368 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE 44 La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [DU BOIS DU BAIS au nom de] son comité des Secours publics, décrète que la Trésorerie nationale paiera, sur le vu du présent décret, à la citoyenne veuve Vigerale, acquittée au Tribunal révolutionnaire, la somme de 450 L, à titre d’indemnité et de secours, pour quatre mois et demi de détention, et pour retourner à son domicile. Le présent décret ne sera imprimé qu’au bulletin de correspondance (113). 45 Un membre [DUHEM] propose d’examiner si, par addition au décret sur les écoles primaires, il n’est pas utile d’obliger les instituteurs particuliers à se servir des livres élémentaires qui sont adoptés par la Convention, et à soumettre le choix des ces instituteurs particuliers aux mêmes règles que les instituteurs publics ; il demande le renvoi de ces propositions au comité d’instruction publique. La Convention passe à l’ordre du jour (114). DUHEM : Il a été fait hier, à la fin de la discussion sur les écoles primaires, une réflexion qui mérite d’être pesée. Vous avez ordonné qu’il serait composé des livres élémentaires; vous avez institué des écoles normales ; vous avez pris enfin toutes les précautions possibles pour que la jeunesse française reçût partout la même éducation; cependant par un autre article, je vois qu’il est permis d’ouvrir des écoles particulières, sous l’autorisation des corps constitués. Je crains que, par l’effet de cet article, les écoles publiques ne deviennent, à l’égard des écoles particulières, ce qu’étaient autrefois les écoles de pauvreté à l’égard de celles où l’on payait; je crains qu’elles ne soient fréquentées que par les enfants des sans-culottes, et que messieurs les riches n’envoient les leurs dans les autres. Je ne crois pas que l’examen que tous les enfants devront subir à la fête de la Jeunesse puisse nous rassurer sur les inconvénients des écoles particulières, car rien n’empêchera les maîtres d’endoctriner ces petits messieurs à cette époque. {Murmures.) LE PRÉSIDENT : Il n’y a plus de messieurs, il n’y a que des enfants de la patrie. Je rappelle à Duhem qu’il doit parler avec la décence qui convient à un législateur. (113) P.-V., XLIX, 270-271. Bull., 28 brum. (suppl.). Rapporteur Du Bois Du Bais selon C* II, 21. (114) P.-V., XLIX, 271. Rapporteur Guimberteau selon C*II, 21. DUHEM : C’est une expression échappée. Je regarde ces écoles particulières comme une institution à côté d’une institution. Les instituteurs ne sont pas astreints à se servir des mêmes livres élémentaires; rien n’est prévu pour s’opposer à l’aristocratie des richesses. Je demande que le comité d’instruction publique s’occupe de cet objet, qui importe plus qu’on ne le pense à l’établissement de la démocratie. LECOMTE : Le préopinant a tant à coeur le système d’égalité qu’il veut établir à quelques prix que ce soit, qu’il ne peut pas supporter qu’un citoyen ait plus de mérite qu’un autre; qu’il ne peut pas supporter que, dans un examen public, des citoyens manifestent des dispositions plus heureuses que d’autres. DUHEM : Ce n’est pas ça. LECOMTE : Dès que tu le désavoues, je n’en veux pas davantage. Je demande l’ordre du jour sur ta proposition. ROMME : Je pense que, si vous voulez donner des institutions républicaines à vos enfants, vous ne devez pas vous en tenir à ce que vous avez fait hier. Il faut que la surveillance nationale entre dans les écoles particulières, pour s’assurer qu’ils y sont élevés dans un bon esprit, et qu’on leur enseigne des principes de républicanisme. Je crois que le comité d’instruction publique doit être chargé d’examiner : 1° si le choix des instituteurs particuliers ne doit pas être soumis à quelques formalités qui assurent que ces fonctions ne seront confiées qu’à des hommes dont les moeurs sont pures; 2° s’il ne conviendrait pas que ces hommes fussent astreints à se servir des mêmes livres élémentaires que ceux qui seront d’usage dans les écoles publiques; 3° s’il ne conviendrait pas de prescrire à leurs élèves les mêmes exercices gymnastiques qu’à ceux des écoles publiques; 4° enfin, s’il ne serait pas nécessaire que les examens fussent plus fréquents, et que sur certaines parties ils fussent faits par les jeunes gens eux-mêmes ; car ils seront plus justes que beaucoup d’instituteurs que vous placerez à côté d’eux. DUBOIS-CRANCÉ : Je demande si l’on ne veut pas permettre à un père d’élever son fils ? THIBAULT : Je ne répondrai point à Romme. Déjà hier on voulut apporter des entraves au droit qu’ont tous les citoyens d’ouvrir des écoles primaires sous la surveillance des magistrats. Cette proposition fut rejetée, et j’espère qu’elle le sera encore aujourd’hui. Je veux faire une observation sur le projet en général. Vous n’aurez jamais de gouvernement tant que les dépenses excéderont la recette; or les frais qu’occasionnera ce projet me paraissent énormes. {Murmures.) Je demande que vous chargiez le comité des Finances de vous présenter les moyens de dimi- SÉANCE DU 28 BRUMAIRE AN III (18 NOVEMBRE 1794) - N°46 369 nuer ces frais, en conservant d’ailleurs toutes les autres dispositions du décret. *** : Je demande la question préalable sur toutes les propositions. On a craint que les jeunes gens qui seront élevés dans les écoles particulières ne viennent briller dans les examens, aux dépens des élèves des écoles publiques ; je réponds qu’il faut choisir les instituteurs de ces dernières écoles de manière à ce que ce soient leurs élèves qui éclipsent les autres. Déjà cette question a été agitée, et l’on a reconnu que l’on ne pouvait pas priver un père de la faculté d’instruire son enfant. On a senti qu’on ne pouvait que surveiller l’instruction particulière, afin qu’elle fut ce que la patrie a le droit d’exiger qu’elle soit, et c’est ce qu’on a fait par le décret d’hier. Tout est terminé à cet égard. Quant à la proposition de Thibault, je dis que ce n’est pas sur l’instruction publique qu’il faut économiser. Elle produit de trop grands biens pour qu’on doive y mettre de la parcimonie. Prenez garde d’ailleurs que, si le Trésor public ne la payait pas, les parents des enfants la supporteraient, et le pauvre, qui a de la famille souvent plus que le riche, serait obligé d’y contribuer pour une somme plus forte que ce dernier. En la faisant supporter par la nation, au contraire, vous en dispenserez le pauvre, car il ne paie pas d’impôts, et vous la faites porter sur le riche, et même sur le célibataire qui autrement n’y aurait pas contribué. LAKANAL : Je trouve que les observations de Romme sont d’un très grand poids. S’il ne faut pas porter atteinte au droit que les parents ont d’élever leurs enfants, il faut surveiller aussi les éducations particulières, afin qu’elles contribuent au maintien et à la prospérité de la République. Ainsi, je crois qu’il serait avantageux que le comité trouvât le moyen de concilier ce qui est dû à la faculté qui appartient au père d’élever son enfant avec les droits que la patrie a sur ce dernier. BOISSIEU : Je m’oppose au renvoi. Le décret d’hier prévient toutes les craintes qu’on a manifestées. Aux termes de ce décret, nul ne peut être admis à aucune fonction publique s’il n’a pas les connaissances qu’il exige; d’un autre côté, les municipalités sont chargées de surveiller les écoles particulières ; enfin la loi exige un examen de tous les enfants, soit qu’ils reçoivent une éducation particulière, ou l’éducation publique. Il est impossible, comme on l’a dit, de priver un père de la faculté d’élever son enfant, et je ne vois pas pourquoi l’on s’opposerait à ce que l’éducation particulière fit, si cela est possible, de meilleurs sujets que l’éducation publique. LEVASSEUR (de la Sarthe) : Je vais proposer un principe qu’on ne contestera pas : c’est que les enfants appartiennent à la patrie plus qu’à leurs pères et mères. {.Murmures.) La patrie doit donc veiller sur l’éducation de tous indistinctement. Il faut que les écoles particulières soient surveillées comme les écoles publiques, qu’on oblige les pères et mères à se servir des mêmes livres d’usage dans ces dernières écoles, à ne leur apprendre que les mêmes sciences, que les mêmes choses. J’appuie le renvoi des propositions au comité d’instruction publique. CLAUZEL : Je m’oppose au renvoi. Je suis d’accord avec le préopinant que les enfants appartiennent plus à la patrie qu’à leurs parents; mais on a déjà dit que les autorités constituées étaient chargées de la surveillance des écoles particulières. Il semble d’ailleurs qu’on oublie qu’il s’agit ici de Français républicains ; pourquoi mettre des entraves inutiles à l’éducation des enfants ? Robespierre vous les proposait aussi ces entraves, parce qu’il détestait la liberté, je ne prête pas le même sentiment à celui qui a parlé avant moi, mais je dis qu’il ne faut pas entraver le zèle des pères de famille. Je demande l’ordre du jour sur toutes les propositions. L’ordre du jour est adopté (115). 46 COUTURIER, au nom du comité des Inspecteurs du Palais-National : La Convention a renvoyé à son comité des Inspecteurs du Palais-National, la pétition du citoyen Salleles, représentant du peuple, député du département du Lot, tendant à être payé de son indemnité des mois de prairial et messidor, à raison de l’absence qu’il a faite, en vertu du congé à lui donné le 23 floréal. Le citoyen Salleles était ci-devant receveur des consignations à Cahors, distant de cent soixante lieues de Paris. Le 16 germinal, la Convention nationale a décrété que les ci-devant receveurs des consignations et les commissaires aux saisies réelles rendraient compte de leurs gestions et de celles de leurs prédécesseurs à partir de l’époque où les fonds de leurs caisses ont été versées au Trésor public, et convertis en contrats de constitution, en vertu de la déclaration du 24 juin 1721 (style esclave). Le citoyen Salleles fut forcé par cette loi de se rendre chez lui pour y satisfaire, et nul autre motif ne l’a déterminé à prendre un congé que celui d’obéissance à la loi et d’intérêt public ; et la Convention nationale lui délivra un congé de deux mois, fondé sur les mêmes motifs. Le citoyen Salleles partit le 2 prairial pour aller rendre son compte. De retour à son poste dès le 19 messidor, il se présenta au comité des (115) Moniteur, XXII, 537-538. Débats, n° 786, 818-819; J. Paris, n° 59 ; Rép., n° 59 ; C. Eg, n° 822 ; J. Perlet, n° 786 ; F. de la Rép., n° 59; Mess. Soir, n° 823; J. Univ., n° 1818; Ann. R. F., n° 58 ; Rép., n° 59 ; Gazette Fr., n° 1051 ; Ann. Patr., n° 687.