87 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [9 juillet 1791.] position, par addition au rôle de 1791 ; sauf à prendre, dans le cas d’une invasion sur le territoire de France, des mesures ultérieures, et telles que les circonstances pourront l’exiger; renvoie aux commissaires pour la rédaction du décret et présenter les moyens d’exécution. » M. le Président annonce qu’il n’y aura pas de séance ce soir. La séance est levée à quatre heures. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU SAMEDI 9 JUILLET 1791. Opinion de M. de Custinc, député à l'Assemblée nationale , représentant du département de la Meurthe, sur la loi présentée pur le comité de Constitution contre les émigrants (1). Messieurs, quelque imposant qu’il soit pour un simple mortel d’entrer en lice pour combattre l’opinion du comité de Constitution, forte de celle de M. de Mirabeau, l’aîné (2), mon attachement à la Justice, mon amour pour la tranquillité publique m’ont décidé à réfléchir sur la proposition faite par la municipalité de Paris, et ces réflexions nflont conduit à penser que l’on pouvait faire une loi et non des règlements (3), pour astreindre à des devoirs particuliers tout citoyen qui s’absenterait volontairement ou forcément du royaume dans des instants de crise, sans blesser les droits sacrés de la liberté individuelle; sans restreindre, même arbitrairement et sans justice la faculté que doit ambitionner tout citoyen, tout négociant surtout, de sortir du royaume pour ses intérêts et sans lui faire subir ces inquisitions si funestes à la liberté, et qui ne pourraient imprimer sur elle qu’un sentiment d’horreur. Il faut savoir allier le respect dû à cette liberté, propriété la plus chère à l’homme, à laquelle nous avons fait de si grands sacrifices, avec ce que tout citoyen doit à la chose publique. Dans les temps de calme, sans doute, il est de principe incontestable que tout homme qui fait -partie d’une société est acquitté envers elle lorsqu’il a payé la contribution publique due par tout citoyen, en proportion de ses facultés ; mais, dans les temps de crise, tout homme doit à l’Etat qui défend sa propriété de l’invasion d’un ennemi ou du brigandage, ennemi plus cruel encore que ceux du dehors, un service personnel pour la défense de toutes les propriétés, pour la conservation de la sienne (4); il lui doit encore de ne point pri-(1) Cette opinion, qui est datée du 6 mars 1791, a trait à la discussion sur les émigrants qui eut lieu dans l’Assembléo le 28 février 1791. — - Voy. Archives parlementaires , tome XXIII, p. 566 et suivantes. (2) Je paraîtrai sans doute à mes lecteurs un imprudent pygmée, qui ose provoquer au combat un géant ; mon excuse est mon zèle pour le bonheur de mon pays. (3) Je me trouve encore ici d’une opinion totalement opposée à celle do M. do Mirabeau, car je pense qu’un règlement qui ne peut être qu’une disposition appliquée au moment, et par conséquent le résultat d’une volonté que quelques circonstances particulières ont amenée ; qu'un réglement, dis-je, est presque toujours arbitraire, no peut être que tyrannique, et qu’au contraire une loi sage peut être juste. (4) M. le maire et le commandant de la garde nationale de Paris se sont chargés d’affranchir M. le maréchal de Caslries de cette contribution. ver la classe indigente des salaires que lui procurerait l’opulence d’un citoyen, dont l’absence, en augmentant la misère, ajoute à la crise publique, iorsqu’il devrait, au contraire, s’occuper à la diminuer, et que ce bien ne peut être que le résultat du rétablissement du travail. Tout citoyen qui ne remplit pas ces obligations doit à la société qui garantit sa propriété, et à laquelle son absence refuse les moyens personnels, une indemnité qui lui serve d’équivalent. Je doute qu’il soit possible de se refuser à l’évidence de ses vérités, qui me paraissent à moi les bases fondamentales de toute association politique. Partant de ces principes, je ne concevrais pas que l’Assemblée nationale pût hésiter à décréter que, dans les moments de crise, la législature invitera le roi à faire une promulgation pour enjoindre à tous propriétaires de fonds, daus le royaume, à venir ajouter à la force publique par leur présence, et qu’après les délais stipulés dans la promulgation, tous propriétaires de fonds, dans le royaume, qui n’y seront pas rentrés seront assujettis à une contribution mobilière et foncière double de celle qu’ils payeraient, s’ils étaient présents. Tous ceux qui voudraient sortir du royaume pendant la durée de la publication de la loi seraient assujettis au même doublement de la contribution. Je pense encore que le quart de la double contribution mobilière ou foncière, à laquelle devrait être assujetti l’émigré dans le lien de son domicile, devrait être employé en déduction de la cote des citoyens les moins riches de la municipalité de son domicile, de ceux, par exemple, qui payent 12 livres et au-dessous, puisque ces citoyens, occupés plus particulièrement au service nécessaire pour garantir la propriété de tous, dans les temps difficiles, sont détournés, par ce service, des occupations et des travaux qui fournissent à leur subsistance. Cette indemnité ne serait qu’une justice rendue à ces citoyens. Les trois autres quarts de cette double contribution serviraient à acquitter les dépenses publiques, nécessairement augmentées dans les temps difficiles. Alors la société, les individus, indemnisés par le doublement de la contribution payée par les émigrants, ne peuvent, en effet, rien exiger de plus", et si la société voulait porter les lois au delà, eu décréter qui restreindraient les droits de liberté personnelle des citoyens, elle deviendrait injuste et tyrannique envers eux, car tout homme à qui les conditions d’une association politique ne conviennent plus a sans doute le droit d’aller ailleurs en former une nouvelle; et regretterions-nous des hommes assez frappés de démence pour fuir la terre de la liberté, et aller chercher le théâtre de quelques nouvelles révolutions? Non, sans doute; de tels hommes ne sont pas dignes de nos regrets, et des lois absolues et prohibitives ne les rappelleraient pas plus qu’elles n’arrêteraient leur fuite. Sans doute, c’est contre ces lois prohibitives que s’élevait avec tant de force M. de Mirabeau, lorsqu’il déclarait nettement qu’il ne leur obéirait pas; lorsqu’il prononçait, de ce ton qui lui est propre, que, le jour de la promulgation de cette loi, il serait dégagé de tous ses serments (1). (1) Quel honneur pour moi, si, par la loi que je vais proposer, je parviens à iixer la foi et les serments d’un génie que les puissances terrestres no pouvaient sou- 88 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 juillet 1791.] Sans doute, la loi proposée par le comité de Constitution ne pouvait obtenir l’honneur de la discussion dans une assemblée de législateurs (1), mais il pouvait, ce me semble, lui en être substituée une autre, et j’ose le tenter. En effet, en ne faisant porter le doublement de l’impôt que sur les fonds réels ou les fonds présumés tels, en raison de l’habitation et de l’habitation même louée, le négociant lui-même, forcé de sortir du royaume pour ses affaires, n’a pas le droit de se plaindre de ce surcroît de charge, au moins il ne le peut avec justice; car, enfin, s’il s’absente pour les affaires rie son commerce, cette absence porte pour lui intérêt, et les propriétés qu’il laisse dans le royaume, son habitation, ses fonds n’en portent pas un moins grand : il doit payer pour leur conservation qui lui est garantie par la société dans les instants de crise; il doit donc payer sans regret le doublement de son imposition, puisque, ne fournissant pas sa personne pour cette garantie, il doit l’acquitter par une partie de leur produit. Je n’avais jamais réfléchi sur cette question avant qu’elle eût été agitée dans l’Assemblée nationale; mais, en vérité, il me semble que si je l’avais discutée, ainsi que le comité de Constitution pendant deux jours entiers, j’aurais proposé une autre loi que celle qui a été le résultat de ses sueurs et de ses veilles; j’aurais proposé à l’Assemblée d’envoyer à son comité d’imposition la portion de cette loi qui devait prononcer sur la répartition de l’impôt : peut-être même la loi que j’aurais présentée eût-elle porté un caractère plus propre à la faire admettre que celle de M. de Mirabeau, qui, cependant, est le résultat d’une opinion que, selon ses propres paroles, il mettait, il y a 5 ans, sous les yeux d’un despote (2). Alors il avait le loisir de la réfléchir, car il a bien voulu m’apprendre, et à toute l’Europe, par la voie des papiers publics, que la correspondance d’un voyageur à Berlin n’était pas de lui, et que, par conséquent, le travail qu’elle a exigé ne l’occupait point alors. PROJET DE décret pour fixer les règles de la liberté qu'a tout citoyen d'entrer et de sortir du royaume. Art. 1er. Tout citoyen a le droit de sortir et d’entrer dans le royaume, sans être assujetti à d’autres règles ou formes que celles des visites nécessaires à l’entrée ou à la sortie de France pour justifier l’obéissance aux règlements établis pour la perception des droits du tarif. Art. 2. Dans le cas de danger imminent ou d’une crise publique, l’Assemblée nationale, lorsqu’elle le jugera indispensable, rendra un décret mettre, et qu’il n’appartient qu’à la puissance céleste de maîtriser. (1) J’avais cherché longtemps à m’expliquer les principes qui avaient pu déterminer le comité de Constitution à proposer à l’Assemblée nationale quelques articles de son projet do loi sur la résidence des fonctionnaires publics, sans avoir pu en deviner les bases ; mais son projet de loi sur les émigrants m’a expliqué son motif; sans doute, il voulait les faire rejeter. En conséquence, j’essayerai de développer au public, et je mettrai sous ses yeux les motifs de quelques amendements que je me propose d’y faire, et qui, probablement, la feront adopter. (2) Le roi Frédéric-Guillaume qui règne sur la Prusse, ainsi que ses sujets, doivent tenir un grand compte, et savoir un grand gré à M. de Mirabeau, de l’épithète heureuse dont il a bien voulu les qualifier. qui deviendra obligatoire pour tout citoyen français de rentrer dans le royaume au terme et dans le délai prescrits par le décret. Art. 3. Tout citoyen qui sera absent ou voudra s’absenter pour quelque cause que ce puisse être, pendant que ce décret sera en vigueur, payera, en imposition mobilière et foncière, le double de celle qu’il payait avant sa sortie du royaume, ou qu’il payerait s’il y était en résidence. Sont exceptés de la présente disposition pour les deux premiers mois de leur sortie, les citoyens payant un droit de patente; mais, après 60 jours révolus, ils seront assujettis comme tous autres citoyens. Art. 4. La municipalité du lieu où l’émigré fait sa dernière résidence sera tenue de prévenir de son absence le directoire du département et le Corps législatif. Art. 5. Le quart de la double imposition que payera le citoyen absent, dans la municipalité où il formait sa dernière résidence, sera attribué en diminution d’imposition sur tous les coutribua-bles de cotte municipalité, qui ne payent que 12 livres et au-dessous. Cette diminution sera faite au marc la livre de la contribution de ces citoyens. Art. 6. En cas de négligence de la municipalité dans laquelle le citoyen absent a formé la dernière résidence, la municipalité sera condamnée solidairement à une amende de mille écus applicable en diminution des contributions des citoyens, payant 12 livres et au-dessous, de la municipalité qui aura dénoncé l’absent, et alors nulle diminution ne sera faite à la cote de l’imposition des citoyens de la municipalité qui aurait dû faire la déclaration et l’aura négligée. Art. 7. Les fonctionnaires publics, qui se trouveraient absents du royaume à l’époque de la publication du décret du Corps législatif, seraient tenus d’y rentrer dans le même délai que les autres citoyens ; et, faute de s’y coutormer, ils encourraient, en outre de la double imposition, les peines portées contre les fonctionnaires publics absents de leurs fonctions, aux termes des articles de la loi du, etc. Art. 8. Ne peuvent être exceptés des obligations prescrites par les articles de la présente loi, que les citoyens employés, hors du royaume, pour le service de l’Etat, et ayant mission expresse et avouée du pouvoir exécutif. PROJET DE DÉCRET pour le comité d'imposition résultant de la loi, pour fixer les droits de tout citoyen d'entrer et de sortir du royaume. Art. 1er. Tout citoyen absent du royaume, ou qui viendrait à s’en absenter lors de la publication, faite par le Corps législatif, de la foi qui appellerait tous les citoyens dans le royaume, payera la double contribution mobilière à laquelle il serait assujetti par fa loi, dans la ville où serait son principal manoir, et la quittance qu’il présenterait de cette imposition mobilière lui serait attribuée en déduction de la double contribution foncière à laquelle il pourrait être assujetti par la même loi. Art. 2. Dans le cas prévu par le précédent article, où le propriétaire serait tenu, outre la contribution mobilière, d’une contribution foncière, la quittance de la contribution mobilière présentée dans chaque municipalité lui servirait de décharge à la contribution foncière à laquelle il serait tenu, jusqu’à la hauteur de la somme à