ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juin 1789. J 163 [États généraux.] i dessus tout que l’Assemblée des Etats généraux s’occupe des objets qui intéressent toute la nation, d’après l’acceptation volontaire que votre tordre a faite de ma déclaration du 23 de ce mois, j’engage ma fidèle noblesse à se réunir sans délai |avec les deux autres ordres. « Signé LOUIS. « Le 27 juin 1789. » En conséquence de cette lettre, et malgré la protestation de 45 membres, l’ordre de la noblesse décide qu’il se réunira aux communes. COMMUNES. i Présidence de M. Bailly. ; La séance est ouverte par M. le président. . M. de la Rochenégll, prieur de Saint-Honoré de Blois, et M. Chabaud, curé de la paroisse de Saint-Victor, tous deux députés du clergé du bailliage de Blois, entrent dans l’Assemblée, mettent leurs pouvoirs sur le bureau, et prennent place avec MM. du clergé. M. Weytard, curé de Saint-Gervais, député du clergé de la ville de Paris, vient aussi prendre séance, et remet ses pouvoirs. I M. le comte de Pardieu, député de la noblesse du baillage de Saint-Quentin, et M. le marquis de Rourau, député de la noblesse de la sénéchaussée d'Agen, se rendent également dans l’Assemblée, remettent leurs pouvoirs sur le bureau, et prennent place avec MM-de la noblesse. i M. le comte de Pardieu prononce le discours suivant : Messieurs , vivement pressé par le sentiment intime de ma conscience, de venir me placer parmi les membres de cette auguste Assemblée, je ne me permeltrais cependant pas cette démarche si je ne croyais répondre au vœu des gentilshommes que j’ai l’honneur de représenter. Je ne puis voir, Messieurs, sans attendrissement le tableau majestueux et touchant de la réunion si désirable de la plus grande partie des représentants de cette nation dont le bonheur futur fait votre unique ambition. i C’est avec la joie la plus vive, que je me plais à penser que bientôt tous les ordres, animés du même désir et réunis par les mêmes seutiments, n’auront plus qu’un même vœu. C’est cette époque que tout citoyen patriote attend avec la plus grande impatience, comme le seul moyen de donner au Roi les marques les plus tendres de notre amour, et de payer à la nation le tribut qu’elle a droit d’attendre de nous. | Les secrétaires font lecture du procès-verbal des séances des mardi, mercredi, jeudi et vendredi 23, 21, 25 et 26 juin. La délibération de l’ordre de la noblesse, dont une copie a été laissée hier sur le bureau de V Assemblée, a été introduite par M. Pison du Galand, Second secrétaire, dans le procès-verbal de la séance du 26 juin. M. Camus, secrétaire. J’observe qu’il faut la retirer, attendu que, si l’Assemblée prouve qu’elle en a eu connaissance, elle doit se hâter et ne peut même se dispenser de protester contre les principes faux, anti-constitutionnels y contenus, et que ces protestations doivent suivre le procès-verbal dans la teneur de la délibération. D’après l’arrêté du 23, il est inutile de faire des protestations; il est aussi inutile d’insérer la délibération. Les observations de M. Camus sont approuvées d’un côté, rejetées de l’autre. Un membre observe en leur faveur qu’une pareille pièce étant contraire à la constitution de 1 Assemblée, portant atteinte à ses droits, aux principes de la monarchie, l’on ne peut la laisser subsister dans les registres de l’Assemblée sans manifester les sentiments de réprobation qu’elle inspire à l’Assemblée nationale. Un autre membre oppose à ces réflexions qu’un procès-verbal est un récit simple de tous les faits d’une Assemblée; qu’ainsi l’on peut insérer la délibération de la majorité de la noblesse sans aucun danger; qu’au surplus l’on n’a qu’à la repousser par des protestations fortes et énergiques ; que l’on a fait mention de la députation des électeurs de Paris, que l’on y a inséré leur discours, et que l’on peut, sans aucune conséquence lâcheuse, en user de la même manière pour la députation de la majorité de la noblesse. M. Fanjuinafs. J’ajoute qu’autrefois l’on disait : Nous ordonnons , nous voulons ; que le 23, le Roi avait dit pour la première fois : Je veux , for-donne ; les éloges prodigués par la noblesse à cette innovation qui, à la vérité, et fort heureusement, n’existe que dans les mots, ne doivent pas se trouver dans le procès-verbal de l’Assemblée ; il suffit d’y insérer les protestations. M. Bailly. Je propose un autre avis , celui d’insérer seulement la réponse faite à la noblesse. Ce moyen, qui n’a ni les inconvénients de l’inscription de la délibération, ni la force des protestations insérées, a été encore combattu enfin, l’on huit par décider que la délibération de la noblesse sera purement et simplement insérée au procès-verbal. M. Le Franc de Poinpignan, archevêque de Vienne, observe que plusieurs ecclésiastiques demandent que l’on prenne un ecclésiastique de chaque généralité, pour le faire entrer dans les comités formés par les généralités. L’Assemblée approuve cette observation. M. Bailly présente à l’Assemblée la requête des habitants de Versailles. Le bailliage demande une députation directe aux Etats généraux. La requête est envoyée au comité de vérification. M. Bluget, curé des Riceys , fait rapport de plusieurs pouvoirs examinés au comité de vérification tenu la veille. Ces pouvoirs sont ceux de M. l’archevêque de Paris, de l’évêque d’Orange, de MM. Mayet, curé de la Roche-Taillée, député de la sénéchaussée de Lyon ; de M. Goubert, prévôt du chapitre d’Aubusson, député de la sénéchaussée de Guéret et Haute-Marche; de M. de Champagny, député de Forez; de M. de Prez de Crassier, député du bailliage de Gex ; de M. de Grecy, député de la sénéchaussée de Ponthieu. M. le rapporteur annonce que ces pouvoirs ont été trouvés en [États généraux.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Tl juin 1789.] 164 règle et n’éprouvent aucune contradiction. L’Assemblée les déclare légitimes. M. le Rapporteur ajoute que le comité, ayant procédé à l’examen des pouvoirs de M. l’évêque d’Autun, n’a trouvé que le procès-verbal de prestation de serment, énonciatif de l’acte d’élection, mais non l’acte d'élection même. L’Assemblée ordonne que M. l’évêque d’Autun rapportera cet acte dans quinzaine, et que cependant il aura séance et voix délibérative. M. Bluget ayant fait sur-le-cbamp rapport des pouvoirs qui venaient d’être remis sur le bureau par MM. de la Rochenégli et Ghabaud, l’Assemblée les a reconnus bons et déclarés légitimes. Un de MM. les secrétaires ayant pareillement rendu compte des pouvoirs remis sur le bureau parM. Veytard, par M. le comte de Pardieu et par M. le marquis de Bourran, ceux de M. Veytard et de M. le comte de Pardieu ont été reconnus en bonne forme et déclarés légitimes. A l’égard de M. le marquis de Bourran, le procès-verbal de son élection n’étant pas rapporté, l’Assemblée a ordonné qu’il le serait dans quinzaine, et que cependant M. la marquis de Bourran aurait séance et voix délibérative. M. Prieur rapporte le résultat de l’examen fait, au comité de vérification, des questions relatives à la députation de Saint-Domingue. Il fait l’histoire de la colonie de Saint-Domingue ; il remonte jusqu’à l’époque où les flibustiers iirent une descente dans l’ile; il fixe celle où ils se donnèrent à Louis le Grand ; il passe à la création de l’octroi, il dit qu’il date de 1713, qu’alors il fut accordé pour cinq ans ; il donne 200 lieues de circonférence à la colonie ; il fait monter la population à 40,000 blancs et 500,000 noirs ; il compare l’ouvrage de M. Necker sur l’administration avec le compte rendu de M. de Marbois, intendant de Saint-Domingue, et trouve que le premier portait les impositions de cette colonie à 5 millions, et le second à 6. 11 observe que Saint-Domingue est encore susceptible d’accroissements ; qu’il est fâcheux qu’elle gémisse sous l’influence d’un génie oppresseur. Il a rappelé la forme qu’ont adoptée les colons pour procéder à la nomination des députés ; il annonce que le nombre en a été porté à 37; qu’ils ont été admis provisoirement au nombre de 12, et que leur vœu se borne à être porté à 20; il résulte, dit-il, de ces réflexions, qu’il y a trois questions à examiner : La première, pour savoir si la colonie de Saint-Domingue a le droit d’avoir des représentants aux Etats généraux; La seconde, si la nomination de ces députés est valable; La troisième, quel en doit être le nombre. Sur la première question, il observe que les colons sont tous Français, qu’ils partagent également les charges de la France. Il a fait part de l’avis du comité qui a décidé qu’il n’y avait aucun prétexte plausible pour s’opposer à leur admission ; il cite l’exemple de la Corse, qui a l’avantage d’avoir des représentants ; à plus forte raison l’ile de Saint-Domingue doit-elle en avoir. Le comité, ajoute-il, n’a pas cru devoir s’arrêter à une lettre du ministre qui interdisait à la colonie la faculté d’assister aux Etats généraux actuels, tandis qu’on y donne l’espérance qu’aux Etats généraux prochains elle pourrait être représentée. Sur la seconde question, il annonce que le comité a jugé les pouvoirs suffisants, et que la nomination des députés est valable quoique le règlement de convocation n’ait pas été strictement observé. La troisième question relative à la fixation du nombre des députés a paru plus difficile ; il dit que les sentiments des membres du comité avaient été unanimes sur les deux premières questions, mais qu’ils ont été divisés sur la troisième. Deux avis différents avaient été ouverts. Les uns prétendaient que les députés devaient être admis au nombre de vingt. Ils prenaient pour base de leur sentiment l’importance de l’île de Saint-Domingue, la richesse des colons, sa population, les sénéchaussées, qui sont au nombre de 10 ; son commerce, le montant des impo� sitions ; enfin ils étaient d’avis que cette colonie pouvait être regardée comme une grande province. Les autres soutenaient que douze députés représenteraient suffisamment la colonie ; leurs motifs étaient qu’il n’y avait que 40,000 blancs, que les noirs devaient être comptés pour rien, qu’il n’y avait qu’un seul ordre. Il a fait connaître le résultat des opinions du comité, d’après lequel il y a eu 18 voix pour accorder vingt députés, et un nombre égal pour n’en admettre que douze. , M. Prieur donne ensuite son avis, qui tend a les admettre au nombre de vingt. La discussion s’ouvre. M. le marquis de SHIery. Je regrette de n’avoir pas été informé qu’on agitait ces questions majeures. Je me serais livré à un - travail que lep connaissances que j’ai été à portée de me procurer sur Saint-Domingue m’auraient facilité. Je suis désolé que mon mandat ne me donne qu’une voix consultative. Je ne puis concevoir les raisons qu’on peut apporter pour priver une colonie aussi florissante d’être représentée. Les intrigués doivent cesser, et il est temps que Saint-Domingue, qui, depuis si longtemps, gémit sous une anarchie destructive, soit libre. M. de Ijaville-Ijeroiix. Je n’ai rien à ajouter sur la nécessité d’admettre des représentants; mais je pense qu’on ne peut se dispenser de se munir de l’autorité royale. Je suis d’avis d’adopter le plus grand nombre de représentants de Saint-Domingue. A une distance immense, il est important de s’attacher cette colonie par des liens inséparables. Je penche pour qu’on en admette au moins vingt. M. Bouche. Je parcourrai d’un œil critique les différents impôts levés sur la colonie. Rappelez-vous les injustices, les vexations qu’on a fait éprouver en tout temps aux malheureux habitants qui la peuplent, et, dans ce nombre, je mets les lois prohibitives; par exemple, le baril de farine se vend, dans ce moment, 80 à 90 livres, tandis que si les ports de l’île étaient libres, on ne le payerait que 45 livres. Les revenus de la colonie pourraient être portés à 100,000,000. Je passe à la question du nombre des représentants. Je distingue à cet égard la population de Saint-Domingue en blancs et en noirs: les premiers au nombre de 40,000, les autres formant une population de 500,000 âmes. Si les noirs sont susceptibles d’être représentés, en accordant 1 député