[Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée du Boulonnais.] 431 capitaine de remplacement, il sert encore moins : ses services partiels sont déjà un vice de constitution militaire. S’il a une charge à la cour, il obtient de fréquents congés pour l’exercer, parce qu’il sait toujours éluder les ordonnances. Quand il est fait maréchal de camp, sensé avoir vingt-cinq ans de service, il n’en a souvent pas six effectifs. Tandis qu’un lieutenant-colonel et un major, n’ayant tous les deux ans qu’un semestre de sept mois et demi, ont bien effectivement de trente-cinq à quarante ans de service plus actif et bien plus assidu que celui des colonels et que l’habitude la plusgrande de voir les troupes doit les rendre bien plus capables deles commander. On en juge autrement ; car si, par hasard, iis parviennent au grade de maréchal de camp, ils ne sont plus employés, on les traite d’officiers de fortune parce qu’ils ont été obligés d’avoir du mérite pour obtenir des grades, "on ne leur donne ni gouvernement ni commandement, et à peine ont-ils en pension de retraite de quoi subsister et s’acheter un uniforme, enfin les récompenses militaires ne sont pas faites pour eux. Cette distinction, la noblesse du royaume ose l’assurer au Roi, est non seulement humiliante pour elle, mais prive Sa Majesté des services que rendraient à l’Etat les officiers les plus zélés, les plus instruits et les plus exacts, qui sauraient apprécier les récompenses accordées au méritej que la noblesse de cour croit dues moins encore à son nom qu’à sa fortune. La noblesse du Boulonnais ose encore représenter à Sa Majesté que, par une suite des guerres qui en quinze ans ont ravagé et pillé cette province, les titres de la noblesse lui furent alors en levés; aussi se trouve-t-elle dans l’impossibilité de faire des preuves de quatorze cents pour être présentées. Henri II, par ses lettres patentes du mois de février 1551, daigne entrer dans cette considération pour remettre la province en jouissance de tous ses privilèges et exemptions, dont les titres lui avaient également été enlevés. La noblesse du Boulonnais ose supplier Sa Majesté de rendre un édit par lequel la noblesse de cette province qui ne pourrait établir ses preuves que par une filiation suivie jusqu’à l’époque de l’éditd’Henri II, ci-dessus cité, soit reconnue noble d’ancienne race et admise à être présentée. Elle observe que si les titres d’une province entière ont été reconnus perdus, les titres des familles particulières ont eu bien moins de moyens de se préserver de ce malheur. Par là la noblesse du Boulonnais pourra jouir de l’avantage inestimable, et de se rapprocher de Sa Majesté, et de pouvoir posséder des emplois dans sa maison militaire dont elle se trouve exclue et qui sont les seuls qu’elle ambitionne. Une doléance commune à toute la noblesse du royaume est les retenues sur les pensions. La noblesse ose supplier Sa Majesté d’ordonner qu’elle ne soit point imputée sur les pensions de retraite qu’un officier a méritées par son grade et ses années de service, telles qu’ellesont été fixées par les ordonnances depuis le grade de capitaine jusques et compris celui de lieutenant colonel, attendu que ces pensions sont souvent les seuls moyens de subsistance qui restent à ces officiers, la pauvre noblesse du royaume n’ayant d’autre profession de père en fils que celle des armes. Elle ose supplier Sa Majesté de ne jamais se départir du privilège exclusif que les ordonnances lui accordent pour remplir les places d’officier qui sont son unique ressource. En demandant d’être maintenue exclusivement dans le droit de servir Sa Majesté, la poblesse n’entend pas demander qu’on prive les soldais distingués des récompenses que leurs services auront méritées ; elle verra avec plaisir Sa Majesté leur rendre justice en les élevant au grade d’officier et ensuite à toutes les dignités auxquelles le mérite a droit de prétendre, les obstacles qu’éprouvent aujourd’hui les officiers parvenus par les grades pour arriver à celui d’officier général devant absolument disparaître. Le vœu général de la noblesse du royaume est aussi que les Etats généraux supplient Sa Majesté de décider que l’emploi d’un officier à son service ne puisse dans aucun cas lui être retiré que sur le jugement d’un conseil de guerre. La noblesse du Boulonnais supplie Sa Majesté de continuer sa bienveillance aux écoles militaires et de Saint-Cyr, ainsi qu’à tous les chapitres et autres établissements relatifs à la noblesse du royaume, ne pouvant que contribuer à l’illustration de" son règne. Sa Majesté est suppliée de permettre encore à la noblesse du Boulonnais de joindre sa réclamation à celle de toute la noblesse du royaume contre la discipline actuelle de l’armée. Elle tend au détriment de son service, puisqu’elle n’a plus pour base ce principe du point d honneur qui fut de tous les temps le premier mobile des Français, et dont Turenne, fondé, le maréchal de Saxe et Yïl-lars ont su tirer un si grand parti pour l’avantage de la nation et leur propre gloire. Que Sa Majesté daigne faire attentionà la réclamation de sà noblesse sur cet objet. Les suites peuvent en être d’une grande conséquence pour le soutien de la couronne, la gloire de son règne et la défense de l’Etat. La première preuve de justice sur cet objet que Sa Majesté pourrait accorder à la nation, serait une ammistie aux malheureux que cette discipline fait gémir hors de leur patrie. Telles sont, Sire, les respectueuses remontrances et doléances de votre noblesse du Boulonnais. Elle ose assurer à Votre Majesté qu’elle persistera éternellement dans les sentiments que lui ont transmis ses aïeux, de la fidélité la plus inviolable à l’égard de Votre Majesté, ainsi qu’à son empressement à concourir au rétablissement de l’ordre, de la tranquillité si désiréedans le royaume. Fait et arrêté ledit cahier par nous, commissaires de la noblesse du Boulonnais soussignés. A Boulogne-sur-Mer ce 30 mars 1789. CAHIER. Des remontrances plaintes et doléances du tiers-état de la sénéchaussée du Boulonnais (1). Le tiers-état, qui a vu avec le plus grand attendrissement que le Roi a daigné prévenir les vœux de ses sujets en leur accordant de son propre mouvement ce qu’ils pouvaient principalement attendre de sa bienfaisance, sent aujourd’hui tout le prix de cette faveur qui, dans les circonstances présentes , abrège ses représentations et doléances. Cependant, malgré cet acte de bonté et de justice d’un souverain qui aime a se dire le père et l’ami de ses sujets, il reste encore bien des maux de toutes parts, et que Sa Majesté demande à les connaître à l’effet d’y remédier efficacement. Le tiers-état, pour répondre à ses vues paternelles, se propose de présenter ici les objets qui méri-(1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire . 432 [États gén. 1789. Cahiers] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée du Boulonnais. tent son attention, et dont les uns intéressent particulièrement le Boulonnais, les autres lui étant communs avec tout le royaume. OBJETS QUI CONCERNENT LE BOULONNAIS EN PARTICULIER. Ce qui regarde le Boulonnais en particulier ne pouvant absolument être entendu qu’à l’aide de quelques éclaircissements sur son régime, ses libertés et franchises, il sera observé à cet égard que de tout temps les trois ordres du pays se sont assemblés, soit conjointement, soit séparément pour leurs intérêts communs : que l’origine de cet usage se perd dans les ténèbres de l’antiquité, et que les premiers titres qui en parlent remontent au règne du roi Jean. Le Boulonnais formait alors un grand corps de seigneurie qui avait ses comtes particuliers, relevant de ceux d’Artois et dominant sur ceux de Saint-Pol. Ces trois comtés, distincts les uns des autres pour leur administration particulière et intérieure, n’étaient cependant regardés par nos rois, seigneurs suzerains du tout, que comme un seul et même corps de mouvance dont le comte d’Artois leur faisait hommage, tant pour ses propres possessions que pour celle de ses vassaux et arrières-vassaux. Dans cette position des choses, les besoins de l’Etat, occasionnés par la prisonjjdu roi Jean et autres circonstances désastreuses survenues depuis, ayant obligé nos rois de demander des secours aux sujets immédiats et médiats de la couronne, les trois administrations de l’Artois , du Boulonnais et de Saint-Pol se réunirent en 1361 et dans les années suivantes, pour aviser aux moyens de fournir leur contingent pour le soulagement du royaume, sans nuire à leurs libertés et franchises primitives. M. Secousse , dans ses recherches historiques sur les Etats généraux et particuliers, tenus sous le règne du roi Jean (1) cite un mémorial reposant à la chambre1 des comptes, lequel porte en substance que les trois Etats de l’Artois, du Boulonnais et de Saint-Pol, s’étant assemblés en 1362 au château d’Hesdin, octroyèrent aux commissaires du Roi pareille somme que celle qu’ils avaient consentie de payer l’année précédente. Ces secours furent répétés la plupart des années suivantes, et à la suite de chaque assemblée, nos rois rendaient une ordonnance qui portait qu’au moyen de la somme accordée par les trois Etats, ils ne seraient sujets à aucune des subventions imposées ou à iriiposer ailleurs, que l’aide par eux accordée ne porterait aucun préjudice à leurs libertés etfranchises, qu’enfin ils resteraient francs et libres comme ils l’avaient été par le passé. Celles de ces ordonnances qui ont échappé aux ravages du temps se trouvent rapportées dans le recueil cité ci-dessus en marge (2), et ce qu’il y a d’essentiel à remarquer sur ces mêmes ordonnances, c’est que dans l’intitulé, le préambule et le dispositif, les trois Etats de l’Artois, du Boulonnais et de Saint-Pol, y sont constamment distingués, comme trois administrations qui ne se confondaient point et qui gardaient chacune leur nom particulier, quoiqu’elles se réunissent pour le même objet. Les choses restèrent sur ce pied pendant l’espace de plus d’un siècle et tant que le Boulon-(1) Préface du 3e volume du Recueil des ordonnances des rois de la 3« race. 1,2) Tome 4 et suivants. nais fut mouvant de l’Artois. Mais Louis XI] l’ayant acquis en 1477 par l'échange de Bertrand de la Tour d’Auvergne et en ayant attribué, en 1478, l’hommage aune image de la Vierge révérée dans la principale église de Boulogne, cet événement, en rompant le lien qui unissait l’Artois au Boulonnais, rompit de môme l’association de leurs Etats ou administrations particulières. Ce changement pouvait d’autant moins préjudicier au Boulonnais que Louis XI, qui, avant l’échange et au commencement de son règne, avait accepté les secours pécuniaires que les trois Etats d’Artois, du Boulonnais et de Saint-Pol étaient dans l’usage de fournir à nos rois, les avait confirmés, suivant les mêmes usages, en qualité de souverain, _ dans leurs libertés et franchises, et qu’en se faisant ensuite subroger aux droits des anciens comtes de Boulogne, ils avaient fait constater par un procès-verbal que ces seigneurs n’avaient jamais eu le droit de mettre aucun impôt sur leurs sujets. Le même procès-verbal parle encore de l’épuisement du pays par les suites d’un service qui a toujours été particulier, dont l’obligation n’a jamais discontinué, qui est dû par les propriétaires à raison de l’étendue de leurs manoirs, de quelque qualité que soient ces biens féodaux ou cottiers, et qui, suivant M. de Montesquieu (1), caractérisait anciennement ceux qu’on nommait hommes francs et libres. Le& Boulonnais, qui portaient ce titre honorable à l’époque de la réunion de leur pays à la couronne et qui avaient encore la faculté de régir leurs affaires communes par le ministère des représentants des trois ordres, ont été maintenus depuis l’échange dans l’une et l’autre de ces prérogatives. 1° Ils ont obtenu de règne en règne des lettres patentes qui, les confirmant dans leurs libertés et franchises, les déclarent, en conséquence, exempts de toute taille, taillons, aides, gabelles, subsides, et impositions mis et à mettre dans le royaume. 2° Les trois ordres n’ont point cessé de s’assembler quand leur intérêt commun l’a exigé, ce qui est constaté par les registres qui contiennent leurs délibérations, par leurs demandes adressées au conseil, les arrêts intervenus en conséquence et notamment par des lettres patentes du 13 juillet 1759, qui, en reconnaissant en termes formels la continuité de leur usage, ont réglé ce qui devait être observé pour la convocation et la présidence de l’ordre de la noblesse et de celui du tiers-état. Gomme les mêmes lettres patentes rendent ce témoignage flatteur aux trois ordres, que leur as-, semblée et députation ont été de la plus grande utilité, non-seulement pour le pays, mais encore pour le service du Roi, le tiers-état peut rappeler ici que dans tous les temps les trois ordres de la province ont cherché à allier leur liberté et franchise, avec l’obligation naturelle que contracte tacitement chaque sujet de contribuer aux frais de la protection qu’il reçoit du souverain à proportion de ses forces, qu’en conséquence et relativement à la clause de leurs privilèges qui porte qu’ils sont exempts de tous impôts mis et à mettre, ils n’ont point entendu être absolument affranchis du devoir devenir au secours de l’Etat, mais avoir uniquement, dans les circonstances critiques, la faculté de payer leur contingent relativement à leurs forces d’une manière analogue à leur constitution, ou d’une façon qui ne fût point destructive de leur franchise, enfin compensation (1) Esprit des Lois liv. XXX, cliap. xm. [Élats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLl faite des services personnels qu’ils avaient rendus au royaume dans ces mêmes occasions. La preuve de ces faits se tire des ordonnances citées ci-dessus, puisque l’Artois, le Boulonnais et Saint-Pol fournissaient des secours pécuniaires dans l’instant même qu’ils insistaient sur leurs libertés et franchises. Enfin, depuis la réunion du Boulonnais à la couronne, les trois ordres ont conclu avec le gouvernement divers abonnements, dont la plupart n’ont été modérés qu’à raison de services personnels que le pays avait rendus. Confusion du Boulonnais avec les pays d'élection. Art. 1er. Les députés, après avoir présenté le tableau ci-dessus de la constitution du pays, de ses libertés, franchises et en avoir développé au besoin les différentes parties d’après les mémoires et titres qui leur seront remis, représenteront particulièrement que toute la province a été vivement affectée de ce que dans la liste annexée au règlement du 24 janvier dernier, la sénéchaussée a été confondue avec les pays d’élection, comme si, dans la réalité, le Boulonnais faisait partie d’aucuns de ces arrondissements ; que, d’une part le Boulonnais n’est point plus sujet au pays d’élection, que ne l’est l’Artois, puisque le régime des deux provinces était précisément le même dans l’origine, que d’ailleurs les élections ayant été formées pour surveiller la perception de la gabelle, de la taille, du taillon et des aides, tout cela est étranger au Boulonnais qui n’est passible d’aucun de ces impôts directs et indirects; qu’enfin le Roi, par un arrêt du 25 mars 1730, a défendu aux fermiers de s’adresser pour le Boulonnais aux élections voisines de ce pays, et par un autre du 7 octobre 1787, Sa Majesté ayant distrait le Boulonnais de l’assemblée provinciale d’Amiens par la raison que cette province n’avait aucun rapport avec la généralité des élections de Picardie, ce ne peut être que par erreur que la sénéchaussée du pays a été placée dans des arrondissements qui ont des régimes tout différents., Pourquoi le tiers-état, en faisant toute protestation convenable contre la surprise faite à la religion de Sa Majesté, charge ses députés de les mettre sous les yeux du ministre ou du conseil du Roi; de les réitérer, partout où besoin pourra être, et de requérir en conséquence que pour les convocations futures aux Etats généraux, leur pays soit appelé séparément et sans aucune confusion avec les élections de la Picardie. Art. 2. Quoiqu’il ait été exposé ci-dessus que jusqu’à présent les trois ordres ont conservé le droit de s’assembler, d’agir ou de faire représenter pour défendre leurs libertés, franchises, ou régir leurs affaires communes, quoique le Roi leur ait accordé le 6 mai 1766, de nouvelles lettres patentes qui règlent leur administration et qui ont fait cesser bien des difficultés qu’ils avaient eues principalement avec les prédécesseurs de l’intendant que la province a le bonheur d’avoir dans le moment actuel ; Si l’on considère que pendant plus d’un siècle le Boulonnais a été en égalité de droits avec l’Artois, ainsi qu’il est prouvé par les ordonnances citées ci-dessus ; Si enfin on fait une comparaison de ce que les Etats d’Ariois peuvent faire avec ce qui est attribué par les lettres patentes de 1766 aux représentants des trois ordres du Boulonnais, On trouvera que ceux-ci sont bien déchus de leurs droits primitifs, quoiqu’ils en aient conservé lre Série, T. II. 1ENTAIRES. [Sénéchaussée du Boulonnais.] 433 une grande partie. C’est même un hasard qu’étant attaqués journellement par les fermiers et que Payant été en plusieurs occasions par les anciens intendants, il aient pu conserver ce qu’il leur reste aujourd’hui. Mais comme le Roi a daigné leur manifester l’intention où il est de les réintégrer dans leurs droits primitifs, Le tiers-état ose se flatter que Sa Majesté, en reconnaissant ce qu’étaient anciennement les Etats du Boulonnais, en reconnaissant encore que le sort des habitants de ce pays n’a pu être détérioré par la réunion de ces provinces à la couronne, voudra bien accorder à son administration actuelle le degré d’activité et de perfection nécessaires pour le mettre au niveau des autres Etats provinciaux. Le tiers-état, chargeant ses députés de solliciter cet acte de justice ou cette grâce, conjointement avec ceux des autres ordres de la province. Art. 3. En sollicitant l’acte de justice dont il vient d’être parlé à l’article précédent, le tiers-état est forcé de reconnaître que le règlement actuel du 6 mai 1766, quoique ayant force de loi, ne pourra suffire dès qu’on étendra les pouvoirs et les fonctions des représentants du pays. Dans l’état même actuel des choses, le règlement de 1766 était susceptible de perfection, et le Roi l’avait reconnu en chargeant les administrateurs, par i’ariiele 49 , de convoquer une assemblée du conseil pour délibérer sur les moyens de parvenir à la meilleure administration possible. Gomme les administrateurs n’ont point:satisfait jusqu’ici à cette disposition du règlement dans la vue de pouvoir éclairer plus sûrement la religion de Sa Majesté, et de connaître par l’expérience ce qu’ils pourraient proposer de mieux pour l’avantage du pays et l’utilité du service, il semble que les trois ordres du pays pourraient proposer aujourd’hui ce qu’il est nécessaire d’ajouter ou changer aux lettres patentes de 1766 par d’autres lettres patentes interprétatives ou explicatives des premières. Mais Sa Majesté paraissant avoir intention de mettre un certain ordre et une liaison entre les divers Etats provinciaux qui doivent être donnés au sein des Etats généraux, et dans cette position les réformes particulières devant partir des principes généraux qui seront adoptés dans l’assemblée de la nation, le tiers-état se contente de reguérir pour le présent : 1° Que dans l’administration du corps provincial du Boulonnais, la représentation soit égale à celle du clergé et de la noblesse pris ensemble ; 2° Que pour sa représentation particulière, moitié de ses représentants soient choisis parmi les habitants des cinq villes de lois de la province, l’autre moitié par les divers arrondissements qui renferment toutes les communautés du pays, avec liberté néanmoins pour chaque ville et arrondissement de'choisir pour députés ceux en qui ils auraient plus de confiance; 3° Que le nombre de députés des villes soit déterminé entre elles en raison de leur population ; 4° Que les députés qui seront nommés par les trois ordres de la province auront la grande direction des affaires, qu’ils arrêteront les ouvrages à faire dans le cours de chaque année pour le bien de la province, prendront connaissance de l’état de ses finances, arrêteront les comptes, feront la répartition des impôts consentis, ou des deniers à lever pour les abonnements et connaîtront généralement tout ce qui concerne les impôts 28 434 [États gén. 1789, Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée du Boulonnais.] du pays, à l’effet de quoi il sera fixé une ou plusieurs époques pour les assemblées générales , sauf à recourir au règlement pour fixer les fonctions des administrateurs et syndics, dans J 'intervalle des assemblées, et être avisé aux autres parties tendant au perfectionnement de cette administration. Le tiers-état déclarant, au surplus, s’en référer à la prudence du conseil sur les différentes parties de ce règlement, sur lequel il paraît que le conseil actuel de l’administration du Boulonnais doit être consulté, ainsi que les anciens présidents et administrateurs des trois ordres qui peuvent connaître par leur expérience ce qui est plus utile et avantageux pour le pays. Art. 4. Après ce qui vient d’être observé sur les franchises du pays et les divers abonnements qu’il a faits avec le gouvernement, il paraîtrait qu’il dût être affranchi de tout impôt; mais outre la capitation qu’il acquitte et ses abonnements actuels pour le vingtième, il paye deux sortes d’impositions qui lui sont particulières, l’une nommée le quartier d’hiver, l’autre les hôpitaux. La première, créée en 1657, ne devait durer, suivant une ordonnance du 25 janvier de la même année, que pour le temps de la guerre que la France soutenait alors contre les Espagnols. L’autre, mise à la suite de la capitation par un arrêt du conseil, du 11 septembre 1725, pour subvenir principalement à la subsistance des mendiants qui seraient enfermés dans les hôpitaux, ne devait être perçue que l’espace de six années. Mais ces deux sortes d’impôts sont devenus perpétuels, et dans l’état actuel des choses, le pays paye pour le quartier d’hiver avec les sous pour livre la somme de.... et pour les hôpitaux, aussi avec les sous pour livre, la somme de.... Vu la manière et les conditions sous lesquelles ces deux impôts ont été établis dans le principe et l’irrégularité de leur continuation, le pays pourrait demander qu’il en fût affranchi, ainsi que de la capitation; mais le tiers-état considérant que malgré les différentes réformes que Sa Majesté se propose de faire dans les dépenses de l’Etat, et l’ordre qu’elle a intention de mettre dans l’administration des finances, il peut se rencontrer que, balance faite des revenus du royaume avec ses charges ordinaires et extraordinaires, Axes et non fixes, le gouvernement ait besoin non-seulement de la masse de toutes les sommes qu’il perçoit, à titre d’impôts directs ou indirects, mais encore qu’il faille un supplément pour subvenir aux charges, du moins pendant un certain temps, Sur ces considérations le tiers-état se soumet non-seulement de fournir l’importance de ce à quoi monte sa capitation, son quartier d’hiver, les hôpitaux et l’abonnement des vingtièmes, mais encore de payer àproportion de sa force son contingent dans le supplément qui aura été reconnu nécessaire par les Etats généraux, ne réclamant à cet égard que la faculté de faire, conjointement avec les deux autres ordres, la répartition de tout ce que le pays aura à payer, de manière que ladite répartition soit égale, et que chaque individu ait à supporter sa part à raison de ses facultés personnelles ou réelles, abstraction faite de tout rivilége, sauf les indemnités qui se trouveront tre de droit pour quelque ordre ou communauté à raison des charges particulières qu’elles justifieront être obligées d’acquitter. Art. 5. L’arrêté etla soumission que le liers-état vient de faire semble lui interdire toute représentation sur les impôts indirects que Sa Majesté retire du Boulonnais, vu qu’on ne peut diminuer l’importance de ces objets sans affaiblir les ressources du gouvernement. Mais comme il y a des articles qui ne peuvent subsister sans une injustice manifeste ou une lésion considérable pour le pays, et qu’il y en a d’autres qui, sans être anéantis, n’exigent qu’une réforme pour leur perception, les représentations du tiers-état vont se borner à ces deux objets principaux. Art. 6. Le Boulonnais qui n’a jamais été sujet aux aides, non plus que l’Artois, avait demandé ou souffert l’établissement de quelques menus droits sur les consommations, partie pour des secours extraordinaires, partie pour faire enceindre de murs la basse ville de Boulogne. Ces mêmes droits, tout à fait distincts de ceux des aides et consistant dans 9 livresl8 sous par tonneau de vin, un sou par pot de la même liqueur au détail, et dans ce qu’on appelle les anciens et nouveaux cinq sous, avaient été dans le principe perçus et régis principalement au profit du Roi, qui s'était chargé des dépenses attachées à aucun d’eux; mais le conseil en ayant réuni la régie en perception à celle des aides dans le bail fait à Rouvelin en 1663, ce fermier prit prétexte de cette réunion pour inquiéter le Boulonnais et l’assujettir à de véritables droits d’aides. Ceux qui lui ont succédé ont suivi le même plan de vexation, et le tiers-état peut assurer qu’il ne s’est presque point passé d’année depuis 1663 u’on n’ait eu des difficultés ou des procès pour es droits dont on voulait charger le pays au détriment de ses libertés et franchises. Gomme toutes ces difficultés qui doivent avoir fatigué le conseil viennent d’une réunion de régie qui, dans la règle, ne devait point avoir lieu, le tiers-état charge les députés de demander que'les choses soient remises dans leur état primitif et que les différents droits que Sa Majesté a à percevoir dans le Boulonnais y soient régis sans aucun rapport avec les aides. Art. 7. Du nombre des droits dont Rouvelin, fermier des aides en 1663, voulait charger le pays, malgré ses libertés et franchises, s’en trouvait un connu ailleurs sous le titre de droit sur la marque des fers et qu’il voulait percevoir sur les marchandises de cette espèce que le Boulonnais tire de l’étranger pour sa consommation, Mais un arrêt du 28 mai 1664, rendu après la discussion la plus ample avec Rouvelin d’une part, les maire et échevins de Boulogne et la noblesse du pavs d’autre part, proscrivit l’injuste prétention du premier. Qui croirait qu’après une décision aussi formelle un autre fermier, sous prétexte qu’il avait fait ordonner en 1734 que les Calaisiens qui avaient laissé établir le droit chez eux continueraient de le payer, ait entrepris d’inquiéter les Boulonnais pour le même droit? La chose est néanmoins arrivée, et ce nouveau procès, où l’on veut faire juger par le conseil tout le contraire de ce qu’il a décidé, est encore subsistant. Mais comme en mettant l’ordre dans les finances pour la tranquillité de ses peuples, le Roi peut, par le même motif et par un règlement général, mettre fin au procès où on remît en question ce qui a été décidé, le tiers-état charge ses députés de demander que celui qu’on a fait au pays pour la marque des fers soit fini de cette manière. Art. 8. Le Roi perçoit par le ministère de -deux engagistes et sous le titre de minage et polquinage [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée du Boulonnais.] 435 des droits sur tous les grains qui viennent à Boulogne par mer ou par terre et qui sont dans le cas d’être mesurés. Quoique par le droitcommun et par l’usage général du royaume l’existence seule de ces deux droits parût grever le domaine de l’obligation de fournir les mesures, mines ou polquins, de les entretenir et de payer les mercenaires qui faisaient le service des marchés, néanmoins, par un ancien droit dérivant de celui de la haute justice et de la police appartenant aux maire et échevins de Boulogne, ces officiers municipaux commettaient des mesureurs sous le titre de bréamands qui faisaient le service et fournissaient les mesures, sous la faible rétribution d’un sol par chaque septier de grains du poids de 270 livres. Cette même rétribution, qui ht à la suite l’objet d’une ferme de la ville, d’abord sous la qualification de prévôté de bremendage et après sous celle de mesurage de grains, fut enlevée à la ville par un des régisseurs des droits réservés, qui vint à bout de l’en priver par des arrêts dont la surprise est d’autant plus évidente que ce régisseur est parti de ce fait principal, qu’il y avait eu un office de mesureur des grains créé à Boulogne par édit de janvier 1697, et qu’ensuite le même office avait été réuni au domaine, tandis que l’édit même prouvait la fausseté de ces faits, puisqu’il portait qu’il ne serait rien innové pour les villes où le Roi avait un droit de minage et autres semblables. . Sur ces considérations et vu que l’intention de Sa Majesté est de rendre à ses peuples ce qui leur a été enlevé injustement, le tiers-état charge ses députés de demander que le gouvernement rende à la ville de Boulogne une rétribution dont elle ne pouvait être privée avec justice. Ce qu’il y a même d’étrange, c’est que les régisseurs se sont ensuite emparés du droit de mesurage sur les sels et charbons de terre, en vertu d’un simple arrêt du conseil rendu sur requête non communiquée. Ainsi les députés supplieront Sa Majesté de rendre à la ville lesdits droits de mesurage. Art. 9. Le tiers-état a des doléances très-sérieuses à présenter pour l’article des francs-fiefs. Il a été observé ci-dessus que tous les Boulonnais sont sujets, sans distinction quelconque, à un genre de service qui, dans nos anciens usages, était propre à ceux qu’on qualifiait d’hommes francs et libres, en sorte que la nation assemblée ne peut être que charmée de retrouver dans un petit coin du royaume une image subsistant de la manière dont nos pères se consacraient au service de l’Etat. Tous les habitants du pays, par une suite de cet ancien état d’hommes francs et libres, se trouvent qualifiés de nobles Boulonnais dans les différentes lettres patentes qu’ils ont obtenues de nos rois pour la confirmation de leurs privilèges et franchises, vu que la noblesse la plus ancienne et la plus respectable est Celle qui dérive de l’état des anciens Francs. Enfin, par une suite de même état de liberté et franchise , les Boulonnais avaient toujours été regardés comme exempts des droits de francs-fiefs. Dans une pareille position il paraissait que 1er pays dût être tranquille pour la perception de ce droit, puisque ses habitants avaient en leur faveur l’état même qui en exempte et le titre qui. règle les droits les plus sacrés, savoir: la possession de plusieurs siècles, à quoi ils ajoutaient par surabondance de droits un arrêt contradictoire et définitif du conseil d’Etat du 30 décembre 1634 qui les avait déclarés non sujets aux droits; d’autres arrêts du conseil qui avaient mis un frein aux poursuites des fermiers, enfin les lettres confirmatives de leurs privilèges postérieures à 1634, où, d’après les dispositions de l’arrêt de cette année, l’affranchissement du droit en question avait été repris pour qu’il ne fît plus la matière d’une difficulté. Mais comme il en reste toujours avec les fermiers qui ne craignent point de remettre en question ce qui a été décidé jusqu’à ce qu’ils trouvent le moment favorable d’obtenir ce qu’ils réclament, ils sont venus à bout de faire ordonner, par un autre arrêt du conseil d’Etat du 28 mars 1752, que le droit serait perçu dans le Boulonnais à chaque mutation à compter du 1er janvier 1751. Ce nouvel établissement a été d’autant plus funeste au pays qu’il a donné lieu à des recherches considérables et à des vexations sans nombre par la circonstance que, par une suite de la constitution du Boulonnais et les dispositions de sa coutume, il n’y a point de pays où les fiefs soient plus morcelés, de sorte qu’on peut assurer que si les habitants ont infiniment perdu à toutes les recherches qui ont été faites par les sacrifices qu’ils ont été obligés de faire pour se rédimer des poursuites exercées à leur charge, le domaine n’a rien gagné par l’inutilité des frais faits en plusieurs occasions et la nécessité de récompenser des préposés qui ont profité seuls du nouvel établissement. Dans ces circonstances, le tiers-état charge ses députés de demander que, vu que l’état des Français, qui tient à l’ordre public, ne peut changer quelque décision que le fisc ait pu obtenir, les Boulonnais soient maintenus dans leur ancien état d’hommes nobles, francs et libres, et déchargés en conséquence de tous droits de francs-fiefs ainsi que des recherches qu’on pourrait faire contre eux à ce sujet. Art. 10. La fraude qui se commet journellement dans le Boulonnais au sujet du tabac est un fléau pour le pays en ce que, d’une part, elle enlève à l’agriculture quantité de journaliers qui deviennent ensuite des vrais vagabonds, et que d’autre côté, elle a fait établir dans la province une armée de commis, sans cesse en guerre non-seulement avec les fraudeurs, mais encore avec les plus honnêtes gens de la province. Les députés qui mettront ces inconvénients sous les yeux du conseil et de l’assemblée de la nation, qui feront voir encore que le Boulonnais, dans toute sa longueur, touche à l’Artois, où le tabac est libre et qu’il y a même sur les limites des deux provinces des villages partie de l’une, partie de l’autre, établiront comme une vérité incontestable qu’il n’y a point d’autres moyens d’arrêter la fraude du tabac dans le pays, et de prévenir tous les inconvénients qui en résultent, qu’en diminuant ou éloignant le nombre des fraudeurs par le défaut d’intérêt. Cette vérité, qui avait été sentie par les précédents fermiers, les-avait engagés à tenir dans les bureaux du Boulonnais du tabac d’une qualité inférieure à celui de Paris et de le vendre à un prix très-modéré, avec l’intention d’avoir pour les gens aisés un tabac tout à fait semblable à celui de la capitale. Mais dans ces dernières années certains fermiers qui comptent qu’on peut venir à bout de tout par les peines et la rigueur, et qu’à force de séquestrer des hommes de la société on peut 436 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée du Boulonnais.] parvenir à rendre ceux qui restent plus raisonnables, ont mis la vente du tabac dans le Boulonnais. sur le pied où elle est à Paris et ailleurs. ' On peut voir par le dépouillement des registres et l’état des dépenses, lequel des deux systèmes a produit le plus à la ferme, et comme la balance est sûrement pour le premier, les députés insisteront à ce que les fermiers ou ceux qui administreront ce qui concernera le tabac soient tenus de revenir aux premiers usages. Ils concerteront d’ailleurs avec les députés de l’Artois, s’il n’v a pas d’autres voies d’arrêter la . fraude, vu que'cette dernière province a un intérêt sensible, pour le maintien de sa constitution, à ce que l’on n’abuse point de ses privilèges et franchises. Art. 11. On se plaint généralement dans la province de la régie des haras. On voit par les instructions envoyées aux intendants et à ceux qui devaient veiller sur cette partie de police lors des premiers règlements faits à ce sujet, qu’il leur avait été recommandé d’avoir certains ménagements pour les pays qui pouvaient réclamer quelques exceptions. Le Boulonnais était dans ce dernier cas, cette province spécialement renommée à cause de son commerce de bestiaux de toute espèce, dont la principale branche consiste dans la vente des poulains. Dans une pareille position le principal objet qu’on doit se proposer en Boulonnais est d’aider la fécondité des femelles, sans avoir trop d’égard à la qualité de ce qu’elles produisent, parce que dans un royaume, il faut des bestiaux pour toute sorte d’usages et pour toute sorte de personnes. Sur ces considérations il ne fut point établi dans le principe d’inspecteurs aux haras dans le Boulonnais, et ceux qui, pour certaines causes, furent choisis ensuite dans le pays pour veiller sur cette partie de police, étaient des gens de considération pris sur le lieu même et qui savaient allier les intérêts du particulier avec ceux du public. Mais cette inspection fut confiée en dernier lieu à un étranger qui, ne connaissant pas le pays, s’obstina à rejeter les observations que lui tirent les administrateurs sur la nécessité de tempérer la rigueur des règlements et de répondre par là aux vues du législateur, consignées dans ses propres instructions, en sorte que dès lors, par des gênes mal entendues et autres faits qu’il serait trop long de relever ici, le nombre des poulains est diminué sensiblement dans le Boulonnais, et que quantité de laboureurs, qui n’ont d’autres� moyens pour payer leurs fermages ou satisfaire aux charges dont ils sont tenus, se sont trouvés dans le plus grand embarras et ont été forcés de se récrier contre une régie qui les appauvrissait. Il n’y a d’autre remède à ces maux que de confier la 'police des haras aux administrateurs de la province, trop intéressés à leur commerce pour le faire tomber par des abus que le vulgaire pourrait négliger, et qui, connaissant encore les cas où les ménagements sont nécessaires pour futilité publique, ne manqueront point d’y avoir égard. , , . Pourquoi les députés sont chargés de solliciter la suppression de la régie actuelle des haras et de demander que cette partie de police soit confiée au corps provincial du Boulonnais. Art. 12. La cherté du bois qui se fait sentir partout, et l’état de la plupart des forêts du royaume qui fait craindre une disette pour les bois de chauffage et même ceux de construction, engageront sans doute la nation assemblée à faire à ce sujet des représentations à Sa Majesté, surtout pour l’administration de ses forêts qui font la principale ressource du public ; sur ces considérations leviers-état, pourrait se borner à charger ses députés à se joindre à ceux des autres provinces; mais comme chaque pays, a, à cet égard, ses inconvénients particuliers, voici en peu de mots ceux qui occasionnent en Boulonnais la cherté du bois et qui en font craindre une disette par la suite. Ce sont : 1* Les concessions et usurpations faites dans les forêts de Sa Majesté ; 2° Les dégradations affreuses qui s’y trouvent ; 3° Les défrichements des bois des particuliers ; 4° Enfin les monopoles des différents marchands de bois. Pour que les députés puissent sans confusion faire les représentations convenables sur ces quatre articles essentiels, l’assemblée va leur tracer la substance de ce qu’ils pourront dire sur ce sujet. Art. 13. Les concessions ou usurpations dans les forêts forment des articles de la plus haute considération, vu surtout qu’en privant le public d’une partie essentielle de son nécessaire, elles diminuent encore le domaine du Roi, dont la perte augmente les impôts. Mais comme l’assemblée n’a point sous les yeux un tableau exact des différentes concessions et usurpations qui ont été faites dans les forêts, qu’en en attaquant quelques-unes et en laissant les autres à l’écart, on paraîtrait autoriser ces dernières ; qu’enfm parmi les concessions il peut et doit même s’en trouver qui aient des causes légitimes, tout ce que le tiers-état peut demander en pareille circonstance, pour ne point témoigner de partialité ni faire d’injustice, c’est de charger ses députés de requérir que Sa Majesté daigne nommer des commissaires sur les lieux qui , après avoir pris communication de la réformalion des forêts, faite sous le ministère de M. Colbert, et vérifié les parties qui s’en trouvent actuellement détachées, se fassent représenter les titres de ceux qui les possèdent pour donner leur avis sur la légitimité ou l’injustice de leurs possessions. Art. 14. L’article des dégradations mérite encore une attention toute particulière, vu l’étendue du terrain qu’elles embrassent en plusieurs parties; mais comme le tableau de ces désordres qui ne peut que faire naître des regrets est moins intéressant que le remède qu’on peut y apporter, le tiers-état observera à cet égard qu’ii est de la dernière nécessité d’aviser au repeuplement de ces parties, et même d’y ajouter à cet égard aû règlement qu’on dit avoir été sollicité en dernier lieu et qui parait n’avoir point produit grand effet jusqu’à présent. Comme il est vraisemblable au surplus que le conseil s’est occupé d’un projet à cet égard, et que la nation s’en occupera également, le tiers-état ne peut que charger ses députés de concerter avec les autres le plan nécessaire pour mettre en valeur les différentes parties de forêts qui se trouvent dégradées et de témoigner en même temps que l’administration des Etats du Boulonnais est dans la disposition de concourir, si le conseil ou la nation le jugent convenable, à l’exécution d’ouvrages aussi désirés. Il est cependant un article qui exige un règlement provisoire : c’est qu’à cause des dégradations [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES-[Sénéchaussée du Boulonnais.] 437 actuelles on est menacé que les coupes ordinaires tombent incessamment dans des parties de triages qui, se trouvant sans bois, occasionneront une vraie disette dans le pays. Cela exige nécessairement une autre distribution dans l’ordre" actuel établi pour les coupes ordinaires, et elle est d’autant plus nécessaire que l’âge des coupes n’est point uniforme dans les différents triages, qu’il y a des endroits où le bois se coupe à trente-sept ou trente-huit ans, d’autres à vingt-sept, et qu’en ramenant le tout à une certaine uniformité, on peut augmenter annuellement le nombre d’arpents de bois mis en exploitation. Enfin les députés pourront étendre ces observations particulières d’après les mémoires et instructions qui leur seront fournis à ce sujet. Art. 15. Quantité de particuliers, croyant pouvoir rofiter des avantages que la déclaration du 3 août 1766 accorde aux particuliers qui défrichent les terres incultes en les déchargeant pour un certain temps de tout impôt et de l’obligation de payer la dîme, ont défriché quantité de parties de bois au lieu de s’attacher à leur donner plus de valeur, ce qui n’a pas peu contribué à diminuer les approvisionnements du pays. Comme c’est un abus du règlement qui n’a entendu que favoriser le défrichement des terres qui ne rapportaient aucuns fruits, et que, dans les circonstances actuelles, toutes les parties de bois deviennent de la plus grande nécessité pour le public, les députés demanderont qu’il soitdéfendu a tous particuliers de défricher les bois taillis, à moins qu’il n’ait été dûment vérifié ou constaté que, eu égard au sol du terrain et à la situation des terres auprès de la mer, ou pour toute autre cause semblable, il soit en quelque sorte impossible de retirer aucuns bénéfices des taillis en les laissant à cet usage. Art. 16. Les monopoles des marchands et adjudicataires de bois exigent encore d’autres représentations. Il a éié reconnu que dans une ville comme Boulogne, où se fait la grande consommation des bois de chauffage, et où le prix qu’on met à cette denrée sert de règle pour toute la province, la liberté qu’ont les adjudicataires des forêts du Roi de mettre tel prix qu’ils veulent à leur bois est une des principales causes de leur cherté. Vu la nécessité où l’on est à Boulogne de s’adresser à eux pour les approvisionnements de cette espèce;' Sûrs de vendre leurs bois parce qu’il en faut, certains encore de les vendre plus cher en les gardant parce que le prix augmente avec les besoins, il faut les prier pour les approvisionnements qu’on veut taire. Ils poussent les choses plus loin vis-à-vis des habitants de la campagne; c’est que, leur faisant payer les bois qu’ils vont prendre dans les forêts avec leurs chariots d’après le prix que leur en donnent les habitants de la ville, ils ne leur en déduisent point les frais de voiture, quoique cette déduction entre à Boulogne dans le prix de la denrée. Le domaine gagne sans doute à cette conduite des adjudicataires, parce que, dès qu’ils sont maîtres du prix du détail, celui des adjudications leur devient indifférent. Mais comme l’intérêt réel d’un souverain qui est le père et l'ami de ses sujets , n’est autre que le leur propre, les dépu tés sont chargés de demander qu’avant chaque vente publique des forêts même, Je prix soit fixé à raison du taux courant par les officiers de la maîtrise conjointement avec le corpspro-vincial du Boulonnais, que ce prix ainsi fixé fasse un des articles du cahier des charges, et qu’il soit défendu aux adjudicataires de l’excéder, sauf à y ajouter les frais du transport à raison de la distance des lieux, ceux de garde ou d’emmagasinage, l’importance desquels frais sera réglée annuellement par les officiers municipaux de Boulogne et les officiers de police des autres lieux pour leur approvisionnement particulier. Offices municipaux , droit sur les porcs. Art. 17. La double finance pour les officiers municipaux à Boulogne, ainsi que le droit sur les porcs dont le fisc s’est emparé, sont des injustices frappantes. Li s offices municipaux rétablis en vertu del’édit de novembre 1733, ont été réunis à l’hôtel de ville de Boulogne par arrêt du conseil du 21 novembre 1747, moyennant une finance de 16,566 livres pour le payement de laquelle la ville a été autorisée par le même arrêt à percevoir un droit de 24 sous sur les porcs tués dans la ville et banlieue. Les édits d’août 1764 et mai 1765 ont supprimé les dits offices et ont autorisé les' habitants des villes à élire eux-mêmes leurs officiers municipaux. Ces offices ont été rétablis par un édit de novembre 1771, et Boulogne, a encore été obligé de lesrachetermoyennant une somme de 20,000 livres Il fallait du moins que le droit établi sur les porcs cessât ; mais il a été envahi parles régisseurs du domaine et il s’est perpétué avec les sols pour livre additionnels par des arrêts de prorogation rendus de six ans en six ans, en sorte que le fisc, après avoir exigé deux fois dans l’espace de vingt-cinq ans la finance des offices municipaux, perçoit encore à son profit un droit que la ville s’était imposé pour en acquiter la première finance. Il est donc indispensable que les députés de-mandentla suppression absolue du droit de 24 sous sur les porcs, dans la ville et banlieue de Boulogne. Que cette ville soit maintenue à perpétuité dans le droit d’élire les officiers municipaux, conformément à la délibération prise le 31. août 1772 et aux lettres patentes du 30 septembre suivant ; qu’en-fim les dits offices soient affranchis des droits de centimes et de mutation, et qu’ils restent irrévocablement réunis à l’hôtel de ville de Boulogne, sans qu’ils puissent jamais être supprimés, recréés et revendus, ni être assujettis à une augmentation de finance ou à quelque autre opération bursale que ce soit. Droit de marc d'or sur l’octroi. Art. 18. Le marc d’or exigé pour les pouvoirs d’offices depuis qu’ils ont été rendus vénaux, ainsi que pour l’érection des terres en dignités, et pour certaines concessions, dons et privilèges, a été pareillement exigé pour la prorogation de l’octroi de 40 sous par velte d’eau-de-vie qui se consomme en Boulonnais. Mais on ne saurait mettre dans la classe des grâces et concessions sujettes au marc d’or une charge que la province a établie sur elle-même, et dont le produit est employé à l’entretien desgrandes routes et à d’autres objets d’utilité publique. 11 est nécessaire que l’octroi subsiste aussi longtemps que sa destination. Le pays devra donc être dispensé d’en demander la prorogation, et ce ne peut être le cas de payer une finance pour l’obtenir. C’est même détourner une partie des fonds destinés aux travaux publics, pour les appliquer 438 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée du Boulonnais.] au profit du fisc qui s’approprie encore les deux cinquièmes du produit de l’octroi, par la perception des huit sols pour livre. Droit d’échange. Art. 19. L’article 49 de la coutume du Boulonnais affranchit de tous droits, sauf du relief, les échanges faits sans bourse délier, et il veut que s’il y a des deniers déboursés, le droit seigneurial ne se perçoive que sur la soulte. Ainsi c’est contre le texte même de la coutume que le domaine s’est attribué les droits seigneuriaux en cas d’échange dans le Boulonnais. D’ailleurs cette prétention est très-nuisible à l’agriculture. Les terres d’une ferme tiennent rarement ensemble; elles sont presque toujours mêlées parmi d’autres propriétés, et dans le nombre il s’en trouve souvent de fort éloignées, où il n’est pas possible de transporter des engrais à cause de leur distance et de la difficulté des chemins. Communément aussi des terres dépendant d’une ferme sont continguës à une ferme voisine qui en a d’autres à portée de la première. Il est sensible qu’on ne peut mettre ces terres en valeur qu’en faisant des échanges ; mais l’assujettissement aux droits seigneuriaux s’oppose à ces arrangements de convenance, surtout en Boulonnais, où les lods et ventes sont d’un cinquième pour les fiefs et d’un quart pour les rotures. Les députés devront donc solliciter l’abolition des droits d’échange comme n’étant pas dus et étant préjudiciables au bien public. Baux à longues années. Art. 20. Des arrêts du conseil, dans la vue d’encourager l’agriculture, ont affranchi du droit de demi-centième les baux à longues années des biens de la campagne, lorsque les preneurs sont chargés de les améliorer. Il n’y a point de pays où ces baux soient plus utiles qu’en Boulonnais, parce que le sol étant fort inégal et rempli de sources, on ne peut en tirer parti qu’en y pratiquant des pierrées ou fossés couverts et en y répandant de la marne. Mais l’article 127 de la coutume ayant servi de rétexte à plusieurs seigneurs pour prétendre que es baux au-dessus de neuf ans font ouverture aux droits seigneuriaux, les députés demanderont que les baux à longues années des biens de la campagne soient expressément autorisés en Boulonnais sans que les seigneurs puissent en prétendre aucun droit. Curement des rivières et moulins. Art. 21. Le défaut de curement des rivières, et l’usage où sont les meuniers de tenir leur vannes trop élevées occasionnent chaque année des débordements très-préjudiciables au public. Des prairies entières se trouvent inondées, et les récoltes gâtées ou emportées par les eaux. Le corps d’administration du Boulonnais a fait £ rendre le niveau d’une partie de la rivière de iannes ; il s’est proposé de la faire redresser et élargir et d’obliger les meuniers à baisser leurs vannes. Des conflits de juridiction ont retardé l’exécution de ce projet. C’est un objet digne de considération et qui paraît devoir être confié entièrement aux soins du corps provincial, sans être soumis à des formes de procédure longues et dispendieuses qui ne font qu’apporter du retard et de l’embarras dans les affaires d’administration. Destruction et réunion des fermes. Art. 22. En Boulonnais la population diminue sensiblement dans les campagnes et les laboureurs ont beaucoup de peine à trouver des domestiques et des moissonneurs, ce qui fait languir leurs travaux et empêche qu’ils ne se fassent en saison convenable. Quoique le luxe des villes contribue à dépeupler les campagnes, cette dépopulation provient principalement de la destruction des petites fermes, et de la réunion de plusieurs en une seule. Comme le Boulonnais est un pays d’élèves, et qu’il faut conséquemment beaucoup plus de bâtiments à un fermier que partout ailleurs, les fermes médiocres sont fort onéreuses aux propriétaires, à qui elles coûtent à peu près autant de frais de réparations et d’entretien qu’une plus forte exploitation. C’est pour éviter ces dépenses qu’on détruit tous les jours les bâtiments des fermes moyennes ; on en a peut-être supprimé plus de trois cents depuis vingt ans ; ce sont plus de trois cents familles supprimées, car chacune de ces fermes faisait vivre un ménage, et on voit une quantité de gens de la campagne qui ne refusent de se marier que parce qu’ils ne trouvent pas de ferme pour s’y établir. Il est donc très-intéressant de solliciter un règlement qui, sans trop gêner les droits de propriété, pourvoie à cet objet d’intérêt public. Communes. Art. 23. Dans un pays qui a été ravagé par les Anglais et dont ils ont détruit les anciens monuments, chacun reposait sur la foi de sa profession ; elle avait même été sanctionnée par des lettres patentes d’Henri II qui ont confirmé le Boulonnais dans tous les droits et privilèges dont il était en jouissance, comme s’il en avait conservé les titres primitifs. Mais depuis que le gouvernement a encouragé les défrichements, divers particuliers se sont fait concéder, soit par les commissaires du conseil, soit par le bureau des finances d’Amiens, des terrains dont les paroisses et communautés avaient toujours joui et qui servaient au pâturage de leurs bestiaux. L’intérêt de l’agriculture a servi de prétexte à ces concessions qui, au fond, n’ont abouti qu’à procurer une faible augmentation aux revenus du fisc et à satisfaire la cupidité de quelques particuliers. Les petits avantages qu’il ont retirés ne sauraient entrer en comparaison avec la perte qui en résulte pour le public, surtout en Boulonnais, où les pâturages communs sont de la plus grande importance en raison de la grande quantité de bestiaux qu’on y élève. Les lois anciennes veillaient avec soin à la conservation des communes qu’elles regardaient comme un patrimoine inaliénable; on ne doit pas s’en écarter pour adopter de nouveaux systèmes qui causent la ruine des campagnes. Ainsi les députés demanderont que les paroisses et communautés soient maintenues dans la jouissance de leürs communes et usages, et que celles qui en ont été dépossédées depuis quarante ans par des concessions des commissaires du conseil ou du bureau des finances y soient rétablies, conformément à l’édit du mois d’avril 1667, sauf aux habitants à former des divisions ou à prendre d’autres arrangements convenables , principalement en faveur des pauvres, de la manière qui sera réglée sous l’inspection du corps provincial. [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée du Boulonnais.] 439 Plantation et conservation des oyats. Art. 24. La mer borde le Boulonnais depuis Eta-ples jusqu’à Wissant sur une longueur de seize lieues. Toute cette côte est couverte de sables d’une finesse et d’une mobilité extrêmes. Ils forment en divers endroits des montagnes très-élevées ; les vents d’Ouest et de Sud-Ouest qui régnent habituellement en ce pays, les transportent dans l’intérieur des terres. Deux villages y ont été ensevelis, et il n’en reste plus que les noms. La plupart des maisons de Wissant ont essuyé le même sort; les sables, poussés par les vents, agnent de proche en proche ; ils ont déjà couvert e vastes terrains, ils ont pénétré dans les forêts, dans celle d’Hardelot appartenant au Roi ; chaque jour ils font des progrès effrayants, et si on n’y remédie efficacement, plusieurs paroisses du Boulonnais sont menacées d’une ruine entière. Les oyats sont la seule digue qu’on puisse opposer à ces sables ; la dépense à faire à ce sujet sera forte, mais indispensable. Le corps d’administration du Boulonnais a offert d’y contribuer selon ses facultés, et a sollicité le gouvernement de venir à son secours, Depuis plusieurs années que cette demande a été faite, nombre de terres précieuses ont été ensablées et sont perdues à jamais pour l’Etat. Dans ce moment heureux où le Roi invite la nation à concourir avec lui au bien général, les députés du Boulonnais doivent insister sur la nécessité d’une plantation d’oyats tout le long des côtes du pays, et proposer le règlement projeté pour la conservation de ces oyats. La dépense annuelle de cette plantation est un objet de quatre mille livres dont le Roi sera supplié de fournir la moitié. Suppression des offices de priseurs-vendeurs. Art. 25. Les offices de jurés priseurs-vendeurs sont un vrai fléau pour le public, Leurs droits, qui avaient été fixés par l’édit de janvier 1771, ont été augmentés depuis dans la vue d’accélérer la vente de plusieurs de ces offices qui n’avaient pas été levés. Mais quoique ces droits soient très-onéreux, les priseurs vendeurs ne s’en sont pas tenus là, ils s’arrogent exclusivement toutes les ventes, même celles qui sont purement volontaires. Ils veulent aussi s’emparer des ventes de grains sur pied et les bois taillis. Outre leurs vacations et voyages ils exigent des droits de clerc et de crieurs ; iis prennent deux sols pour livre des ventes faites à terme en sus des quatre deniers qui leur sont attribués, sous prétexte qu’ils restent garants du prix des adjudications. Ils ont une peine infinie à se dessaisir des deniers qu’ilsreçoivent ; les particuliers sont obligés d’attendre plusieurs années et de faire nombre de voyages pour retirer leurs fonds. On pourrait citer encore des faits bien plus graves ; mais pour supprimer ces offices il suffit qu’ils soient absolument inutiles, sujets à beaucoup d’abus et très-préjudiciables au public. Cette suppression doit essuyer d’autant moins de difficultés qu’un sieur Pecquet du Bellet, s’étant fait pourvoir précédemment d’un pareil office pour le Boulonnais, le maire, les échevins de Boulogne avaient racheté et fait supprimer cet office par arrêt du conseil du 15 avril 1748, suivi d’un autre du 29 novembre 1740 qui a ordonné la répartition de la finance et des frais faits sur les habitants de la ville et de la campagne. C’est un nouvel exemple des suppressions et rétablissements d’offices avec perte des finances pour les villes qui en avaient traité. Etablissement d’une juridiction consulaire à Boulogne. Art. 26. L’utilité des juridictions consulaires est généralement reconnue, les affaires du commerce s’y expédient promptement et à peu de frais, on ne peut pas trop multiplier ces tribun aux ; parmi les villes qui en ont obtenu, il y en a plusieurs qui ne sont pas aussi considérables que Boulogne ; ainsi il y a lieu d’espérer que Sa Majesté ne refusera pas un pareil établissement dans cette ville. Rétablissement de la sénéchaussée du Boulonnais en présidial et suppression de la vénalité des charges de ce siège. Art. 27. Les députés demanderont aussi que la sénéchaussée du Boulonnais soit autorisée à juger présidialement en dernier ressort avec la même étendue de pouvoir qui sera attribuée aux autres présidiaux. Ce siège a été érigé en présidial en 1551. Si le pays n’a pas profité alors de l’avantage qui lui était offert, c’est que ne faisant que sortir des mains des Anglais qui l’avaient dévasté il n’était occupé qu’à réparer ses pertes. Mais le titre de présidial subsiste toujours. La sénéchaussée juge même présidialement dans les cas prévôtaux, et son arrondissement est tout formé. Il est vrai qu’il manque des sujets pour remplir les offices vacants, et l’on ne doit pas espérer qu’il s’en présente tant que les charges de judica-ture seront vénales et ne rapporteront ni honneur ni profit au titulaire. Un seul moyen se présente pour remédier à cet inconvénient, c’est d’autoriser la province à rembourser les finances desdits offices, et à choisir elle-même ses juges en leur assignant des appointements suffisants pour que la justice se rende gratuitement. De cette manière des jurisconsultes qui se seraient distingués par leurs talents et leur probité trouveraient une retraite honorable dans les places auxquelles ils seraient appelés par les suffrages de leurs concitoyens, et ceux-ci à leur tour seraient assurés d'avoir toujours des juges intègres et éclairés. D’ailleurs une louable émulation s’emparerait des jeunes gens, l’amour de l’étude succéderait à l’esprit de frivolité, les mœurs publiques y gagneraient et la noblesse elle-même, qui fournissait anciennement des magistrats à la sénéchaussée, ne rougirait pas d’entrer dans une carrière qui la conduirait à des places d’honneur. Ainsi les députés supplieront Sa Majesté de se prêter au vœu du tiers-état, en lui présentant que le président lieutenant-général de la sénéchaussée du Boulonnais est le seul juge en exercice, le lieutenant particulier étant hors de service par ses infirmités, un conseiller ayant quitté le siège à cause de son grand âge et tous les autres offices étant restés vacants après la mort des titulaires. OBJETS QUI INTÉRESSENT EN COMMUN LE TIERS-ÉTAT TANT DU BOULONNAIS QUE DE TOUT LE ROYAUME. Admission du tiers-état aux grades militaires. Art. 1er. Les députés du tiers-état demanderon 440 [btats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée du Boulonnais. ue le règlement de 1781, qui exige des preuves e noblesse pour obtenir des grades militaires, soit révoqué, comme injurieux à une grande partie de la nation, comme propre à inspirer à la jeunesse noble de la répugnance et du mépris pour d’autres fonctions utiles, et comme tendant à enlever des défenseurs à l’Etat. Admission du tiers-état dans les cours supérieures. Art. 2. Que les charges de judicatures dans les cours supérieures, de même que dans les autres sièges, puissent être possédées par toute personne ayant la capacité requise, sans que le défaut de noblesse puisse être un titre d’exclusion. Logement des gens de guerre. Art. 3. Que les ordonnances concernant le logement des gens de guerre et surtout des officiers supérieurs soient réformées, attendu qu’elles sont extrêmement à charge aux villes qu’elles constituent dans des dépenses considérables et souvent en pure perte. Entreprises , perceptions arbitraires et vexations des préposés du domaine et des fermes. Art. 4. Les inquisitions, les entreprises et les perceptions arbitraires des préposés du domaine sont poussées à un excès qui ne saurait être toléré. Les contrôleurs n’ont aucune règle fixe ; des décisions verbales, des ordres émanés des chefs, des interprétations injustes et contradictoires donnent lieu, chaque jour, à des droits inconnus et à des répétitions qui troublent le repos des familles. Le Boulonnais souffre particulièrement de ces exactions. Gomme la représentation n’a pas lieu même en ligne directe et que les coutumes locales de Boulogne et des quatre villes dé loi ne donnent point de douaire aux femmes, s’il n’est stipulé, les rappels faits par les père et mère, en faveur de leurs petits-enfants ainsi que la stipulation du douaire, ont servi de prétexte aux contrôleurs depuis quelques années, pour exiger cinq droits d'insinuation en sus des droits qui se perçoivent ailleurs sur les contrats de mariage. Le commerce éprouve aussi des prohibitions, des contraintes et des entraves de toute espèce qui l’énervent et l’anéantissent. On est également effrayé des brigades nombreuses d’employés qui assiègent les portes des villes, parcourent les campagnes, s’introduisent dans les maisons et commettent partout impunément des vexations odieuses, parce que leurs procès-verbaux font foi, et que la voie d’inscription de faux est hérissée d’une multitude de difficultés presque insurmontables. Pour réprimer ces abus les députés demanderont qu’il soit fait un tarif exact et modéré des droits de contrôle, insinuation et autres. Qu’il soit défendu aux commis de percevoir autres et plus forts droits que ceux contenus au tarif, et de se prévaloir d’aucune décision verbale. Qu’il soit statué que les droits fixés ■ par le tarif ne seront ni augmentés ni étendus d’un cas à l’autre, qu’en vertu du nouveau règlement concerté avec les Etats généraux, attendu que tous les droits dont s’agit dégénèrent en impôts, que la facilité de les accroître sourdement rend vraiment désastreux. Qu’au lieu de très-mauvais papier et parchemins timbrés il en soit fourni de bonne qualité. Que le commerce soit favorisé, et qu’il ne soit fait aucun règlement qui tende à y mettre des entraves, qu’après l’avoir communiqué tant aux chambres de commerce qu’aux coips chargés des intérêts de la province et avoir pris leurs observations. Que les commissions extraordinaires, établies pour le fait de la contrebande, soient supprimées, et que cette juridiction soit rendue aux juges à qui elle appartient de droit. Qu’il soit prononcé des peines sévères contre les employés et commis qui seront convaincus de révarication et dé faux, et que leurs procès-ver-aux soient soumis aux seules formalités prescrites par les ordonnance� pour les inscriptions de faux en matières ordinaires. Qu’il soit défendu aux administrateurs des domaines d’inquiéter et mettre à contribution des particuliers qui ont racheté des rentes, albergues et autres redevances domaniales dont leurs héritages étaient chargés. Qu’il leur soit pareillement défendu d’inquiéter les villes et communautés pour raison des propriétés dont elles jouissent, à moins qu’ils ne produisent des preuves que ces biens appartenaient autrefois au domaine. Que les fermiers et laboureurs du Boulonnais aient la liberté de conduire leurs chevaux et poulains aux foires qui se tiennent dans le pays, sans être astreints à aller prendre des acquits-à-caution dans des bureaux souvent beaucoup plus éloignés de chez eux que la foire. Diligences et messageries. Art. 5. Les privilèges exclusifs sont ordinairement abusifs et à charge au public : tel est celui attribué aux diligences et messageries ; c’est rançonner les voyageurs que de les obliger de se servir de voitures de louage. Gela est encore plus injuste quand on se met en route un autre jour que celui du départ de la diligence, ou bien quand cette voiture est pleine, ou ne passe pas directement par l’endroit, où l’on a dessein d’aller. Dans tous ces cas, le prix d’un permis est un impôt sans cause légitime. Il est pareillement contre la justice qu’une personne qui peut envoyer ses effets à destination à petits frais par un voiturier, soit forcée de recourir aux messageries et de payer le double. Ces abus sont encore plus choquants à Boulogne qu’ailleurs, puisqu’il y passe chaque semaine quatre diligences pour Paris, et qu’on est quelquefois près d’un mois avant d’y trouver place, à moins qu’on ne la retienne à Calais, en payant 6 livres 16 sols en pure perte ; encore n’est-on pas sûr de l’obtenir à cause de la préférence accordée à ceux qui viennent de Londres par les paquebots, ce qui fait un préjudice considérable à Boulogne, eu égard au grand nombre d’Anglais qui y débarquent directement pour se rendre dans l’intérieur du royaume. Suppression ou réduction du droit de marque des ‘ cuirs. Art. 6. Les députés solliciteront la suppression ou au moins la réduction du droit de marque des cuirs, qui est oppressif et qui pèse particulièrement sur la dernière classe du peuple. Fixation du droit de mouture. Art. 7. Ils demanderont quele droit de mouture, aux moulins banaux et autres, soit fixé en argent à raison de vingt sols par setier de blé fro ment, et de quinze sols pour les autres graines, [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée du Boulonnais.] 444 n’étant pas juste que dans les années de disette le bénéfice des propriétaires de ces moulins augmente à proportion de la calamité publique. Mendicité. Art. 8. Les députés demanderont qu’il soit fait un règlement général au sujet de la mendicité, et comme il est d’expérience que les bureaux de charité contribuent à entretenir bien des pauvres dans le paresse et l’ivrognerie, les députés représenteront la nécessité d’accorder aux administrateurs de ces bureaux et aux officiers de police un droit de correction sur tous ceux qui participent à la bourse des pauvres à l’effet de pouvoir les obliger à travailler et de réprimer le libertinage auquel la plupart d’entre eux s'abandonnent. Charlatans , vagabonds et autres gens sans état qui parcourent le royaume , Art. 9. Les députés solliciteront aussi un règlement contre les charlatans, les meneurs d’ours et autres animaux et contre une multitude de vagabonds et de gens sans état et sans aveu dont le royaume est inondé. Réparations des églises et dîmes. Art. 10. Ils demanderont que toutes les réparations des églises paroissiales et des presbytères restent à la charge des gros décimateurs, que les pommes de terre et les autres fruits de nouvelle culture soient exempts de dîme, de même que le lin et le chanvre que les gens de la campagne sèment en petite quantité dans leurs jardins pour leur usage. Colombiers. 'Art. 11. Ils demanderont qu’il soit défendu aux seigneurs et curés qui ne possèdent aucuns domaines d’avoir des colombiers et volets, et qu’à l’égard des seigneurs et autres qui ont des terres ils ne puissent avoir plus d’une couple de pigeons par mesure de terre à usage de labour. Glanage. Art. 12. Ils demanderont qu’en interprétant les règlements faits au sujet du glanage, il soit défendu, sous peine de prison, à toute personne de glaner sans en avoir obtenu la permission, par écrit, des officiers de police ou des syndics, les-uels ne pourront l’accorder qu’aux enfants au-essous de quatorze ans, aux vieillards âgés de soixante -dix ans et aux infirmes. Abus de la chasse avant la récolte des grains. Art. 13. Qu’il soit infligé des peines sévères à toute personne indistinctement qui chassera depuis que les graines seront en tuyaux jusqu’à ce que la récolte ait été faite et enlevée dans tout le canton. Lapins. Art. 14. Que tous ceux qui ne justifieront point par titres en bonne forme du droit de garenne ouverte, seront tenus de détruire leurs lapins tant dans leurs bois qu’ailleurs, et que ceux qui auront droit de garenne seront obligés d’indemniser les voisins du dommage que les lapins auront causé à leurs grains, s;ins qu’i1 soit nécessaire d’observer les formalités présentes par les arrêts du Parlement de Paris des 21 juillet 1778 et 15 mai 1779. Code criminel. Art. 15. Qu’en procédant à un nouveau Gode criminel, la peine de chaque homme soit déterminée par la loi sans distinction entre le noble et le roturier, attendu que dans l’ordre de la justice la condition du coupable est bien moins à considérer que la nature du délit. Contrebande. Art. 16. Qu’il soit défendu aux fermiers de demander et aux juges d’ordonner la conversion de l’amende en peine de galères pour fait de contrebande, n’y ayant aucune proportion entre la faute d’un homme surpris avec quelque tabac de fraude, et la peine des galères qui lui est infligée à défaut de payement de l’amende, et surtout y ayant une injustice et une dureté extrêmes de confondre une fraude simple avec des crimes publics en imprimant indifféremment dans l’un et et l’autre cas une flétrissure ignominieuse par la main du bourreau. Surséances. Art. 17. Que le cours de la justice civile ne soit pas interrompu par des lettres de répit et des arrêts de surséance, ni l’ordre des juridictions interverti par des arrêts d’évocation, lettre de committimus ou autres attributions tendant à éloigner les justiciables de leurs juges naturels. • Foi-hommages. Art. 18. Qu’il soit établi une règle fixe et un tarif exact et modéré pour la prestation de foi-hommages et pour les aveux et dénombrements aux bureaux des finances, en sorte que ceux qui tiennent des fiefs du domaine ne soient plus vexés par les frais ruineux auxquels ils sont exposés. Lecture faite du présent cahier, en présence des députés du tiers-état, l’assemblée a arrêté qu’il serait fait des représentations particulières au Roi et aux Etats généraux au sujet de la concession faite au sieur Delporte, du canton appelé le Fond-de-Pernes en la forêt de Boulogne, triage de la Blanque - Gland , contenant 350 arpents, moyennant 15 sols de redevance par arpent et à la charge d’y entretenir un troupeau de mille brebis et quatre-vingts béliers anglais, attendu que cette concession est extrêmement préjudiciable aux intérêts de Sa Majesté et du public, et que les sieurs Delporte n’ont pas même rempli les conditions sous lesquelles cette concession leur a été faite. Le présent cahier a été arrêté dans l’assemblée générale des députés du liers-état du Boulonnais, le 30 mars 1789, et ont les commissaires-signé avec nous, le procureur du Roi et notre greffier sur les deux doubles dudit cahier, dont un restera au greffe de ce siège, et l’autre sera remis aux députés aux Etats généraux, après avoir été par nous coté et paraphé, avec copie des procès-verbaux d’élection et de prestation de serment, et autres pièces nécessaires, ainsi signé : Caron de Fromentel, Laiteux, Le Porc, Gros, Sta, de Montechort, d’Enquin de la Folly, Sebast. Gocatrix, Lorgnier Hameret, Bellanoy, La Sablon-nière, Grandsire, Ségouin d’Augis, secrétaire du tiers-état, et Payard d’Hermansart.