont révolté les seigneurs mêmes qui en profitaient. Dès 1575, l’abbaye de Rellec obtint des lettres patentes pour convertir dans ses terres le régime quevaizier en féage; elle les fit renouveler dans le dernier siècle; mais inutilement, par la superstition des paysans, qui pieusement croyaient leur tenure sous la protection immédiate et spéciale de Notre-Dame du Rellec. Enfin, ce convertissement en fief ordinaire vient de s’effectuer presque entièrement par les soins patriotiques de Dom de Verguet, prieur actuel du Rellec, député par le clergé de Léon à l’Assemblée nationale. L’ordre de Malte a récemment impétré de pareilles lettres au conseil du Roi, pour la commanderie du Paraclet; et l’abbaye de Begar, dans l’évêché de Treguier, dont je connais particulière-(1) Lire ici... le droit de Quevaize , à la fin de la coutume de Sauvageau. (2) Il existe un procès au parlement de Rennes sur cette question. Je suis très-éloigné de pencher pour le succès de la cupidité fiscale. ment les dispositions, n’était pas éloignée de recourir au même moyen d’anéantir un usement aussi oppressif. Ne craignons donc pas de lui appliquer le décret de l’Assemblée nationale, qui déclare abolis sans indemnité, tous les droits et devoirs qui tiennent à la, mainmorte réelle ou personnelle. L’exécution en est d’autant plus facile, qu’elle ne lésera nul propriétaire individuel; toutes ces seigneuries sont à la disposition de la nation, elles sont possédées par l’ordre de Gîteaux et la commanderie du Paraclet. Il n’incombera donc aux créanciers , suivant le décret du 4 août, d’autre rachat que celui des rentes, du devoir de lods et ventes, et de la banalité de moulin, si elle vous paraissait remboursable. J’omets les dîmes dont s’occupe le comité des matières ecclésiastiques , spécialement chargé de proposer, des plans sur cet objet. Reprenons les deux premiers articles, incontestablement rachetables par le quevaizier. Les rentes par lui dues sont féodales : ainsi leur valeur principale est réglée au denier 30 par l’article 248 de la coutume de Bretagne, qui dans cette évaluation comprend les casuels féodaux. Elle apprécie à ce taux les redevances en fief de basse justice et l'on ne saurait admettre de classe supérieure après l’anéantissement des justices seigneuriales, sans dédommagement. Ici néanmoins se présente une objection, extensible peut-être à tous les fiefs, qui perçoivent les ventes au quart du principal, au sixième, ou à un autre denier excédant le huitième, taux général en Bretagne. La vendition des droits quevaiziers par le tenancier, est sujette au tiers du capital pour lods et vente; donc (conclura-t-on) le rachat de cette charge est nécessairement plus fort que dans les autres seigneuries. Deux réflexions atténuent, si elles ne détruisent pas, la force de ce raisonnement. 1° Les Quevaizes se vendent très-rarement et à très-bas prix. A peine en retire-t-on le denier quinze ou douze du revenu annuel ; 2° l’expérience apprend qu’un acquéreur, qui se voit sujet à des ventes extraordinaires, diminue d’autant le prix de son contrat. Ainsi c’est avantager les seigneuries quevai-ziêres, que de leur appliquer l’article 248 de la coutume de Bretagne, que de les équiparer aux fiefs, dont le régime plus doux et conforme au droit commun facilite le commerce des héritages, donne par conséquent ouverture à la fréquence des droits féodaux. Usements de Goello et de Porhoet. Ce rapport, Messieurs, déjà fort étendu, pourrait être prolongé par des observations sur un troisième usement, celui de Goello près de Saint-Brieuc. Par un contraste frappant avec le téne-ment quevaizier qu’il avoisine, il avantage l’aîné plébeïen d’un préciput au treizième, sur les héritages et droits convenanciers du territoire, en succession directe seulement. Je pourrais également vous entretenir de Fusement de Porhoet, dans le comté de Yannes, qui, en partage de succession directe, et non noble, défère aux mâles les deux tiers des terres roturières, et n’en laisse qu’un tiers aux filles ; qui, en collatérale, rend les mâles seuls héritiers des mâles, les filles seules héritières des filles, pour les héritages roturiers. Mais l’examen de ces bizarreries territoriales ne [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1789.] 47 1 m’a point paru rentrer directement dans le plan du travail de notre comité, consacré principalement aux matières féodales. Espérons d’ailleurs qu’élevant ses vues beaucoup au-dessus de ces localités minutieuses, l’Assemblée nationale anéantira bientôt par un décret universel toute inégalité dans les partages: osons croire qu’égaux par leur naissance, les enfants du même père auront bientôt des droits égaux à sa succession, au moins ab intestat. Je terminerai donc ici ces discussions peu attrayantes, en vous suppliant de les honorer de la plus sérieuse attention. Songez, Messieurs, combien il importe de fixer par une décision précise et prompte, le sort de quantité de citoyens, que leur patriotisme et leur honnêteté ont jusqu’à présent garantis des excès, trop multipliés dans d’autres provinces (1). Signe : BAUDOUIN DE MâISONBLANCHE. 4e ANNEXE. Projet de décret sur les domaines congéables (2) par M. Baudouin de Jllaisonblanche, député de Lannion et Morlaix et membre du comité féodal (3). L’Assemblée nationale considérant que les propriétés sont sacrées, qu’ainsi nulle atteinte n’y saurait être portée sans ébranler les fondements de l’ordre social , Considérant que l’application de ces maximes aux domaines congéables, usités dans les départements du Morbihan, du Finistère et des Côtes-du-Nord, ne permet pas d’autoriser les colons à dépouiller le foncier de la propriété de ses héritages, par le rachat des prestations convenan-cières ; L’Assemblée nationale voulant néanmoins améliorer le sort des cultivateurs et leur procurer les avantages compatibles avec la justice, décrète ce qui suit : CHAPITRE PREMIER. Art. 1er. La tenure à domaine congéable est une convention licite, comme telle, maintenue et permise dans tout le royaume; en conséquence, les fonds et les rentes convenancières sont, de leur nature, non rachetables par les colons, qui, après l’expiration de leurs baillées, demeurent sujets au congément de leurs droits superficiels, sans pouvoir le provoquer. Art. 2 Néanmoins la déshérence ou reversion de la tenure au profit du foncier, usitée en roture par le décès du domanier sans enfants, le droit de lots et ventes sur l’aliénation des superficies, (1) Lorsque les comités ou l’Assemblée nationale auront établi des bases sur les dîmes, la banalité de moulins, les lods et ventes même, les rentes et les corvées féodales, je leur soumettrai de nouvelles réflexions sur l’application de ces règles aux domaines congéables, pour lesquels il faudra nécessairement des modifications, si on laisse subsister ce régime en le réformant. (2) Ce projet de décret n’a pas été inséré au Moniteur. (3) Ce projet est susceptible d’amélioration, même en faveur des colons, sans préjudicier aux fonciers, et l’auteur va s’en occuper; mais il croit convenable d’exposer ses premières vues, dont il ne s’écartera pas. (Note de M. Baudoin de Maisonblanche.) quoique mobiliers à l’égard du foncier, l’affectation du convenant au seul juveigneur en succession, l’exhérédation à cet égard des autres enfants et des héritiers collatéraux, la disposition qui prive la veuve du tenancier du douaire sur la tenure, et toutes les autres singularités de Fusement de Rohan, sont abolis pour l’avenir. Les convenants de ce territoire se régiront désormais par le droit commun des domaines congéables, sans qu’on puisse à l’avenir faire de concessions convenancières aux clauses du même usement. Art. 2 (1). Par exception purement temporaire à l’article précédent : 1° les fonciers, en Rohan, recueilleront, pour une seule et prochaine fois seulement, la déshérence des tenues possédées par les colons actuellement sans enfants et qui n’en auraient pas dans la suite; 2° le mode usuel de partage sera observé pour les successions directes échues, ou les premières à échoir seulement (non pour les collatérales) entre le juveigneur, soit maintenant marié, soit veuf ayant des enfants, ou même les enfants qui le représentent, soit enfin démissionnaire, quoique non marié, et les autres cohéritiers. Art. 3 (2). A l’égard des colons actuels de Rohan qui ont des enfants, pour toute indemnité envers leur foncier des suppressions ci-dessus prononcées, ils lui payeront une somme égale à une levée de leurs redevances convenancières, corvées non comprises; et ce payement sera par eux fait, de moitié, dans les deux années prochaines, à compter du 1er janvier 1791. Art. 4. La sujétion du convenancier, en Poher, au payement des frais de son congément, est aussi abolie, sans indemnité. Tout congédiant sera tenu aux frais légitimes d’instances, de prisage et de remboursement. La revue continuera d’être aux frais du requérant ; mais pour l’une et l’autre estimation les parties pourront aftider un seul expert. Art. 5. Les domaines de Cornouailles et tous autres sont déchargés de la cueillette des rôles rentiers de leur foncier, sans que la présente disposition préjudicie à la solidité des redevances sur chaque tenure. Art. 6. Les colons pourront enclore de haies et fossés convenables, et défricher les landes et terrains incultes dépendants et faisant partie intégrante de leurs tenures, sans néanmoins empiéter sur les chemins publics. Ils seront exempts, sur les productions de ces terres, de tous champarts et dîmes : à leur sortie par congément, ils seront remboursés de leurs engrais, cultures et clôtures. Art. 7. Tout droit de suite et de stus et engrais pratiqué dans Brourec, est aboli ; ces objets seront prisés à leur juste valeur avec le surplus des droits convenanciers du domaine congédié. Dans tous les domaines congéables, en quelque territoire qu’ils soient situés, le colon sera tenu de laisser sur les lieux, et le congédiant de lui rembourser la moitié des pailles de la récolte, des fumiers, à l’estimation d’un ami ou d’un expert, à communs frais pour cette partie seulement, si la tenure a été judiciairement prisée avant la récolte. Art. 8. Les baillées ou assurances de jouir auront leur cours entier au profit des coions, (1) Deux articles à discuter, dans l'hypothèse où l’on juge à propos d’accorder une indemnité aux fonciers, en Rohan. (2) Cet article mérite un examen sérieux.