SÉANCE DU 3e JOUR DES SANS-CULOTTIDES AN II (VENDREDI 19 SEPTEMBRE 1794) - Nos 7-8 283 son inquiétude sur ce que le modérantisme relève la tête, et sa confiance dans la vigilance de la Convention à déjouer toutes les conspirations. Mention honorable, insertion au bulletin et renvoi au comité de Sûreté générale (11). Les citoyens composant la société populaire de Compiègne, département de l’Oise, déposent aussi dans le sein de la Convention les mêmes sollicitudes ; mais, disent-ils, en terminant, le peuple français n’aura pas combattu en vain. L’œil vigilant de la représentation nationale est ouvert, et la République encore sera sauvée (12). 7 La société populaire d’Autun [département de Saône-et-Loire]a, celle de la Mon-tagne-sur-l’Aisne [ci-devant Sainte-Menehould, département de la Marne]6 et celle de Cherbourg [département de la Manche]c font part à la Convention de la même crainte, que le modérantisme et l’aristocratie ne profitent de la chute des derniers triumvirs pour opérer une réaction funeste aux patriotes, et qui arrête le char révolutionnaire dans sa course : elles demandent l’exécution littérale de la loi du 17 septembre dernier (vieux style). Mention honorable, insertion au bulletin, et renvoi aux comités de Sûreté générale et de Salut public (13). a La société populaire d’Autun, département de Saône-et-Loire observe que depuis la chûte de Robespierre, l’aristocratie s’agite et cherche à opprimer le patriotisme. Il n’entrera jamais dans vos cœurs dit-elle, d’amortir le mouvement révolutionnaire ou de le faire rétrograder, de hasarder le fruit de six années de travaux (14). b La société populaire de Montagne-sur-Aisne écrit que, depuis l’immortelle journée du 10 thermidor, l’incorrigible aristocratie lève une tête insolente, insulte aux patriotes, et les qualifie du nom odieux de robespierristes. «Maintenez, dit-elle, législateurs, le gouvernement révolutionnaire dans toute sa vigueur, jusqu’après l’anéantissement des ennemis de la liberté ; assurez la liberté civile ; qu’un tribunal juste frappe les seuls ennemis du peuple ; maintenez la liberté de la presse, (11) P.-V., XLV, 335-336. (12) Bull., 3e jour s.-c. (suppl.). (13) P.-V., XLV, 336. (14) Bull., 3e jour s.-c. (suppl.); J. Univ., n° 1763. telle qu’elle est mentionnée dans la Déclaration des droits de l’homme ; mais qu’une peine sévère soit réservée pour l’insigne calomniateur; enfin représentants, surveillez les intrigants, et la patrie est sauvée. Mention honorable, et renvoyé au comité de Sûreté générale (15). c La société populaire de Cherbourg, département de la Manche observe à la Convention que le salutaire événement du 10 thermidor et les mesures qui l’ont suivi, semblent être devenus pour les aristocrates l’époque de leur triomphe. Ils trompent les citoyens des campagnes en leur disant que les messes et les processions vont reparoître et qu’on ne portera plus la cocarde tricolore. Elle donne connoissance que des feux sont actuellement la nuit sur les hauteurs qui dominent la mer, et ces signaux, dit-elle, servent sans doute à entretenir une correspondance avec les odieux et perfides anglais (16). 8 Le commissaire de l’organisation et du mouvement des armées de terre [Pille] envoie à la Convention nationale, en date du premier jour sans-culottide, le récit officiel de plusieurs actions héroïques qui ont eu lieu pendant le siège de Valenciennes. Mention honorable, insertion au bulletin, renvoi au comité d’instruction publique et à la commission de santé (17). Le commissaire de l’organisation et du mouvement des armées de terre transmet à la Convention nationale plusieurs notes qui lui ont été adressées par le chef de l’état-major de l’armée de Sambre-et-Meuse. Il rend compte aussi des sentimens qui animent les citoyens de tous les points de la République, et qui prouvent que la presque totalité des Français est sincèrement attachée à la République. Dans les différentes demandes d’extraits mortuaires, on ne remarque que la résignation la plus complète, on peut même dire une sorte de satisfaction d’avoir fait à la patrie des sacrifices aussi précieux. Les termes sont variés, dit-il, mais l’esprit est le même. Les voici : Mon fils n’est plus, dit l’un ; mais pourrois-je regretter celui qui vivra éternellement dans les fastes de la République, et dont la mémoire va demeurer à jamais consacrée ? (15) Moniteur, XXII, 3. Bull., 3e jour s.-c. (suppl.) ; J. Fr., n° 725; M.U., XLIII, 538. (16) Bull., 3e jour s.-c. (suppl.); J. Univ., n° 1763. (17) P.-V., XLV, 336. 284 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Mon fils est mort les armes à la main, dit l’autre. Il a contribué à assurer nos succès. Un père vraiment républicain pourroit-il le regretter? Quel sort plus beau pouvoit être réservé à mon fils, dit celui-ci : Ah ! loin de moi ces regrets qui ne pourroient que flétrir les lauriers qui ornent sa tombe. Si mon fils fût mort pour le service d’un roi toujours ingrat, dit celui-là, j’en serois inconsolable : mais il s’est sacrifié pour la patrie. Ah ! cette réflexion ne me laisse concevoir d’autre regret que celui de ne pouvoir espérer une aussi belle fin. Le même héroïsme existe dans l’âme des citoyennes. L’amour même, cette affection qui l’emporte quelquefois chez elles sur les droits de la nature, le cède à leur attachement, à leur dévouement sublime à la patrie. Celui que le sort des armes m’a enlevé, dit l’une, m’étoit bien cher; mais mon pays me l’est encore plus. Je dois donc m’abstenir de ces regrets, que mon époux lui-même désap-prouveroit, s’il pouvoit en être le témoin. Mon mari a fait son devoir, dit une autre : j’aime encore mieux m’en voir privée, et savoir qu’il est mort digne du beau nom de républicain. Les esclaves m’ont ravi mon époux, dit une troisième : toute fière du sort glorieux qui a terminé ses jours, je ne lui donnerai point de regrets ; mais je le vengerai, autant qu’il dépendra de moi, d’une manière digne de lui. Il me reste deux fils en bas âge ; je leur inspirerai de bonne heure la haine des tyrans, contre lesquels je veux qu’ils dirigent leurs premiers efforts. Vertueuse républicaine, pourrions-nous lui dire avec assurance ; tes projets de vengeance resteront sans effet, mais tes vœux n’en seront pas moins accomplis : avant que tes enfans soient en état de les combattre, les tyrans auront cessé d’exister ; car lorsqu’un peuple comme le peuple français se prononce aussi fortement pour la liberté, il est impossible que les tyrans ne disparoissent pas bientôt de dessus la terre. Voici les actions héroïques qui ont eu lieu pendant le siège de Valenciennes. Cinquième bataillon d’infanterie légère. Le citoyen Duquesne, chasseur dans la huitième compagnie du cinquième bataillon d’infanterie légère, ayant eu la jambe droite mutilé d’un coup de boulet, le 10 fructidor, deuxième année républicaine, sous les murs de Valenciennes, le citoyen Duval, chirurgien-major, vole à son secours, mais lorsqu’il alloit faire l’amputation de sa jambe, Duquesne éloigne ses camarades qui s’empressoient à aider le chirurgien dans son opération ; il les engage à retourner à leur poste ; resté seul avec le chirurgien, Duquesne tient lui-même les bandages avec ce courage qui n’appartient qu’aux enfans de la liberté. L’amputation faite, Duquesne dit avec enthousiasme : « Ce n’est pas ma jambe que je regrette, mais c’est de me trouver en ce moment dans une totale impuissance d’aller avec mes camarades délivrer Valenciennes des esclaves des despotes qui le souillent depuis longtemps.» Je certifie les faits ci-dessus rapportés véritables, le commandant en chef du bataillon (18). Signé, Duval, chirurgien, et Gaillard, chef de bataillon. Le 9 fructidor, deuxième année républicaine, cinq chasseurs du cinquième bataillon d’infanterie légère, nommés Cousin, caporal, Joannot, Vanormalle, Buotte et Desmarets, voyant les esclaves des tyrans sortir de Valenciennes avec une pièce de quatre pour reprendre le poste dont s’étoit emparé la veille le susdit bataillon, au pas de charge et aux cris redoublés de vive la République, volent vers cette horde ennemie avec une telle intrépidité, que les canonniers n’eurent que le temps de sauver leur pièce, dont un cheval fut tué, et furent forcés d’abandonner aux chasseurs leurs pistolets et tous leurs effets. Certifie les faits ci-dessus véritables. Le commandant en chef du bataillon (19). Signé, Gaillard. DUQUESNOY : Je saisis cette occasion pour vous prouver ce que peut la malveillance. On disait ces jours derniers que j’ai désorganisé cette armée ; cela est faux, et la discipline y est telle, que les poules des paysans se promènent dans le camp (20). 9 On lit les procès-verbaux des 21, 24 et 25 fructidor; la rédaction en est adoptée (21). 10 Monnel, rapporteur du comité des Décrets, fait part de l’impossibilité dans laquelle se trouve ce comité d’envoyer un extrait du procès-verbal de la séance du 2 thermidor, demandé par la commune de Rennes, attendu que ce procès-verbal n’a pas encore été déposé. Il annonce également que depuis le premier fructidor jusqu’au 20, il n’en a été déposé aucun (22). Un membre [Monnel] propose, au nom du comité des Décrets, un décret pour l’accélération de la rédaction des procès-verbaux ; il est adopté ainsi qu’il suit : (18) Bull., 3e jour s.-c. ; Débats, n° 730, 562-563 ; J. Univ., n° 1762 ; Gazette Fr., n° 1762 ; Ann. Patr., n° 628 ; F. de la Républ., n° 440. (19) Bull., 3' jour s.-c. ; Débats, n°730, 564; Ann. Patr., n° 628. (20) J. Perlet, n° 727., Mess. Soir, n° 762 ; F. delà Républ., n° 440 ; Gazette Fr., n° 993. (21) P.-V., XLV, 336. J. Perlet, n° 727. (22) Rép., n° 274.