4J50 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 novembre 1790-1 ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 15 NOVEMBRE 1790. Réflexions adressées à l'Assemblée nationale sur les moyens de concilier l'impôt du tabac avec la liberté du commerce, par M. Clavière. Messieurs, quoi qu’aient pu dire les économistes, des impôts qu’ils appellent indirects , on ne peut se refuser à l’évidence sur l’impôt du tabac. S’il est possible de le délivrer des horreurs qui l’ont rendu odieux jusqu’au moment de la Révolution, on en trouvera peu qui soient plus supportables, aucun qui s’éloigne autant de ces reprises toutes exagérées, toutes mal envisagées, dont on accuse l’impôt sur les consommations ; reprises que les économistes condamnent, pour ne les remplacer que par des impôts également sur les consommations ; mais qui, payés directement par le cultivateur, sont, à mon sens, de l’espèce non seulement la plus injuste, mais encore la plus contraire à la prospérité publique; parce qu’en général, l’avance en est faite par la classe de citoyens la moins en état de la faire ; çar celle qui retire la moindre part dans le bénéfice social que ces avances doivent procurer ; par celle enfin qui peut le moins se rembourser équitablement par les reprises. Si ce n’est pas le moment de traiter cette question, pour laquelle il faut discuter, plus profondément qu’on ne l’a fait, la matière des proportions imposables, c’est du moins celui de chercher à conserver ceux des impôts indirects les plus faciles à supporter. Invité, en 1787, par M. Brissot, l’un des meilleurs citoyens de France, à concourir à un ou-vrage, qu’il projetait, sur les relations commerciales que la France devait fonder et entretenir avec les Etats-Unis d’Amérique, le tabac, qu’on cultive dans ces Etats, dut attirer notre attention ; et je me chargeais, aidé des observations que ce patriote avait rassemblées, de faire cet article, si important, considéré comme matière d’échange entre les Etats maritimes de l’Europe et l'Amérique libre. Ses vastes contrées offrent, à notre industrie manufacturière, un débouché d’autant plus digne de notre attention, que les défrichements', la pêche et les voyages lointains occuperont longtemps les Américains ; et comme il ne saurait y avoir de commerce où les objets d’échange manqueraient de l’un des côtés, il nous paraissait qué la France devait s’occuper sérieusement des tabacs américains, et chercher, par tous les moyens possibles, à en étendre la consommation, soit chez elle, soit au dehors, et surtout après les avoir manufacturés. Malheureusement, un monopole anti-social était en possession de cette marchandise; et la rétribution qu’il en payait au fisc, faisait une partie du revenu public, non moins considérable que difficile àremjdacer. Ce monopole a donné lieu à une multitude d’abus criants : il était incompatible avec l’industrie, qui étend au loin et multiplie les consommations. Le revenu même, assis sur le tabac, était arrivé au point de se détruire par la nature de son exploitation. Rendre le tabac marchand était donc tout à la fois un bienfait pour le commerce des deux pays, et un remède aux abus de la fiscalité. Mais rendre le tabac marchand, et conserver un impôt qui sextuple son prix pour te consommateur, sera toujours un problème difficile à résoudre. Je mets sons vos yeux, Messieurs, la manière dont il m’a paru qu’on pouvait y parvenir. C’est l’article Tabac extrait du livre De la France et des États-Unis (1), publié il y a près de quatre ans. Je n’en ai retranché que quelques notes;, j'ai cru devoir faire imprimer le texte en entier, puisque, dans les opinions, manifestées aujourd’hui, on voit régner encore les mêmes préjugés qu’il importe de détruire ; puisque 1e comité des impositions propose, pour le tabac, une manutention, qui, sous le n.om de régie, ferait bientôt reparaître tons les inconvénients de la ferme, et surtout ceux qui frappent sur tes vrais principes commerciaux, sur le commerce avec les Améri-ricai ns libres ; commerce auquel la France doit s’affectionner par une foute de motifs. Il faut convenir que si le libre commerce et un impôt excédant aussi prodigieusement la valeur du tabac sont déjà deux choses difficiles à concilier, elles le deviennent bien davantage, dès que chacun en France sera libre de cultiver cette plante. Mais les besoins de l’Etat sont si considérables, la théorie de l’impôt devient une matière si neuve et si difficile, dans une Constitution ou la justice doit-être à jamais 1’appui de la liberté, qu’il vaut la peine de faire des efforts, tant pour conserver un impôt, qu’on peut tout au moins supporter avec patience, en attendant la diminution des besoins publics, que pour le concilier avec des intérêts que l’état actuel du commerce permet moins que jamais de négliger. Diviser l’imposition sur le tabac en trois parties : l’une, qui serait, un droit d’entrée ; l’autre, un droit de fabrication; l’autre, un droit de vente. Telle était, Messieurs, au temps où l’ouvrage de la France et des États-Unis a été publié, la meilleure manière, selon moi, de résoudre le problème ; et j’ose croire que ia libre culture du tabac, que vous décréterez sans doute, n’empêchera pas que cette manière ne soit encore la meilleure, si, comme tous les bons esprits le pensent, ce décret est plutôt un hommage rendu au libre usage que chacun doit pouvoir faire de sa propriété, qu’une opération d’économie politique. Je dis, Messieurs, que vous décréterez sans doute la libre culture du tabac. Les prohibitions (1) De la France et des Etats-Unis, ou de l'importance de la Révolution de l’Amérique, des rapports de ce royaume et des Etats-Unis, des avantages réciproques qu’ils peuvent retirer de leurs liaisons de commerce, et enfin de la situation actuelle des Etats-Unis. — Ouvrage dédié au congrès américaiu et aux amis des Etats-Unis dans les deux mondes ; par E. Clavière et J.-P. Brissot de Warville, le 20 mars 1787. Cet ouvrage, dont l’édition française est épuisée, a été traduit à Londres et à Boston. Les papiers américains l’ont transcrit en entier; on lui a rendu le témoignage que les principes en étaient sains, et les faits exacts . Composé sous l’ancien régime, mais par de sincères amis de la liberté, et qui ne craignaient pas de le paraître, cet ouvrage n’est point indigne du temps présent. M. Brissot se propose de le réimprimer dans la relation de son voyage dans les Etats-Unis; voyage postérieur à l’ouvrage et qui, par conséquent, a fourni, à l’un des auteurs, le moyen de confirmer leurs opinions, ou de rectifier celles qui peuvent avoir porté sur des renseignements erronés. C’est le sentiment de la fraternité, qui doit exister entre tous les peuples libres, qui a produit cet ouvrage. Les auteurs pouvaient penser que le Français n’avait pas aidé les Américains & secouer leurs fers, pour éterniser les siens. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 novembre 1790.] 457 absolues sont, de tous les procédés, le plus révoltant. Elles violent le premier privilège de la propriété, le motif le plus évident du contrat social. Le citoyen doit des contributions à la chose publique, mais il doit pouvoir faire à ses risques ce qu’il peut de son champ. Lui empêcheriez-vous de le laisser inculte, ou de le couvrir de plantes sans valeur en aucun pays? Non. Mais, dira-t-on, son intérêt nous préserve de cet abus... Eh ! si la culture du tabac est ruineuse, ou moins avantageux que celle des productions nourricières, pourquoi voulez-vous qu’on s’obstine à cultiver du tabac? ..... On vous parle de l’ignorance du cultivateur; des fautes qu’une cupidité mal entendue lui fait commettre ..... Mais qui sont ceux qui, le plus souvent, tiennent ce langage? Des hommes dont les idées habituelles se sont formées sous le despotisme ou l’aristocratie. L’un et l’autre, ne pouvant justifier leur gouvernement que sur l’ignorance du grand nombre, la supposent sans cesse ; c’est toujours leur cheval de bataille; et, dans la crainte qu’il ne leur manque, ils ont grand soin de faire la guerre la plus persévérante à tous les moyens d’instruction. En maiière de fortune, rien n’éclaire les hommes comme leur intérêt ; il impose silence à la plupart des causes de nos erreurs, et la lumière à cet egard, plus qu’à tout autre, entre aussi promptement sous le chaume du cultivateur, que dans le cabinet des philosophes. Laissez à chacun de nous le soin de demander à la nature, la plante dont il attend le plus de profits ; contentez-vous de connaître celles qui, ne convenant pas à notre économie rurale, peuvent devenir un payement que l’étranger, qui les obtient de son sol avec moins de désavantage que nous du nôtre, pourra vous faire, en échange, de ce que vous cultiverez ou fabriquerez à meilleur marché que lui; contentez-vous d’observer jusqu’à quel point il faut imposer ces productions étrangères, pour remplir le double but de créer une branche de revenu public peu onéreuse, et de favoriser, par cela même, la culture des objets qui conviennent le mieux à notre sol et à notre population. Fiez-vous ensuite à cette faveur, pour écarter de nos champs les productions qui ne rassurent point la société entière sur le premier de ses besoins, celui de sub-ister. Le cultivateur a bientôt fait les comparaisons qui IVclairenl ; il voit bientôt ce qu’il doit attendre d’un fruit toujours, et partout nécessaire, dont la culture est aisée, que l'impôt ne grève point dans ses mains; et ce qu’il doit redouter d’une production qui joint aux soins et aux dépenses que sa culture exigent, le désavantage de n’être qu’une superfluité, et d’avoir à payer, avant qu’il puisse en retirer du profit, un impôt d’autant plus considérable, que le champ ou croît le fruit nécessaire, est moins imposé. D’ailleurs, Messieurs, vous ne devez pas vous le dissimuler. Il est des produits au moyen desquels on obtientavec avantage les subsistances mêmes dont onne peut pas se passer. Nos vins, nos huiles, nossoies,noslinsetd’autres de nos productions indigènes sont-elles autre chose que des objets de culture qu’il faudrait restreindre, ou même prohiber, si l’on se gouvernait par la crainte de ne pas recueillir sur son sol, assez de grains pour tous ses habitanis ? Si cette inquiétude était fondée, qui oserait vivre au milieu de la Hollande ? qui ne craindrait pas de voir périr à tout instant ces petits Etats dont la population est excessive, et la prospérité constante, quoique nourris presque entièrement parles produits d’un sol étranger? C’est le travail, le commerce et l’aisance qui partout assurent les subsistances, quelles que soient les productions que l’intérêt du cultivateur le porte à préférer. L’Angleterre redoute-t-elle que les prairies nécessaires à son immense commerce de chevaux, dévorent ses champs? Songe-t-elle à proscrire ses nombreux haras, dont les produits, vendus au dehors, peuvent lui amener du blé? Elle est, d’ailleurs bien absurde, cette crainte qui fait déjà voir, à quelques-uns de vos orateurs, la France entière couverte de tabac... Voit-on que les campagnards, les plus lents de tous les hommes, embrassent les spéculations nouvelles, avec l’avidité d’un agioteur ? Non. Ils commencent, ils essaient, et si leurs succès les enhardissent, de quoi vous plaindriez-vons? Ils ont doublé leurs épis de blé, en acquérant de quoi en payer au dehors, deux fois autant que leurs champs n’en auraient produit. Ceux qui vous exhortent à la prohibition de la culture du tabac, vous disent que les provinces qui l’ont conservée abandonneront ce privilège; quemêmecet abandon ne coûtera rien à leur patriotisme; qu’elles seront enchantées d’avoir à donner, à l’univers étonné, un exemple éclatant de l’esprit public qui les anime. Defiez-vous, Messieurs, de tout ce pompeux langage : s’il est dicté par la persuasion, il peut aussi cacher le plus dangereux des pièges. Ces provinces auraient droit de s’étonner ; vous ne les avez pas accoutumées à des décrets où l’on se traîne dans la fange des préjugés; et lorsqu’elles verraient qu’une prohibition contraire à tous les principes ne frappe que sur elles, il n’est pas démontré que leur soumission fût aussi absolue qu’ou voudrait bien vous le persuader; car ici la méprise, outrageant la liberté générale, viendrait rendre l’injustice particulière plus révoltante. Si vous parvenez àsoumettrel’impôtsur letabacà un régime qui anéantisse la contrebande, les cultivateurs de ces provinces seront sans doute appelés à d’autres calculs ; car il est probable que la contrebande favoriserait chez elles le produit du tabac ; et si néanmoins elles persévèrent dans cette culture, sroyez, Messieurs, qu’elle leur convient, et, par cela même, à l’Empire dont elles font partie; puisque tout l’Empire n’estqu’une grande société, aux profits de laquelle nous sommes tous participants. Je n’en pense pas moins que la culture du tabac ne convient pas à la France, tant que son commerce existera ; que vous aurez la sagesse de le délivrer de ses entraves, et qu’il nous apportera cette feuille de ces contrées où le sol, trop riche, a besoin de la succion des plantes voraces, comme les tempéraments sanguins ont besoin de la saignée. On a acquis à cet égard des informations qui méritent une grande confiance. Elles sontexposées,enabrégé, dans l’extrait que je mets sous vos yeux; et depuis le célèbre Washington, dont les terres sont en Virginie, a dit M. Brissot, qu’il avait abandonné la culture du tabac comme ruineuse; et d’autant plus que, dans les terres nouvelles, qui s’offrent à défricher pour des siècles, deux plans de tabac en produisent une livre; taudis que, dans les terres déjà mises en tabac, il en faut huit à dix pour produire le même poids. Sera-ce dans cet état de choses que la France, éclairée par ses adminisirations intérieures, ce chef-d’œuvre du bon sens, se livrera à la culture du iabac? Ont-ils pensé, ces hommes, qui font leurscieuce de la prétendue ignorance du peuple, que, depuis le Révolution, des milliers de Français ont appris à lire ? Ont-ils pensé que les cul- {Assemblée nationale.) ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. fis novembre iïÔO.J 458 tivateurs, ayant choisi eux-mêmes leurs conseillers économiques, ils les écouteront ? Oui, Messieurs, la culture du tabac ne peut pas êtrerecommandée aux Français sur leur sol, et puisqu’il faut des impôts, on ne fait aucun tort à fa généralité des citoyens en étendant l’impôt du tabac sur les terres du royaume où le propriétaire voudrait en planter. 11 suftira, pour tout concilier, que cet impôt soit au moins égal au droit d’entrée sur les tabacs étrangers; parce que dès que nul ne pourrait fabriquer du tabac, ni le débiteur sans permission, sous peine d’une grosse amende, il est clair que les tabacs français seraient vendus aux fabricants autorisés par *des permissions ; à moins que le cultivateur lui-même ne trouvât bon d’acquérir une patente de fabricant. C’est là, je pense, tout ce qu’il faut pour conserver l’impôt sur le tabac, et préserver nos terres de cette culture, reconnue ruineuse dans les contrées d’Amérique, dont elle a fait un des principaux produits ; car je ne pense pas, Messieurs, que, dans les principes humains et généreux qui nous dirigent, vous vouliez que la fiscalité étende sa persécution sur un cultivateur qui, se bornant à quelques plans de tabac, qu’il manipulerait lui-même pour son usage, ne pourrait jamais faire un grand tort au revenu public. Ces sortes de manipulations domestiques disparaissent ordinairement devant le peu d’économie qu’elles procurent, et la mauvaise qualité du tabac qui en résulte. 11 n’y aura que les fabriques montées qui mériteront l’attention du fisc.. Cela posé, la division de l’impôt que je propose mérite peut-être votre examen. Elle est motivée; aussi, en lisant l’extrait que j’ai fait réimprimer pour être mis sous vos yeux, vous verrez bientôt si elle est praticable dans les circonstances actuelles. Je le désirerais pour une considération qui n’est pas dans l’article même. L’impôt sur le tabac est, ce me semble, celui qui se prête le mieux an régime doux des licences, ou permissions de vendre certains objets quipeuventsupporter un impôtcon-sidérable,maisqui ne se prêtentàl’impôt, dans un pays libre, qu'autantquesa perception est exempte de procédés trop injurieux à la liberté. Ces permissions sont, si l’on veut, une sorte de privilège exclusif; mais dès qu’il faut des impôts, l’usage d’une superfluité imposée ne devient-il pas aussi un privilège en faveur de celui qui en paye l’impôt ? Un privilège est odieux lorsqu’il n’est accordé qu’à une seule compagnie ou à un seul individu : c’est alors un monopole; mais un impôt converti en une permission de vendre un certain objet imposable, moyennant un prix quelconque, payé par toute personne qui veut obtenir cette permission, n’est plus qu’un mode de perception de l’impôt, qui, en certain cas, est préférable à tout autre. Il l’est, surtout, lorsque les contrevenants peuvent être contenus par une amende, et que les acquéreurs de la permission de fabriquer et de vendre deviennent des surveillants naturels et suffisants pour éviter les contraventions et conserver l’impôt à la 'chose publique, sans gardes ni moyens odieux. Or, non seulement le tabac se prête à ce genre d’impôt, mais il est d’au li es objets qui pourraient être assujettis au même régime; tels, par exemple, que le droit de bouchon, de vendre des liqueurs furtes, détenir café, etc..., toutes choses qui ne soat pas, si l’on veut, la meilleure manière d’imposer, mais, qui en attendant le degré d’instruction et de philosophie nécessaire pour nous conduire au meilleur impôt, sont moins à charge que l’impôt territorial. Les licences ne sont pas le moyen d’obtenir un droit fixe sur la chose qu’elles permettent de fabriquer ou de vendre; mais c’est précisément ce qui les rend recommandables, jusqu’à ce que l’on connaisse mieux le vrai système de cette avance sociale, que l’odieux mot d’impôt fait redouter. En observant de modérer le prix de la licence, l’industrie trouve bientôt Je moyeu de le rendre encore pins léger. Supposons, par exemple, qu’ou voulût imposer’ vingt sols sur chaque chapeau, et qu’on voulût percevoir cet impôt, non sur le chapeau lui-même, mais sur la liberté de le fabriquer; que le prix de la permission fût réglé par le nombre de ces tables inclinées, qui servent à faire les chapeaux, et que la quantité de chapeaux fût estimée à cent pour chaque table, il est clair que si un ouvrier diligent en fait plus de cent, il payera, par cela même, moins de vingt sols sur chaque chapeau. Je cite cet exemple uniquement pour rendre sensible l’avantage des licences; car il en est d’ailleurs comme de tout impôt, on peut en faire une mauvaise application, Mais comment entrera-t-on dans le régime que je propose? Il existe des fabriques de tabac, des entrepôts et des débitants qui déjà sont assujettis à une régie quelconque. Là on doit trouver toutes les lumières et les secours dont ou peut avoir besoin ; et comme les fermiers actuels de l’impôt du tabac n’ont aucun intérêt à se refuser à un nouveau régime; comme, en tout état de cause, le leur est dévoué à la destruction, j’ose croire qu’ils devaient examiner eux-mêmes mon opinion sur le tabac ; car moyennant que l’impôt se divise, et que, par ce moyen, le tabac devienne marchand le plus qu’il est possible, et il le deviendrait sûrement, on ne voit pas pourquoi la compagnie des fermiers ne traiterait pas avec la nation, pour devenir le régisseur général de l’impôt sur le tabac, soi)3 la forme que je propose; forme assujettie aux décrets de l’Assemblée nationale, et qu’il ne serait pas dans leur pouvoir de changer; forme qui exigerait surtout qu’on ne limitât pas le nombre des permissions, du moins celles de débitants, et qu’on en modérât le prix le plus possible; car il faut, dans ces sortes d’entreprises, comoter pour beaucoup les progrès de l’industrie qu’on se propose de faire naître ; forme enfin qui interdirait aux régisseurs de l’impôt tout commerce, toute fabrication et tout débit de tabac à leur profit. Je dois encore vous représenter, Messieurs, que si l’impôt sur le tabac est, de sa nature, un de ceux qui présentent le moins d’inconvénients, on ne saurait trop le décréter. Les incertitudes sur ce point donnent lieu à des spéculations qui prolongent le désordre. La question est de savoir à combien s’élèveront les dépenses publiques et étrangères à cet impôt. Quelles que soient ces dépenses, il est heureux de pouvoir leur appliquer tout ce que pourra rendre le tabac sous une forme d’imposition, qui ne sera ni vexatoire, ni abusive. D’ailleurs, n’est-il aucune branche de revenu à supprimer? A cette question, tout bon Français n’élève-t-il pas un cri d’indignation contre les loteries? Je le répète, l’impôt sur le tabac ne peut être heureusement remplacé que dans un système duquel nous sommes loin ; ainsi, il n’esl presqu’aucuu des impôts, dont voua vous occupez, qui puisse lui être préféré. Lea {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (48 novembre 4780 J 459 patriotes doivent donc se tenir à cet égard sur leurs gardes. Après les avoir induits à ne pas décréter la libre cuit ire du tabac, laquelle serait soumise à cet impôt particulier, on pourrait se plaire à les voir égarer dans des choix d’impositions, bien plus critiques que ne peut jamais l’être un droit sur l’entrée, la fabrication et le débit du tabac. Soit que plusieurs personnes se soient rappelé ce qu’elles ont pu lire dans le livre De la France et des Etats-Unis , soit que l'idée des licences vienne plus facilement, surtout lorsqu’on a voyagé en Angleterre ; ce régime, appliqué au 'tabac, paraît déjà désiré de plusieurs personnes, et dans plusieurs ports de mer, où l’on s’en l’avantage de favoriser les relations avec les Etats-Unis. Eh ! quelles relations seraient plus intéressantes? Les Français et les Américains sont frères d’armes. Les combats des premiers, pour la liberté des seconds, ont été, pour toute la France, un coup de lumière, dès ce moment, on y a vivement désiré pour soi-même, le bien qu’on avait procuré à un peuple presque inconnu. Peut-on préparer des relations commerciales sous des auspices plus heureux? Si les premiers pas de commerce sont difficiles; si l’on ne peut calculer la vitesse de ses progrès, on peut du moins dire que la France venant de faire tomber les liens son industrie, aura besoin, plus que jamais, de commerce avec des peuples, occupés a enlever la terre au stérile silence de la nature. En vous parlant du tabac américain, on vous dit, Messieurs, que son peu de valeur empêche qu’on ne vous l’apporte, parce que son produit est trop chétif pour acheter de quoi charger en retour le vaisseau qui vous l’apportera. Eh! le vaisseau lui-même vous restera. Vous avez besoin qu’on vous en fabrique; la plus riche des industries, c’est celle du voiturier, et vous n’êtes pas en état de voiturer par vos propres productions, tant la fiscalité vous a fait de maux ! (1) Lisez l’ouvrage peu volumineux, dont j’extrais l’article Tabac: Usez la section 9 sur les vaisseaux construits en Amérique , pour être vendus ou pris à fret , et fermez l’oreille à tons ces dépréciate rs de vos relations avec l’Amérique; ils ne s’aperçoivent pas qu’ils prennent le cercle de leurs idées, pour celui de t’u divers. Hàiez-vous donc, Messieurs, de tranquilliser vos cultivateurs, sur une culture qu’ils apprécieront mieux, lorsqu’au lieu de leur la ravir, vous la restituerez à la France entière; hâtez-vous de conserver la préférence au tabac américain, par l’effet de l’impôt; hâtez-vous d’assurer aux besoins du Trésor public, un impôt si précieux par son produit, si tolérable par sa nature, si avantageux par ses effets. Mais quel produit faut-il en attendre? Le plan d’imposition que je mets sous vos yeux, est pour un revenu de trente-huit millions, dont trente à verser dans le Trésor public, et huit pour les frais du nouveau régime, et les bénéfices des fermiers ou régisseurs à qui ce gouvernement (1) J’ai sous les yeux un état des importations à Hambourg. La France, qui paraît n’avoir pas sofigé à son commères du Nord, dans les dernières discussions relatives à l’Espagne, importe à Hambourg pour plus de 50 millions de marchandises sur 2 i2 navires, dont 15 seulement sont français. L’importation anglaise ne monte qu’à 14 ou 15 millions. Elle occupe 226 navires dont 200 sont anglais. Cette note sa trouve déjà dans la seconde partie de ma réponse au mémoire de M. Necker , concernant les assignats , etc. serait confié. Ces huit millions sont excessifs, puisque la ferme générale eu dépensait à peine six pour les tabacs, et que son étal de guerre contre tous les contrebandiers ne lui coûtait pas plus de huit Or, dans le nouvel ordre de choses, faut-il compter sur un produit de trente-huit millions? Je réponds qu’il faut examiner si la division proposée est exécutable; si les faits sur lesquels je me suis fondé sont exacts ; si la contrebande importante (car il faut toujours abandonner les minuties) sera moralement impossible, s’il y aura de l’émulation entre Us fabricants, et si une augmentation de consommation an dehors ne produira pas, dans ce nouveau régime, de quoi remplacer largement les premiers déficits? Si les réponses sont satisfaisantes, le produit de trente-huit millions acquiert toute la probabilité nécessaire pour déterminer l’essai du plan, et atien ire avec patience ce que l’expérience en décidera. Dans une aussi grande régénération, après une désorganisation aussi profonde, que peut-on faire de mieux, si ce n’est des expériences? C'est aussi pour cela que le citoyen attentif craint de voir précipiter l’emploi du produit des biens nationaux, de cette ressource si heureuse, dont aucun Empire n’a joui, dans ces grandes époques, où les révolutions son t inévitables. Si mon plan mérite d’être adopté, les décrets qu’il exige sont en quelque sorte indiqués par le plan même. Ils devraient se borner à fixer, dès à* présent, les résolutions fondamentales, en renvoyant le mode d’exécution, après les consultations avec les fermiers actuels du tabac, ou, à leur défaut, avec telles autres personnes instruites de tout ce qui a rapport au commerce, à la fabrication et au débit de cette plante. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CHASSET. Séance du mardi 16 novembre 1790, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures et demie du maiiu. M. Iianjuinais, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. U est adopté. M. Jaillant présente un mémoire de la ville de Sens tendant à demander un tribunal de commerce pour cette ville. Ce mémoire est renvoyé au comité de Constitution. M. l’abbé Grégoire, membre du comité de vérification, annonce que M. Cornilleau se présente pour remplacer M. l’abbé Bourdet, député du Mans, qui est décédé. Le comité a trouvé les pouvoirs de M, Cornilleau parfaitement en règle ; aussi il propose son admission après qu’il aura prêté le serment civique. Cette proposition est adoptée. M. Vernier, rapporteur du comité des finances. L’administration d’Artois était dans l’usage de (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.