200 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mai 1791. (Ces tableaux sont approuvés.) M. lie Chapelier, au nom du comité de Constitution, donne lecture de six articles destinés à faire suite à ceux déjà décrétés dans la séance du iOdece mois sur le droit de pétition et d'affiche (1). Ces six articles, adoptés sauf rédaction dans cette même séance du 10 mai, sont soumis à la délibération dans les termes suivants: Art. 10. « Les municipalités prononceront sur la régularité et la légitimitédes demandes en convocation de commune ou de sections : les réclamations, s’il y en a, seront portées au directoire de département, qui y statuera, sauf le recours au Corps législatif. » (Adopté.) Art. 11. « Dans les villes et dans chaque municipalité, il sera, par les officiers municipaux, désigné des lieux exclusivement destinés à recevoir les affiches des lois, et des actes de l’autorité publique. Aucun citoyen ne pourra faire des affiches particulières dans lesaits lieux, sous peine d’une amende de 100 livres ; dont la condamnation sera prononcée par voie de police. » (Adopté.) Art. 12. « Les lois, que les municipalités recevront, par la voie des administrations de département et de district, seront, dans les villes, lues à haute voix par le greffier municipal, à la porte de la maison commune, et dans les bourgs ou villages, à la porte de l’église. » (Adopté.) Art. 13. « Aucun citoyen, et aucune réunion de citoyens, ne pourra rien afficher sous le titre d’arrêté, de délibération, ni sous toute autre forme obligatoire et impérative. » (Adopté.) Art. 14. « Aucune affiche ne pourra être faite sous un nom collectif; tous les citoyens qui auront coopéré à une affiche seront tenus de la signer. » (Adopté.) Art. 15. « La contravention aux deux articles précédents sera punie d’une amende de 100 livres, laquelle ne pourra être modérée, et dont la condamnation sera prononcée par voie de police. » (Adopté.) L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret du comité de Constitution sur l'organisation du Corps législatif (2). M. I�a ReveHIère-lépeaux (3). Vous avez passé avant-hier un décret qui rend inéligibles à la prochaine législature les membres de cette Assemblée. Ce décret, réuni avec celui qui exclut chacun de nous pendant quatre ans de toutes les places à la disposition immédiate du pouvoir exécutif, doit démontrer à funivers la fausseté des imputations atroces des ennemis de la Révolution, et prouver invinciblement que c’est le bonheur de son pays que la majorité de cette Assemblée a continuellement cherché dans ses délibérations, et non l’intérêt privé. Il s’agit (1) Voyez Archives parlementaires, tome XXV, séance du 10 mai 1791, p. 687. 2) Voy. ci-des.'us, séance du 17 mai 1791, p. 148. 3) Ce discours est incomplet au Moniteur. maintenant de savoir si cette disposition doit s’étendre aux législatures suivantes. Je crois que les mêmes motifs subsistent et doivent conduire au même résultat. On vous a déjà observé combien il est nécessaire qu’un homme revêtu d’un pouvoir aussi étendu que celui de représentant de la nation ait toujours sous les yeux Ja condition privée à laquelle il sera forcé de retourner bientôt, afin qu’il ne soit pas tenté d’abuser de son pouvoir; on vous a fait remarquer que celui qui est censé exprimer la volonté générale, en énonçant sa volonté individuelle, ne doit jamais se croire séparé de Ja foule des citoyens par une suite possible de réélections successives. Il est encore facile de se convaincre combien la corruption pourrait faire de progrès dans un Corps législatif qui serait toujours composé des mêmes individus, car alors de deux choses l’une : ou l’intrigue et i’ambitiou de quelques chefs prévaudraient dans cette Assemblée, et elles chercheraient à se perpétuer pour exercer la plus funeste aristocratie; ou bien elles seraient vendues au pouvoir exécutif, et ce ne serait plus alors, selon l’expression d’un orateur anglais, parlant du parlement actuel, que ce qu’étaient autrefois les parlements en France, de simples enregistreurs des volontés ministérielles. Et qu’on ne croie pas que le danger de la perpétuation soit chimérique; voyez chez nos voisins. Les mêmes causes ne produiront-elles pas ici iesmêmes effets? Ce danger est donc incontestable. Croyez-vous qu’un gouvernement qui a la disposition d’un grand nombre de places, soit dans l’armée, soit dans la finance, suit dans le corps diplomatique, et en outre celle d’une énorme liste civile, sera fort en peine de disposer des principaux suffrages, et de conserver par là dans le Corps législatif, parmi les hommes les plus marquants, ceux qui seraient le plus favorables à ses intérêts? J’observe de plus que les hommes sont naturellement paresseux, et que ce n’est pas sans peine qu’ils se portent à faire choix même d’un meilleur sujet, lorsqu'ils en ont un en place qui ne les a pas trop heurtés. Serait-ce bien sérieusement qu’on viendrait encore nous répéter que c’est attaquer la liberté du peuple que de circonscrire ainsi son choix? N’avez-vous pas vous-mêmes déjà reconnu que le peuple assure sa liberté, loin de la détruire, lorsque, par l’organe de ses représentants, il s’impose à lui-même des règles qui le préservent de sa propre inadvertance? Le principe n’était-il pas attaqué lorsque vous avez déclaré, avec beaucoup de sagesse à mon avis, l’hérédité du trône? N’avez-vous pas senti alors que si le peuple n’a-baDdonnait cette petite portion de sa liberté, il la compromettrait évidemment tout entière? Et certes, il faut en convenir, l’exception qu’on vous propose est loin d’attaquer le principe au même degré. Il sera impossible, dit-on, qu’il y ait de la suite dans les opérations du Corps législatif s’il ne se trouve pas un certain nombre de membres déjà triturés aux affaires dans la session immédiatement précédente, et chaque législature sera longtemps dupe des ruses ministérielles. Je réponds que ce n’est pas pour quelques années que vous faites une Constitution, car ce n’est pas sans une impérieuse nécessité qu’un peuple se détermine à changer la forme de son gouvernement, puisque ce changement ne peut s’opérer qu’avec les plus horribles convulsions. Eh bien ! voudriez-vous, pour prévenir un léger inconvénient de quelques années, sacrifier l’intérêt d’un 201 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mai 1791.] long avenir; car il est manifeste que bientôt vos administrations et vos assemblées législatives auront formé aux affaires un nombre incalculable de citoyens. Si une Assemblée composée d’hommes qui avaient été jusqu’ici étrangers aux affaires du gouvernement a pu néanmoins opérer d’aussi heureux changements, quelle confiance ne doit-on pas avoir dans une Assemblée formée après que la Révolution et la discussion des plus grandes questions d’Etat ont éclairé tant d’hommes, et en ont fait connaître tant d’autres qui jusqu’ici avaient médité la science des gouvernements et de l’économie politique dans le silence du cabinet. Soyez sûrs que, depuis que vous avez créé une patrie aux Français, et que l’intérêt public est véritablement l’intérêt de tous, vous verrez, comme on voit aujourd’hui dans les 3 royaumes de la Grande-Bretagne, tous les hommes doués par la nature de quelque aptitude et dans le cas d’avoir une éducation soignée, s’instruire des plus grands intérêts politiques, et se mettre parfaitement au fait du maniement des affaires. M’objecte-t-on encore que vous anéantirez l’émulation parmi les membres du Corps législatif en leur ôtant l’espoir d’une réélection prochaine, puisque ceux qui se seront le plus distingués rentreront dans la foule de ceux que leur nullité ou leur insouciance auraient écartés de la législature suivante? Je réponds d’abord à cela que toute supériorité, même celle des talents, est redoutable à la liberté, et qu’il est bon que les hommes doués des dons éminents de l’intelligence soient ramenés de temps en temps à la condition privée. J’observe en second lieu que la reconnaissance publique saura bien les retrouver à la deuxième législature, et que d’ailleurs une Assemblée, toujours nouvelle se piquera de tenir une conduite qui ne puisse la mettre au-dessous, ni de celle qui l’aura précédée, ni de celle qui la suivra. Dans un discours rempli de grandes vues, d’idées sages et profondes, un des préopinants vous a montré le danger de l’exagération dans les principes; il vous a dit que le plus funeste écart que l’on pût faire dans une révolution, c’était de passer les bornes de la liberté pour se mettre dans l’état d’indépendance, et U a ajouté que nous devions, pour éviter ce terrible mal, donner au gouvernement toute laforce dontil est susceptible. J’avoue tout cela; je sais qu’avec des principes purement théoriques on fait un gouvernement sans gouvernement; je sais que, quoique les éléments soient les mêmes pour tout pays, parce que la raison est une, néanmoins leur combinaison ne doit pas toujours être la même, et que dans un pays tel que la France, par exemple, d’une vaste étendue, d’une prodigieuse population, possédant de grandes richesses, et où, par conséquent, les passions des hommes se froissent à chaque instant, les liens du gouvernement doivent être plus serrés qu’à Glaris ou à Appenzel, sans quoi l’Etat, dans une dissolution continuelle, serait abandonné aux horreurs de l’anarchie, pour passer ensuite sous la domination despotique de quelques intrigants; et je ne craindrai pas d’assurer, moi qui n’ai pas un penchant bien décidé pour les cours, que le jour où la France cessera d’avoir un roi, elle perdra sa liberté... ( Applaudissements ) sa liberté et son repos pour être livrée au despotisme effrayant de factions éternelles. Mais d’accord avec le préopinant sur ses principes, je ne puis l’être sur l’application qu’il en a faite à la question présente, et je crois que vous avez déterminé d’une manière trop claire et trop précise les limites des pouvoirs ; que vous avez assuré au pouvoir exécutif une trop grande énergie par l’intluence que vous lui avez donnée sur les corps administratifs, pour qu’il faille craindre dans aucune hypothèse, de la part d’un Corps législatif, un envahissement de pouvoirs ; et si le pouvoir exécutif ne jouit pas dans ce moment de toute la force nécessaire a la paix publique, ce n’est que parce que des prêtres rebelles et des nobles factieux agitent le peuple dans tous les sens, et que ceux-là même qui devraient donner l’exemple d’une profonde soumission aux lois de leur pays, sont les premiers à les braver; mais, lorsqu’enfin ces insensés auront renoncé à leurs extravagants projets, et qu’ils laisseront le peuple à son état naturel, celui du repos, vous verrez que le pouvoir exécutif ne manquera pas de la force dont il a besoin. Je conclus de là que, les avantages de la rééligibilité étant anéantis par les inconvénients les plus graves et les plus nombreux, on doit rejeter l’article du comité et décréter que les membres du Corps législatif ne peuvent être réélus. (Applaudissements). M. de La Rochefoucauld-Uancourt (1). Le décret honorable que vous avez rendu lundi dernier éloigne de cette discussion jusqu’au soupçon de l’intérêt personnel. Je vois sans aucune incertitude le salut de l’Etat, la stabilité de la Constitution, l’accord et l’ensemble de toutes les parties du gouvernement, et la constante exécution de vos lois protectrices de la liberté et de la propriété, dans la faculté de la rééligibilité laissée aux membres des législatures précédentes. Je me propose de résumer les principaux arguments déjà présentés pour et contre cette question et d’essayer de soutenir les uns et de combattre les autres par quelques considérations nouvelles. M. Thouret, en défendant la cause de la réélection, nous a dit que la proscrire, c’était attaquer les droits du peuple, dans le seul point où la nation exerçât la souveraineté. Il vous a dit que votre Constitution ayant proclamé une vérité dont l’évidence était antérieure à toutes les lois, la souveraineté de la nation avait reconnu que cette souverainté devait s’exercer activement par elle dans tous les cas où il importait à ses intérêts, où il n’était pas nécessaire au maintien de cette môme souveraineté de déléguer tous les pouvoirs qui résident éminemment et exclusivement en elle. La nation ayant délégué tous les pouvoirs, ou plutôt les exerçants par des répréseotants particuliers spèciaux et limités, ne s’est réservée que la fonction active du choix de ceux auxquels elle confie l’exercice de ses pouvoirs. Le droit de la nation, dans ce rapport, ne peut pas plus être attaqué, que sa souveraineté ne peut elle-même être usurpée : car, puisqu’elle n’exerce sa souveraineté, puisqu’elle ne porte les lois qui doivent la réagir, que par des représentants, il en résulte qu’elle est véritablement souveraine, qu’elle est libre, selon le degré de limitation ou de liberté de son choix dans la représentation. Ainsi l’Assemblée nationale, ne pouvant pas dépouiller la nation de sa liberté et de sa souveraineté qu'elle n’exerce que pour elle, par elle et en son nom, n’a pas également le droit de lui tracer nominativement les limites de son choix, de sa volonté dans sa représentation. (1) Ce discours est incomplet au Moniteur. 202 IAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mai 1791.] On a crn réponse à cet argument d’une éternelle vérité, en disant que la nation, qui peut s’imposer d i<;»s .> ur donner une m rqu d’esiim-et de confianc e Il serait top cruel qu’elle ne pût ms leur donner la s ule récompense digne de l’ho me de bien, cette r< C"rwi en.-e qui, p >ur p ix d’avoir servi la patrie, vous donne le droit de la servir enco e. On a dit, dans cette tr bu e, que la réélection des mêmes membres, d’une législature à l’autre, naturaliserait l’intrigue et la vénalité dans le Corps législatif, et vos orateurs se sont élevés avec force contre toute idée d’intrigue et de corruption. Mais, est-ce bien sérieusement que l’Assemblée nationale a pensé .qu’avec les mœurs de notre siècle, qu’avec les hommes de nos jours, elle établirait un gouvernement représentatif, et que les membres du gouvernement ne seraient pas corrompus? Est-ce de bonne foi qu’elle a pu croire que toutes les places de l’administration seraient éligibles et que les suffrages du peuple ne seraient pas, achetés? Certes, une pareille pensée prouverait, de votre part, une profonde ignorance et des hommes et des choses : une pareille opinion serait bien propre à effrayer sur les suites d’une pareille institution faite par des législateurs qui auraient si mal connu les hommes auxquels ils donnaient des lois. Et moi aussi, je déteste la corruption : et moi aussi je m’indigne de ce que cet infâme moyen de gouvernement est nécessaire ; et c’est ce qui fait que je n’aime pas votre gouvernement représentatif. Mais puisque vous avez adopté cette forme de gouvernement, soumettez-vous aux inconvénients qui en sont inséparables ; ne cherchez à tromper ni vous, ni les autres; ne mentez pas à ce peuple qui vous entend; et tout en lui vantant Jes avantages du gouvernement représentatif, tout en lui vantant les avantages des élections, ne manquez pas de l’avertir que ses représentants seront corrompus et que ses suffrages seront achetés. 213 Vainement vous multiplierez les précautions, vainement vous entasserez les barrières autour du Trésor public, il est impossible d’ôter au roi le pouvoir de l’argent, il est impossible d’empêcher les ministres de s’en servir pour corrompre le Corps législatif. Multiplier la surveillance, ce n’est que rendre la corruption plus chère; toutes les responsabilités, à cet égrard , sont illusoires; c’est avec l’argent volé dans le Trésor public, qu’un ministre corrupteur obtient la majorité d’une Assemblée nationale; et c’est avec cette majorité qu’il obtient la quittance de ses comptes; et c’est avec cette majorité qu’il repousse les accusations qu’on porte contre lui. Il n’est qu’un moyen possible de diminuer, sinon d’éviter la corruption, et ce moyen est de la rendre moins nécessaire. L’Assemblée nationale a commis, à cet égard, une grande faute, en ôtant au roi la nomination de tous les emplois ecclésiastiques et civils, en ne lui laissant d’autre influence sur les membres du Corps législatif que celle de l’argent. Car il est possible que ces hommes que notre facile probité consent d'appeler honnêtes, et qui s’adacheraient au parti de la cour, par l’espoir des places et des dignités dont elle aurait la disposition, conserva-sent cependant assez de pudeur, assez de patriotisme pour abandonner ce parti, s’ils 1:4 voyaiem prendre des mesures évidemment contraires à la liuiooé, à la prospérité pubiqne ; mai: celm qo est r.ss -z vil pour œu i -a oix, c lui qu desc m)u à ce de, Tl: de t);-* S -‘■a1 ,e Piniici’ son u ti are o r de l’-rgent. ’a p u o u: pii lu* soit nropn-, t il ’est pas ne tr h son, o n’e t p is d i famie q don • e soit e droit d’uttenure, q.-’un ne >on en droit d’exiger d’un être aussi d gradé. La corruption est dans la na me d i g u Ver e-ment représentait, rien ne saurait l’é - 1 ter. Gardons-nous 'une, en courant aprè-un-cnimè e qn’il e t impossible d réahs r, de perdr ■ l’avantage le plus préci ux d' cette forme de gouverne nem, avaniage que lui a-su e surtout la réélection, l’avantage de voir co stamment à la tête des affaires les hommes les plus éclairés de la nation. Enfi ), Messieurs, il est une raison puissante, une raison qui aura une grande influ nce sur les nombreux partisans qu’a dans cette Assemblée la souveraineté du peuule, cette souveraineté très réelle quand l’agrégation des citoyens est peu nombreuse, mais qui devient un droit à peu près métaphysique, un droit dont l’exercice est impossible quand le peuple se multiplie et se disperse sur la surface d’un vaste territoire; alors le seul acte de souveraineté que le peuple puisse exercer, c’est la réélection : c’est par la réélection qu’il conserve une influence directe et immédiate sur la formation de la loi; c’est par la réélection qu’il demeure le juge et le souverain de ses représentants; c’est par elle qu’il leur distribue le blâme ou la louange qu’ils ont mérité; c’est par la réélection qu’il vide l’appel porté devant lui, lorsque le pouvoir exécutif s’oppose aux actes du Corps législatif. Eh! comment le peuple pourrait-il juger cet appel! Comment pourrait-il prononcer entre l’Assemblée nationale et le roi? Est-il en état de délibérer sur la question qui les divise! Il n’a qu’un moyen de décider : il nomme, ou il ne nomme pas les membres qui ont proposé la loi ; et ce choix qu’il fait de ses députés prononce son jugement sur la question agitée. ( Applaudissements .) : Ainsi, lorsqu’on vous propose de décréter que 214 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES, (18 mai 1791.] la réélection ne pourra pas avoir lieu, on vous propose d'ôter au peuple le précieux reste de sa souveraineté; on vous propose de rendre le gouvernement impossible dans l’Empire; on vous propose d’ôter au roi la règle de sa conduite; car il n’est pas de doute qu’il ne soit du devoir, de l’intérêt du roi de céder à la volonté du peuple, quand elle est clairement manifestée; mais il n’y a pas de doute aussi que ce ne soit une trahison, que ce ne soit une coupable faiblesse de la part du roi que de céder à la volonté des représentants de la nation elle-même. ( Allons donc! allons donc ! — Oui! oui! — Quelques applaudissements .) Je le répète, Me-sieurs, parce que c’est une incontestable vérité politique; il est du devoir, il est de l’intérêt du chef de la nation française de céder au vœu de son peuple, quand le vœu de son peuple lui est clairement manifesté; mais ce serait une trahison, une faiblesse; ce serait l’oubli du pouvoir qui lui a été confié par la nation, en qualité de son représentant héréditaire, que de céder à la volonté des représentants de la nation, s’il croit que cette volonté est contraire aux intérêts et au vœu de la nation elle-même. C’est pour résister à cette volonlé qu’il a été institué; c’est le seul but, le seul objet, la seule cau-e pour laquelle vous avez un monarque héréditaire; c’est pour défendre la nation entière du despotisme de ses représentants; et ce despotisme des représentants serait complet, s’ils voulaient substituer leur volonté individuelle à la volonté générale, la volonté des représentants de la nation à la volonté de la nation elle-même. Il faut donc, si vous voulez que la nation soit libre, il faut qu’il y ait une manière possible pour que le roi distingue ces deux volontés ; je défie qu’on en trouve une autre ; il ne peut pas en exister une seconde que la voie de la réélection; car sans doute vous ne prendrez pas pour la volonté de la nation, ces rumeurs populaires qui vous ont si souvent entouré. La nation française consiste dans la totalité du royaume. Il faut que la totalité du royaume soit consultée, elle ne peut l’être que par la réélection. En défendant la réélection, vous établiriez dans le gouvernement une mobilité de principes qui serait bien funeste à la prospérité de l’Empire; vous ôteriez au peuple le reste de sa souveraineté ; vous ôteriez au roi la seule règle de sa conduite, le seul moyen qui lui reste de connaître si les représentants de la nation ne se trompent pas ou ne le trompent pas sur son véritable vœu ; et comme je ne pense pas qu’il y ait dans cette Assemblée des hommes qui, sous l’ombre de servir le peuple, travaillent à l’asservir, des hommes qui veuillent assujettir la nation et le roi au despotisme des Assemblées nationales, je ne doute pas que vous ne reveniez aux vrais principes de tout gouvernement libre, aux vrais principes de tout gouvernement représentatif, et que vous ne décrétiez la réélection, seul moyen qu’ait le roi de distinguer la volonté du peuple de celle de ses représentants. {Applaudissements à gauche et dans les tribunes.) Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix I M. de Montlosier. M. de Gazalès vient sans doute de défendre avec beaucoup d’éloquence et d’une façon très intéressante la cause des grands talents ; (Murmures.) mais je dois le dire dans cette Assemblée, avec la franchise qui me caractérise, (Rires.) la cause des grands talents n’est pas toujours celle de la liberté. Je dois dire également, Messieurs, à beaucoup d’autres qui ont une opinion différente, qu’il est inutile d’avoir renversé le despotisme, si on se montre si âpre à en recueillir la succession. Messieurs, j’espère que vous voudrez bien m’entendre sur le fond. (Non! non!) Vous avez bien entendu M. de Gazalès ! (Aux voix ! aux voix !) (L’Assemblée, consultée, décide qu’elle n’entendra pas M. de Montlosier.) M. le Président rappelle l’état de la délibération et demande à l’Assemblée si elle entend renouveler l’épreuve sur la question de priorité. (L’Assemblée décide que l’épreuve sera renouvelée). M. le Président. Je mets aux voix la priorité pour le projet du comité. (Deux épreuves successives ont lieu et sont déclarées douteuses.) M. le Président. Il va être procédé à l’appel nominal. M. Rœderer. Je demande à faire une simple observation; il me paraît tout simple de ne considérer la motion de M. Barrère que comme un amendement à l’avis du comité. De cette façon, la délibération est toute simplifiée; il n’y a plus d’obstacle à accorder la priorité au comité, sous la réserve de tous les amendements dont on le croira susceptible et notamment de celui qui porte que les membres d’une législature pourront être réélus à la législature suivante, mais qu’ils ne pourront l’être de nouveau qu’après un intervalle de deux ans. (Oui! oui! — Non! non!) Un membre : Si la priorité est accordée au projet du comité, la motion de M. Barrère est rejetée par le fait même. (Bruit.) M. Prieur. La motion de M. Barrère est un véritable amendement et il a toujours été considéré comme tel par son auteur. A droite : L’appel nominal! M. Rewbell. L’appel nominal devient inutile; si l’on réserve l’amendement de M. Barrère, personne ne dispute la priorité au comité. M. de Cazalès. Il me semble qu’il n’y a pas de doute; la proposition de M. Barrère est un amendement. (L’Assemblée, consultée, décide que la motion de M. Barrère est un amendement et accorde la priorité à l’avis du comité.) M. le Président indique l’ordre du jour de demain et lève la séance à quatre heures.