014 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 octobre 1789.] sieurs, si j’ai demandé la parole sur l’ordre du jour, ce n’est pas pour l’interrompre, mais seulement pour vous observer que la question qui vous est soumise a été discutée avec étendue et profondeur pendant six séances tant à Versailles qu’à Paris ; que la France en attend avec impatience la décision, et que cette décision intéresse le plus peut-être ceux qui semblent la craindre. Je ne dirai rien sur le principe de la 'propriété des biens du clergé qui me paraît avoir été suffisamment traité ; mais j’attirerai votre attention sur un autre principe collatéral à celui-là, et sur lequel les préopinants me semblent ne s’être pas assez expliqués. Un grand ministre, dont le nom prononcé hier avec respect a été très-indécemment relevé, M. Turgot, de qui je me ferai toujours gloire d’avoir été le disciple et l’ami, bien convaincu que la nation peut disposer des biens de tous les corps qui n’existent que par sa volonté, M. Turgot, Messieurs, était également convaincu que la jouissance usufruitière appartenait aux titulaires actuels et que le droit public du royaume et surtout la bonne foi la leur assuraient, à la déduction seulement des charges tant publiques que particulières dont ces sortes de biens peuvent être tenus. Un Etat de qui la France aurait dû plutôt être le modèle que l’imitatrice, la Pologne, qui vient cette année même de prononcer un décret semblable à celui qu’on vous propose, a conservé les droits des titulaires actuels. Je n’examine point le plan des finances proposé par M. de Talleyrand, évêque d’Autun; lorsqu’il sera soumis à la discussion, j’aurai mon avis, et peut-être penserai-je que la vente des biens ecclésiastiques ne doit être faite qu’à mesure des extinctions, et qu’en économie politique comme en finance, cette opération faite successivement sera préférable à une vente totale et simultanée des biens du domaine et des biens ecclésiastiques ; mais aujourd’hui je dois me borner à vous proposer de décréter le principe de la propriété des biens du clergé , et à solliciter votre sagesse et surtout votre justice pour le principe du droit des titulaires actuels . J’ai donc l’honneur de vous proposer la motion suivante : Que l’Assemblée nationale statuera aujourd’hui sans désemparer sur l’objet de la discussion actuelle. Et j’adopte la motion telle qu’elle vous a été présentée par M. Thouret, en vous proposant d’y ajouter : 1° Que le traitement des curés, outre le logement et le jardin, sera au moins de 1,200 livres évaluées en grains sur le prix moyen depuis 10 ans; 2° Que le taux numérique de ce traitement augmentera par la suite à proportion de l’augmentation du prix des grains ; 3° Qu’à l’égard des évêques et autres bénéficiers, si la vente des biens ecclésiastiques était ordonnée avant l’extinction des titulaires actuels, il sera fixé à ces titulaires un traitement honorable et proportionné, tant à l’importance de leurs fonctions qu’à la valeur de leurs bénéfices ; 4° Que tous les ordres religieux seront incessamment supprimés ; 5° Que les religieux et religieuses recevront une pension convenable et proportionnée aux facultés de l’ordre et qu’il sera assigné des maisons où ceux et celles qui voudront continuer à vivre en commun pourront se réunir; 6° Qu’aussitôt ce décret rendu, l’Assemblée ordonnera que les scellés soient apposés sur tous les chartriers ecclésiastiques. M. de Béthisy de Mézières, évêque d’Uzès, rejette cette proposition, en observant que l’Assemblée ne peut pas savoir si dans la suite on ne présentera pas la question sous de nouveaux points de vue qui pourraient rendre nécessaire une plus longue discussion. MM. de Lameth et Mougtns de Roquefort s’opposent à cette opinion. M. le marquis de Criilon. Sur l’observation faite par un des secrétaires, que cinquante personnes ont demandé la parole, je pense qu’il serait convenable d’autoriser le clergé à choisir des défenseurs auxquels un nombre égal de membres répondraient. M. l’abbé d’Eymard rejette cette motion, parce que la question que l’on discute n’intéresse pas seulement le clergé, mais toute la nation. On demande la division de la motion de M. le duc de La Rochefoucauld. M. le Président consulte l’Assemblée sur la première proposition seulement tendant à rendre un décret, dans la séance de ce jour, sur la question des biens ecclésiastiques. L’Assemblée décide que le décret sur la propriété des biens ecclésiastiques sera rendu aujourd’hui. ' . La discussion est ouverte sur les diverses motions précédemment faites sur cette question. M. Jallet, curé de Chérignè (1) . Je ne conçois pas qu’une propriété puisse appartenir à un corps, encore moins au grand corps de la nation. Le souverain ne peut posséder des biens, mais il peut présider à leur usage et en régler la destination. Ce n’est donc pas comme propriétaire, c’est comme souverain que la nation disposera des biens du clergé. Leur emploi est un objet très-urgent, car les décimateurs chargés des portions congrues ont déclaré qu’au premier de janvier prochain ils n’en payeraient plus aucune; il faut donc prendre des précautions pour cette époque. Je propose de décréter les articles suivants : Art. 1er. La nation, à raison du droit de souveraineté, peut et doit faire l’application des biens ecclésiastiques de la manière la plus avantageuse à la société. Art. 2. La dépense nécessaire pour l’entretien décent du culte public, et pour la dotation honnête des ministres, est une dette nationale privilégiée dont l’Assemblée assurera l’acquittement pour le 1er janvier prochain. Art. 3. La nation, en qualité de souverain, peut et doit supprimer tous les établissements religieux inutiles; ainsi l’Assemblée ordonnera provisoirement : 1° Qu’il ne sera point nommé aux bénéfices simples qui vaqueront par la suite, et que ces sortes de bénéfices seront supprimées à la première vacance; 2° Que le Roi sera supplié de ne plus nommer aux abbayes et aux prieurés en commende, et de différer la nomination aux églises cathédrales, (1) La motion de M. Jallet n’est pas exactement reproduite au Moniteur.