�Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 avril 1791.] 516 a été fait par son comité de l’aliénation des domaines nationaux, des soumissions laites suivant les formes prescrites, déclare vendre les biens nationaux dont l’état est annexé aux procès-verbaux respectifs des évaluations ou estimations desdits biens, aux charges, clauses et conditions portées par le décret du 14 mai 1790, et pour les sommes ci -après, payables de la manière déterminée par le même décret, savoir : A la municipalité de Doulens, département de la Somme .......... 412,594 1. 5 s. 1 d. A celle de Montdidier, même département. 1,164,492 15 6 A celle de Frévent, même département. 557,691 15 8 « Le tout ainsi qu’il est plus au long détaillé dans les décrets de vente et états d’estimation respectifs, annexés à la minute du procès-verbal de ce jour. » (Ce décret est adopté.) L’ordre du jour est un rap-port sur les troubles qui ont eu lieu dans la ville de Toulouse les 16, 17, et 18 du mois de mars. M. "Victor de Broglie, au nom du comité des rapports. Messieurs, je suis chargé par votre comité des rapports, de vous rendre compte des troubles qui ont eu lieu, dans la ville de Toulouse, les 16, 17 et 18 du mois dernier. Ils sont funestes et déplorables, sans doute; ils affligeront les fondateurs et les protecteurs des lois, par le spectacle du désordre et de l’incivisme; ils affecteront douloureusement des législateurs sensibles, qui vont apprendre encore que le sang des citoyens français a coulé. Mais un exposé que je dois vous faire, vous offrira, Messieurs, des motifs puissants de consolation, dans la conduite parfaite des corps administratifs, dans le zèle actif et courageux des gardes nationales, dans l’accord et la subordination continuelle qui ont régné entre les différentes parties de la force publique et dans le vertueux dévouement de quelques citoyens, qui ont sacrifié, au respect pour la loi, le désir d’une .vengeance que sollicitait la voix du sang et de la nature. Le nombre et l’étendue des pièces ne me permettent pas de vous en donner une lecture entière; j’en extrairai le détail des faits ; je citerai seulement les expressions mêmes des procès-verbaux, lorsqu’elles diront avec énergie et précision ce que je ne pourrais dire autrement sans l’affaiblir. Je dois d’abord vous donner connaissance de quelques circonstances antérieures, qui ont préparé et occasionné ces malheureux événements. Dès la formation des gardes nationales, les habitants de Toulouse se divisèrent en 14 sections, dont chacune forma un corps ou légion; les citoyens ci-devant employés au palais et, par conséquent, les plus maltraités par la Révolution, composèrent la légion appelée la seconde de Saint-Barthélemy et se donnèrent pour colonel M. d’Aspe, ci-devant président à mortier. Les principes de cette légion parurent très équivoques dès l’origine; et ses démarches suspectes, ses opinions presque toujours opposées à celles des autres légions et ses liaisons antipatriotes n’ont que trop justifié dans la suite, et surtout dans ces derniers temps, les craintes qu’elle avait inspirées d’abord aux véritables amis de la Constitution. De là vint un défaut d’intelligence, et bientôt une inimitié ouverte entre la seconde légion de Saint-Barthélemy et les autres légions; de là même s’en étaient déjà suivies quelques provocations et quelques voies de fait particulières, lorsque, le 16 mars, des légionnaires de cette seconde légion, parlant au nom du sieur d’Aspe, leur colonel, annoncèrent à la municipalité qu’il devait se former dans la nuit un rassemblement de malintentionnés, dans un lieu qu’ils désignèrent pour se porter de là dans le quartier de Nazareth, et fondre sur les habitauts, après avoir dispersé ou saccagé le corps de garde. D’après cet avis, les officiers municipaux se rendirent à 11 heures du soir, à la maison commune, où l’un desdits légionnaires leur confirme les mêmes bruits, toujours au nom du colonel. Ils se portent au lieu désigné, où ils trouvent tout dans le plus grand calme. Ils s’arrêtent à un corps de garde de cette même légion; là on leur répète encore les mêmes rapports; on leur assure qu’on a vu des gens attroupés et entendu leurs propos dans une auberge voisine. Ils y vont; ils y font une visite exacte; ils n’y trouvent personne; et l’aubergiste leur assure que, depuis 8 heures du soir, elle n’a eu personne chez elle et qu’il ne s’y est rien passé qui ait rapport au complot prétendu. Les officiers municipaux retournent au corps de garde, pour le rassurer sur des craintes imaginaires; ils se retirent enfin, laissant la ville dans la tranquillité la plus profonde. Le lendemain 17, les sieurs d’Aspe et Roucoule, l’un colonel, l’autre légionnaire de la seconde légion de Saint-Barthélemy, vinrent à la municipalité réclamer un jugement relatif à des discussions et à des rixes élevées entre ladite légion et celle de Saint-Nicolas. Il leur fut répondu que les mesures extraordinaires, prises la nuit précédente par plusieurs officiers municipaux pour la sûreté et la tranquillité de leur légion même et, à leur propre réquisition, n’avaient pas permis de s’assembler en nombre suffisant pour prononcer ou prendre un tempérament sur ces objets. Le sieur d’Aspe répliqua, qu'il fallait que cette affaire fût absolument décidée, ou qu'on autorisât sa légion à tirer sur ses ennemis; qu’ alors elle n’avait pas besoin de jugement, parce qu'elle saurait se faire justice elle-même. Mais les représentations qu’on lui fit sur l’imprudence de ce propos, le forcèrent à le reconnaître, et il la rejeta sur l’impatience de sa légion qu’il prétendit être journellement insultée, menacée et maltraitée par certains individus, qu’il appelait la bande noire. Lorsqu’on lui eut promis d’avoir égard, le plus promptement possible, à sa requête, il se retira, satisfait en apparence, avec le sieur Roucoule. A peine étaient-ils sortis de la maison commune, qu’il vint à la connaissance du conseil municipal qu’on disait, dans la ville, que la nuit précédente on avait maltraité, d’autres disaient même tué le sieur Lavigne; qu’il y avait de3 mouvements à Saint-Gyprien, d’où l’on voulait se porter vers la seconde légion de Saint-Barthélemy, pour tirer raison de ces prétendus excès. La municipalité se disposait à envoyer à Saint-Gyprien pour y maintenir la paix ; lorsque le sieur Sabatier fils, colonel de cette légion, pria la municipalité de le charger d’y pacifier les esprits; ce qui lui fut accordé. Il y trouva en effet quelques mouvements et un rassemblement extraordinaire qu’il était parvenu à dissiper lorsqu’on apprit que deux citoyens du faubourg de Guil-herme avaient été attaqués par des légionnaires, 517 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 avril 1791.] qu’on prétendait être de la seconde légion de Saint-Barthélemy. On apprend en même temps qu’il s’est engagé un combat entre les légionnaires, dans un lieu nommé le Coin du soleil; que le sieur Peloux y a été arrêté par un gros de légionnaires armés, qu’il a reconnu être de ladite légion, qui lui ont crié : Qui va là? et que ayant répondu : ■patrouille , on lui a tiré néanmoins un coup de fusil à grenaille, dont il a été atteint à la levre inférieure et à son chapeau, qui en est percé en deux endroits; que le sieur Peloux, à son corps défendant, avait tiré sur les attroupés, puis avait battu en retraite et qu’on tirait sur lui, tant de la rue que par les fenêtres. Plusieurs particuliers accoururent alors à la maison commune pour informer la municipalité qu’on se battait dans divers quartiers de la ville, du côté du Salin, et aux entours et avenues de ce quartier, qu’il y avait déjà des blessés et même des morts. Le corps municipal, en l’absence du général de la garde nationale, requit aussitôt le major général d’y faire des patrouilles. Un officier municipal sortit de la maison commune vers les dix heures du. soir, avec un détachement de la garde nationale, pour se rendre au lieu désigné; ils y trouvèrent tout tranquille, la porte du corps de garde de la légion de Saint-Barthélemy fermée, personne dans les rues ni sur les places, seulement quelques citoyens aux fenêtres, qu’on invita à les tenir fermées, ce qu’ils firent. On vient alors leur annoncer qu’un homme est étendu mort près de là. Ils se transportent au lieu qu’on leur indique et y trouvent en effet un cadavre au milieu de la rue. On fait appeler un greffier et tous les officiers de police nécessaires pour la levée du corps. Plusieurs légionnaires du détachement le reconnaissent pour un de leurs camarades. Ils s’écrient qu’il a été lâchement et cruellement assassiné ; ils se plaignent qu’on les empêche d’en tirer vengeance. Trois coups de fusils partent du milieu du détachement composé d’environ 200 hommes, on présume qu’ils sont tirés en l’air ; mais comme le spectacle de ce cadavre échauffait de plus en plus les esprits, on prend le parti de le faire transporter à la maison commune. Visite faite du corps dans les formes requises; le rapport des médecins et chirurgiens constate que les blessures qui saignaient encore, sont au nombre de 13, dont 4 faites par des armes à feu chargées à balle, et les 9 autres produites par une décharge de gros plomb. Il n’est pas inutile de remarquer qu’on a trouvé dans la poche du mort une chanson manuscrite sur la suite de la légion de M. d’Aspe. Cependant deux autres citoyens blessés avaient été transportés, l’un le sieur Lavigne, chez son frère, l’autre le sieur Taverne, à l’hôpital. Ce dernier n’était blessé qu’à une jambe, mais le premier l’était mortellement et déclarait, au lit de mort, que, passant sur la place de la Perche-pinte, armé d’un sabre qu’il ne tira pas du fourreau, il s’était senti atteint de coups de fusils, que des hommes attroupés et arrêtés sur ladite place, lui avaient tirés par derrière ; cette déposition fut confirmée par celle du sieur Taverne, qui ajouta que, ayant passé ladite place de Perche-pinte, avec le sieur Lavigne, armé d’un sabre, et le fils de Jean-François, qui n’avait qu’un bâton, il avait aperçu un groupe de légionnaires qu’il avait reconnus être de la légion d’Aspe, qu’ils passèrent sans que personne leur dît rien ; mais qu’au moment où ils arrivaient auprès de la rue d’Aussargue, ils reçurent plusieurs coups de fusils, dont il fut blessé à la jambe ; le fils de Jean-François tué auprès de lui, et Lavigne blessé de manière à tomber baigné dans son sang. D’un autre côté le sieur Peloux, de retour à la maison commune, rapportait de quelle manière et dans quelles rues il avait été attaqué et blessé, lui et plusieurs citoyens, dont il était accompagné; les coups de fusils étaient partis tant du dehors que des fenêtres et des boutiques ; il ajoutait que, fuyant devant ses assassins en chargeant son fusil et parvenu à la rue d’Aussargue, il avait rencontré le fils du nommé Jean-François, qui s’était accroché à lui, en lui disant : Je ne te quitte pas, et que dans l’instant où il disait ces mots, un coup de fusil venant du côté de la place Mage et qu’il croit avoir été tiré par une fenêtre, avait étendu le fils de Jean-François. Sans doute ce malheureux, après sa première blessure, s’était relevé, et avait cru se sauver en s’accrochant au sieur Peloux ; mais deux fois assassiné, il était tombé mort, et c’est son cadavre que l’officier municipal et un détachement de la garde nationale avaient trouvé, et fait transporter à la maison commune. On conçoit, après de pareilles scènes, quelle effervescence devait régner dans les esprits. Dans la matinée du 18, un légionnaire de la seconde légion de Saint-Barthélemy, antérieurement détenu dans les prisons de la conciergerie, pour des troubles causés au spectacle, en fut arraché par des légionnaires furieux, qui annonçaient leur projet de vengeance, en criant : Pendu! pendu! Les officiers municipaux accoururent, le délivrèrent et le réintégrèrent dans les prisons. La fureur des légionnaires, calmée un instant par les représentations de ces courageux magistrats, fermenta bientôt avec plus de force. Ils avaient vu Je cadavre, ensanglanté du fils de Jean-François; ils avaient entendu son malheureux père dire avec une douleur concentrée : Je ne pleure pas, je ■pleurerai mon fils quand je l'aurai vengé. Malgré les défenses expresses du major général de sortir des corps de garde sans ordre exprès de sa part, une foule innombrable de légionnaires de toutes les légions accourt à la maison commune, en remplit les cours, les salles, les avenues. Tous crient à haute voix : Des armes, des cartouches, du canon ! Au quartier de Saint-Barthélemy. Allons, nous n'en feroyis qu'un jardin. Les officiers municipaux tâchent en vain de les ramener; par des moyens de conciliation et de douceur, au respect pour l’autorité de la loi. Les représentations, les exhortations sont inutiles : Des armes, des cartouches ; si vous ne nous en donnez pas, nous allons en prendre ! Nous ne vous donnons qu'une minute ! Nous savons où elles sont ! C’étaient là toutes leurs réponses. Au milieu de ce tumulte épouvantable, les officiers municipaux ne perdent ni le courage, ni le sang-froid plus difficile encore à garder dans ces occasions, ni l’espoir de ramener le calme. Ils se dispersent dans l’intérieur de la maison commune, s’attachent aux plus raisonnables, distribuent à ceux qu’ils connaissent pour les meilleurs citoyens, quelques fusils par intervalle, et parviennent à gagner du temps; mais les esprits ne paraissént s’apaiser un instant, que pour prendre une résolution embarrassante. Ils veulent que la seconde légion de Saint-Barthélemy remette ses armes et son drapeau; que l’on fasse la visite dans tous les lieux suspects où l’on prétend qu’il y a des armes, et qu’on ar- 518 lAsscmblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 avril 1791.) rêto les assassins de Lavigne et de Raimond, fils de Jean-François. On leur représente que le département ayant ordonné par une proclamation, que la légion remît ses armes : un officier municipal était allé au corps de garde pour les retirer, et qu’il ôtait prêt à revenir; qu’à l’égard du drapeau, il fallait attendre que les corps administratifs eussent prononcé : que pour la visite des armes, et la recherche des coupables, le corps municipal allait la faire lui-même : qu’un détachement de 30 hommes suffirait pour J’accompagner : on ne put rien obtenir, et l’on fut enfin obligé de leur donner des cartouches, qu’ils demandaient à grands cris. Ici, Messieurs, pour que vous puissiez juger la conduite de la municipalité, je vous rapporterai les expressions de son procès-verbal et je la laisserai parler elle-même. « Nous nous recueillîmes alors dans une des salles de la maison commune et délibérâmes que, ne pouvant empêcher ces légionnaires de nous accompagner dans les lieux où nous allions faire des recherches, espérant qu’ils seraient contenus par l’aspect du drapeau rouge, il convenait d’ordonner que toute la troupe assemblée nous escorterait; que le drapeau rouge serait porté en lesse, environné de six d’entre nous, porté par nos sergents de garde, précédé et suivi d’un détachement nombreux de légionnaires choisis par le major général, comme les plus fidèles à la voix de la loi; mais qu’avant de partir l’un de nous haranguerait les détachements; qu’à cet effet ils seraient rangés en bataille dans la grande cour; qu’on exigerait expressément, sous peine de la publication de la loi martiale et des peines prononcées par les décrets, qu'aucune voie de fait ne serait exercée contre qui que ce fût, quand même il serait présumé coupable et auteur des scènes sanglantes qui venaient de se passer. L’un de nous monta en conséquence sur la borne placée dans la cour de la maison commune, environné des sieurs Lavigne, frères de l’un des assassinés; et là, ayant obtenu un moment de silence, la dernière résolution du corps municipal fut annoncée; chacun parut y applaudir et tous promirent de s’y soumettre. Notre confrère profita de cet instant pour inviter tous les légionnaires à renouveler leur serment civique; ce qui fui adopté. « À l’instant s’avancèrent tous nos collègues avec le drapeau rouge ployé; ils sortirent de la maison commune, précédés et suivis comme nous l’avons dit, sans tambours ni autres instruments, traversant la grande rue, depuis la place Royale jusqu’au Salin, où était placé le corps de garde de la ci-devant seconde légion de Saint-Barthélemy, le corps de garde ôtait fermé; on nous assura que le sieur Bahard, l’un de nous, venait d’emporter tous les fusils qui y étaient. Nous entrâmes dans l’hôtel de la ci-devant trésorerie, qui est en face dudit corps de garde; nous en parcourûmes les appartements sans y rien trouver ; nous continuâmes notre route droit à la place de la Perchepinte. « Arrivés devant la porte du sieur d’Aspe, colonel de la ci-devant dite légion, où l’on nous avait dénoncé un amas d’armes considérable; nous trouvâmes la porte fermée. Ayant fait heurter par un valet de ville, le portier nous ouvre sans résistance; le valet de chambre se présente pour nous dire que sou maître était absent; qu’il ne s’opposait pas à ce que nous lissions toutes les recherches que nous trouverions à propos ; qu’il nous priait en grâce de ne pas laisser entrer beaucoup de monde, attendu qu’il avait des choses précieuses desquelles il était chargé et qu’il serait perdu si quelque chose arrivait; que d’ailleurs il offrait de nous conduire partout. Les légionnaires et le peuple en fureur demandèrent avec des cris de rage les armes et le drapeau ; nous entendîmes même partir quelques coups de fusil, sans qu’il soit, venu à notre connaissance que personne en ait été blessé. La recherche des armes fut exactement faite; on ne trouva chez le sieur d’Aspe qu’un fusil à deux coups que l’on emporia. On reçut des mains du valet de chambre le drapeau, qui fut d’abord mis en lesse avec le drapeau rouge; mais les légionnaires demandèrent à hauts cris qu’il fût mis sur i’affùt d’un canon, ce qui fut fait. » Les officiers municipaux sont ensuite conduits en différents lieux, où l’on prétend qu’il y a des armes et des légionnaires coupables; mais les recherches sont inutiles. Ils trouvent enfin, dans une des maisons indiquées, deux jeunes gens nommés La Ramée et Drueil , que l’onceriitie être deux des assassins. Gomme leur vue excite des murmures parmi la multitude, ils les mettent sous la sauvegarde delà loi, et leur faisant, disent-ils, une cuirasse de nos propres corps, nous les accompagnâmes au, milieu de notre premier détachement, que nous fîmes marcher vers la maison commune. Les murmures et la foule augmentant, un second détachement fut commandé, renforcé par des dragons à cheval, avec ordre de suivre le premier à quelque distance et de prévenir tout attentat, sous peine, contre les chefs, de la responsabilité prononcée par les lois; et ces ordres furent exactement remplis. CeLeconduite, que jene craindrai pas, Messieurs, de présenter comme un modèle à tous les corps municipaux dans des circonstances pareilles, est encore n levée par le soin que ces officiers prennent de remarquer et de dénoncer, pour ainsi dire, à l’admiration publique, l’action vertueuse de trois citoyens qui surent commander à leur douleur, à leur vengeance, pour n’écouter que la voix du devoir. « Nous devons à ce propos (dit le procès-verbal) rendre compte des sentiments qui furent manifestés par les sieurs Lavigne, frères de l’un des deux meurtris, et le sieur Jean-François, père du second, qui se trouvaient dans le détachement. Ges trois infortunés, qui, en se livrant aux premières impulsions du désespoir, auraient pu se faire justice eux-mêmes, sur-le-champ, des sieurs Drueil et la Ramée, sans s’arrêter au danger d’errer sur le choix des coupables et à l’horreur d’une vengeance de cette nature, contribuèrent à l’arrestation et ne perdirent jamais de vue qu’ils prêtaient main-forte à la loi. Rendus à la maison commune avec le détachement qui fit la conduite des sieurs Drueil et la Ramée, ils furent des premiers à déclarer qu’ils livraient les deux prisonniers au zèle de l’accusateur public, à la justice des magistrats et à la sévérité des lois, s’ils étaient coupables. » Mais ce beau mouvement civique n’était point partagé parla multitude et des cris de mort s’élevaient de toutes parts. Alors le major général, s’étant concerté avec la municipalité pour dissoudre la foule et prévenir de nouveaux malheurs, conduit toute la troupe sur la place Royale et parvient à l’y ranger en bataille. L' s officiers municipaux commençaient à témoigner aux soldats citoyens, au nom de la nation, de la loi et du roi, combien ils avaient mérité de !2 avril 1791 .J 519 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. la patrie, en gardant toute la modération possible dans une expédition que de justes ressentiments auraient pu rendre sanglante, lorsque les cris redoublés d’un peuple innombrable qui les avait suivis, demandèrent avec fureur qu’on leur livrât les deux prisonniers, pour être exécutés tout de suite et qu’on brûlât le drapeau de la seconde légion de Saint-Barthélemy, qui avait été placé sur un affût de canon. La municipalité fut obligée de faire fermer les portes extérieures de l’hôtel de ville, et de faire braquer quatre pièces de canon pour en défendre l’entrée. Le tumulte s’accrut au point que les officiers municipaux se virent dans l’alternative ou de composer avec le peuple, ou de proclamer la loi martiale, parti qu’ils ne voulaient prendre qu a la dernière extrémité. C’est encore eux que vous allez entendre et qu’il ne peut qu’être utile de faire parler leur propre langage. « Dans cette situation nous nous présentâmes au peuple, accompagnés du procureur syndic du district, et du père Sermet, prédicateur, ainsi que des sieurs Lavigae et Jean-François, frères et père des meurtris, qui coururent de rang en rang pour apaiser le peuple et lui déclarer qu’en étouffant les cris de la nature, ils avaient eux-mêmes livré les deux prisonniers à la vengeance des lois. « Tout ce que nous pûmes obtenir dans ce moment difficile, fut que le peuple, en cessant de demander qu’on livrât les sieurs Dreuil et la Ramée, se rabattit à demander qu’on livrât le drapeau de la seconde légion de Saint-Barthélemy, pour être brûlé par l’exécuteur de la haute justice. « Publier la loi martiale pour éviter ce désagrément à une légion qui avait été suspendue par la proclamation des trois corps administratifs, et que les bons citoyens n’avaient cessé de regarder, non comme une véritable légion, mais comme un parti formé dès le principe contre la Constitution, eût été de notre part une contravention aux principes établis par le Corps législatif, qui, dans son instruction aux assemblées administratives, les avertit que cette loi est un remède extrême, que la patrie n’emploie qu’à regret contre ses enfants, même coupables, et qu’il faut, pour en autoriser la publication, que le péril de la tranquillité publique soit très grave et très urgent. « Trouver des coupables dans un peuple qui réclame le brûlement d’un drapeau pour servir de première expiation aux assassinats commis contre ses frères, contre des citoyens, contre des amis de la Constitution, nous parut une chose impossible à concevoir; il fallut céder, le drapeau fut livré, il fut déchiré avec les dents, il fut brûlé sur la place, et la tranquillité rétablie à ce prix. « Profitant de ce moment où le calme semblait un peu rétabli, le major général, dont nous ne pouvons assez exalter la prudence et la fermeté, ordonna la retraite des légions ; ce qui fut exécuté avec un ordre auquel on ne devait pas s’attendre ». Le général des troupes nationales arriva dans ce moment d 'Auterive, où il avait été apaiser d’autres troubles. Les corps administratifs, assemblés dans la maison commune pour veiller â la sûreté publique, et principalement à la garde du quartier de Saint-Barthélemy, requirent le général d’y envoyer des patrouilles nombreuses et d’une fidélité connue; ce qu’il exécuta avec beaucoup de prudence et de zèle. Parmi les moyens que les corps administratifs, assemblés pendant une partie de la nuit, crurent devoir employer pour rétablir entièrement la tranquillité publique, ils reconnurent qu’ils devaient commencer par la suppression et l’extinction de la légion d’Aspe, source toujours renaissante de ces désordres ; et ce qui servit encore à les confirmer dans cette opinion, c’est qu’ils apprirent qu’on venait de décharger les fusils retirés du corps de garde de la légion ; que, dans les uns, on avait trouvé des balles percées à l’usage des filets, avec des lingots de plomb mâché; et dans d’autres, des balles mâchées avec les dents ; balles meurtrières et perfides, qu’ils firent déposer au greffe, où elles sont 'conservées comme une preuve ostensible d’un raffinement de scélératesse et de cruauté. En conséquence, le lendemain 19, le directoire de la Haute-Garonne publia la proclamation suivante : Proclamation du 18 mars 1791. Les corps administratifs et la municipalité, extraordinairement assemblés dans la maison commune, sur les bruits des désordres auxquels la ville se trouve en proie, instruits par les divers rapports qui leur ont été faits de3 dangers que courent les bons citoyens par les manœuvres des malintentionnés; convaincus que les insultes qui ont été faites et les meurtres qu’elles ont entraînés ont pour cause les dissensions anciennes, dont les effets ne manqueraient pas de se manifester de nouveau si les germes de ces dissensions n’étaient entièrement extirpés; Pénétrés de la nécessité de rendre aux bons citoyens la tranquillité et la sûreté que les corps administratifs leur doivent ; Ont arrêté ce qui suit ; 1° La seconde légion de Saint-Barthélemy sera et demeurera provisoirement suspendue de tout service, à l’effet de quoi elle remettra, sans délai, les 52 fusils qui lui ont été confiés par la municipalité. Défenses sont faites aux membres qui la composent de s’assembler, armés ou non armés, sous peine d’être poursuivis suivant la rigueur des lois ; 2° Défenses sont faites à tous les citoyens de porter des armes dans l’intérieur de la ville, à moins qu’ils ne soient en activité de service ; il leur est défendu alors de former aucun attroupement; 3° Tout citoyen actuellement employé pour le service qui lui sera commandé, obéira strictement aux ordres qui lui seront donnés, sans que, sous aucun prétexte, il puisse quitter le poste qui lui sera assigné, à moins qu’il n’en eût reçu l’ordre formel du commandant de la garde nationale ; 4° Le commandant de la garde nationale est requis de prendre toutes les précautions nécessaires pour assurer la tranquillité publique et de veiller à ce que, par les gardes nationales, il soit observé une exacte discipline ; 5° Et sera la présente proclamation publiée et affichée aux endroits accoutumés de la présente ville, et partout où besoin sera. Délibéré les an et jour susdits. Collationné : Micheldieulafoi, secrétaire-greffier. 520 [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [S? avril 1791. J Proclamation du directoire du département de la Haute-Garonne, du district et de la municipalité, du 19 mars 1791. Les corps administratifs et la municipalité de Toulouse, extraordinairement assemblés dans la maison commune, considérant que, si le premier effet de leur proclamation du jour d’hier, a été de rétablir le calme dans la cité, il est de leur devoir d’employer tous les moyens possibles pour le rendre durable; que pour remplir efficacement cet objet, il faut tarir la source des dissensions qui l’en avaient banni; et enfin que l'intérêt de la sûreté publique, lorsqu’elle est compromise, est la loi suprême qui doit diriger leurs résolutions, ont arrêté : 1° Que la seconde légion de Saint-Barthélemy demeure éteinte et supprimée, faisant défenses à tous et chacun des membres qui la composaient de ne plus s’assembler en corps, faire aucun service militaire et porter l’habit ni le bouton d’uniforme, ainsi qu’aucune des marques distinctives de cette légion, sous peine d’être arrêtés sur-le-champ comme séditieux et perturbateurs du repos public et d’être poursuivis et punis suivant la rigueur des lois ; 2° L’opinion qui a dominé jusqu’ici dans cette légion n’étant pas celle de tous les membres dont elle était composée, ceux qui sont attachés aux principes de la Constitution sont invités à se présenter au greffe de la municipalité, pour inscrire leurs noms, leurs qualités et leurs demeures dans un registre qui sera ouvert à cet effet, avec soumission de s’incorporer dans telles autres légions de la ville qui les agréeront, d’accord avec les officiers municipaux et le commandant général de la garde nationale ; 3° Il est fait de plus fort défenses aux citoyens employés dans ladite garde nationale, de passer d’une légion à l’autre, sauf le cas du changement non affecté de domicile, avec réquisition au commandant général de prendre toutes les précautions nécessaires, tant pour la tranquillité publique que pour l’exécution de notre proclamation du jour d’hier, en tout ce qui n’est pas contraire à la présente, qui sera imprimée, publiée et affichée partout où besoin sera. Délibéré les jour et an que dessus. Collationné ; Ricard, secrétaire général. Tel est, Messieurs, l’exposé fidèle de ces journées tumultueuses qui pouvaient devenir plus désastreuses et plus sanglantes encore, si le courage, la constance et la prudence des corps administratifs, des officiers municipaux et des gardes nationales-, si même l’esprit général de cette ville et le respect que, dans ses plus grands emportements, le peuple y conserve pour l’autorité de la loi n’avaient prévenu les plus grands malheurs. Voici le projet de décret que votre comité a l’honneur de vous soumettre : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports et la lecture des procès-verbaux et autres pièces relatives aux troubles qui ont eu lieu dans la ville de Toulouse les 16, 17 et 18 du mois dernier, approuve les dispositions contenues dans les proclamations des corps administratifs du département de la Haute-Garonne et de la municipalité de Toulouse, en date des 18 et 19 mars; en conséquence, elle décrète ce qui suit : Art. 1er. « La seconde légion, dite de Saint-Barthélemy, commandée par le 6ieur d’Aspe, est et demeure supprimée. Art. 2. « Ceux des légionnaires supprimés qui désireront rentrer dans la garde nationale de Toulouse, seront tenus de se faire inscrire à la municipalité, qui se concertera avec le commandant général, pour procéder à leur incorporation et répartition dans les autres légions. Art. 3. « Le roi est prié de donner des ordres pour que, à la diligence de l’accusateur public, les procédures et informations commencées contre les auteurs, fauteurs et instigateurs des crimes et désordres qui ont eu lieu à Toulouse les 16, 17 et 18 du mois dernier soient suivies jusqu’à jugement définitif; le ministre de la justice informera, de huitaine en huitaine, l’Assemblée nationale des progrès de la procédure. Art. 4. « L’Assemblée nationale déclare qu’elle est satisfaite de la parfaite intelligence qui a régné entre les différentes parties de l’administration et de la force publique; du zèle, de la prudence et du courage qu’ont manifestés, dans cette occasion, tant les membres du directoire du département, que ceux du directoire du district de Toulouse, les officiers municipaux, le major général et la garde nationale, dont les efforts concertés ont procuré la cessation des troubles et le retour de la paix parmi les citoyens. Art. 5. « L’Assemblée accorde une approbation spéciale aux grands exemples de courage, de respect et de dévouement pour la loi, qu’ont donnés le sieur Sermet, prédicateur, et les sieurs Lavigne, et Jean-François, frères et père des citoyens assassinés. » M. Roussillon. Je ne crois pas suffisantes les dispositions prises dans le décret vis-à-vis le directoire du département, du district et des officiers municipaux. J’observe qu’il serait très digne de l’Assemblée qu’elle chargeât son Président de leur écrire une lettre expresse. M. de Cazalès. 11 me semble que les dispositions d’approbation que le comité propose, sont déjà bien suffisantes sur un fait qui n’est pas connu d’une manière très claire. M. Roussillon. Je demande l’impression du rapport qui vient de vous être lu. Il est important que tous les corps administratifs connaissent combien il est utile qu’ils se réunissent pour la tranquillité publique; ils ne peuvent le savoir que par l’impression. M. Robespierre. J’appuie la motion. (L’Assemblée nationale décrète l’impression du rapport et adopte le projet de décret du comité.) M. Gand, membre de la ci-devant assemblée générale de Saint-Domingue, demande la permission de retourner dans cette colonie, pour y rétablir sa santé. (Cette demande est accordée.)