684 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juillet 1791.] Adresses du conseil général de la commune de Condrieu et de la société des amis de la Constitution séant à Colonges. M. le Président fait donner lecture d’une lettre d'Armand Richelieu, qui, quoique Français, est en ce moment au service de la Russie : il demande un passeport pour aller remplir ses engagements. Il promet de revenir aussitôt la guerre finie, et il désire que les connaissances militaires qu’il y acquerra, le mettent à portée de concourir un jour à la gloire de sa patrie. (L’Assemblée, en accordant ce passeport, ordonne que le motif en sera exprimé dans son procès-verbal.) M. Delavigne, secrétaire , fait lecture d’une lettre des officiers municipaux du Port-au-Prince , lie Saint-Domingue , qui annonce que le décret du lor février dernier a été reçu avec transport dans les parties du sud et de l’ouest, et dans la plupart des paroisses de celles du nord. Ils attendent avec l’empressement du besoin l’arrivée des commissaires civils qui doivent les faire jouir des bienfaits de la régénération ; mais ils suspectent les intentions du gouvernement. La conduite du sieur Bianchelande leur paraît conforme à celle du sieur Mauduit. Ils donnent connaissance à l’Assemblée d’une lettre écrite par ce colonel à l’ambassadeur d’Espagne, qui ne laisse aucun doute sur l’incivisme et la haine pour la Révolution qu’on imputait au sieur Mauduit. Ils ont inséré dans leur lettre une copie du procès-verbal dressé par la municipalité le 2 du mois de mai dernier, où sont relatés les événements malheureux qu’on attribue au régiment du Port-au-Prince : ils se félicitent du départ de ce régiment et ils en attendent le retour de la paix publique. Suit la teneur de cette lettre : « Messieurs, « Nous avons eu l’honneur de vous faire deux adresses, l’une du 8, l’autre du 31 du mois de mars dernier. Dès avant la date de la seconde, la nouvelle de votre décret du 1er février 1791 était parvenue à Saint-Domingue. Cette nouvelle, bien qu’indirecte, avait été reçue avec transport dans les parties de l’ouest et nu sud, et dans un grand nombre des paroisses des parties du nord. Elle s’est confirmée depuis par les papiers publics, et par une infinité de lettres particulières, et nous nous flattions de voir arriver bientôt sur nos bords les commissaires civils que ce décret nous annonce. Mais ces ministres de paix n’ont point encore paru : votre décret n’est pas encore connu officiellement, à Saint-Domingue; celui du 12 octobre est le seul dont nous ayons eu jusqu’à présent une connaissance officielle depuis ceux du 8 et 28 mars. « Que ces relardements paraissent longs aux vrais amis de la paix I Quand jouirons-nous enfin, comme les autres Français, du bienfait de la régénération ? L’arrivée des commissaires civils peut seule remplir nos espérances. A peine se sont-ils montrés a la Martinique, que les troubles y ont été apaisés. Ceux dont nous avons été agités nous-mêmes, calmés en partie aujourd’hui, peuvent cependant renaître, soit par la conduite flottante du général, soit par le défaut de municipalité dans quelques paroisses de la colonie. « Si les commissaires civils que votre décret nous annonce étaient arrivés, la plus parfaite paix régnerait déjà dans toute la partie de Saint-Domingue ; chacun verraiten eux les dépositaires de l’autorité suprême de l’Assemblée nationale ; chacun ferait avec plaisir le sacrifice de son opinion particulière, car nous désirons tous unanimement de voir la colonie participer à la régénération de l’Empire Français, nous tendons tous au même but et nous ne différons que sur les moyens que chacun veut prendre pour y parvenir. « Le gouvernement seul paraît avoir d’autres vues; c’est du moins ce que fait présumer la conduite de M. Bianchelande depuis le moment qu’il a mis le pied dans la colonie. Asservi en tout aux idées du colonel Mauduit, il s’est porté à tous les actes de violence et de tyrannie que cet ennemi juré de la Révolution a voulu exercer. Mais, pour vous mettre plus à portée de juger des intentions funestes de cet homme, dont les avis semblaient être des ordres pour M. Bianchelande, nous allons transcrire ici une lettre qu’il écrivait à l’ambassade d’Espagne, en 1790, avant son retour à Saint-Domingue. Nous avons en dépôt l’original de cette lettre, écrite tout entière de sa main. « Copie de la lettre écrite par M. Mauduit dans le temps qu’il était à Paris, en 1790, à M. le comte Fernand Nunès, ambassadeur d’Espagne. « Vous m’avez comblé d’intérêt, Monsieur le « comte, et j’en serai toute ma vie reconnaissant. « Vous m’avez donné une grande marque de con-« fiance, et je vous donne ma parole d’honneur « qu’elle est bien placée. Le plus ardent de mes « désirs est Je bonheur de Camille, et soyez sûr « que j’y travaillerai sans cesse, » Je n’estime personne plus que le comte de « Fernand Nunès, je lui suis profondément atta-« ché! Mais les circonstances me forcent à quit-« ter sa maison pour aller loger dans un hôtel « garni, je cesserai de le voir, mais mon senti-« ment le suivra toujours. « Oui, je l’aimerai jusqu’au dernier moment. « Je lui dirai avec franchise ce qui me déter-« mine à cette démarche qui me peine et m’af-« flige. J’aime ma patrie avec passion, j’aime le « sang de mes rois comme on savait l’aimer il « y a deux siècles. Je suis attaché à la patrie, à « la Constitution de mon pays et tout ce qui ar-« rive me déchire. La démarche actuelle du roi, « en allant à l’Assemblée nationale, me parait « désespérante. C’est, suivant moi, la destruction « totale de la monarchie ; c’est un hommage cnie « le souverain rend au crime qui a tout boule-« versé, tout détruit ; c’est, suivant moi, unprin-« cipe qui abandonne ses fidèles serviteurs, les < honnêtes gens de son royaume, pour aller se « mettre à la tête des misérables qui l’ont dé-« trôné, qui ont détruit son royaume et qui ont « juré la perte des gens de bien. C’est un roi qui « se coalise avec le crime pour accabler, anéantir « toute vertu, tout honneur, toute probité. <- Voilà ma profession de foi, Monsieur le « comte. Jugez du déchirement que j’ai éprouvé, « lorsque je vous ai entendu, mardi au soir, dans « votre appartement, me dire que vous approu-« viez cette démarche. Oui, mon âme a saigné, « et depuis ce moment je vous évite, je m’évite « moi-même, je suis malheureux et je vous « quitte. « Comment, Monsieur le comte, vous, noble « espagnol, Français par votre mère, représentant « un souverain du sang de nos rois, vous ap-« prouvez une Révolution atroce, la destruction « de la religion, le détrônement de notre roi,