576 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mai 1790.] toute harmonie, toute liberté, et on lui donnait défait la faculté d’établir l'impôt, puisqu’une fois engagé l’on ne pouvait plus le refuser. D’autre part, vous avez observé que la guerre étant une action qui exige de la rapidité et de l’unité, un corps d’assemblée délibérant contradictoirement ne pouvait être chargé de sa conduite, et qu’en certains cas l'Etat attaqué inopinément exigeait d’accorder une assez grande latitude de pouvoir provisoire pour sa défense. Par ce contraste, vous avez été conduits à la distinction d’un cas offensif et 'd’un cas défensif dont se compose réellement la question; vainement vous a-t-on allégué des connivences d’hostilité qui masqueraient les apparences; vous n’en avez que mieux démêlé la nécessité de séparer l’acte solennel de la déclaration en forme qui n’a point de remède, des sujets de plaintes qui, d’abord réprimés, peuvent être négociés et accommodés. On vous a parlé des prérogatives usitées des monarques; mais vous avez senti que les nations ne sont pas créées pour la gloire des rois, et vous n’avez vu dans les trophées que de sanglants fardeaux pour les peuples. On vous a cité la sagesse d’une nation voisine; mais vous avez senti que la Constitution anglaise, fondée il y a cent ans, quand le fanatisme, l’ignorance, la barbarie féodale couvraient toute l’Europe, n’avait pu atteindre uneperfection dont nous-mêmes aujourd’hui ne nous flattons pas. On vous a exagéré des besoins de diligence qui exigeaient le despotisme de l’autorité, et ne souffraient pas les délibérations de la place publique; mais vous ne vous êtes pas laissé abuser par de faux exemples. Vous avez senti que nous n’étions plus au temps de ces petites républiques dont tout le domaine se traversait en quelques heures; et les Assemblées nationales de France ne sont pas le forum de Rome ou d’Athènes. Enfin l’on vous a célébré les avantages des rites mystérieux de la diplomatie, et les inconvénients de la publicité. Mais vous vous êtes rappelé que c’est avec cet esprit de mystère que, de tout temps, l’on vous a joués ; que c’est avec cet esprit de mystère que l’on voulait vous dérober le brigandage de vos finances, et vous avez senti que lorsque le voile a été levé sur cet objet aucun autre ne peut le conserver. Oui, Messieurs, vous laisserez le mystère à cet esprit de diplomatie tracassièrequin’ayant pour objet que des intérêts de maison et de famille, pour leviers que des passions d’individus, pour moyens que des corruptions, des intrigues, a besoin des ténèbres pour y faire jouer les fantômes de puissance dont se masque sa faiblesse. Jusqu’à cejour l’Europe a présenté un spectacle affligeant d’orgueil apparent et de misère réelle; on n’y comptait que des maisons de princes et des intérêts de famille. Les nations n’y avaient qu’une existence accessoire et précaire. On possédait un empire comme un domaine ; on portait en dot des peuples comme des troupeaux. Pour les menus plaisirs d’une tête, on ruinait une contrée ; pour les pactes de quelques individus, on privait un pays de ses avantages naturels. La paix du monde dépendait d’une pleurésie, d’une chute de cheval. L’Inde et l’Amérique étaient plongées dans les calamités de la guerre pour la mort d’un enfant, et les rois se disputant son héritage vidaient leur querelle par le duel des nations. Vous changerez, Messieurs, un état de choses si déplorable ; vous ne souffrirez plus que des millions d’hommes soient le jouet de quelques-uns qui ne sont que leurs semblables, et vous rendrez leur dignité et leurs droits aux nations. La délibération que vous allez prendre aujourd’hui a cette importance, qu’elle va être l’époque de ce grand passage. Aujourd’hui vous allez faire votre entrée dans le monde politique. Jusqu’à ce moment vous avez délibéré dans la France et pour la France; aujourd’hui vous allez délibérer pour l’univers et dans l’univers. Vous allez, j’ose le dire, convoquer l’assemblée des nations. Il est donc d’une haute importance d’établir d’une manière imposante l’opinion que les peuples doivent concevoir de vos principes et de vous ; et la manière dont les grandes idées de philosophie politique se sont emparées, en moins de trois jours, de tous les esprits de cette Assemblée, m’est le sûr garant de la sagesse que vous allez prendre. C’est en tâchant de remplir les vue3 que vous-mêmes m’avez indiquées que j’ai rédigé un projet que j’ai l’honneur de vous soumettre : « L’Assemblée nationale, délibérant à l’occasion desarmements extraordinaires de deux puissances voisines qui élèvent les alarmes de la guerre ; « Dans cette circonstance, où pour la première fois elle porte des regards de surveillance au delà des limites de l’empire, désirant de manifester les principes qui la dirigeront dans ses relations extérieures, elle déclare solennellement: 1° qu’elle regarde l’universaiité du genre humain comme ne formant qu’une seule et même société, dont l’objet est la paix et le bonheur de tous et de chacun de ses membres ; « 2° Que dans cette grande société générale, les peuples et les Etats considérés comme individus jouissent des mêmes droits naturels et sont soumis aux mêmes règles de justice que les individus des sociétés partielles et secondaires ; « 3° Que par conséquent nul peuple n’a le droit d’envahir la propriété d’un autre peuple, ni de le priver de sa liberté et de ses avantages naturels; « 3° Que toute guerre entreprise par un autre motif et pour un autre objet que la défense d’un droit juste, est un acte d’oppression qu’il importe à toute la grande société de réprimer, parce que l’invasion d’un Etat par un autre Etat tend à menacer la liberté et la sûreté de tous ; « Par ces motifs, l’Assemblée nationale a décrété et décrète comme article de la Constitution française : « Que la nation française s’interdit de ce moment d’entreprendre aucune guerre tendant à accroître son territoire actuel. » (La séance est levée à 4 heures.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ GOUTTES. Séance du lundi 18 mai 1790, au soir (1). M. l’abbé Gouttes, ex-président, occupe le fauteuil en l’absence de M. Thouret et ouvre la séance à 6 heures du soir. M. Chabroud, secrétaire , donne connaissance à l’Assemblée des adresses dont l’énumération suit : (1) Cette séance est incomplète an Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [iS mai 1790.] {577 Adresse des nouvelles municipalités des com-munautés de Saint-Sauveur, d’Àrdenay, de la Colombe, de Coulombier, de Saint-Romain d’Au-beierre, de Lastreilles, département de Lot-et-Garonne, de Saint-Gilles-sur-Vic, de Bedos et Peyralbe, département de Rodez, et de Boiruthal en Alsace. Toutes ces municipalités, après avoir prêté, de concert avec les habitants, le serment civique, présentent à l’Assemblée nationale le tribut de leur admiration et de leur dévouement. Adresse du bataillon des Minimes, cinquième division de la garde nationale parisienne, qui, à l’exemple de celui de Saint-Etienne-du-Mont, exprime un dévouement sans bornes pour l’exécution des décrets de l’Assemblée nationale, quelle que soit sa décision sur la permanence des districts. Adresse de l’assemblée électorale du département de la Haute-Saône, formée à Vesoul, qui fait éclater avec énergie les sentiments d’admiration, de reconnaissance et de dévouement dont elle est pénétrée pour l’Assemblée nationale. Tous les électeurs, au nombre de 403, prononcent ce serment solennel : « Nous jurons sur l’autel de la patrie, pour nous et pour nos commettants, non seulement d’exécuter et faire exécuter ponctuellement tous vos décrets, mais encore de sacrifier nos vies et nos biens plutôt que de souffrir qu’il leur soit porté la plus légère atteinte. » Adresse des villes de Beaucaire et de Saint-JuDien, contenant le procès-verbal du serment civique des gardes nationales. Adresse de la commune de Marnhagues et Latour, département de Rodez : quoique plongée dans la détresse, elle offre pour sa contribution patriotique la somme de 712 livres. Adresse de la communauté de Savigneux ; elle fait le don patriotique du produit des impositions sur les ci-devant privilégiés. Adresse du régiment patriotique de la ville de Pujols, contenant l’expression d’un dévouement absolu pour l’exécution des décrets de l’Assemblée nationale. Adresse du même genre des habitants du canton de Luz, au département des Hautes-Pyrénées : ils ont prêté, avec les transports de la plus vive reconnaissance, le serment civique. Adresse du même genre de la ville de Mailly-le-Ghâteau, en Bourgogne. Indépendamment de sa contribution patriotique, qui s’élève à la somme de 1,686 livres 6 sols, elle fait don du produit du moins imposé en faveur des anciens taillables. Délibération du conseil municipal de la commune du Bourg-lès-Valence, qui fait hommage à l’Assemblée nationale de sa soumission à tous ses décrets. Adresse de la municipalité de Poitiers, par laquelle elle offre sa soumission d’acquérir pour six millions de biens nationaux ; elle annonce, au surplus, que les déclarations pour la contribution patriotique arrivent dans cette ville à la somme de 288,000 livres. Adresse des habitants de la paroisse d’Augy, qui déclarent avoir fait choix d'un curé à la place de celui que la mort leur a enlevé, et demandent que leur choix soit ratifié. Adresse des officiers municipaux du bourg de Blérancourt, qui expriment l’improbation la plus forte contre un imprimé avant pour titre : <• Déclaration d’une partie de l’Assemblée nationale, sur un décret rendu le 13 avril 1790, concernant fla religion. » 1" SÉRIE. T. XV. Plusieurs membres demandent l’impression et la distribution de cette adresse. Cette motion est adoptée et l’adresse, qui est ainsi conçue, sera annexée au procès-verbal : Adresse de la communauté de Blérancourt près Noyon. Monseigneur, voici ce qui se passe dans les campagnes, tandis que vous travaillez à la li-v berté. Puissent-ils rougir à la lecture de ce qui suit, les tyrans qui cherchent à nous séduire, et qui nous représentent la religion comme la fortune, une bourse à la main, elle qui est si pure et si modérée ! Extrait du registre des délibérations de la mum\ cipalitê du bourg de Blérancourt. Gejourd’hui 15 mai 1790, la municipalité de Blérancourt étant extraordinairement convoquée, François Monneveux, procureur de la commune, a porté la parole et nous a dit : Que le 11 du présent mois, il a été adressé à M. de Saint-Just, électeur au département de l’Aisne, et demeurant audit Blérancourt, un paquet contenant trente exemplaires d’une feuille ayant pour titre : Déclaration d’une partie de l'Assemblée nationale, sur un décret rendu le 16 avril 1790, concernant la religion; Qu’à cet envoi était jointe une lettre remplie de maximes odieuses, qui l’engageaient à employer le crédit qu’il a dans ce pays, en faveur de la religion sapée par les décrets de l’Assemblée nationale, et à promulguer l’écrit contenu dans l’envoi. Ici, l’assemblée a demandé, d’un seul cri, la lettre à M. de Saint-Just. Ce dernier a été prié de se rendre à l’assemblée, et a fait lecture de la lettre qu’il avait dénoncée lui-même au procureur de la commune. Toute l’assemblée, justement révoltée des principes abominables que les ennemis de la Révolution cherchent à faire circuler dans l’esprit du peuple. A arrêté que la déclaration serait lacérée et brûlée sur-le-champ; ce qui a été fait à l’heure même; et M. de Saint-Just, la main sur la flamme du libelle, a prononcé le serment de mourir pour la patrie, l’Assemblée nationale, et de périr plutôt par le feu, comme l’écrit qu’il a reçu, que d’oublier ce serment : ces paroles ont arraché des larmes à tout le monde. M. le maire, la main sur le feu, a répété le serment avec les autres officiers municipaux ; il a ensuite félicité M. de Saint-Just en lui disant : « Jeune homme, j’ai « connu votre père, votre grand-père et votre « tayon ; vous êtes digne d’eux : poursuivez « comme vous avez commencé, et nous vous « verrons à l’Assemblée nationale ». Et ont signé Honoré, maire, Monneveux, Thuillier l’aîné, Carbonnier, Dutailly, Quentelat, J.-B. Gapperon, et Thuillier le jeune, secrétaire-greffier. Heureux le peuple que la liberté rend vertueux, et qui n’est fanatique que de la vérité et de la vertu 1 Voilà l’esprit qui nous anime, Monseigneur; et ce qu’il y a de plus consolant pour nous, c’est que toute la France éprouve les mêmes sentiments. Excusez des paysans qui savent mal exprimer la tendresse, la reconnaissance, mais qui conservent à l’Assemblée na-31