SÉANCE DU 1er BRUMAIRE AN III (22 OCTOBRE 1794) - N° 17 341 THURIOT : C’est pour un fait; c’est pour empêcher le soupçon de planer, que j’ai dit que la lettre avait été écrite par Rouyer; elle se trouvait dans le paquet adressé par Chaudron-Roussau au comité de Salut public. Il n’est pas douteux qu’elle ne tendît au fédéralisme. Je n’en tirerai aucune induction contre nos collègues, car moi aussi je veux la justice. [Moi aussi, je veux la justice : je n’ai pas craint de la réclamer dans un temps où beaucoup de gens qui font du bruit aujourd’hui, gar-doient le silence ; s’ils eussent osé me seconder ; s’ils eussent eu alors le courage du bien, comme ils disent l’avoir aujourd’hui, nous aurions peut-être évité bien des maux.] (93) Il faut que les pièces soient imprimées; toutes ne sont pas encore arrivées : quand l’impression sera faite, il faudra encore quelques jours pour les examiner. Si vous voulez l’intérêt de la justice, au lieu de demander une décade, deux décades ( Plusieurs voix : Non, encore un an !), je crois qu’il serait infiniment plus sage d’accorder le délai suffisant. Je ne veux point occasionner de choc, je ne demanderai point de peines afflictives {On murmuré). Les mêmes voix : Point de tactique ! au fait ! LE TOURNEUR (de la Manche) : Je demande à vérifier une erreur de fait avancée par Thuriot. THURIOT : Qu’on relève ce fait, il n’en est pas moins constant qu’une lettre écrite par Rouyer a motivé son arrestation. Je me borne, au surplus, à demander le délai de deux décades {Plusieurs voix : Eh bien, aux voix ce délai!). LE TOURNEUR : Chaudron-Roussau vient de déclarer un fait extrêmement important. Il a dit qu’étant en mission à Toulouse il avait saisi la correspondance de plusieurs fédéralistes, qui ne tendait pas à moins qu’à rétablir le petit Capet sur le trône. Pourquoi Thuriot a-t-il rejeté sur un collègue mort une inculpation qui doit s’appliquer encore à un autre de nos collègues? car Brunei a aussi signé cette lettre. Je déclare que je la connais, et qu’il n’y a pas un mot de ce qui a été dit par Thuriot ; j’en demande l’impression. La Convention nationale décrète que les pièces envoyées des départemens du Midi par un de ses membres, déposées au comité de Salut public, et relatives aux mou-vemens fédéralistes, seront imprimées et distribuées (94). TALLIEN : Les faits énoncés par Chaudron-Roussau et par Thuriot ont sans doute quelque importance ; et c’est sous ce rapport que la Convention a eu raison de demander l’impression. Alors on se convaincra que les faits se rapportent ou à des hommes morts, ou à des émigrés, et non à nos collègues qui sont déte-(93) Débats, n° 760, 460. (94) P.-V., XLVIII, 6. C 322, pl. 1363, p. 7. Décret attribué à Guyomar, par C* II 21, p. 15. nus [Applaudissemens (95)]. J’ai été aussi envoyé dans le Midi : j’aurai aussi des renseignements à donner au comité. Je ne viens plaider la cause de personne ; je défendrai celle de la justice. \On applaudit (96)]. [Je ne viens pas plaider la cause des individus; je sais que la représentation nationale n’appartient pas à quelques individus. La journée du 31 mai a sauvé la République; et cette question ne doit point être mise en problème. C’est faire insulte que de demander que la liberté soit rendue à nos collègues sans rapport. Le rapport doit être fait, mais dans le plus bref délai. Certes, nous ne sommes point au tems où nous avons vu des hommes avec des rapports astucieux, qui venoient demander la mort de leurs collègues et la tête d’un homme, pour avoir dit de grandes vérités sur une des plaies de la république, la guerre de Vendée.] (97) Je dis que la représentation nationale n’appartient pas à quelques individus, à quelque faction, mais à la totalité du peuple français {Vifs applaudissements). Je sais qu’aujourd’hui ces principes sont généralement reconnus ; mais ils n’ont pas toujours été sentis. Je sais qu’on venait souvent avec des rapports demander les têtes qu’il plaisent aux dominateurs de désigner. Nous avons vu le temps où l’on proscrivit celle de l’homme qui avait dit la vérité sur une des plaies les plus sanglantes de la république, sur la guerre de la Vendée {Plusieurs voix : Phi-lippeaux ! - On applaudit à plusieurs reprises). J’étais alors au fauteuil; j’ai vu un représentant du peuple insulter une femme qui demandait les causes de l’arrestation de son mari ; je l’ai entendu dire qu’il fallait qu’elle fut admise à la séance pour entendre la condamnation de celui en faveur duquel elle venait réclamer. [Je me rappelle la scène, j’étois au fauteuil. J’ai entendu un député insulter la femme du représentant dont je viens de parler, et qui étoit venue réclamer justice pour son mari : j’ai entendu proposer qu’elle fut introduite pour être présente à la condamnation de son mari. Mais la justice est rentrée dans l’Assemblée avec la dignité qui lui convient {Vifs applaudissemens ).] (98) [Nous devons, en nous éloignant d’une route, tracée par le sang des innocens, faire voir que nous sommes dignes de donner à la France la paix et la tranquillité, que nous sommes dignes d’en imposer aux puissances coalisées, par des loix sages et fixes, comme nos soldats par leurs valeureuses bayonnettes, prouvent que la Convention n’appartient plus à quelques hommes, à quelques factions, à quelques comités {Applaudi)] (99) Nous devons à la France, nous devons à l’Europe de prouver que nous sommes dignes de donner au peuple français la paix et la justice, (95) C. Eg„ n” 795. (96) Débats, n“ 760, 461. (97) M. U., XLV, 26. (98) Débats, n 760, 461; M. U., XLV, 26. (99) C. Eg., n' 795. 342 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE que nous sommes dignes de faire son bonheur par nos lois, comme les baïonnettes de nos braves assurent ses triomphes au dehors. [ Vifs applaudissemens (100)]. La discussion qui a eu lieu a eu des motifs purs, sans doute, mais elle n’a point été dirigée vers son vrai but : c’était faire une insulte au peuple, comme à nos collègues, que de demander leur réintégration sans un rapport des comités. On l’a dit, et rien n’est plus vrai : sachez vous garantir de l’enthousiasme pour les libertés et les arrestations ; il faut qu’elles soient mûries dans le calme, car il n’y a que les lois sages qui méritent le respect des citoyens. Prenez garde, en abordant cette question, de faire le procès à la journée du 31 mai. Il a été extrêmement imprudent celui qui naguère est venu vous dire qu’il existait à cette époque une espèce de protestation de la part du comité de gouvernement d’alors. Sans doute en révolution les hommes ne doivent pas regarder derrière eux. [Prenons garde qu’on ne nous reproche de vouloir faire le procès au 31 mai. Il a été bien imprudent, celui qui est venu dire que le 31 mai avoit été préparé par quelques hommes qui vou-loient le faire servir à leur ambition. Tous les bons citoyens ne doivent pas, en révolution, regarder derrière eux.] (101) Le peuple français a dit que cette journée avait sauvé la République; le peuple français l’a dit, vous ne devez pas lui donner un démenti. [Tout le peuple a applaudi au 31 mai ; toute la France a reconnu que ce jour avoit abattu le fédéralisme et sauvé la République. Le peuple l’a dit, nous ne devons pas donner un démenti au peuple. La Convention a décrété que chaque année, il seroit célébré une fête au 31 mai; il faut que cette fête se célèbre, que ce jour reste une des glorieuses époques de la révolution.] (102) Ce qui a caractérisé la révolution du 9 thermidor, c’est la justice mise à l’ordre du jour. Il est des représentants en arrestation depuis longtemps, il faut que la nation sache les crimes de ses mandataires ; s’ils en ont commis, il faut qu’ils subissent la peine qu’ils ont méritée, ou, s’ils sont innocents, qu’ils viennent reprendre leurs fonctions; qu’importe quel jour? nous ne sommes plus au temps où l’on écartait les rapports selon les passions particulières. Si les comités ne font pas celui dont ils sont chargés, vous leur rappellerez leur devoir. [Ne précipitons rien. Nos collègues ont souffert pendant quinze mois ; eh bien ! qu’ils souffrent encore quelques jours. N’est-ce pas une consolation bien douce pour l’homme de bien que de savoir qu’on s’occupe de lui? Deux décades de plus ne sont rien, lorsqu’il s’agit de faire un grand acte de justice, et de rendre à la représentation nationale tout son lustre.] (103) (100) Débats, n° 760, 461. (101) J. Perlet, n 760. (102) Débats, n 760, 461-462. (103) J. Perlet, n 760. Plusieurs députés étaient dans les départements lorsque la pièce qui motiva l’arrestation des soixante et onze fut lue à la tribune. Eh bien, il faut que nous sachions la vérité : depuis dix-huit mois ils souffrent; mais n’est-ce pas une consolation pour l’homme de bien qu’on s’occupe de lui? Terminons donc cette discussion. La Convention a consacré la révolution du 31 mai, elle a décrété une fête, il faut que ce décret soit exécuté; il faut que cet événement soit une de nos grandes époques ; il faut que le représentant du peuple sache qu’il est comptable au peuple de ses actions. Je demande le renvoi pur et simple au comité pour faire le rapport aussitôt qu’il sera prêt. BENTABOLE : Je demande la parole pour un fait. Cambon a annoncé qu’il existait un registre secret, qui constatait qu’il y avait eu un projet pour remettre le petit Capet sur le trône ; que ce registre était entre les mains de Guy-ton-Morveau. Je suis tranquille sur le dépôt qui est entre les mains de notre collègue; mais, comme on pourrait inférer de ce registre qu’on veut faire le procès à la révolution du 31 mai, il faut qu’il soit déposé aux archives nationales. J’ai entendu hier dire à Delmas, qui a dû le signer aussi, que le fait annoncé par Cambon n’était pas exact. GUYTON-MORVEAU : Voici la vérité. Une feuille séparée du registre fut signée par six membres du comité de Salut public ; elle me fut déposée pour être renfermée dans une armoire où nous mettions nos papiers les plus importants. Le comité nouveau étant assemblé, je lui fis connaître les pièces déposées, et une somme de 10000 livres qu’on disait envoyée de Marseille à d’Orléans, et je remis la clef. [Ce registre, ou plutôt cette feuille séparée du registre a été signée par six membres, à l’insu de ceux qu’on ne vouloit pas mettre dans la confidence, parce que la dénonciation les concernoit particulièrement. Elle étoit enfermée dans une armoire contenant d’autres pièces importantes et diplomatiques. A l’époque du renouvellement du comité, j’en ai remis la clef à nos successeurs.] (104) CAMBON : Citoyens, j’ai fait une déclaration ; je ne sais si Delmas se souviendra d’avoir signé ce registre. Mais je l’interpelle de déclarer si, à une autre époque, il n’en est pas convenu lui-même. J’ai dit que nous étions six ; eh bien, si cinq l’avouent, l’existence du registre sera constante. Guyton vient d’en convenir. Clauzel, le même jour que je fis cette déclaration, me fit un reproche de ce que je ne l’avais pas dénoncé à la Convention. [Citoyens, je vous ai fait une déclaration que j’ai cru utile, je suis prêt à la répéter ici. Oui, nous signâmes, au nombre de six, une déclaration secrète; si Delmas, l’un de nous, ne se le rappelle pas, les cinq autres s’en souviendront peut-être, et je pense que cela suffit pour en constater l’existence. (104) J. Perlet, n 760. SÉANCE DU 1er BRUMAIRE AN III (22 OCTOBRE 1794) - N° 17 343 Barère se levant : Je m’en rappelle fort bien. Cambon continue : Depuis cette déclaration, j’ai fait l’examen de la conduite que j’ai tenue à cette époque, et je répons au reproche qui me fut fait de n’avoir rien dit à la Convention : que je lui ai tout dit, oui tout.] (105) [Dans la journée du 31 mai, l’histoire découvrira d’une manière bien sensible deux journées, celle du peuple et celle des conspirateurs.] (106) Le 18 mai, le comité de Salut public, par l’organe de son rapporteur, vous avait proposé d’entendre le ministre des Affaires étrangères et celui de l’Intérieur. On disait qu’il se faisait des rassemblements à Charenton. Tel est le sort des révolutions que souvent le crime les prépare, et que le peuple les régularise. [Le 18 mai 1793, le comité de Salut public, citoyens, vous dénonça des rassemblemens secrets à Charenton, et vous proposa d’entendre sur ce fait les ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères : leur rapport fut imprimé et distribué. Citoyens, tel est le sort de presque toutes les insurrections; l’intrigue les fomente, les prépare, et le peuple les régularise (On applaudit). Voilà ce que j’avois distingué avec précision dans ma déclaration; on ne m’a pas compris. Oui, sans doute, citoyens, le 31 mai fut une heureuse révolution ; elle doit former époque, elle doit être solemnisée, je le pense aussi, mais pourquoi? parce que le peuple l’a régularisée et approuvée. Mais l’idée, on la doit à l’intrigue, et les motifs n’avoient certainement pas pour but le salut de la chose publique.] (107) Oui, j’ai dit, et les membres s’en souviennent, oui, le comité vous disait : Il y a des intrigues en dessous. Je maintiens ma déclaration ; j’ai dit qu’il y avait un registre secret qui constatait que Robespierre, Danton et Pache s’assemblaient à Charenton, et complotaient pour enlever de force vingt-deux membres de la Convention. Je l’ai dit ; j’ai consigné ces faits dans le registre secret. A la vérité, nous ne nommions pas les individus d’une manière directe. Le comité de Salut public vous répétait sans cesse : Prenez garde ; n’élevez pas un schisme dans la Convention. J’ai dit que la pétition première, présentée pour demander les vingt-deux membres, a été donnée par Danton : je l’ai vue, mais je l’ai vue seul. [Danton, Pache, Robespierre et Bouchotte furent les premiers auteurs du projet d’enlever les 22 membres qui ont été condamnés, avec les douze composant la commission extraordinaire. Ce fut même Danton qui rédigea la pétition que vous avez entendue à cette époque à votre barre. Ces faits sont consignés dans le registre secret dont je vous ai parlé; le procès-verbal est signé par Barère, Delmas et plusieurs autres membres dont j’invoque ici solemnelle-ment le témoignage.] (108) (105) Débats, n° 760, 463. (106) J. Paris, n” 33. (107) Débats, n" 760, 463. (108) J. Paris, n 33. [Voilà le premier fait consigné dans la déclaration secrette, et il fut rendu public dans le rapport fait à cette tribune, au nom du comité, à cette époque. Il est vrai que les masques n’étoient pas nommés ; mais l’opinion publique, encore égarée, ne permettoit pas de tout dire. Le comité se contentoit de vous répéter : « Il existe un foyer d’intrigue ; serrons-nous, ne nous divisons pas... un déchirement pourrait avoir des conséquences funestes, etc. » Voici un autre fait non moins important que l’autre fait, dont, à la vérité, je n’ai d’autre témoin que moi : c’est que la première pétition par laquelle on vous demanda à votre barre l’acte d’accusation contre vingt-deux de vos membres, fut remise devant moi par Danton à l’orateur de la députation...] (109) Après le 31 mai, on dit que le comité de Salut public était usé ; qu’il fallait le remplacer ; mais avant j’ai été chargé par le comité de vous dénoncer qu’il y avait un complot pour remettre le petit Capet sur le trône. [Après le 31 mai on attaqua la composition du comité de salut public. Il étoit usé, disoit-on; je le crois bien qu’il de voit le paraître, puisqu’il se refusoit à saisir le système des meneurs. Il fut renouvellé ; avant de quitter notre poste, nous nous réunîmes, et Guyton fut chargé de faire part de notre conduite secrète à nos successeurs; il le fit.] (110) [Quand au projet de rendre le trône au fils du tyran, il avoit pour auteur Dillon, Miranda et plusieurs autres ; et lorsqu’il vous fut dénoncé à la tribune dans un rapport imprimé, et que je puis faire distribuer à la Convention, en ayant encore mille exemplaires, je fus déchiré le lendemain dans les feuilles de Camille qui a toujours eu avec Dillon les liaisons les plus suspectes.] (111) Lisez un rapport que je fis le 11 juillet; je puis le faire connaître, j’en ai mille exemplaires chez moi. Quel fut le fruit de l’arrestation de Dillon et de tous les conspirateurs ? Le lendemain, dans une brochure, Camille Desmoulins calomnia tout le comité. S’il le faut, je me mettrai calomniateur, accusateur; je prendrai tous les caractères qui conviennent à un défenseur ardent de la liberté ; je suis prêt à me dévouer à la chose publique; le temps du silence est passé ; les menaces ne m’épouvanteront pas ; demain je vous permets d’imprimer : je ne répondrai point. Je pense avoir montré du courage le 1er juin au soir, quand on convoqua une assemblée extraordinaire dans cette salle. Quel en fut le résultat? On voulait le décret d’accusation contre vingt-sept membres, dont j’en vois un dans l’Assemblée. Le 1er juin, on voulait le décret d’accusation contre ceux qui avaient voté l’appel au peuple; on voulait les faire remplacer par leurs suppléants [ Indignation (112)] : j’ai pour preuve du fait votre mémoire et les journaux du temps. Quel était le (109) Débats, n" 760, 463-464. (110) Débats, n° 760, 464. (111) J. Paris, n” 33. (112) Débats, n° 760, 464. 344 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE but de ces hommes-là? de dissoudre la Convention; ce fut toujours le projet de la cour. Il y avait un autre parti qui voulait se mettre à la place de cette cour, mais tous deux voulaient le renversement de la représentation nationale. Examinez ceux qui venaient à la barre demander la mort des soixante-treize, la mort de tous les Feuillants ; vous verrez quels sont ceux qui ont établi le système de terreur (On applaudit). Faut-il déchirer le voile? (Un grand nombre de voix : Oui, oui ! - Vifs applaudissements. Vive la République! s’écrient presque tous les membres). Il faut déchirer le voile. Je l’ai promis individuellement, je l’ai promis à la Convention, je vais remplir mon devoir (On applaudit). [La cour a toujours eu en vue de dissoudre la représentation nationale ; mais il y avoit une autre intrigue, elle émanoit du parti qui aspi-roit à remplacer la cour détruite ; l’intrigue s’ar-moit de calomnies, elle attaquoit les patriotes, et vouloit les traduire devant les tribunaux comme des buveurs de sang. On veut aujourd’hui s’ouvrir une porte par une autre, rappeliez-vous tout ce qui s’étoit passé, il est temps d’ouvrir les yeux. Cambon qui n’avoit jusqu’ici parlé que de sa place, s’élance alors à la tribune : faut-il déchirer le voile, reprend-il?] (113) [Le système de la terreur ne date pas de nos jours, il a précédé la Convention. Quand le trône a été détruit, on ne demandoit qu’une suspension ; pourquoi ? C’est que d’Orléans étoit là ! c’est qu’il vouloit être roi ; je ne sais à quel titre, car il étoit universellement méprisé (Applau-dissemens ).] (114) Le système de terreur n’est pas né de nos jours ; il avait précédé l’ouverture de la Convention. On voulait forcer l’Assemblée législative à prononcer la déchéance, parce qu’on voulait substituer à Louis Capet un homme dont la conduite ne méritait pas les regards du dernier des hommes. L’Assemblée législative résista. Elle appela au peuple, et lui transmit le jugement de cette affaire par la convocation d’une Convention. Bientôt cette Assemblée fut attaquée par tous les moyens. Une époque du 2 septembre fut organisée; ouvrez les registres de l’histoire, vous y verrez... (Plusieurs voix : Nommez les auteurs). [Eh bien donc, je dirai que le 31 août à six heures du soir, Pétion vint à la barre de l’Assemblée législative, au nom de la municipalité de Paris, et Tallien portant la parole nous dit :] (115) Le 31 août, à six heures du soir, vint un homme de la municipalité; Tallien, portant la parole au nom de la commune de Paris, nous dit : « Nous avons fait arrêter les prêtres perturbateurs, nous les avons mis dans des maisons particulières, et sous peu de jours le sol de la liberté en sera purgé...» [On frémit (116)] (113) Rép., n° 33. (114) Débats, n” 760, 465. (115) Rép., n° 33. (116) J. Fr., n° 758. TALLIEN : Je demande la parole pour relever ce fait. CAMBON : Le lendemain, les calomnies se multiplièrent contre l’Assemblée législative. On la menaça publiquement ; on voulait la forcer à quitter les rênes du gouvernement. Nous avions parmi nous les quatre cents qui n’avaient pas voté contre Lafayette ; on les insultait, on voulait les assassiner. Mais l’Assemblée voulait que le corps législatif fût transmis intact à la Convention. Voilà de quelle époque date la terreur; on n’a fait que la changer de main (On applaudit). On veut nous intimider ; mais, je te le déclare, ma tête ne tremblera pas devant toi, vil calomniateur! (On applaudit). Croyez-vous que je veuille vous engager à revenir sur ces époques? Non; je ferai en sorte de conserver les principes de la représentation nationale. Je dis comme les préopinants : Ne regardons pas en arrière ; je soutiens qu’il a existé un registre secret; s’il a disparu, entendons nos collègues. [Oui, vils calomniateurs, ma tête branle, comme vous l’avez imprimé ; mais si elle tombe, souvenez-vous que ce ne sera qu’avec gloire, et qu’elle sera regrettée par les hommes vertueux. Croyez-vous que, par mon discours, je veuille vous engager à rétrograder encore sur cette fatale journée du 2 septembre? Non. Jamais en révolution, les représentans du peuple ne doivent regarder derrière eux.] (117) [Quant au registre secret, il renferme une déclaration relative à Capet, qui nous a été faite par un commissaire de la Butte-des-Moulins. S’il ne se retrouve pas, j’interpelle mes collègues qui l’ont signé.] (118) [Je me résume, et je soutiens que le registre a existé, qu’il a été remis à Guyton, qu’il a été signé et connu par mes collègues, et qu’il conte-noit les déclarations que je vous ai faites à cette tribune.] (119) TALLIEN : Le fait rapporté par Cambon n’est pas exact. Le 30 août, autant que je peux m’en rappeler, la commune vint à la barre de l’Assemblée législative réclamer contre sa destitution. J’étais secrétaire-greffier de la commune, et en cette qualité je devais faire partie de la députation; c’est ainsi que le fait s’est passé. [Mais en portant la parole je ne prophétisai pas les scènes qui eurent lieu quelques jours après.] (120) Les massacres commencèrent dans la nuit du 2 au 3 septembre : Grangeneuve ne voulut jamais consentir à aller chercher Jouneau à l’Abbaye. On vint m’en avertir ; je dis aussitôt : J’irai à l’Abbaye; j’en retirerai Jouneau, ou je périrai avec lui. Je le sauvai. DUHEM : C’est un mensonge ; c’est le décret que l’Assemblée législative rendit qui sauva Jouneau. (117) J. Paris, n° 33. (118) J. Perlet, n” 760. (119) J. Paris, n° 33. (120) Rép., n" 33. SÉANCE DU 1er BRUMAIRE AN III (22 OCTOBRE 1794) - N° 17 345 TALLIEN : L’Assemblée législative, instruite des dangers qu’il courait, rendit le décret dont parle Duhem; mais ce fut par mes soins qu’il fut exécuté, et que Jouneau fut amené à la barre. [Loin d’avoir participé aux massacres, je rap-pelerai que ce fut moi qui, dès la nuit suivante, vins demander leur prompte et solemnelle punition; je rappelerai que lorsqu’on voulut se porter au Temple, je me précipitai au devant de ceux qui en avoient le dessein, et que je leur déclarai qu’ils passeroient sur mon corps avant d’arriver jusqu’au dépôt confié à la commune de Paris.] (121) Je viens, dans la même nuit, à cette même barre, demander à l’Assemblée nationale qu’elle fît cesser les massacres ; le dire que je fis alors fut rédigé sur le bureau, par l’un des rédacteurs du Moniteur, et l’Assemblée en ordonna l’insertion au procès-verbal. J’invoque ici le témoignage du frère de Bourdon; qu’il dise s’il n’est pas vrai que les assassins voulurent se jeter sur moi lorsque je m’opposai à ce qu’ils allassent au Temple, et que je leur dis qu’ils me passeraient sur le corps avant que de violer le dépôt que l’Assemblée nationale avait confié à la commune de Pétris. Je demande l’examen le plus étendu et le plus sévère de ma conduite. Si l’on veut revenir sur les événements ( non ! non ! s’écrie-t-on), je pourrai dire tout ce qui s’est passé; mais il est des hommes qui seraient fâchés d’entendre tout dire. Dans les commencements de la Convention j’avais publié un écrit sur ces faits, parce que je vis que c’était un sujet de division parmi les représentants du peuple; depuis, je crus et il me parut qu’on voulait et qu’on devait tirer un voile sur cette époque malheureuse; mais puisqu’aujourd’hui on parle de la conduite que j’ai tenue dans ces temps, je demande qu’elle soit examinée sévèrement. Je ne suis point du nombre de ces hommes qui ont inondé de sang les départements, qui, par des fusillades et des noyades, ont rendu la révolution odieuse ( Applaudissements ). Puisque vous voulez détourner l’attention publique de dessus vos crimes, puisque vous voiliez la reporter des rives de la Loire sur les rives de la Seine, je l’appelle aussi à cet endroit, moi ; puisque vous m’accusez du massacre des prêtres réfractaires, j’appelle les regards du peuple sur les milliers de victimes que vous avez immolées dans le Midi, dont vous avez fait regorger la Loire (Applaudissements). [On sait que j’ai aussi de grandes vérités à dire sur ces événemens, je provoque l’examen le plus sévère de ma conduite à cet égard : et puisque l’on veut détourner l’opinion de ses propres crimes, et ensevelir dans l’oubli les flots de sang que l’on a versés sous le prétexte du bien public, j’appelle aussi la sensibilité de l’assemblée sur des milliers de victimes égorgées à Nantes, à Nîmes, à Angers, à Lyon, à Arras et dans toute la république.] (122) (121) J. Perlet, n° 760. (122) Débats, n“ 760, 466. Dans l’opinion que j’ai émise tout à l’heure, j’ai conservé des ménagements ; je n’ai voulu rien dire qui pût ramener la division; mais puisque vous appelez sur moi la vengeance publique, je l’appelle sur vous, anciens membres du comité de Salut public ; sur vous, anciens membres du comité de Sûreté générale ( Applaudissements ); sur vous, représentants envoyés dans les départements du Pas-de-Calais, du Midi et sur les bords de la Loire ( Applaudissements ). Que le peuple prononce entre nous, entre vous et les patriotes qui se sont jetés dans le gouffre de la révolution, et qui sont à présent exposés chaque jour aux poignards que vous et vos satellites tenez perpétuellement levés sur leurs têtes (Applaudissements). J’appelle l’examen le plus sévère sur votre conduite et la mienne. Jamais le sang de l’innocence n’a été répandu par mes ordres, jamais cette idée ne vint troubler mon sommeil (. Applaudissements ). Je suis pur ; interrogez les habitants de Bordeaux ; ils vous diront si, parmi eux, j’ai commis des exactions, si j’ai fait punir d’autres individus que les coupables : demandez-en autant à Nîmes, à Nantes, et à toutes les autres parties de la république ; vous verrez quelles réponses vous en recevrez (Applaudissements). [Ce n’est pas moi dont le sommeil est troublé par l’image des victimes immolées par la fureur; ce n’est pas moi dont l’imagination est poursuivie par les accens plaintifs des morts et des mourans sacrifiées à la vengeance ou à la férocité. Je suis prêt à paroître devant le tribunal révolutionnaire, mais je veux que mes accusateurs m’y accompagnent et qu’ils soient pesés à la même balance.] (123) Je ne crois pas que ces accusations se renouvellent ; mais si on les reproduit encore, je déclare que, sans attendre l’établissement des formes à suivre pour accuser un représentant du peuple, je m’élancerai au tribunal révolutionnaire, et que j’y entraînerai l’accusateur avec moi (Applaudissements). [Tallien est vivement applaudi des tribunes.] (124) BARÈRE : Je dois dire ce dont je me rappelle quant au second fait : si j’ai bonne mémoire, ce fut sur la dénonciation de Garat et Lebrun, ministre des Affaires étrangères, que nous eûmes des notions sur les rassemblements qui avaient lieu à Charenton. Je vous fis un rapport à ce sujet le 18 mai; mais il fut imprimé, on le trouvera chez Baudouin et dans le Moniteur. Il y avait alors quelque courage à révéler de pareils faits (Murmures). Quant au registre particulier, il a été déposé dans un lieu secret. Voilà les faits, je les rappelle. [J’ai signé le registre secret : il contenoit une dénonciation faite par les ministres Garat et Lebrun, sur des motions nocturnes et les ras-semblemens à Charenton. Je les ai dénoncées le 18 mai.] (125) (123) J. Paris, n° 34. (124) J. Fr., n" 758; M. U., XLV, 40. (125) J. Perlet, n” 760. 346 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE DELMAS : Les intentions de ceux qui ont signé le registre secret n’ont jamais été cachées ; et ce qui le prouve, c’est que lorsqu’ils furent remplacés dans le comité de Salut public, ils voulaient en faire la déclaration à leurs successeurs. Guyton peut le dire ; il y avait à cette époque de la division entre les membres du comité de Salut public, parce qu’une partie d’eux n’était pas à la hauteur des autres, qui voulaient dissoudre le corps politique en exaspérant les citoyens, en dilapidant les fonds publics, en assassinant la patrie ( Applaudissements ). En ce sens, j’avoue que je n’ai jamais été révolutionnaire, et que je ne le serai jamais ( Applaudissements ). Je dois des explications relatives au registre secret. Cambon a dit qu’il avait rapport au projet qui avait été formé par les conspirateurs de mettre le petit Capet sur le trône; cela n’est pas exact; ce registre n’est relatif qu’aux rassemblements que formaient à Charenton Danton, Robespierre, Chabot, Basire, Pache et autres. On a cru que Cambon avait voulu dire que les rassemblements de Charenton, à cette époque, avaient pour but de mettre le petit Capet sur le trône, et cette opinion a été insérée dans les journaux. Clauzel a même reproché à Cambon de ne l’avoir pas dit à la Convention, et celui-ci a répondu : « J’en ai fait un rapport. » En effet, il y a deux choses bien distinctes, le complot de Charenton, et celui de Miranda et autres, pour élever le petit Capet à la royauté. Il fut fait sur ce dernier complot un rapport qui a été inséré dans Le Moniteur. [Cambon a confondu deux choses très distinctes : il a attribué aux rassemblemens de Charenton le projet de mettre un roi sur le trône; or, ce fait n’est pas exact, et les déclarations contenues dans le registre ne le portent pas. Ce fait est personnel à Dillon et à plusieurs de ses complices. Tout ce qui a été ajouté par Cambon est certifié par des témoins dignes de foi ; et lorsque j’ai voulu demander à l’époque du décret d’accusation contre Danton, que les membres des comités fussent présens à la discussion, mon intention étoit de provoquer un développement de tous les faits dénoncés par Cambon, et de faire connoître à la Convention nationale le caractère des conspirateurs qui ont trempé dans le projet d’attenter à la représentation nationale ; elle auroit connu alors la part que Bouchotte et Pache ont eu dans ce complot.] (126) Le registre secret, comme je l’ai dit, n’était relatif qu’à l’insurrection qu’on organisait à Charenton, et que toutes les probabilités annonçaient devoir être contre la Convention. Je ne sais si c’était contre la représentation nationale ou contre quelques-uns de ses membres. Lorsque nous sortîmes du comité, nous nous dîmes : « Il faut écarter ces temps. » Mais vous devez vous rappeler qu’au moment où Saint-Just se présenta ici pour faire le rapport contre (126) J. Paris, n° 34. Danton et autres, je demandai, par motion d’ordre, que tous les membres des comités se rendissent dans la salle ; alors j’étais prêt à tout dire, et je communiquai mes intentions à Cochon. Mais Legendre prit la parole, il fut vivement combattu par Fayau, il le fut ensuite autant par Robespierre, et tout le monde sait que, lorsqu’il s’était emparé de la tribune, il n’était plus possible d’y aborder. Je voulais demander alors que Chabot, Basire et autres fussent traduits à la barre; nous aurions connu tous les conjurés à cette époque, et la révolution du 9 thermidor serait arrivée quelques mois plus tôt. Je fis part, dans le temps, de notre déclaration à Du Barran, membre du comité de Sûreté générale, car j’ai toujours trouvé extraordinaire que Pache, qui a été l’instrument et le centre de toutes les factions... (vifs applaudissements) n’ait jamais été puni. Je dis à mes collègues : « Il existe au comité de Salut public un registre secret ; allez le consulter, et vous verrez quels sont tous les vrais conspirateurs. » J’ai fait tout ce que je devais faire. Je demande qu’on fasse de plus grandes recherches pour retrouver ce registre ; on y verra que des hommes qui n’ont point encore été mis en jugement ont cependant joué un très grand rôle dans toutes ces conspirations. Je me rappelle un fait; c’est que, vingt-quatre heures avant l’arrestation de Danton et des quatre autres députés, me trouvant avec Bellegarde au café de la Régence, nous entendîmes Coffinhal faire des propositions qui nous parurent fort extraordinaires. Fabricius était présent. Le lendemain nous nous rendîmes au comité de Salut public, pour en faire part à Robert Lindet. [J’en rendis compte à Cochon, et sur-le-champ nous allâmes en instruire Robert Lindet.] (127) Nous lui nommâmes Pache et d’autres conspirateurs qui menaçaient la représentation nationale. Nous avons su que l’acte d’accusation contre les cinq membres avait été rédigé par Robespierre. COCHON : Tout cela est vrai. [Robert Lindet monte aussitôt à la tribune : je parlerai, dit-il, avec franchise; c’est un devoir dont je ne me suis jamais écarté.] (128) Robert LINDET : J’ai été témoin des événements des 31 mai et 2 juin; je ne rendrai pas compte des conférences secrètes, mais de tout ce qui s’est passé au comité de Salut public. La journée du 31 mai fut grande, heureuse, utile et nécessaire. Elle était préparée depuis longtemps. [Depuis longtems elle avoit été préparée, et aux yeux d’un homme de bonne foi elle étoit commandée par le salut du peuple. Depuis longtems le peuple attendoit un gouvernement, des lois et une constitution, et une longue attente avoit (127) Rép., n° 33. (128) Rép., n° 33. SÉANCE DU 1er BRUMAIRE AN III (22 OCTOBRE 1794) - N° 17 347 averti le peuple que nous ne pouvions les lui donner. Des passions et des haines qui ne pou-voient être calmées par aucun moyen y résis-toient de manière insurmontable. Le peuple tourmenté par une vive impatience, et par le sentiment de ses malheurs, connut le mal et n’avoit d’autre remède que le moyen qu’il a employé. Alors les ennemis nous cemoient de tous côtés; alors la guerre civile commençoit à s’allumer partout ; alors nos décrets étoient méconnus, la Convention nationale divisoit elle-même tous les esprits par les oscillations perpétuelles dont elle étoit agitée ; elle recommandoit à l’opinion les opinions les plus opposées, en les faisant insérer au bulletin. Une commission monstrueuse menaçoit la liberté, elle fut étabhe, cassée, rétabhe dans peu de jours.] (129) Souvenez-vous quel avait été l’état de la Convention avant cette époque. Depuis longtemps la France nous demandait une constitution, que nos dissensions lui ôtaient l’espoir d’avoir jamais. Partout l’opinion était égarée, et nous ne pouvions la fixer. Un jour on décrétait l’envoi d’une motion aux départements; le lendemain un membre prononçait une opinion contraire, elle était également envoyée. Aujourd’hui l’on envoyait une adresse dans un sens, demain on en envoyait une autre dans un sens opposé. L’opinion flottait incertaine; les sections de Paris vinrent vous demander de vous juger vous-mêmes : enfin on sut vous rendre justice ; on sut quels étaient les ennemis du peuple ; on sut que tous avaient proclamé la liberté et l’égalité, mais que beaucoup ne la voulaient pas. Les sections de Paris vous signalèrent vingt-deux membres comme les ennemis du peuple. Ces membres, qui avaient un grand crédit et de grands talents, crurent qu’ils devaient ériger un tribunal terrible, la commission des Douze, qui alarma la liberté publique. Plusieurs voix : Au fait! Robert LINDET : Cette commission moins affreuse que ce que nous vîmes depuis... Plusieurs voix : Elle n’a fait qu’arrêter Hébert. Robert LINDET : Je me fais un devoir de parler franchement. Rarement j’ai paru à la tribune; mais j’ai toujours parlé sincèrement à ceux qui m’ont fait l’amitié de m’écouter, et nul ne me reprochera d’avoir eu l’âme atroce. Paris et toute la France ensuite réclamèrent contre la commission des Douze. Rappelez-vous ce que vous étiez avant le 31 mai, et vous aurez les motifs qui ont déterminé ce grand mouvement. Plusieurs voix : Nous ne voulons pas regarder en arrière. Robert LINDET : [Le peuple ne vit, ni résolution, ni principes fixés au milieu de tant de malheurs; il se leva, et une faction puissante, composée d’hommes à talens, mais passionnés (129) J. Paris, n" 34. à l’excès, fut enchaînée; la constitution se fit, elle fut acceptée, et les partis vaincus par la force du peuple, reconnurent l’autorité de la Convention et celle des loix.] (130) La désorganisation était totale dans la Convention, le temps se passait en débats stériles; il n’était plus possible de décréter ni de faire le bonheur du peuple, qui voulait une constitution. Il vint vous dire : Il y a parmi vous vingt-deux citoyens, et ceux qui composent la commission des Douze, qui s’opposent à ce que nous ayons une constitution et un gouvernement... Plusieurs voix : C’est faux, ils ne s’y opposaient pas. Robert LINDET : Je serai toujours narrateur fidèle et jamais apologiste; jamais je ne substituerai les écarts de mon imagination au récit des faits. Je suis obbgé de rappeler la situation de Paris. Toute cette commune voulait l’arrestation des vingt-deux membres. Plusieurs voix : C’est faux! Robert LINDET : On vous apporta le voeu de toutes les sections de Paris... Plusieurs voix : Elles n’avaient pas été consultées. Robert LINDET : Il y a eu alors un grand mouvement dans Paris. Des hommes qui nous demandaient des lois et un gouvernement, des hommes qui nous demandaient compte de nos travaux, et qui ne les voyaient pas avancer, n’étaient pas des contre-révolutionnaires. La commission ne fut pas accueillie, parce que ce n’était pas cela qu’on demandait. Le comité de Salut public veillait, il passait les nuits à se faire rendre compte de la situation de Paris : Dufoumy et Lulier y venaient; c’est avec eux que j’ai passé plusieurs nuits. Garat vous rendit aussi des services importants. Je ne parle pas des déclarations des commissaires de sections, je parle du discours que Garat vous fit ici, et dans lequel il vous traça la situation de Paris. Jamais Garat ne fut plus sublime que dans ce moment, où... {Murmures). [Le peuple, fit entendre sa voix, la Convention eut le courage de l’entendre, et sans doute des hommes qui nous demandoient compte de nos travaux, qu’ils ne voyoient pas avancer, ne dévoient pas être traités de contre-révolutionnaires. Rappeliez-vous le rapport que vous fit le ministre de l’intérieur Garat : jamais il n’en fut de plus sublime, parce qu’il vous y développa le généreux élan qui porta tout Paris à réclamer justice contre ces mandataires infidèles...] (131) MERLIN (de Thionville) : Les murmures et les interruptions que l’on fait éprouver à Lin-det me démontrent à moi que l’on touche l’endroit sensible des interrupteurs : je n’ai été ni du 2 septembre, j’en appelle à Bourdon (de (130) J. Paris, n° 34. (131) Rép., n“ 33. 348 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE l’Oise) et Legendre, qui étaient avec moi à Amiens; pas plus du 31 mai, j’avais le bonheur de défendre ma patrie à Mayence ; eh bien, sans reproches et sans avoir concouru à aucunes machinations, déterminé à n’en souffrir jamais, je regarde comme coupables de l’une ou l’autre époque ceux qui interrompent ceux qui veulent franchement nous éclairer. MAREC : Il ne s’agit pas ici de faire l’apologie de Pache, d’Hanriot et d’autres conspirateurs, et de justifier leur conduite ( Murmures et applaudissements). Robert LINDET : Sans la journée du 31 mai, vous aviez la Convention de Bourges, dont on demandait le rassemblement depuis deux mois. Le 2 juin, l’arrestation des vingt-deux membres eut lieu. Si j’avais été rapporteur du comité de Salut public, je ne vous aurais dit que ce qui s’était passé dans le comité ; mais j’ai su que le rapporteur avait été instruit par des avis particuliers. J’ai cru important de rendre compte à la France des motifs qui ont amené le journée du 31 mai. Lorsque je fus passer huit jours à Lyon, j’écrivis à mes collègues : « Hâtez-vous de faire connaître à la France les motifs de l’arrestation des vingt-deux membres, car c’est un grand sujet de division dans les départements. » Le rapport fut trop différé ; si on l’avait pressé davantage, il n’y aurait pas eu d’aussi grandes agitations dans toute la République, on n’eût pas levé des armées dans tous les départements. Je fus obligé d’aller aussi dans deux qui étaient coalisés, et où s’étaient réunis les députés de neuf départements qui voulaient fé-déraliser la France. Je m’y présentai, et, dès que j’eus dit que la Convention était libre, tous les bataillons disparurent. On ne voulut plus recevoir de lois que de vous ; on se dit : Ceux-là sont nos vrais représentants qui nous donnent une constitution; rallions-nous à eux, et nous aurons le bonheur. Aussitôt la paix se rétablit dans ces neuf départements. J’ignore s’il y a eu des délibérations secrètes prises dans le comité, et de quelle espèce elles étaient. Le 17 juillet je n’étais plus à Paris. Il y a plus de six mois que j’ai dit à mes collègues : Renouvelez-nous ; nos fonctions sont trop longues. Lorsqu’on est venu dire au comité que ses opérations étaient excellentes, je l’ai toujours nié; j’ai dit que c’était à la patience du peuple, à son dévouement pour la liberté et l’égalité, que l’on devait attribuer l’état où se trouvait la République. [Voilà les faits, ils sont incontestables, l’imagination n’y a rien ajouté. Si notre conduite a paru répréhensible à plusieurs, je demande qu’on la juge ; mais je vous devois la vérité, et je l’ai dite avec franchise.] (132) J’ai ouvert mon âme à tous ceux qui ont voulu y lire. Je demande aussi qu’on éclaire ma conduite ; je me soumets à tous les jugements. Quelques voix : Il ne s’agit pas de cela. (132) J. Paris, n’ 34. L’Assemblée ferme la discussion, et passe à l’ordre du jour (133). La Convention nationale, sur la proposition faite de fixer un délai pour faire le rapport sur les représentons du peuple détenus, passe à l’ordre du jour, motivé sur ce que les comités réunis le présenteront aussitôt qu’ils auront examiné à fond cette affaire (134). 18 La Convention nationale accorde au citoyen Servonat, représentant du peuple, un congé de six décades, qu’il lui demande pour le rétablissement de sa santé (135). [Le représentant Servonat au président de la Convention nationale, de Paris, le 1er brumaire an III] (136) Citoyen président, Depuis longtemps mon état valétudinaire exige des remèdes dont je ne peux plus différer l’usage, ainsi que l’attestent quatre officiers de santé, dont je joins le certificat à la présente. Je n’ai fait aucune absence depuis� que la Convention est séante, et je suis éloigné de plus de cent trente lieues de mes foyers où je dési-rerois me rendre, pour m’occuper exclusivement du rétablissement de ma santé. Je te prie donc de soumettre à la Convention nationale la demande que je fais d’un congé de six décades. Salut et fraternité. Servonat. Nous soussignés médecin et chirurgien officiers de santé, certifiions, que le citoyen Servonat, député à la Convention, demeurant rue Montmartre, section de Brutus, est attaqué d’une obstruction de la rate, et que le mésentère parait être empâté, à en juger par les digestions laborieuses et dificiles, et même par de fréquentes indigestions, ce qui parait aussi (133) Moniteur, XXII, 304-308. Nous avons suivi le déroulement de la discussion selon Le Moniteur. Pour l’ensemble du débat, Débats, n” 759, 449-450 ; n° 760, 453-469 ; Ann. Patr., n° 660; Ann. R.F., n° 31, 32; C. Eg., n” 795; Gazette Fr., n“ 1024; J. Fr., n° 757, 758; J. Mont., n° 9, 10; J. Paris, n° 33, 34; J. Perlet, n” 759, 760; J. Univ., n" 1791; M. U., XLV, 24- 27, 38-41; Mess. Soir, n' 795; Rép., n“ 32, 33. (134) P.-V., XLVIII, 6. C 322, pl. 1363, p. 8. Décret attribué à Guyomar, par C’ II 21, p. 15. Moniteur, XXII, 308; Débats, n 460, 469; Ann. Patr., n° 660; Ann. R.F., n° 32; C. Eg., n° 795; Gazette Fr., n” 1024; J. Fr., n° 758; J. Mont., n” 10; J. Paris, n° 34; J. Perlet, n° 760; J. Univ., n° 1791; M. U., XLV, 41; Mess. Soir, n 795; Rép., n° 33. (135) P.-V., XLVIII, 6. C 322, pl. 1363, p. 9; minute de la main d’Eschasseriaux jeune. Décret anonyme selon C* II 21, p. 15. (136) C 323, pl. 1381, p. 1.