(Assemblée nationale. j ARCHIVES PARLEMENTAIRES [i« avril 1791. J 496 Voici l’article 14 : « Les étrangers, quoique établis hors du royaume, sont capables de recueillir, en France, les successions de leurs parents, même Français; ils pourront également recevoir les biens* qui leur seront donnes ou légués, disposer, par testament, de ceux qu’ils posséderont en France, en faveur, soit de Français, soit d’étrangers, sans néanmoins qu’ils puissent commencer à jouir de ces droits, si ce n’est du jour où leur nation aura accordé aux Français la réciprocité. » M. Martineau. Je demande qu’on ne décrète que la successibilité en faveur des étrangers. Quant à ce qui concerne la transmission des biens par la disposition de l’homme, comme nous n’avons encore rien statué sur ce point-là, il me parait impossible de statuer en faveur des étrangers. Peut-être que, dans la discussion du deuxième litre, l’Assemblée nationale décrétera que nul n’aura plus à l’avenir la faculté de tester. Plusieurs membres : Oh! oh! M. Martineau. Il est bien étonnant que sur un peut-être il s’élève des murmures, car qu’est-ce que vous venez de décréter? Que vous épuiseriez l’ordre des successions légitimes avant de passer aux successions testamentaires. Or, maintenant, qu’est-ce que l’on dit dans cet article? On vous propose de décréter d’avance implicitement qu’il y aura des dispositions testamentaires. Quand vous en serez, Messieurs, au second titre, vous décréterez ce que vous voudrez : il n’y aura rien de plus facile que de mettre un article concernant les étrangers. Maintenant de quoi s’agit-il? Les étrangers seront-ils capables de succéder comme les Français, comme les regnicoles? Voilà le point à décider; mais laissez pour le second titre ce qui regarde la capacité de recevoir ou de disposer par testament. M. Goupil-JPréfeln. L’article ne dit pas que les étrangers pourront être institués héritiers , mais dit seulement qu’ils pourront recevoir par testament ; deux choses qu’il n’est pas permis de confondre. Il n’est donc pas préjugé par l’article qu’il y aura des successeurs testamentaires : il laut entendre, ce qui est hors de doute, que toute espèce de disposition testamentaire ne sera pas abrogée. M. Martineau. Je persiste dans l’observation que je viens de faire à l’Assemblée, et j’ajoute ceci ; Notre Constitution ne doit pas dépendre de la conduite que pourrunt tenir les autres puissances de l’Europe. Lorsque vous avez renoncé à toute espèce de conquête, vous n’avez pas mis pour condition que les autres nations renonceraient aussi à l’esprit de conquête. Vous voulez, Messieurs, traiter les étrangers comme les Français, je crois que vous avez raison, parce que du moment que les étrangers peuvent venir s’établir en France, y posséder des biens, du moment que vous établissez ou que vous voulez établir une fraternité entre toutes les nations, vous devez commencer par leur donner l’exemple, et le donner purement et simplement sans aucune condition. En conséquence, je propose deux amendements sur l’article: le premier est d’en retrancher tout ce qui a trait à autre chose qu’aux successions légitimes, et l’autre de retrancher cette condition : sans néanmoins qu’ils puissent commencer à jouir de ces droits, si ce n’est du jour où leurs nations auront accordé aux Français la réciprocité. Que les Anglais, les Italiens et les autres peuples de l’Europe nous accordent ou ne nous accordent pas la réciprocité, votre principe doit être indépendant de la volonté de tou es ces puissances. Je demande en conséquence que l’article soit décrété purement et simplement de cette manière : « Les étrangers, quoique établis hors du royaume, sont capables de recueillir les successions de leurs parents, même Français. » A l’égard de ce qui regarde les dispositions testamentaires, nous les discuterons lorsque nous serons au second litre. Quant à la condiiion, je le répète, nous devons la rejeter absolument. Plusieurs membres : Oui! ouil Aux voix! aux voix ! M. lie Chapelier, rapporteur. Je demande à faire une réflexion sur l’observation de M. Martineau, qui regarde la partie de la disposition de l’article, concernant la faculté de tester et de recevoir par legs; veut-on que le mot testament ne soit pas dans l’article? Je propose d’y suppléer par ces mots : « Tous étrangers succéderont aux successions qui leur échoiront en France, même aux successions de leurs parents français; ils pourront recevoir du bien et en disposer de toutes les manières fixées par la loi. » Sur la 2e disposition, je partage l’avis de M. Martineau. Il ne faut pas que notre principe dépende de la conduite plus ou moins sociale, s’il m’est permis de parler ainsi, des autres nations. Cependant je crois devoir dire quel a été le motif du comité en insérant cet article. Il a eu un côté de moralité que je dois faire apercevoir. 11 avait pour objet d’avertir toutes les nations que nous leur donnons l’exemple de cette fraternité universelle que nous désirons établir, et de les appeler à faire aux Français des conditions égales à celles que nous leur présentons. J’accède, donc au retranchement de la dernière disposition de l’article. M. Coys. Je trouve les principes de MM. Le Chapelier et Martineau fort beaux; mais il me semble que ces principes-là, réduits en pratique, deviennent une duperie pour la nation qui les adopte, parce qu’enfin il arrivera par là que les étrangers viendront hériter en France et enrichiront leurs pays de nos dépouilles. (Murmures.) Je demande en conséquence la question préalable sur la 2e partie de la proposition de M. Martineau. (L’Assemblée consultée repousse la question préalable et consacre la second amendement de M. Martineau.) M. Ce Chapelier, rapporteur. D’après ce qui vient d’être décidé, je présente l’article ainsi rédigé : Art. 14. « Les étrangers, quoique établis hors du royaume, sont capables de recueillir, en France, les successions de leurs parents, même Français ; ils pourront également recevoir des biens, ei eu disposer par tous les moyens qui seront autorisés par la loi. » (Adopté.)