338 (Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [i« octobre 1790.] supérieures; enjoint, au surplus, auxdits dépositaires, quels qu'ils soient, de remettre toutes les pièces qui leur seront demandées sur récépissé, et ce nonobstant tous arrêts ou jugements à ce contraires, à peine contre les comptables, ou dépositaires de pièces refusant, ou en retard de s’exécuter, d’être les uns et les autres poursuivis comme débiteurs etreliquataires, suivant la forme des ordonnances, et à la requête des procureurs généraux syndics des départements, le tout sans entendre préjudicier à ce qui pourrait être légitimement dû pour les épices ou taxations des comptes qui auraient été dûment clos et arrêtés. M. Vieillard (de Saint-hô), secrétaire , donne lecture d’une lettre adressée à l’Assemblée parles officiers municipaux et le conseil général de la commune de Niort ; ils annoncent qu’au moyen des mesures qu'ils ont prises, la tranquillité publique est rétablie dans la ville ; que le prix du grain y est entièrement libre ; et que quelques-uns de ceux qui avaient excité les troubles, ont été arrêtés, et qu’on continue d’informer contre eux. (Cette lettre est renvoyée au comité des recherches.) M. de Eia Rochefoucauld. Les occupations du comité d’aliénation devenant de jour en jour plus multipliés, le nombre des membres qui le ‘composent est insuffisant. Je demande, en conséquence, qu’il lui soit adjoint huit membres nouveaux. M. Bouche. Je demande que le nombre des commissaires à adjoindre soit porté à douze. M. Gérard. Je réclame l’exécution de votre règlement afin que les membres qui seront nommés ne fassent partie d’aucun autre comité. On demande la question préalable sur les deux amendements. La question préalable est prononcée. L’Assemblée décrète ensuite qu’il sera adjoint huit membres nouveaux au comité d’aliénation des domaines nationaux. M. le Président. L’ordre du jour est la lecture du rapport sur la procédure du Châtelet relativement aux affaires du 6 octobre 1789 (1). M. Chabroud, rapporteur. Messieurs, un attentat horrible a été commis le 6 octobre ; les ministres de la loi ont recherché les coupables ; et venus dans cette enceinte, ils vous ont dit : le secret est découvert, et les coupables sont assis entre yous. Vous avez ordonné dans votre affliction profonde, à votre comité, d’éclairer ce cruel mystère ; et je vous apporte le fruit de ses soins. Quelque calme avait succédé aux agitations u’éclairèrent les jours à jamais célèbres de la évolution ;, ce calme couvait la tempête. Des inquiétudes saisirent les esprits, soit que de chimériques appréhensions en fussent le principe, soit que divers incidents, qui venaient de se succéder, eussent dénoncé des dangers réels, soit que des chimères et la réalité eussent été combinées et mises à profit. par quelque faction méditant des complots. (1) Nous insérons ici, in extenso , le rapport fait par M. Chabroud, dans les séances des 30 septembre et octobre 1790. Une résolution soudaine est prise et exécutée ; la capitale laisse échapper un peuple immense, impatient de sa situation qui va remplir Versailles et demander son salut à l’Assemblée nationale et au roi. Peut-êire des scélérats sont répandus dans cette multitude ; ils la gouvernent à leur gré, elle est un instrument mobile, dont ils abusent dans leurs desseins. L’asile du monarque est environné, sa garde est menacée ; le sang coule ; mais quelque agression, quelque imprudente bravade n’a-t-elle pas provoqué ce malheur? L’armée parisienne accourt ; des citoyens qui ont conquis la liberté répriment la licence; l’ordre renaît, la nuit s'achève dans le silence ..... dans un silence perfide. Le jour paraît pour donner le signal des forfaits. — Les barrières sont forcées; les gardes du roi sont massacrés aux portes de son palais ; une bande homicide s’avance. Dans sa fureur elle vomit des imprécations, dans ses blasphèmes elle ne respecte rien, dans son ivresse elle est capable de tous les crimes. — Elle est aux portes de la reine ..... D’intrépides guerriers combattent; mais ils succombent; il n’y a plus de résistance ; il n’y a presque plus d’espace entre ces tigres et l’épouse de Louis XVI. Rassurez-vous : un respect involontaire va retenir leurs pas; la majesté du lieu est le rempart qu’ils n’oseront franchir, et le crime n’ira pas jusqu’à son dernier excès. Voilà une esquisse, et vous demandez un tableau; vous désirez que l’on vous montre les causes qui amenèrent cette subite convulsion, que l'on remonte, s’il est possible, jusqu’à la première étincelle qui commença cet incendie affreux, que l’on développe devant vous les détails d’une abomination qui semble se multiplier par toutes ses circonstances. C’est un labyrinthe à parcourir, et l’on a peine à saisir le fil qui doit guider dans ses détours. En ce temps critique d’une Révolution qui met tuut en mouvement, au milieu de l’action et de la réaction rapides des intérêts qui se croisent, l’esprit de parti répand son influence et s’empare même du passé. Vous avez été presque les témoins d’un événement qu’à peine vous reconnaissez dans ses versions nombreuses. Peut-être un grand ascendant a tenté de diriger le jugement du peuple ; peut-être des desseins secrets ont été associés aux récits de la renommée ; peut-être aussi le patriotisme abusé s’est abandonné à la prévention et a repoussé, sans les apprécier, des témoignages proférés par des bouches qui lui étaient suspectes. On a crié à la coupable insouciance, lorsque les comités des recherches et les tribunaux se taisaient ; on a crié à la partialité, lorsqu’une procédure solennelle a été entreprise et poursuivie. Des libelles ont dit que le crime triomphait sur les ruines des lois; des libelles ont dit que l’on méditait le renversement des nouvelles lois chères à la nation. C’est au milieu de ces préjugés disparates, que le comité des recherches de la ville de Paris a dénoncé les crimes du 6 octobre, et que les juges du Châtelet ont accompli une volumineuse information. Des décrets en ont été la suite. La conscience des juges leur a désigné deux membres de l’As- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [l« octobre 1790.] 339 semblée nationale, et voici ce qu’ils ont ordonné à leur égard. « Attendu que MM. Louis-Philippe-Joseph d’Or-« iéans et de Mirabeau i’aîné, députés à l’Assemblée « nationale, paraissent être dans le cas d’être dé-« crêtés, disons que des expéditions de la pré-« sente information... seront portées à l’Assem-« blée nationale conformément au décret du « 26 juin dernier sanctionné par le roi. » L’Assemblée nationale va donc décider s’il y aura accusation contre M. de Mirabeau et M. d’Orléans. Lorsque les juges du Châtelet vinrent déposer dans votre sein cette opinion que vous allez discuter, un discours véhément sembla se mettre eu opposition avec le doute sur lequel on vous consultait ; l’assurance des accusateurs parut mise à la place de la sage hésitation des juges; on eût dit qu’il n’était pas permis de balancer, et que votre délibération ne devait intervenir que comme une vaine formalité. C’est à vous, Messieurs, de désigner des accusés, s’il faut les trouver dans votre sein ; mais on ne dut pas se flatter d’enchaîner votre discussion, et le secret n’est pas découvert encore, puisque vous n’avez pas prononcé. Il a dû toutefois s’armer de quelque courage, celui qui est appelé à déchirer devant vous le voile qui couvre la vérité. Il va marcher entre des écueils ; autour de lui murmurent des passions opposées qui l’attendent au retour de la carrière qu’il va fournir ; et tout ce qui a droit de faire impression sur les cœurs humains, se réunit pour l’étonner dans la carrière. Eh bien] ses regards seront attachés vers le but, et il ne les détournera point ; il traversera les murmures sans les entendre, et il arrivera inflexible comme la vérité qu’il vous doit. Lors même que les juges du Châtelet ont érigé en certitude ce qui ne fut qu’un soupçon peut-être téméraire, il est permis de demander encore si les horreurs du 6 octobre ne furent pas l’un de ces jeux cruels où le sort se plaît quelquefois à confondre la prévoyance humaine. Cette idée n’est peut-être qu’une illusion, mais elle est précieuse; elle conserve au milieu d’un souvenir déchirant, les forces nécessaires à une recherche pénible : si elle vient à se dissiper, elle n’en laissera que pour crier vengeance. Plan de votre comité. 1° Examiner les causes éloignées ou prochaines de l’insurrection du peuple, et des excès qui en furent fa suite. 2° Rechercher si M. de Mirabeau et M. d’Orléans ont eu part aux causes et aux effets; 3° Résumer les preuves, poser des principes, et enfin conclure. PARTIE PREMIÈRE. Causes de l'insurrection et des excès commis. Quand même la recherche des causes dont je vais vous occuper d’abord ne serait pas liée à la décision que les juges et le public attendent de vous, elle ne serait pas d’une indifférente curiosité. Il est nécessaire de donner enfin des notions justes d’un événement qui, dans ses nuages, laisse aux intentions perverses trop de détours à parcourir, et sur lequel il n’existe eucore pour la bonne foi que de l’incertitude. L’affaire du 6 octobre, étrangère en soi à la Révolution, s’y trouve comme identifiée parles rapports qu’ont fait circuler les ennemis de la Révolution. Il faut que le peuple soit instruit, il faut, s’il est des coupables, séparer leur cause de la cause générale, et imposer silence à une dangereuse calomnie. Une grande insurrection peut avoir été méditée, mais elle peut tenir à des causes naturelles. On a dit que le peuple fut conduit par les agents d’une intrigue profonde; on a dit que le peuple soulevé par ses besoins et par l’intérêt de ses droits voulut se venger d’une offense nouvelle. Des scènes sanglantes ont été regardées tour à tour comme l’effet d’un hasard aveugle dans des circonstances inopinées, et comme l’accomplissement imparfait d’un complot heureusement déconcerté. Pour fixer tant d’irrésolutions, j’examine d’abord si un complot est prouvé avoir suscité et l’insurrection et les horreurs qui la suivirent. J’apprécie en second lieu les causes apparentes et naturelles de mouvements auxquels le peuple s’est livré. Enfin je tâche de découvrir comment il fut poussé jusqu’à des forfaits. §1“ J’ouvre l'information; et le premier témoin, le sieur Peltier, me dit avoir su par des bruits publics que M. d’Orléans avait un parti formé pour s’emparer de l’administration du royaume. Des bruits de société ont appris au sieur Lafisse que plusieurs membres de l’Assemblée nationale étaient liés à ce parti. La déposition de M. Malouet énonce de noirs pressentiments qu’il avait d’une conjuration contre le roi et contre les membres de l’Assemblée nationale attachés aux principes constitutifs de la monarchie. Des bruits publics, des bruits de société, des pressentiments! presque toujours ils sont trompeurs, quelquefois ils ont été des précurseurs funestes et trop véridiques. Toutefois, le fait du complot n'a pas été déterminé; nul témoin n’a montré la chaîne d’une intrigue concertée : il faut, pour dévoiler le mystère qui se dérobe, amasser des traits épars : vous attendez un tableau, je vous en apporte cent. Vous verrez si enfin vous pourrez les lier et composer un ensemble. J’aurai besoin de votre attention, j’aurai besoin de votre indulgence : dans cette longue suite de témoignages détachés que j’ai à mettre sous vos yeux, il n’est pas aisé d’être concis et d’être clair. Quand il s’agit d’aller à la découverte d’un fait déterminé, on combine les preuves, on le compose de ses circonstances, et l’on arrive à former un tout par une succession de détails oû l’intérêt est soutenu ; et si alors le rapporteur ne doit pas l’attention à lui-même, la chose l’obtient et le discours marche avec rapidité. Ici je suis forcé de dépecer, pour ainsi dire, mon ouvrage. Chaque article fait comme un corps détaché, dont la liaison avec le tout est éloignée, équivoque, souvent nulle; chaque article demande sa discussion particulière; et dans leur longue et fastidieuse série, l’intérêt s’éteint, et il est à craindre que l’on ne soit également découragé, et : de dire et d’eûtendre. 340 Je ne vous dirai pas les motifs que j’ignore, pour lesquels l’on a recueilli l’information du Châtelet des faits et des propos que leursdates lient aux grands événements du mois de juillet. Deux témoins rappellent des piques fabriquées le 14 juillet par un ouvrier de M. d’Orléans. M. de Tonnerre indique des renseignements à prendre sur des alarmes données alors à Cherbourg, à Cherbourg où il a grande attention d’exprimer que commande un ancien officier de l’un des régiments de M. d’Orléans. Le sieur de Ville-Longue déclare qu’alors aussi des domestiques de M. d’Orléans avaient des liaisons dans le faubourg Saint-Antoine et avec un inspecteur de police. Il révèle un envoi de poignards, fait de Marseille à Paris. On apprend ensuite de l’ouvrier même que les piques avaient été commandées par les citoyens du district des Filles-Saint-Thomas. Les éclaircissements indiqués sur les alarmes de Cherbourg n’ont pas été recherchés, parce qu’on a vu probablement qu’ils n’éclairciraient rien. Les habitudes des domestiques de M. d’Orléans sont de ces faits qui ont toutes les faces, auxquelles on fait signifier tout ce qu’on veut, et qui par cela même ne signifient rien. Quant aux poignards venant de Nice, ils avaient été saisis au débarquement longtemps auparavant, et les préposés de la ferme générale les faisaient passer à Paris avec de la gaze, produit d’une autre saisie. On déjeûnait chez M. Malouet le 17 juillet. M. Malouet déplorait les excès qui avaient déshonoré la Révolution. M. Coroller, l’un des convives, se jouait dans la liberté de la conversation ; et supposant que le nouvel ordre des choses était peu agréable aux autres convives, il abusait de son triomphe. Il disait qu’une Révolution rie pouvait arriver sans commotion, et que la commotion avait été suscitée; que l’on avait provoqué les insultes faites à M. l’archevêque de Paris, contraire alors à la réunion des ci-devant trois ordres; que l’on avait préparé la défection des gardes françaises; que le renvoi de M. Necker avait hâté des mouvements dont on aurait plus tard déterminé l’éclat en mettant le feu au Palais Bourbon : il prouvait ainsi que la Révolution avait dû nécessairement arriver, et se faisait un malin plaisir d’annuler toutes les objections. Trois convives, MM. Dufraisse, Taillardat et Guilhermy tenaient registre de cette conversation ; et comme, devant le salut de l’Etat, les devoirs de l’hospitalité ne sont rien, ils ont déposé et ils ont tout dit. Outre que de là aux scènes du mois d’octobre il y a peu de rapport, j’aurais imputé à une ironie légère les propos de M. Garoller; et, eussé-je osé franchir la discrétion que commande l’intimité d’un déjeuner, j'aurais cru ne devoir pas allonger une information du récit d’un vain persiflage. M. Perrin, avocat, entendit une harangue au Palais Royal, où l’orateur proposait de déférer à M. d’Orléans la lieutenance générale du royaume. M. de Mirabeau avait parlé à M. de Virieu d’une tentative faite pour porter M. d’Orléans à cette place ; il aurait dû Pobtenir du roi pour le prix de sa médiation entre le roi et le peuple; et alors où était, je vous prie, le motif de blâmer? Antérieurement, M. de Mirabeau avait dit à (1er octobre 1790.] M. Bergasse avoir sondé là-dessus M. d’Orléans, qui lui avait répondu des choses très aimables. M. de Yirieu conversa le 17 juillet avec un officier de la garde nationale, et celui-ci lui dit que, s’il eût été attenté à la sûreté de l’Assemblée nationale on de quelqu’un de ses membres, on avait résolu à Paris de nommer M. d’Orléans protecteur ou lieutenant général du royaume. C’était, si je puis dire ainsi, une prévoyance plutôt qu’un projet, et ce n’est ici ni le temps ni le lieu d’examiner quelles mesures pouvaient être alors légitimes. M. de Tonnerre va plus loin : le sieur Besson lui a dit que le 12 juillet, comme on promenait les bustes de M. d’Orléans et de M. Necker, quelqu’un dit au peuple ; N’est-il pas vrai que vous voulez ce prince pour votre roi? Et quelques voix répondirent : Nous le voulons! — Il n'y a qu’une observation à faire. Le sieur Besson a donné son témoignage, et il n’a pas dit cela ; on est léger dans des propos familiers; on est grave quand on dépose devant des juges. Mais tout cela nous rappelle le renversement de la Bastille. En cherchant des délits, n’a-t-on pas l’air d’entreprendre un panégyrique? Si quelque I complot précéda, prépara ce grand événement, légitime en soi, il le fut encore par le succès; il fit la gloire de Paris, le salut de l’Empire, et nous voulons découvrir ceux qui doivent être punis, et non ceux qui ont mérité des lauriers. Je voudrais, pour soulager votre attention, mettre quelque ordre dans l’énumération dont je vais l’occuper. Je mets d’un côté les bruits, les oui-dire; j’ajoute les faits qui m’ont paru peu importants. — Je réserve pour un examen plus sérieux ce qui est grave, ce qui peut avoir des droits à quelque examen. Deux témoins ont ouï dire que depuis un certain temps, des conciliabules se tenaient à Passy dans la maison d’éducation des enfants d’Orléans. M. de Mirabeau le jeune, l’un de ces témoins, cite M. et Mme Coulomier qui ont vu... vous croiriez que vous allez apprendre quelque chose ; M. et Mme Coulomier sont appelés; ils n’ont rien vu, et vous n’avez rien appris. Les pressentiments de M. Malouet étaient partagés par une société intime dans laquelle il avait rassemblé plusieurs d’entre vous; elle était composée de MM. de Marnesia, l’évêque de Langres, Henry, Lally, Mounier, de Yirieu, Redon, Deschamps, Madier, Dufraisse, Faydel, Taillardat, Lachèze, Paquart, abbé Mathias, Durger et autres. Les alarmes de ces messieurs avaient pour prin-cipes un entretien des domestiques deM. Malouet, des lettres anonymes, et des listes de proscription fréquemment adressées à MM. Malouet, Mounier et Lally. M. Malouet tenait de ses domestiques le bruit d’un projet d’enlever le roi et l’Assemblée nationale. Les domestiques le tenaient de l’officier de M. Malouet. L’officier le tenait d’un parfumeur de Versailles, lequel apparemment le tenait aussi de quelqu’un. Cette généalogie donne peu de lumières; mais deux soldats de la garde de Paris avaient dit à M. Faydel, quelques jours avant le 6 octobre, que dans peu l’on viendrait chercher le roi. Mais M. Mounier avait connaissance d’un dessein de forcer Je roi à se rendre à Paris; les ministres avaient, dit-il, là-dessus, des avis alarmants. Cela s’accorde mal avec la déposition du docteur Lafisse et avec celle du docteur Roussille de (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1er octobre 1790,] 341 Chamseru, suivant laquelle les conjurés désiraient la fuite du roi, et devaient en profiter pour le faire interdire. Forcer le roi à se rendre à Paris, et compter sur sa fuite, sont des mesures diverses qui ne peuvent appartenir au même dessein. . 11 y a des témoins pour, il y a des témoins contre. On pourrait dire que les bruits répandus alors étaient vagues et contradictoires. L’incertitude n’est pas fixée, parce que, disent quelques autres témoins, une insurrection du peuple était annoncée plusieurs jours auparavant; car ce n’est pas dans l’insurrection en elle-même que peut être le délit; il serait dans l’intrigue qui aurait provoqué ce mouvement, et dans le secret dessein qui en aurait été l’objet. A l’égard des lettres anonymes qu’avaient repues MM. Malouet, Lally et Mounier, elles n’auraient probablement rien appris de plus; leur patriotisme n’eût pas été muet sur des avis de quelque importance, et aujourd’hui encore ces lettres paraîtraient. M. de La Fayette, pressé de partir pour Versailles dans la matinée du 5, avait entendu proférer les mots de conseil de régence. M. Guilhermy, se rendant à minuit à la séance qui venait d’ètre proclamée, l’un des membres de l’Assemblée, qu’il ne connaît pas, lui dit que l’objet de la séance allait être de nommer un conseil de régence. Un garde national a dit au sieur de Beville, le 6, que si le peuple n’avait pas trouvé le roi à Versailles, il aurait proclamé Monsieur le Dauphin, et qu’au défaut de Monsieur le Dauphin, il aurait proclamé Monsieur d’Orléans. Dans tout cela, peut-être ne faut-il voir que des murmures sans tenue. Assurément celui qui disait vers minuit, à M. Guilhermy, que l’on s?assemblait pour nommer un conseil de régence, ne savait ce qu’il disait, et n’était d’aucun complot. Par l’un, j’explique les autres : ceux qu’entendit M. de La Fayette, celui qui parla au sieur de Beville, n’étaient pas plus instruits. Maxime assez sûre : quand on médite des complots, on ne parle pas; et si le peuple est quelquefois l’inlrumentdes conspirateurs, il n’est jamais leur confident. Le sieur Peltier qui n’a rien vu, mais qui a ouï dire beaucoup de choses, tient, on ne sait de qui, que Mme de Tessé , faisant reproche à M. Barnave sur sa conduite envers M. Mounier, que l’on supposait irrégulière, M. Barnave lui répondit bonnement : Que voulez-vous, Madame ? je suis engagé. La réponse est assurément sans finesse; et voilà, dit ensuite le sieur Peltier, un complot antiroyaliste; c’est un conjuré qui s’est trahi. Si vous ne connaissiez mon estimable collègue, je vous dirais ce qu’il est, et au moins vous ne croiriez plus à la réponse. Un abbé Paulmier a dit un laïc, qui a dit à un abbé Dupré, et tous trois ont dit encore à d'autres, qu’un curé, membre de l'Assemblée nationale disant son office dans l’un ries bureaux, de nuit et sans lumière, Monsieur d’Orléans et M. de La Touche y entrèrent après lui, ne l’y soupçonnant pas, et il entendit entr’eux ce colloque: «le coup est donc manqué?— Oui.— On n’a donc pu gagner d’Estaing? — Non : il n’y faut pas compter. » Interrogez l’abbé Paulmier, souche de ce bruit : il ne sait où il l’a pris. Interrogez M. de La Ghèze : il place ce fait vers le temps où l’on avait parlé dans l’Assemblée nationale de la succession à la couronne. Interrogez M. de Digoine : il prétend qu’on lui a rapporté cette aventure quelques jours avant le 6 octobre. Ou se demande, après tout cela, ce qu’exprime ce colloque, quel pouvait être ce coup manqué, comment M. d’Orléans exposait ses secrets dans un lieu ouvert à mille personnes, et où deux mille pouvaient l’entendre au travers des cloisons légères qui en forment l’enceinte. M. Bergasse et le sieur Reynier, bourgeois de Paris, rapportent une conversation de M. Mounier et de M. de Mirabeau, et c’est du premier qu’ils disent la tenir. Il faut supposer qu’il est question de changements dans le gouvernement du royaume, que M. Mounier témoigne son attachement à la monarchie, et est alarmé de ce qu’on lui dit. « Eh mais! bonhomme, lui répond M. de Mirabeau, qui vous dit qu’il ne faut pas un roi? Mais que vous importe que ce soit Louis XVI ou Louis XVII? »> Je n’ai pas lu de sang-froid ces paroles abominables ; et dans mon indignation, j’ai presque dit, sans aller plus loin: il y a un complot, il y a des coupables. Revenu au calme qui me convient, je cours à la déposition de M. Mounier; elle n’est pas concise; il n’est pas suspect de vouloir céler le crime ; il dit tout ce qu’il sait, tout ce qu’il présume. Son silence m’apprend ce que je dois penser des deux dépositions que je cite. Si des bruits, si des ouï-dire, si des pressentiments sont ordinairement sans consistance dans la recherche des crimes, il faut peut-être s’en occuper davantage lorsqu’il s’agit de conspiration, dans les convulsions d’un gouvernement qui se renouvelle, et parmi les partis divers qui se disputent l’explication des événements. Laissons les bruits; passons à des faits. M. rie La Salle, membre de l’Assemblée, a déposé que les ouvriers en fer de la salle de spectacle du Palais royal avaient été occupés à faire des piques depuis le 3 octobre. C’est d’un sieur Durban que M. La Salle tient cela. Je cherche parmi les témoins produits le sieur Durban, je cherche les ouvriers indiqués, je cherche les conducteurs de ces ouvriers... Je ne les Irouve pas... Craignait-on d’être éclairé? On l’avait été par le serrurier Faure à l’égard des piques fabriquées au mois de juillet. Le 5 octobre, l’armée parisienne longeait Passy à l’entrée de la nuit. René-Remy Magin, qui marchait dans la ligne, remarqua que la maison de Monsieur d’Orléans à Passy était éclairée extraordinairement ; et il dit à ses camarades que l’on n’aurait pas fait mieux si le roi eût été dans cette maison, ou si l’on y eût préparé un bal. On pourrait observer: 1° Que le témoin ne dit pas avoir vu cette maison dans d’autres temps, à la même heure, et avoir pu faire comparaison ; 2° que tout étant en mouvement, une armée passant, lorsque quelque inquiétude se mêlait inévitablement à un spectacle inattendu, quelque lumière extraordinaire n’aurait été qu’une mesure de prudence; 3° que l’on devrait avoir plus d’un témoin d’un tel fait. Dans la même soirée, pendant que le sieur Maillard, environné de femmes, discourait à la barre de l’Assemblée, M. de Sillery dit que le roi venait de partir ; M. Taillardatle nie etM. de Sillery ne lui répond pas. De l’autre côté de la salle où passe M. Taillardat, il entend M. de Noailles don- 342 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [i« octobre 1790.] ner la même nouvelle, et dire qu’il la tient de M. Malouet. Le lendemain M. Malouet proteste qu’il n’avait pas même parlé la veille à M. de Noailles. 11 faut bien que cela signifie quelque chose, puisque M. Taillardat l’a soigneusement déposé; mais j’avoue que cela passe mes lumières. Je vous donne à deviner une autre énigme. MM. Claude-Louis de La Châtre, de Mirabeau le jeune et de Bouthillier la proposent. Dans la matinée du 5 octobre, un inconnu vient à M. l’abbé Sieyes, et lui dit que Paris est dans une grande agitation. — Je le sais, répond M. l’abbé Sieyès; mais je n'y comprends rien ; ça marche en sens contraire. Il faut qu’il y ait là-dessous quelque mystère profond ; car le Châtelet nous a donné ces expressions soulignées. Après les énigmes, je vous entretiens de prédictions, car il y a de tout dans le recueil que je parcours. Quelques jours avant le 6 octobre, un officier de la garde nationale de Versailles, chevalier de Saint-Louis, se présente au jeu de la reine; on le refuse à cause de son habit. A cause de l’habit national 1 c’était peut-être une imprudence : on pouvait le refuser pour une autre cause. Il montra des officiers de chasseurs en uniforme ; on lui répondit qu’ils étaient reçus comme appartenant à la garde actuelle du roi. En se retirant mécontent, il disait: « Nous verrons qui entrera dimanche » ; et il accompagnait ce propos d’un geste menaçant. C’est du sieur d’Walt, seul, que nous tenons ce fait; et apparemment il en conclut que le voyage de Versailles était dès lors déterminé. Un propos et un seul témoin ne font peut-être pas charge : déplus on disait alors que les soldats des ci-devant gardes françaises se vantaient du projet de venir reprendre, auprès du roi, les postes qu’ils avaient occupés. S’ils avaient formé un complot pour cela, ce n’est pas celui que nous cherchons. Le sieur Blaizot, libraire, alla chez M. de Mirabeau dix à douze jours avant la fatale scène ; ce dernier lui communiqua des craintes. Il croyait, disait-il, apercevoir qu’il y aurait des événements malheureux à Versailles. Le sieur de Belleville qui rapporte, d’après Blaizot, cette conversation, ajoute de son chef, pour rendre l’histoire plus piquante, que M. de Mirabeau fit retirer trois secrétaires. Getîe circonstance soustraite, dont Blaizot ne parle pas, il ne reste qu’une inquiétude, qu’onne pouvait guère alors ne pas avoir. M. Malouet et sa société intime avaient aussi leurs noirs pressentiments, et nous n’y trouvons rien d’étrange. M. de Mirabeau dit le 4 octobre, à l’hôtel de la reine, en la présence du sieur Girin de la Motte, que, sous peu d’heures, on verrait bien des choses. Ce dernier trait n’est pas plus extraordinaire que celui qui précède. Je vois l’effet d’une appréhension universelle, que l’état des choses allait justifiant de plus en plus. Un particulier, regardant des livres chez Blaizot, disait : « J’ai une lettre qui m’est venue d’un tel, dans laquelle il me marque qu’il a peur pour moi ; qu’il se répand qu’il doit arriver à Versailles des événements sinistres, et il me prie de lui donner de mes nouvelles. » Blaizot, qui entendait ce propos, croit que la lettre venait de Toulouse. Or, le sieur Labouche, citoyen de Versailles, était à Toulouse, le 29 septembre. Il se proposait d’aller à Bordeaux, et comme il faisait connaître ce dessein, quelqu’un lui dit : « Si vous êtes de Versailles et que quelque chose vous y attache, vous ferez bien d’y retourner ; car si vous allez à Bordeaux et que vous y restiez quelques jours, vous ne retrouverez plus le roi à Versailles. » Je saisis ces dernières expressions ; elles expliquent tout; car alors on craignait, en effet, que le roi ne fût enlevé et conduit à Metz par une faction, et peut-être vous ferai-je voir bientôt que ce n’était pas un simple bruit populaire. Voici un témoignage qui, dans le genre merveilleux, surpasse de loin ces prédictions : « Le 28 septembre, une femme (Marguerite An-« del, veuve Ravel), est abordée entre Auteuil et « Passy, par un inconnu; elle lui confie ses cha-« grins. Il lui conseille d’avoir recours aux bontés « de M. d’Orléans, et lui offre une lettre de re-« commandation; elle va avec lui à. Versailles... « Il la conduit par une rue qui est presque vis-« à-vis la maison de M. d'Orléans. Après un cer-« tainj trajet de chemin, près d’une église, il la « laisse là, lui disant de l’attendre. Un quart « d’heure et demi après, il lui apporte une lettre, « à l’adresse de M. d’Orléans... Il lui dit que le « prince reconnaîtra le cachet, en lui recomman-« dant de ne la remettre qu’au prince, ou à M. de « La Touche, ou à M. Marcel, son valet de chambre; « que si elle ne trouvait ni les uns, ni les autres, « elle le rejoindrait à la grille de Montreuil... Le « suisse la reçoit fort mal. Elle va à une autre « porte; elle trouva un postillon, qui lui dit que « monseigneur est très généreux; que la veille, « une femme lui a présenté une lettre, et qu’à « la vue du cachet, il lui a remis dix louis. Le « postillon lui indique un passage. Elle demande « à un des gens de monseigneur; il lui dit qu’elle « ne peut lui parler; lui demande de quelle part « elle vient, et ne pouvant le dire, elle est ren-« voyée.Elle va chez M. de La Touche; lui ni son « valet n’y sont.. .elle vaau parc.. .Elle rompt leca-« chet; elle trouve un grand papier épais, au haut « duquel est une espèce de timbre en ovale, par-« lagé par deux petites barres, entre lesquelles « est écrit le mot concordia; au-dessus des deux « barres est un demi-soleil, de la bouche duquel « sortent deux lances qui traversent les deux « barres, et passent aussi sur deux mains unies, « symbole de la bonne foi, qui sont au-dessous « des barres. Au haut de l’ovale, en dehors, est « une couronne ornée de trois fleurs de lis, dont « celle du milieu est renversée. D’un côté de « l’ovale est une double aigle, et de l’autre, une « femme tenant un ancre d’espérance; le tout « imprimé. Le reste et moitié du verso du pre-« mier feuillet de cette feuille de papier sont « remplis de chiffres, mêlés de caractères, qu’elle « croit grecs, avec des signatures et des paraphes. « Elle met ce papier dans sa poche. Sur la route « de Marly, elle voit deux cavaliers, ayant l’air « de chercher quelqu’un, courant à bride abat-« tue... Ils demandent si on n’a pas vu une femme. « Us ralentissent leur course, et vont de côté et « d’autre. Ils demandent de nouveau si on n’a « pas vu une femme. Jugeant alors que ce peut « être elle que les cavaliers cherchent, elle s’en-« fonce dans les charmilles, et coupe avec ses « ciseaux en petits morceaux le papier qu’elle a « trouvé dans l’enveloppe, et l’éparpille dans les « charmilles... Plus loin, les cavaliers accourent, « la saisissent, la fouillent dans ses poches, et « jusque dans son estomac » Je n’ai rien ajouté; cette aventure est assuré- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Ie* octobre 1790.] [Assemblée nationale.] ment étonnante ; on se demande si on a bien entendu? Ce n’est rien. Il y a dans la déposition de Marguerite Andel, une autre aventure non moins touchante, et non moins singulière. Cette femme est elle-même un prodige; quelle mémoire 1 quelle justesse dans cette description du papier mystérieux I et c’est sur l’examen de quelques minutes, et après huit mois, qu’une ouvrière en linge vous rend tout cela, comme à l’Académie de dessin ! Je ne commenterai pas ce véridique récit; mais je remarquerai deux faits : 1° Marguerite Andel, appelée au comité des recherches, y fit sa déclaration le 4 janvier, et je n'y ai pas trouvé un mot de l’histoire du 28 septembre ; 2° Cette femme se présenta chez M. de Tonnerre dans le mois d’avril, et lui parla des événements du 6 octobre, et même de cette autre aventure, dont je vous ai dit que le détail est dans la déposition ; et elle ne lui parla point de celle-ci. Ces considérations ne laissent pas d’ajouter quelque chose à la vraisemblance du témoignage de Marguerite Andel. Je poursuis mon énumération. Vous n’avez pas oublié, Messieurs, que la loi de la succession au trône fut un instant l’objet de votre attention . Je n’ai pas cru devoir vous rendre compte des dépositions que les juges du Châtelet ont reçues sur les discours proférés par les membres de l’Assemblée, soit dans son sein, soit dans leurs conférences particulières. Vous jouissez, vous devez jouir dans vos discours, comme dans vos opinions et dans vos travaux de la plus entière liberté; rappeler ici ces discours, même pour les justifier, ce serait, en supposant que . les juges ont pu en informer, blesser votre droit; et lorsque les tribunaux seront autorisés à aller jusque-là, aussitôt il n’y aura plus d’Assemblée nationale. M. de Virieu et M. Henri de Longuêve remarquent que dans les délibérations de la première séance du 5 octobre, ils furent frappés de la raideur d’opinions qui se manifestait dans une partie de l’Assemblée nationale. Je relève ce témoignage particulier, parce qu’il est grave dans ce qu’il dit, et plus encore dans ce qu’il ne dit pas. Quel rapport veut-on établir entre la disposition des esprits dans l’Assemblée nationale, et une insurrection ignorée encore par ceux qui n’auraient pas été instruits du mystère qui la préparait? Je ne sais que vous dire : une définition me semble périlleuse; il y a de l’indiscrétion peut-être dans ces dépositions, si elles sont insignifiantes; si la réticence intervient, je n’ose la qualifier... Je m’arrête; ma mission n’est pas de justifier l’Assemblée nationale, qui n’en a pas besoin. Vous allez entendre des révélations qui partent de votre comité des recherches. On a vu des plaques de métal aux armes d'Orléans. Trois honorables membres de l’Assemblée, MM. Taillardat, Henry et Turpin, ont consigné cette découverte dans l’information. Je me suis d’abord figuré des marques d’une chevalerie nouvelle... Quelque signe de ralliement entre des conjurés... J’ai vu de lourdes masses. On est allé à la source; et l’on a su qu’elles avaient été ordonnées en 1788, et destinées à marquer des limites attachées à cet effet à des poteaux. 343 On a su que le sieur Simon, graveur, en fit le modèle, et qu’elles furent exécutées dans l’hiver suivant, en plomb, par le sieur Rousseau, et en fonte, par le sieur Gibiard. Voici le pendant des plaques. Plusieurs caisses sont arrêtées, dit-on, à la suite de l’un des régiments de M. d’Orléans, elles contenaient des fragments de bois taillés de manière à s’entrelier sous diverses formes, de la hauteur d’un pouce, de l’épaisseur d’une ligne, et ne présentant désassemblées que de petites pièces endentées avec symétrie. J’ai vu une croix à piédestal formée de ces pièces réunies ; bagatelle préparée par la patience des solitaires; badinage à poser sur une corniche de cheminée ; chef-d’œuvre de légèreté qui ne recèle assurément rien de suspect. M. Taillardat a déclaré cette prise ; un autre témoin, le sieur de Rosnel, a rapporté une conversation, dans laquelle on lui avait dit que de telles pièces de bois étaient employées par les anciens à construire des ponts pour passer les rivières... Il semble apparemment au sieur de Rosnel qu’il voit déjà des régiments de ligueurs portant leurs ponts, comme leurs fusils, et les fleuves n’ètre plus un obstacle. Les mêmes témoins dénoncent des lettres cachetées venues d’Angleterre, arrêtées à la poste, adressées soit à des personnes de la maison de M. d’Orléans, soit à d’autres personnes, et où l’on croit avoir reconnu le sceau ou l’écriture de M. d’Orléans. Quand ces lettres furent arrêtées, je ne sais comment, on recourut au roi. 11 fut répondu qu’on ne pouvait autoriser la violation du secret des lettres; mais que les tribunaux pouvaient en ordonner l’ouverture, lorsqu’elles appartenaient à des personnes prévenues. Les ministres décidaient ainsi assez légèrement sous le nom du roi une grande et délicate question ; mais nul tribunal n’ayant ensuite ordonné l’ouverture des lettres dont je parle, le sceau a été respecté. Je ne sais ce que l’Assemblée en pensera. Les prévenus peut-être jouissent encore de tous les droits des citoyens, et je dis que le secret des lettres est l’un de nos droits les plus sacrés. Ges lettres ne seraient-elles pas les pièces de conviction dont les juges du Châtelet vous ont dit que le comité de la commune leur refusait la connaissance? Alors on pourrait regarder comme naturel que ce comité n’ait pas vu des moyens de conviction dans des secrets qu’il n’a pù ni dû pénétrer. Je ne dirai pas maintenant que tous les témoignages que je viens de vous exposer sont, ou en eux-mêmes insignifiants, ou démentis presque aussitôt par leur propre vertu ou par d’autres témoignages, ou enfin étrangers à l’affaire du 6 octobre et au complot que nous recherchons. Si je n’avais à aller plus loin, je le dirais peut-être hardiment. Mais j’aborde les traits plus marqués qui doivent entrer dans mon tableau ; l’horizon se rembrunit, et les faits isolés dont je vous ai entretenus, peuvent prendre un autre caractère, si nous devons rencontrer les preuves qui nous manquent jusqu’à ce moment. Le sort de la reine de France est trop étroitement lié à celui de l’Etat, pour que le complot qui l’aurait menacée, soit regardé comme étranger à la chose publique. Le sieur de la Tontinière et le sieur Laimant ont déposé que, dès les premiers jours de sep- 344 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1« octobre 1790.] tembre, un assassinat menaça les jours de la reine. Le nommé Blangez, domestique du sieur Laimant, s’énivre à Versailles le 12 ou le 13. Il se retire. Un homme se trouve sur ses pas, l’interroge et lui fait concevoir le dessein d’un parricide. Les détails de ce fait sont dans les deux dépositions, elles répètent le récit fait par Blangez lui-même, et je ne ferai presque que transcrire. Blangez goûte avec deux de ses amis dans un cabaret de la rue des Récollets; il les quitte à sept heures, il passe chantant dans la rue du Vieux Versailles, et de là, comme il tourne dans celle de la Surintendance, un jeune homme sortant de l’auberge du Juste, le félicite sur sa gaieté. Il répond qu’il chante, mais qu’il n’est pas plus gai pour cela ; qu’il est aussi affecté que tout le monde des malheurs publics ; qu’il a entendu dire que la reine en est la cause... Qu’il s’estimerait heureux, s’il pouvait en délivrer la France. L’inconnu le loue de ses sentiments patriotiques, l’emmène à l'écart près la boutique d'un cordonnier, et lui offre une forte grosse bourse pleine d'or et d'argent. Il lui promet bien davantage, s’il exécute sa résolution. Il ajoute que c’est un complot formé, auquel ont part plus de soixante personnes. Il lui propose de se rendre le même jour à Paris, à la place Louis XV, pour y souper avec ses complices. Blangez répond qu’il n’a pas besoin d’argent, qu’il aura le courage d’agir sans intérêt. II refuse d’aller à Paris, on promet qu’on lui fera parvenir des nouvelles. Il part plein de cette conversation, sa tête s’échauffe dans cette pensée... Sur la route il court sus à un homme, le poursuit à coups de bâton, l’atteint, le saisit; on l’arrache de ses mains... Dès lors il ne sait plus ce que l’on a fait de lui; il a repris ses esprits le lendemain, et s’est trouvé couché dans l’écurie du sieur de La Tontinière. Il semble d’abord que ces deux témoignages se réduisent en un ouï-dire; caries témoins n’ont rien vu, et ils déposent ce que leur a dit Blangez. Je n’ai pas cru cependant devoir les ranger dans la classe des simples ouï-dire. La scène de la rue du Vieux-Versailles se prolonge, pour ainsi dire, jusqu’à la ménagerie où habite le sieur Laimant, et jusqu’au domicile du sieur de La Tontinière, qui en est voisin, et dans l’écurie duquel Blangez passa la nuit. Il me semble que, saisissant Blangez presque dans les derniers instants de cet événement, lorsqu’il était encore dans l’émotion qui en était la suite, ils ont comme vu l’événement dans son entier; ils n’y ont pas apporté cette curiosité vaine qui entend un récit après un intervalle, ils ont presque reçu l’impression des témoins oculaires. Et pourtant, après avoir été frappés d’un sentiment qui maîtrisait presque ma croyance, quand je relis, mon esprit aperçoit des raisons de douter. Le sieur de La Tontinière et le sieur Laimant donnèrent avis aux ministres de ce qu’ils avaient appris de Laimant. Gomment n’a-t-on pas pris à l’auberge du Juste des renseignements sur le jeune homme qui en était sorti? Blangez est saisi par ceux qui accourent au secours de l’homme qu’il poursuivait et qu’il maltraitait : il passe la nuit dans l’écurie du sieur de la Tontinière. Gomment ne rencontre-t-on dans l'information, ni l’homme maltraité, ni ceux qui le secoururent, ni les gens de la maison du sieur de La Tontinière, qui lui donnèrent un asile? En se rappelant le fait, on trouve étrange que le secret d’une conjuration soit confié à un homme ivre, àla première vue, et qu’on lui offre, sans le connaître, une fort grosse bourse; Qu’il reconnaisse, tout en refusant cette bourse et dans l’obscurité, qu’elle est pleine d’or et d’argent; Que pour lui parler à l’écart, on l’emmène près de la boutique dmn cordonnier, d’où à sept heures du soir, il est fort à craindre qu’on ne soit entendu; Qu’on lui indique imprudemment, et sans l’avoir éprouvé, des complices et un rendez-vous avec eux. Blangez pouvait être ivre, bavard, et pourtant honnête : où était la caution qu’il ne crierait pas à l’assassin? et quel gage avait-on de la discrétion de cet homme rencontré par hasard? Ivre à l’excès, comment conserve-t-il la mémoire de tout ce qui s’est passé dans cette rencontre, et la perd-il bientôt de ce qui suit? Il ne sait pas dire comment il a eu une retraite pendant la nuit, et il conte une conversation avec une présence d’esprit admirable. On a vu souvent l’ivresse se dissiper dans un violent exercice, il aurait augmenté celle de Blangez. La déposition du sieur de La Tontinière, que ces réflexions engagent à revoir de près, semble accoler des circonstances inconciliables; il alla chez le sieur Laimant pour s’informer des propos que l’on imputait à Blangez; on cherchait ce domestique depuis le matin, il le trouva enfin au bout des cours dans un poulailler, monté sur un perchoir, presque nu, les yeux étincelants, avec les symptômes de la fureur. Il l’interrogea. Get homme répondit avec l’expression la plus véhémente, « qu’il sentait bien qu’il était un « homme perdu, mais qu’il s’en f..., qu’il se res-« souvenait bien d 'avoir dit la veille qu’il lui avait « été offert de l’argent pour assassiner la reine. » Gomment accorder le souvenir qu’a Blangez de ce qu’il avait dit la veille avec l’entier oubli de ce qu’il devint? à qui donc avait-il fait cette confidence dangereuse? Dans la route il trouve un seul homme et il le veut assommer. Il arrive et il ne voit, ne dit, n’entend plus rien; il ne reprend ses esprits que le lendemain ; il semble que son secret est entier. Le sieur de La Tontinière et le sieur Laimant diffèrent dans quelques points; et pour augmenter l’embarras, un troisième témoin produit pour les confirmer, les contrarie encore; c’est Pierre Boucher, engraisseur de volailles à la ménagerip. Selon le sieur de La Tontinière, on cherchait Blangez depuis le matin ; pourtant Boucher, qui est de la maison, conversait tranquillement avec lui et pouvait l’avertir. Le sieur de La Tontinière voit Blangez sur un perchoir, dans un poulailler, presque nu; cette manière de se blottir est assez extraordinaire, et pourtant elle échappe à Boucher. Voici une diversité remarquable. Ecoutez le sieur Laimant, je transcris ses paroles : « Ledit Blangez est revenu le soir à la mé-« nagerie sur les 8 à 9 heures; il dit à lui dépo-« sant, etc., etc. » Rien n'est plus positif, plus affirmatif; l’heure même est exprimée ; comment est-il donc vrai qu’il fût porté dans l’écurie du sieur de La Tontinière ? Il faut convenir que le sieur Laimant rajuste sa déposition comme il allait achever de contre- [Assemblée nationale. J direle sieur de LaTontinière qui avait déposé trois jours plus tôt. Je n’ose conjecturer comment il revient sur ses pas ; mais on croirait que le sieur de La Tontinière est derrière qui lui dit J’ai conté cela autrement; ou que quelque autre le dit à la place du sieur de La Tontinière. Restent dans la déposition ces paroles : « Ledit « Blangez est revenu le soir à la ménagerie sur « les 8 à 9 heures ; il adit, etc., etc., » et puis l’on y trouve ces autres paroles : « Observe le déposant « qu’il n’a point vu son domestique dans l’après-« midi, mais seulement le lendemain à 10 heu-« res.., » Or, j’aimerais autant que le sieur Lai-mant me dît : « J’ai vu Blangez le soir à 8, à « 9 heures, c’est-à-dire, le matin à 10 heures. » Ce n’est pas tout ; selon le sieur de La Tontinière, un seul homme avait abordé Blangez à Versailles; vous en trouvez deux dans le récit du sieur Laimant. Le premier le fait partir du cabaret où il a goûté, rue des Récollets ; le second le fait aller au café et boire des liqueurs. Enfin pour compléter la bigarrure, Boucher convient que Blangez conversant avec lui, lorsque le sieur de La Tontinière parut, tenait des propos répréhensibles, et qu’il l’en réprimandait; mais il a oublié l’espèce de ces propos, ce qui est, comme on voit, fort naturel, s’agissant seulement de la reine de France et d’un assassinat. Voilà un fait en même temps bien grave et bien estropié que je livre à vos réflexions. La déposition du sieur de Miomandre-Ghâteau-neuf va vous présenter un autre fait qui mérite votre attention. Il avait assisté le 1er octobre au repas donné par les gardes du roi; il suivit une troupe ivre et joyeuse sur la terrasse; il en sortit par le passage qui conduit au grand escalier. « Je fus arrêté, dit-il, (dans ce passage) par un « chasseur des Trois-Evêchés, qui était le front « appuyé sur le plombeau de son sabre hors du « fourreau. Cet homme me saisit par le poignet « gauche, et me dit qu’il était bieu malheureux. « La douleur la plus profonde était peinte sur sa « figure. ..Il dit qu’il n’avait besoin que de la « mort. ..ses larmes l’empêchaient de s’expliquer... « puis se voyant seul avec moi, il prononça ces « mots sans aucune liaison: « notre bon roi... cette « brave maison du roi... je suis un grand gueux 1 « les monstres... qu’exigent-ils de moi? Qui, lui « demandai-je? ces j. f. de commandant et d’Or-« léans... » Beaucoup de monde survint; il de-« vint furieux... il se mit la pointe du sabre sur « l’estomac... je m’écriai à moi, du Verger, il vint « et désarma le chasseur... Nous ne pûmes em-« pêcher qu’il ne se blessât ; le sang vint; l’homme « devint plus furieux; plusieurs personnes à moi « inconnues lui donnèrent du secours... Je diri-« geais ma marche pour déposer cet homme au « corps de garde; j’aperçus M. le comte de Saint-« Marceau, je le priai d’être témoin des aveux « que nous espérions avoir de cet homme... Je « fis étendre une botte de paille ; j’y fis placer cet « homme... il était dans un abattement total; « plusieurs de ses camarades survinrent... qui « s'avancèrent, et l’un id'entre eux lui détacha «i deux coups de pieds dans l’estomac, en disant « que c’était un mauvais sujet dont ils voulaient « se défaire ». Apparemment l’homme mourut, le témoin n’en dit pas davantage (1). (1) Ou a crié dans l’Assemblée que l’homme n’était [l*r octobre 1790.] 345 Le sieur de Rebourceaux confirme en partie, et en partie dément ce récit. « On dansait, dit-« il, sous le balcon du roi; un dragon se livra « au désespoir, en disant qu’il était uu malheu->• reux d’avoir reçu de l’argent pour trahir son <' maître ; il voulait se tuer, on lui enleva son « sabre. » Ce n’est plus dans le passage, c’est sous le balcon du roi ; la scène n’est point ensanglantée, et il y a peu de discours. Ces contradictions légères ne doivent pas étonner. L’un des témoins était auprès du chasseur, il le suivit ; l’autre ne se trouva pas à portée d’être instruit aussi précisément. On peut les regarder comme conformes sur la séduction qui paraissait avoir enveloppé cet homme, et c’est ici le fait essentiel. D’ailleurs, vous entendrez dans la suite un grand nombre de témoins dénoncer ces distributions d’argent faites aux soldats, et vous concevez ce qu’ajouterait d’importance à ces deux témoignages la certitude des distributions. Toutefois, je vous propose quelques questions qui se présentent à mon esprit. Le chasseur était ivre; n’y a-t-il pas une sorte de vanterie à laquelle son propos pourrait appartenir ? Monsieur d’Orléans qu’il nomme, est-il allé jusqu’à lui? Lui a-t-il parlé? lui a-l-il communiqué d’horribles desseins? comment enfin cet homme a-t-il le droit de nommer Monsieur d’Orléans? Gomment deux témoins peuvent-ils être divers sur le fait simple en soi de l’homme se blessant, ou retenu et désarmé sans blessures ? Gomment un événement si singulier et si intéressant est-il, au milieu d’une grande foule, le secret de deux personnes ? Gomment ne trouve-t-on pas, parmi les témoins de l’information, le sieur du Verger qui est supposé avoir désarmé l’homme ? Gomment accorder la bassesse de l’homme qui se vend avec l’héroïsme de l’homme qui se tue pour s’être vendu ? Quelle idée se faire du soldat ivre qui choisit et attend quelqu’un pour lui faire sa confidence avant de mourir, et qui la lui fait à demi, qui joue les grands mouvements, qui s’exprime avec des réticences que l’on dirait étudiées, qui coupe son discours par des trois points comme un poète tragique? Le soldat s’arrêtant dans un passage étroit, le sabre nu, posé de manière à en faire usage, lorsque l’instant sera venu, commandant à sa fureur assez pour avoir le temps justement de proférer quelques paroles qui expliquent ce qui va se passer ; des passants qui voient froidement cette situation qui présageait un homicide ; des spectateurs tranquilles qui ne s’étonnent pas, lorsque l’arme, dont la pointe était d’abord à terre, est ensuite retournée offensivement ; un confident immobile qui réserve à un tiers le soin d'arracher à la victime le fer meurtrier, afin qu’elle ait le loisir de parler, de prendre ses mesures et de se frapper ..... Tout cela n’a-t-il pas l’air d’un coup de théâtre compassé, dont la moindre omission ferait manquer tout l’effet? L’attention est encore suspendue... Pour prolonger l’intérêt on transporte l’homme, et afin de couronner 'inexplicable bizarrerie de toute cette histoire, ses camarades viennent, le regar-pas mort; en ce cas, je demande pourquoi je ne trouve pas son témoignage dans l'information? ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 346 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1» octobre 1790.) dent, le font expirer sous les coups de pieds, sans que personne s’en formalise, comme en passant on écrase un reptile. J’ai lu dans une déclaration du sieur Le Coin-tre, citoyen [de Versailles, que, dans l’ivresse de cette fête, on escalada le balcon du roi, et qu’un dragon voulait se tuer pour avoir manqué l’escalade. On pourrait soupçonner que le dragon du sieur Le Gointre, et le chasseur du sieur deMio-mandre, ne sont que le même homme. Je cours à d’autres faits : M. Diot entend le 5 octobre, à sept heures et demie du soir, à l’entrée de l’avenue de Paris, la conversation de trois personnes ; une baraque est entre ces personnes et lui : l’une des trois fait part aux deux autres d’un complot qui doit être exécuté le lendemain ; les gardes du roi seront massacrés, la reine sera assassinée, une personne attachée à Monsieur d’Orléans payera largement les complices ; il n’est question de rien moins que de 50 louis pour un ou deux spadassins... M. Diot est aperçu ; un homme sous des habits de femme va a lui l’épée à la main, il pare de sa canne, il désarme l’agresseur, et il fuit. Il voulait, dit-il, monter au château pour révéler ce qu’il venait d’ouïr, il était difficile de Sénétrer; on l’insultait; sa vie était en péril... L Diot se retira. M. de Baras déclare une seconde conversation qui ressemble beaucoup à la première ; elle se passe de même entre trois personnes dont l’une parle, et les deux autres écoutent; c’est encore de même à l’entrée de l’avenue de Paris ; mais c’est entre dix et onze heures, et il n’y a point de déguisement. Or, la personne qui avait la parole, disait que l’on serait bientôt en force; que l’on irait au château; que l’on se saisirait du roi, de la reine et de tous les coquins qui les entouraient : qu’on n’avait pas besoin de ces gens-là; que puisqu’ils ne savaient pas gouverner, il fallait se débarrasser de ce fardeau : qu’un homme de la milice nationale arrivait, dont on était sûr, et qui seconderait ces desseins. M. de Baras voulut faire quelques représentations ; on lui répondit brusquement : « Bon, bon 1 à quoi bon un roi ? plus de tout cela. » Le témoin donne le signalement de l’orateur. Je fais quelques observations : Ces deux témoins ont l’air d’avoir la prétention de se rencontrer ; chez l’un et chez l’autre c’est une conversation ; c’est le 5 octobre, c’est dans la nuit, c’est entre trois personnes ; c’est à l’entrée de l’avenue de Paris, et pourtant ils ne se rencontrent pas. Des conjurateurs ne se livrent pas, peut-être, dans un lieu public, à des indiscrétions propres à les déceler. Ils cherchent sans doute l’obscurité; mais ne la craignent-ils pas, lorsqu’elle [ eut favoriser des espions et des témoins? Cinquante louis pour un homme ou pour deux sont un prix énorme, lorsqu’il faut supposer que des milliers d’hommes doivent être achetés. Si la promesse est vaine, comment imaginer des complices qui s’engagent sur la parole d’un inconnu? Des malfaiteurs séduisent-ils des coopérateurs un à un, pour s'assurer du secret, ou deux à deux pour être trahis plus probablement ? Attend-on l’instant d’exécuter un grand crime, pour recruter les scélérats qui doivent le commettre ? L’obscurité fut profonde durant cette nuit ; M. Diot en convient, et j’en trouve la preuve dans la déposition de Vincent Arnaud, qui parle de onze heures, et dans celle du sieur Guéroult de Valmet, qui fut en faction depuis sept heures et demie jusqu’à minuit ; et après cela je ne conçois pas comment M. Diot vit qu’un homme venait à lui l’épée à la main ; comment il para avec sa canne, et comment M. de Baras s’assura du signalement très précis qu’il à donné de la personne dont il entendit le discours. Je sais que la garde nationale de Paris arrivait pour contenir le peuple ; je sais que le lendemain elle fut le salut des gardes du roi, lorsqu’elle accourut pour faire cesser des excès qu’elle n’avait pu prévoir, et il me semble que le dessein de l’inculper perce trop dans la déposition de M. de Baras. Que penser enfin de deux citoyens à qui le hasard a procuré de telles révélations, et qui ne prennent aucunes mesures pour qu’un abominable forfait soit prévenu ; de M. Diot qui se retire, parce qu’il était insulté, et parce cju’il craignait pour sa vie, comme si alors il eût été permis de s’occuper de son repos etde sa vie ; de M. de Baras qui fait à des scélérats quelques remontrances froides, et les laisse à leurs desseins ?.... Si je crois leurs récits, je dois mettre sur leur tête, je dois imputer à leur coupable insouciance tous les crimes qui étaient médités devant eux. Vous savez que quelques-unes des femmes venues à Versailles furent admises chez le roi ; elles rendirent compte à leurs compagnes de l’accueil paternel du prince. Plusieurs, satisfaites, dirent qu’il fallait retourner à Paris ; M. Le François de Rosnel entendit plusieurs autres s’y opposer, parce qu’ii y avait ordre exprès de rester. Or, cet ordre de rester devait tenir à quelque dessein ; ce dessein n’était antre peut-être que celui d’engager le roi à se rendre à Paris; il était peut-être moins excusable. Mais pourquoi faut-il que le sieur de Rosnel entende seul parmi une multitude de témoins; qu’il ne désigne pas celles qui parlaient ainsi, et que l’on ne puisse remonter à la source d’un tel discours, et en demander l'explication? Le sieur Le Clerc, officier du régiment de Touraine, de ce régiment connu par les vues que l’on eut sur lui, le sieur Le Clerc se rendant dans la nuit à l’Assemblée nationale, fut conseillé de prendre le costume que ses membres avaient originairement porté. Il marchait rassuré sous cette égide, lorsque dans la cour même, une fusillade est dirigée contre lui. Il entre, il se plaint de cette attaque, elle n’étonne personne : vous n’avez pas, lui dit-on, une manchette déchirée, et le morceau attaché sur la manche. Cette fusillade se passe sans bruit, elle est ignorée de tous les autres témoins ; mais ce n’est pas ce qui importe dans la déposition. La manchette déchirée, le morceau attaché sur la manche ; voilà une livrée de conjuration : comment le sieur Le Clerc ne fait-il pas connaître les personnes qui lui parlèrent de ce signe mys: térieux? comment ce 8igne ne fut-il vu sur qui que ce soit par aucuns des témoins, pas même par le sieur Le Clerc ? Parmi les preuves qui peuvent indiquer un complot formé, les distributions d’argent doivent être comptées comme propres à donner de grandes lumières. On avait offert à Blangez une grosse bourse (Assemblée nationaIe.| ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (1" octobre 1790.] 347 pleine d’or et d’argent. Le chasseur dont je vous jai fait l’histoire, en avait reçu. Vous allez voir qu’il n’était pas épargné. D’abord on avait payé des filles de joie, et on les avait envoyées aux soldats du régiment de Flandre. Elles allèrent par légions au-devant de cette troupe à Saint-Denis, et elles la suivirent à Versailles. Je remarque dans la déposition de M. Dupuis de Saint-Martin, des femmes levant leurs jupes devant les soldats, dans la soirée du 5 octobre, au sein de la boue dont elles étaient couvertes. On pourrait dire que les conjurateurs ont choisi là des confidents peu discrets; ils en cherchaient partout, jusques dans la maison de M. du Châtelet, dont le cocher fut surpris subornant des soldats et leur inspirant la désobéissance. Ce n’était pas assez de payer des filles pour les livrer aux soldats, il fallait encore donner de l’argent aux soldats mêmes, pour s’en assurer mieux. Je ne cite pas les témoins, ils sont en grand nombre. Ils m’apprennent que les soldats couraient du cabaret au café, ne payant qu’avec des écus de 6 livres; Qu’à Saint-Denis, ceux du régiment de Flandre avaient été attendus par une distribution de ,45,000 livres et une promesse plus magnifique; Que le 5, le 6 octobre et les jours suivants, on avait fait encore de nombreuses distributions; Que chaque soldat avait reçu 1 écu, que l’un se présenta trois fois, et eut 3 écus. Je passe légèrement sur ces témoignages vagues; je fais station, lorsque je rencontre quelque chose de plus précis. M. Demassé prêta 12 sols, le 4, à un soldat, et le 7, il lui vit des écus de 6 livres; le soldat lui dit que c’était le prix de quelques travaux faits par lui et par ses camarades : cet officier ajoute savoir qu’en effet les camarades reçurent quelque argent. Ces travaux faits, ces écus de 6 livres reçus pourraient expliquer les courses dans les cafés et dans les cabarets. M. de Montmorin vit, le 5, une femme portant un panier d’osier couvert d’une toile, dans lequel il y avait de l’argent qu’elle distribuait aux soldats. M. Veytard et M. de La Chèze disent aussi quelque chose du panier d’osier; mais c’est par ouï-dire, et cela se confond avec la déposition de M. de Montmorin. Après avoir acheté les soldats, il était naturel que l’on marchandât le peuple. Le sit ur Duval de Grand-Maison dit que l’on a vu jeter de l’argent par les fenêtres du Palais-Royal; son auteur est le sieur Lamorte; rien n’est plus heureux. Le sieur Lamorte dépose immédiatement après, parie de l’argent jeté, et cite à son tour, comme son auteur, le sieur Duval de Grand-Maison. Gela date, je crois, du mois de juillet; mais cette réciprocité de témoignage est trop piquante, pour que l’on y regarde de si près. Du reste, le sieur Duval a vu de ses propres yeux que l’on donnait de l’argent au Palais-Royal ; il ne manque que les noms, ou au moins la désignation de ceux qui donnaient et de ceux qui recevaient. Il n’y avait qu’à se baisser, et même on vous en épargnait la peine. Le sieur Perrin a déposé, d’après un sieur abbé Hesse, que l’on remit un jour dans la poche d’une personne qui se promenait avec cet abbé, 30 à 36 livres en paquet, avec une étiquette portant simplement le nom de M. Otel. Si le sieur abbé Hesse a conté cela au sieur Perrin, il s’en tait dans sa déposition. Un portier refuse un inconnu qui lui propose d’aller au cabaret, de signer son nom, et de passer ensuite au. Palais-Royal, pour recevoir 6 livres de M. Otel, dont l’adresse est dans les pelotons du Palais-Royal. Les portiers ne sont, pas ce qu’il y a de plus cher. Augustin Dupuis, domestique de M. de Vi-rieu, vous parlera d’une compagnie de cinquante garçons vitriers, engagés à 1 louis par tête. Le sieur de Saint-Firmin a ouï dire qu’un seigneur, qui habite le Palais-Royal, est allé déguisé en femme sur un bateau de blanchisseuses, pour enrôler ces dames, et leur offrant 6 et 12 livres pour chacune. Le sieur Rigonneau a ouï dire que dans un autre bateau, qui descendait à Saint-Cloud, un homme bien mis a engagé à boire un groupe de femmes, et a vidé sa bourse dans leurs mains; ce qui a produit à chacune 6 livres et quelque monnaie. M. Roy sait que deux louis furent donnés à chacun des ouvriers de la veuve Héricourt, qui prirent l’argent et n’allèrent pas à Versailles. — Selon la veuve Héricourt, ce ne sont plus ses ouvriers, ce sont des peintres, travaillant au Palais-Bourbon ; et enfin ces peintres, devenus garçons sculpteurs dans la déposition du sieur Cayeux, se trouvent n'avoir reçu que 3 livres. Le sieur Gérard-Henri de Blois avait ouï dire que 6 à 7 millions étaient arrivés de Hollande, le jeudi 1er octobre, pour moyenner le soulèvement du peuple, et la séduction des soldats du régiment de Flandre. Aussi, hommes et femmes, tout en demandant du pain le 5 et le 6 à Versailles, avaient beaucoup d’argent; c’étaient de pleines poches; de pleins tabliers, des poignées d’or et d’argent, des 100 et 200 livres. Ils montraient fièrement des haillons et des richesses. Le sieur Galleman dit que des femmes, entrant dans la salle de l’Assemblée nationale, montraient de l’argent qu’elles venaient de recevoir; probablement il y avait un bureau à la porte; mais le sieur Galleman a su cela tout seul. Marguerite Andel fournit le signalement de deux distributeurs; l’un dans l’Assemblée nationale donna, le 5 octobre, à une poissarde, de l’argent caché sous une cocarde. Je voudrais d’autres témoins, et le lieu me montre qu’il eût été facile d’en avoir. — L’autre distribuait dans les cours du château; mais déjà l’on emmenait les gardes du roi, qui n’avaient pas été massacrés dans les premiers moments. Déjà M. de La Fayette donnait des ordres pour les sauver; Marguerite Andel nous apprend tout cela, sans s’en apercevoir; enfin on était au terme, et il n’était plus temps de payer et d’ordonner des crimes. Et puis en lisant la déposition entière de Marguerite Andel, ne croirait-on pas qu’on tient un chapitre des Mille et une nuits ? Or, quelques dispositions que l’on ait à croire, cela décourage prodigieusement. M. Taiilardat entendit trois jeunes gens, dont l'un disait avoir reçu cent sols. Le sieur Pirault parle d’un homme et d’une femme; le premier récapitulait ses exploits; et le sycophante disait : nous n’avons pas volé notre argent. Voilà une suite d’attestations bien précises $ 348 {Assemblée nalionale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Ii«r octobre 1790.] elles sont si multipliées, qu’il semble difficile de ne pas croire que de l’argent a été distribué. Et cependant une conclusion formelle serait, à mon sens, hasardeuse ; je ne sais comment vous rendre ma pensée, je reste entre le soupçon et la croyance : si l’on ajoute quelque chose, je pourrai croire, si l’on ôte, je n’oserai plus même soupçonner. Parmi tous ces témoins dont j ai suivi les révélations, M. de Montmorin affirme le fait du panier ; et bien qu’il dise avoir vu, mon irrésolution subsiste; un panier plein d’argent est un poids trop lourd pour une femme; des yeux qui distinguent de l’argent au travers d’une toile, sont trop perçants; c’était de loin et le jour tombait, et puis je ne me fais pas à l’idée d’un seul témoin pour ce qui devrait en avoir mille. M. de Montmorin crut voir, et ne vit pas. Je compte presque pour rien Marguerite Andel ; j’en ai dit les raisons; la vérité même n’est plus croyable à côté des visions de cette femme. Je voudrais que les autres témoins eussent vu et connu des distributeurs; je voudrais trouver devant moi ceux qui ont reçu; je voudrais que des détails particuliers fussent à la place des attestations vagues, et des témoignages immédiats à la place des ouï-dire. Et puis de l’argent jeté par la fenêtre, des paquets glissés subtilement dans les poches, l’a-_dresse de M. Otel à poste fixe dans les pelotons du Palais-Royal, des millions arrivant librement de Hollande, lorsque partout on était à l’affût pour arrêter l’argent allant et venant, une passade de 45,000 livres, qui tombent du ciel pour un régiment, comme la manne du désert, des témoins en ouï-dire réciproques, des soldats achetés pour des écus de six livres, et des femmes pour des pistoles... Toutes ces bizarreries brouillent mes idées, et je ne sais encore pour combien ces preuves entreront dans mon résultat. Je crois n’avoir rien omis dans la recherche que j’ai faite des indices d’un complot; je pourrai mal apprécier, mais je suis fidèle dans l’énumération. Une considération vous aura déjà frappés : le devoir d’un rapporteur est de réunir sous un point de vue facile et comme en un faisceau, les traits épars dont la lumière doit jaillir. Il n’a rien fait, s’il n’a pas composé un eusemble où l’attention puisse se reposer. Je suis allé au devant du reproche auquel je m’attendais, je prévoyais que je n’aurais à mettre sous les yeux de l'Assemblée qu’une liste de faits sans liaison, et au lieu d’un ouvrage assemblé, une multitude de pièces qui ne s’encbassent pas. Il ne m’était pas donné de créer; mon imagination a dû dormir ; et après avoir étudié la procédure dont je vous rends compte, je l’expose telle qu’elle est, et ne puis établir des rapports que je ne rencontre pas. Et peut-être dans la confusion de 393 dépositions, dont presque chacune semble avoir son thème à part, séparer des faits indigestement mélangés, et leur donner quelque ordre, à défaut de la liaison qu’ils ne comportent pas, c’était la seule méthode dont on pouvait attendre quelque clarté. § II. Nous allons maintenant changer le plan de nos recherches. Elles avaient pour objet un complot supposé ou présumé avoir préparé les forfaits du 6 octobre ; elles vont tendre à la découverte des causes qui auraient amené ce désastre, indépendamment de toute prévoyance mystérieuse. Des grenadiers de la garde nationale de Paris vont à M. de La Fayette le 5 octobre. Une grande rumeur est parmi le peuple, et ils sont calmes et froids. L’un d’eux porte la parole, ses camarades font silence... Voici son discours : « Mon général, nous ne vous croyons pa3 un traître ; mais nous vous croyons trahi par le gouvernement : votre comité des subsistances mal verse ou est incapable d’administrer son département : dans les deux cas il faut le changer ; le peuple est malheureux, la force du mal est à Versailles; il faut aller chercher le roi et l’amener à Paris. Nous ne pouvons tourner nos baïonnettes contre un peuple et des femmes qui nous demandent du pain. Nous irons à Versailles exterminer le régiment de Flandre et les gardes du roi qui ont osé fouler aux pieds la cocarde nationale. » Je retrancherai une phrase que les témoins rapportent diversement. Celte harangue que j’extrais de l’information est d’une éloquence simple et vraie. Assurément je ne dis pas que tout le monde ait été de bonne foi dans cette insurrection alarmante ; mais je répondrais de la bonne foi du grenadier orateur. Or il m’apprend que le pain manquait à Paris. Il m’apprend que l’on craignait la cour et quelque trahison nouvelle. Il m’apprend qu’une profonde indignation était excitée contre les gardes du roi, que l’on accusait d’une insulte faite au signe de la liberté nationale. 11 m’apprend que Fort désirait amener le roi à Paris et tarir ainsi à Versailles la source du mal. Voilà des causes naturelles de l’insurrection de Paris. Si je découvre qu’elles agirent en effet, si je vais même jusqu’à reconnaîlre qu’elles n’étaient pas sans fondement; quelque jour se produira peut-être dans les ténèbres que nous parcourons. Il est constant que la rareté du pain était extrême à Paris. Le peuple obtenait avec peine sa subsistance journalière. Dès le 4 il y avait eu quelques mouvements à la halle. Le 5, un boulanger est surpris vendant à un poids faible, le peuple voulait se faire justice. Une jeune fille prend une caisse et donne l’alerte dans le quartier Saint-Eustache. Le curé de Sainte-Marguerite s’oppose à ce que l’on sonne le tocsin dans sa paroisse ; il convient qu’il ne s’agissait que de la rareté du pain. Le même jour on fait subitement une visite dans la maison des Petits-Pères, où l’on soupçonne des magasins d’accaparement. Le peuple s’agite et marche à Versailles; on crie que l’on va chercher du pain, que l’on va en demander au boulanger et à la boulangère; on désigne ainsi le roi et la reine. Ce sont les premières réclamations qui s’ébruitent à Versailles. Une députation de cette multitude se présente à l’Assemblée nationale, et ne demande que du pain. Sans doute cette caravane d’un peuple entier avait quelque chose d’effrayant ; le moindre écart aurait été la porte ouverte au plus grand désordre. Grâce au sieur Maillard, qui gagna la confiance de cette armée de femmes, une sorte de discipline fut observée. On n’a pas assez fait d’attention à cette action d’un citoyen obscur. Je me plais à [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1°* octobre 1790.] 349 lui payer ici le tribut d’éloges dû à son courage, à sa présence d’esprit, à sa conduite sage. Et le lendemain, dans la joie que l'on témoignait en escortant la famille royale, on faisait entendre ces expressions basses, mais énergiques : « Nous aurons du pain, nous emmenons le boulanger, la boulangère et le petit mitron. » Il semblait, quand le roi serait à Paris, que Paris deviendrait le séjour du bonheur et de l’abondance. Je ne cite pas des témoins, je n’articule aucunes particularités. On peut ouvrir l’information au hasard ; on trouvera presque à chaque page, presque à chaque ligne le récit des craintes que le peuple avait conçues pour sa subsistance. Le plus impérieux des besoins agit assez par sa propre énergie ; si quelque autre in’térêt vient agiter en même temps les esprits, il n y a plus de frein qui retienne la multitude; des torrents se joignent, et toutes les digues sont rompues. Quelque mouvement extraordinaire semblait se préparer; on était dans cette position d’inquiétude, où l’exemple du passé agite la défiance sur le présent, et montre Forage dans l’avenir, et la renommée qui exagère tout, partait du soupçon, le nourrissait en allant, et semait des alarmes. Il était annoncé publiquement que la cour conspirait contre le peuple ; que le roi devait être enlevé et conduit a Metz, qu’aussitôt on tenterait de dissoudre l’Assemblée nationale, et la guerre civile serait ouverte. La fuite du roi avait été prédite dans des harangues au Palais-Royal . Les murmures allaient prenant de la consistance à la lin de septembre, et le nom de M. de Bouillé, mêlé dans ces présages, semblait désigner le général d’une armée prête à s’assembler. Des changements de cocarde aigrirent les pressentiments du peuple ; les représentants de la commune furent obligés de faire publier, le 4 octobre, une proclamation pour interdire les cocardes blanches ou noires. M. de Foucault, venu le même jour à Paris, se convainquit de l’indignation qu’inspiraient ces cocardes suspectes substituées à la cocarde nationale. Il y avait quelque chose de plus que ces avis et ces signes, équivoques peut-être. M. de Lafond d’Agulhac avait eu lieu de soupçonner qu’une trame perfide était ourdie ; un sieur ae La Prade lui avait fait entrevoir la possibilité de la letraite du roi à Metz ; il avait vu ie sieur de La Prade et deux inconnus vêtus d’uniformes verts, parements rouges, qui n’appartenaient à aucun régiment de l’armée; il ajoute dans sa déposition, qu’après le 5 octobre, le sieur de La Prade disparut et l’on dit qu’il s’était retiré à Londres. Le docteur Chamseru était dans une société où l’on parlait de guerre civile ; là on en fondait le succès en faveur des ordres privilégiés, sur les moyens qu’ils ayaient de soutenir trois campagnes, pendant que le troisième ordre pouvait à peine en soutenir une. Il était question de l’enrô-.lement d’un nouveau corps de troupes, à titre de surnumérariat indéfini des gardes du corps, d’une marche imprévue de divers régiments vers la capitale et Versailles, d’un projet de faire enclouer les canons de Paris, etc. L’uniforme du sieur de La Prade n’était-il point celui du surnumérariat dont parle le docteur Gham-seru? Le régiment de Flandre, arrivé à Versailles non sans quelques intrigues et sans quelques mécontentements, n’était-il point l’avant-garde des troupes qui devaient marcher ? On apprend de cinq ou six témoins que, dans la soirée du 5 octobre, les voitures du roi se présentèrent à la grille de l’Orangerie et qu’on les força de rétrograder. Ce premier coup manqué, un procès-verbal de la garde nationale constate que les voitures de la reine parurent à la grille du Dragon, et qu’on ne les laissa pas passer. Au milieu de la nuit, selon le même procès-verbal, un palefrenier de M. d'Estaing rentra par la grille du Dragon, conduisant plusieurs chevaux de main qu’il avait eu ordre de conduire dans le parc. Peut-être le voyage de Metz eût-il été devancé de quelques jours ou de quelques heures, si les voitures eussent passé. Mais la résolution subite de partir donne lieu de croire que les préparatifs avaient été pressés. Votre attention se soutiendra ; car l’intérêt va croître. J’ai eu de MM. du comité des recherches de Paris, dont le zèle a tant de droit à la reconnaissance publique, la proclamation du 4 octobre et le procès-verbal fait à la grille du Dragon. Ils m’ont confié aussi la déclaration du sieur Le Gointre, que j’ai déjà eu l’occasion de citer. Elle vous apprendra d’abord comment la Cour parvint à faire appeler le régiment de Flandre à Versailles. M. d’Estaing exige le serment du secret ; puis il lit à l’Etat-major de la garde nationale une lettre de M. de La Fayette. Selon cette lettre, les ci-devant gardes françaises menaçaient d’aller de force reprendre leurs postes à Versailles ; il s’agissait de demander au roi un secours de mille hommes d’infanterie que Fou pût leur opposer. La proposition passe, on la porte à la municipalité qui exige l’impression de la lettre de M. de La Fayette. Pour ne pas compromettre M. de La Fayette, on substitue une lettre de M. de Saint-Priest ; la demande projetée est faite au roi qui croit l’accorder au vœu des citoyens de Versailles. Le régiment de Flandre était tout prêt ; il arrive le 3. Il fut question le 19 de faire approuver, par les compagnies de la garde nationale, ce que l’on venait de faire à leur insu. On eut l’aveu de 14 et le refus de 28; mais le régiment entra. Toutes ces mesures pouvaient être sages et légitimes, mais les entours étaient faits pour donner de l’inquiétude. D’abord le serment, puis les persécutions contre les capitaines dont les compagnies n’accordèrent pas ce que l’on voulait. Le sieur Le Breton et le sieur de La Baleine, employés dans les bureaux des ministres, furent traités comme d’insolents subalternes qui ne savent pas obéir, et qui ne méritent pas du pain; on les menaça de la perte de leurs emplois. Le 4 octobre, M. Le Cointre monte au château dans l’objet d’obtenir, à l’issue du conseil, une audience de M. Necker. 11 vit dans la galerie trois dames distribuant, de concert avec plusieurs abbés, des cocardes blanches. « Conservez-la bien, disaient-elles, à celui qu’elles en décoraient; c’est la seule bonne, la seule triomphante... Ces dames exigeaient le serment de fidélité du chevalier qu’elles avaient initié, et il obtenait la faveur de leur baiser la main. » Le sieur Le Gointre ne dissimule pas combien il est indigné; un sieur Gartousière, champion 350 lAssemblee nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [l«r octobre 1790. J des belles distributrices, est planté là, armé de toutes pièces, pour soutenir à outrance envers et contre tous la prééminence de la cocarde blanche, et le spadassin provoque le citoyen. Le sieur Mattereau, qui a fait aussi une déclaration, suivit le 4, le sieur Le Gointre au château. Il vit les trois syrènes distributrices de cocardes blanches ; elles allèrent à lui ; ce fut une conquête qui leur échappa. Je remarque que le procureur du roi du Châtelet n’a appelé en témoignage ni le sieur Le Gointre, ni le sieur Mattereau; vous croirez qu’ils ne lui ont pas été désignés, ce fut ma première pensée; je demandai à M. le procureur du roi les listes que le comité lui avait remises, je vis qu’elles comprenaient et le sieur Le Gointre, et le sieur Mattereau. A côté des déclarations du sieur Le Gointre et du sieur Mattereau, j’ai trouvé une autre pièce qui n’est pas sans intérêt: elle est écrite de la main de M. d’Estaing, elle était sous les scellés qui furent apposés chez lui. Vous savez dans quelles circonstances; c’est probablement un brouillon de lettre sous la date du 14 septembre. M. d’Estaing y marque son inquiétude sur les bruits répandus; il y parle des signatures du clergé et de la noblesse que l’on prend; d’un projet de campagne et d’enlèvement du roi; des énéraux chargés de cette expédition ; de M. de reteuil retenu pour en être le conseil, de M. de Merci malheureusement nommé, comme agissant de concert ; il ne cache point à la reine que son effroi a redoublé chez M. l’ambassadeur d’Espagne; là il a appris que la signature d’une association a été proposée à quelqu’un de considérable et de croyable; il supplie la reine de calculer tout ce qui pourrait arriver d’une fausse démarche; la première, ajoute-t-il, coûte assez cher. Vous n’attendez pas de moi un commentaire de cette épître. Il serait délicat, périlleux, il serait inutile, et le texte dont je donnerai connaissance à l’Assemblée, n’est pas équivoque. Je pourrais ici vous rappeler les affaires connues du sieur Augeard et du sieur Douglas ; que n’ajouteraient-elles pas aux faits que je viens de vous exposer ? Mais j’ai dû chercher les preuves d’une alarme, et non amasser les indices de la conspiration qui en était la source. Les sujets du mécontentement que le peuple avait conçu contre les gardes du roi doivent encore vous être développés; ils tiennent à cette conspiration de la Cour, dont on avait des soupçons, et ils purent encore en eux-mêmes être l’une des causes naturelles de l’insurrection du 5 octobre. Le sieur Lefebvre a déposé avoir ouï quelques jeunes gardes du roi tenir des propos indécents, en ajoutant pourtant qu’ils étaient réprimés par leurs camarades. C’est peu de chose. Mais que dirai-je de ce surnumérariat dont parle le docteur Chamseru? Etait-il recruté à l’insu des gardes du roi? S’ils le savaient, comment l’expliquer à leur décharge ? On apprend des déclarations du sieur Le Gointre et du sieur Mattereau, que le premier ayant proposé d’exiger des gardes du roi qu’ils prêtassent le serment civique et qu’ils portassent la cocarde nationale, des citoyens qui avaient servi dans ce corps, déclarèrent qu’on ne devait point en attendre cette condescendance. Quelles étaient donc les dispositions des gardes du roi avec lesquelles le serment civique et les couleurs de la nation ne pouvaient sympathiser ? Ne nous arrêtons pas à ces indices éloignés. Un grand spectacle est ouvert: les gardes du roi donnent des fêtes solennelles; écoutons: la franchise et les écarts de l’ivresse peuvent laisser échapper leurs secrets. Quelques témoins de l’information parlent du dîner du 1er octobre, pour en louer la décence. Tous les gardes du roi ouïs protestent qu’il ne s’y passa rien de répréhensible. Pourtant le sieur Lefebvre dit qu’il vit dans les cours du château des soldats, des dragons, des gardes du roi jouant d’une manière peu convenable; que plusieurs personnes trouvaient cette scène indécente, et disaient à lui, déposant, avoir ouï cette soldatesque se répandre en propos injurieux contre le tiers état, la cocarde et l’Assemblée nationale. Il ajoute avoir ouï dire qu’un nommé Leclerc, étant entre deux gardes -du corps, avait crié : Vive le roi , la reine , au diable V Assemblée nationale. Pour tant David Lesieur sait que la cocarde blanche fut hautement proposée aux convives, et le sieur Le Gointre, qu’elle fut acceptée parle sieur Varin fils, qui la portait le 4. Pourtant le sieur de Ganecaude, garde du roi, lui-même convient que la musique exécuta le morceau : 0 Richard! O mon roi , l'univers t'abandonne , dont la perfide allusion ne pouvait n’être pas sentie. Pourtant le sieur Le Gointre, confirmant l’anecdote de la musique, ajoute qu’elle fut un signal auquel on escalada les loges, jeu significatif peut-être, dans lequel on s’essayait pour quelque plus grand effort. Pourtant le même sieur Le Gointre déclare que l’on porta dans ce repas les santés du roi de la reine, de M. le dauphin, de la famille royale, et que la nation ne fut proposée que pour être rejetée dédaigneusement. Le déjeuner du 3 jeta dans un brasier des matières combustibles. Le sieur de Ganecaude ne dissimule pas qu’il fut tenu des propos incendiaires; il les impute un intrus portant l’habit du roi, sans l’être, et qui étant observé disparut. Les murmures passèrent de Versailles à Paris, il y eut un cri presque universel contre les gardes du roi; et ce soupçon vint, aux personnes qui expliquent les actions, que les gardes du roi avaient été, dans les desseins de la cour, des athlètes indiscrets , embouchant la trompette avant la victoire. Je prends encore M. d’Estaing à témoin. G'est dans un autre brouillon d’épître ayant la date du 7 octobre. Il avait été du premier dîner, et il convient que la santé de la nation y fût omise de dessein prémédité , qu’on lui avait dit formellement qu'on ne voulait pas boire à la nation . J’ajoute un billet du sieur Hiver àM. d’Ëstaing, du 3 octobre. Il y atteste qu’un homme ivre cria sur la terrasse, après le dîner : Vive le roi, la reine, au f... l’Assemblée nationale et le duc d’Orléans. La déclaration du sieur Le Gointre et le billet du-sieur Hiver m’instruisent d’un fait qui ne dut pas contribuera calmer les agitations. La reine avait donné des drapeaux à la garde nationale de Versailles, des députés lui témoignèrent la reconnaissance des citoyens. La reine répondit... La reine ajouta : Je suis enchantée de la journée de jeudi 1 de cette journée que le peuple détestait. Maintenant je ne dirai pas : il est prouvé que la santé de la nation fut rejetée, bien que le sieur Le Gointre et M. d’EstaiDg en soient d’accord ; [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1" octobre 1790.) 381 Que l’on envoya l’Assemblée nationale au diable, bien que le sieur Lefebvre, le sieur Le Gointre et le sieur Hiver l’affirment; Que la cocarde blanche fut proposée, bien que le sieur .David et le sieur Le Gointre l’aient attesté ; Que l’orchestre s'étudia à des allusions dangereuses, bien que le sieur de Canecaude l’avoue, etc., etc. Mais je dirai : les deux festins du 1er et du 3 octobre furent dénoncés au peuple comme des orgies coupables, et je ne cherche pas tant ce qui s’était passé, en effet, que ce qui en avait été dit publiquement. Le dessein d’amener le roi à Paris se joignit naturellement peut-être aux impressions diverses qu’avaient produites toutes ces circonstances. Depuis plus d’uu siècle la capitale regrettait la présence de nos rois; elle n’avait pas perdu l’espoir de les posséder de nouveau. L’accomplissement de son vœu dépendait d’une occasion ; elle se présenta, et on ne la perdit pas. Paris était menacé de la famine. Peut-être, dit-on au peuple que, quand le roi y viendrait habiter, la disette n’y serait plus à craindre; et ceux qui dirent cela connaissaient les cœurs français et cet amour confiant qui les lie à leur roi. Le peuple respirait dans un nouvel ordre de choses l'air nouveau pour lui de la liberté. Une conspiration était annoncée, le peuple n’imaginait pas que son roi voulût l’abandonner, mais il pouvait lui être enlevé, mais l’éloignement du roi allait être le commencement de la guerre intestine... Le séjour du roi à Paris devait guérir toutes ces craintes. Si je ne vois pas que d’abord cette idée d’engager le roi à se rendre à Paris ait été générale, j’ai lieu de croire qu’elle était celle de plusieurs; qu’elle fut proposée, qu’elle fut applaudie dans la matinée au 6 et peut-être dès la veille; et surtout qu’elle ne fut pas due au hasard du moment. S III. Maintenant, Messieurs, vous auriez à choisir entre l’opinion qui veut lier à un complot profond l’événement qui vous occupe, et l’opinion moius cruelle qui l’attribue aux causes naturelles que j’ai déduites; mais vous n’êtes pas au terme. J’aurais voulu épargner à votre sensibilité des détails affligeants. Ils peuvent vous éclairer et je vous les dois. Il y a de l’effet à la cause des rapports qui font juger de l’une par l’autre. Le caractère de l’insurrection naissante se décèle peut-être encore à son dénouement; et s’il y a plusieurs routes pour aller à la vérité, il ne faut dans de si grands intérêts en négliger aucune. Un nom auguste fut prononcé par le peuple attroupé le 5 octobre au milieu des imprécations. Dispensez-moi d’une énumération d’horreurs qui n’ajouterait rien d’utile à la vérité que je vous expose. Avant ce jour, l’audace n’allait pas à ces excès; j’entends des murmures, je ne rencontre pas des fureurs. Le trône est comme au fond d’un sanctuaire où le peuple tient de loin ses regards attachés. Une sorte de croyance religieuse lui dit que là est déposé le pouvoir de le rendre heureux : et il adore, pénétré d’un sentiment dont il ne se rend pas raison. Si cette croyance délicate est blessée, le peuple passe de l’adoration au blasphème, et cette révolution tient à peu de chose ; elle naît d’une erreur; un nouveau préjugé la produit. La reine avait dit : Je suisanchantée de la journée de jeudi. — Des femmes avaient, presque sous ses yeux, attaché d’odieuses cocardes; l’habit national avait été à sa porte un titre d’exclusion; que sais-je!... Mille riens échappés sans doute, sans dessein, sans importance, avaient pu être remarqués... Je vous confie mes timides conjectures. Je remarque que, dans les emportements de la multitude, la reine est comme associée aux gardes du roi. C’est à eux, c’est à elle qu’en même temps s’adressent ses grossières apostrophes. Je suis loin de penser cependant qu’un détestable assassinat ait été médité; quelquefois il vient à ma pensée que les gardes du corps eux-mêmes eussent été respectés, si des incidents imprévus, si des fautes peut-être n’avaient provoqué une troupe farouche, qu’il eût été prudent d’apaiser même par des caresses. Parmi les femmes étaient, au dire de plusieurs témoins, des hommes déguisés sous les habits de ce sexe ; des hommes déguisés me sont suspects sans doute ; mais lorsque dans la matinée du 6, une partie de cette populace fit tomber soîis ses coups plusieurs gardes du roi, et se porta vers le grand escalier, des hommes sans masque marchaient à la tête et frappaient; qu’avaient donc signifié les déguisements? Je sais que M. Diot entendit ou crut entendre une conversation abominable ; je sais que M. Po-chet eut des craintes pour la reine, et qu'il les communiqua à la dame Camelin; je sais... mais si les faits démentent les propos ! Or, voici les faits tels qu’ils me paraissent prouvés. Les gardes du corps étaient en bataille sur la place ü’armes ; le peuple tranquille leâ considérait, et peut-être, par quelques vains murmures, leur témoignait le ressentiment dont il était animé. Le sieur de Marcenay dit qu’ils étaient insultés; M. Madier explique le genre de l’insulte, en ajoutant, hués. M. Desroches prétend qu’à l’insulte se joignit l’aggression de fait; il suppose un coup de lance. Le sieur Leclerc et Jean Blanchoiu , domestique de M. Malouet, parlent, le premier de fusillade, et le second, d’un coup de fusil, tiré sur les gardes du roi, dans l’avenue de Paris. Ils étaient là en même temps ; comment sont-ils divers ? Mais justement le sieur Boisse et le sieur Golomne, gardes du roi, furent à la découverte dans l’avenue de Paris. Le dernier a grande attention; de déposer que lui et ses camarades furent menacés du canon, et ni l’un ni l’autre ne parle de fusillade. Le sieur Gueroult de Berville dit bien qu’après avoir dîné à l’hôtel Gharost, lui et ses camarades furent exposés ; qu’on leur tira dessus, et que lui en particulier reçut un coup de massue. Mais le sieur Gueroult de Valmet n’est pas d’accord ; sortant de l’hôtel de Gharost, il entendit seulement des propos ; et enfin mis en faction depuis sept heures et demie jusqu'à minuit, ce fut pendant cette faction qu’on lui apporta son frère blessé d'un coup de massue. L’heure précise, qui n’est pas déclarée par les témoins, importe beaucoup; le coup de lance et les fusillades peuvent être vrais et postérieurs aux premiers coups qui furent frappés sur la place d’ Armes, 350 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (lor octobre 1790.] Il était quatre heures et demie, cinq heures. Un homme en habit de la milice parisienne, selon le sieur Grincourt ; trois, suivant le sieur de Guillemet; même des femmes, suivant Marguerite Paton, traversèrent les rangs. S’il fallait en croire le sieur de Saint-Aulaire, le soldat parisien n’avait pas seulement traversé les rangs, il avait fondu le sabre à la main dans le centre des escadrons, sabrant à droite et à gauche. Ce fait est peu vraisemblable, et de plus vous allez voir que le sabre de cet homme était dans le fourreau ; je remarque même, que selon M. Ma-dier, il venait de derrière les rangs, lorsqu’il y eut du mouvement. D’abord Marguerite Paton reçut un coup de plaide sabre, qui au moins l’étonna et la lit pâlir, selon Anne Forêt. Puis trois gardes du roi se détachent ; le sieur de Savonnières était du nombre; il poursuit le soldat parisien et lui tend des coups de sabre ; c’est alors seulement que le soldat tire le sien, pour parer les coups en fuyant (1). * Le sieur Motte de Vareille entend ce cri : On nous laisse assassiner ; et alors un coup de fusil part, et le sieur de Savonnières est atteint. Je ne prétends pas que les gardes du roi n’aient pas dû s’opposer à ce que leurs rangs fussent traversés, je ne fais pas un crime à M. de Savonnières de sa poursuite; mais j’examine l’impression que dut faire tout cela sur le peuple, et surtout le cri : On nous laisse assassiner ; et j’y vois la cause immédiate du coup de fusil tiré sur le sieur de Savonnières. Remarquez que trois dépositions désignent le sieur Charpentier, comme l’auteur de ce coup de fusil, et que les juges du Châtelet ne l’ont pas décrété. Ils ont pensé sans doute qu’il y avait eu provocation, et qu’elle changeait la nature du fait. A huit heures et demie, les gardes du roi ont ordre de se retirer, ils s’ébranlent, iis marchent; le peuple encore ému les accompagne de ses huées ; ils les souffrent impatiemment, bientôt iis veulent s’en venger. Le sieur Berlier dit qu’un coup de pistolet partit de la queue de l’escadron ; le sieur Hiver, qu’un homme en fut légèrement contusionné; le sieur Liancourt, qu’un garde du roi tira successivement ses deux pistolets, et fut imité par ses camarades ; et le sieur Leclerc, que quelques coups de pistolet partirent de la compagnie de Luxembourg. Un ou plusieurs, l’effet fut le même; la garde nationale de Versailles, sur qui la décharge avait porté, répondit vivement et sans ordre à cette attaque, et dès lors la guerre fut déclarée. Je ne vous peindrai pas la fureur dont le peuple fut aussitôt possédé ; je ne.vous transporterai pas au sein de l’hôtel des gardes, où la faim du pillage se joignit à la soif de la vengeance, et enfin la remplaça. La garde nationale de Paris arriva en bon ordre, et sa présence en imposa. On la reconnaissait aux feux qui lui servaient de guides. Je saisis une distraction qui m’est offerte au milieu d’un douloureux récit. Un homme du peuple, resté sur !a place d’armes, était appuyé contre la barrière : de là il faisait de grossiers reproches à un homme arrêté (1) Voyez la déclaration du sieur Le Cointre qui, eu cela, explique les dépositions. , dans l’intérieur de la cour, qui était ou qu'il croyait être un garde du roi. « Vois, lui dit-il, quand il aperçut de loin le « front de la colonne, vois cette belle armée qui « s’avance; ce ne sont pas les esclaves d’un des-« pote, ce sont les fiers soldats de la liberté. » Il y avait de la dignité dans la colère qui s’exprimait ainsi. Ici je fais une remarque importante. La garde nationale se retira vers le milieu de la nuit. A trois heures, le château n’était gardé que comme il le fut à six. Le sieur Bernard, cent-suisse, vit que, dès quatre heures, la grille royale était ouverte; M. de Digoine aperçut que, d’un autre côté, le château n’était pas fermé. Voilà le moment favorable à des conjurés, où tout serait pour eux, et l’obscurité, et l’avantage - du nombre, et la surprise d’une irruption subite. Et pourtant alors, tout fut dans le calme et la sécurité; c’est peu-têtre un argument contre l’existence de tous complots. La multitude revint avec le jour sur la place d’armes et dans les cours ; et c’est ici qu’il importe de saisir la chaîne des incidents qui s’appelèrent, pour ainsi dire, les uns les autres. Le sieur Duperrey allait vers la cour de marbre : un homme, vêtu en veste, fut tué à ses côtés d’un coup de feu. Louis Prière vit le feu d’une arme tirée par une croisée à gauche de la salle des gardes, et le coup tua un homme qui était sur les marches de la cour de marbre. Jeanne Martin dit que le peuple montait sur les grilles, que les gardes du roi firent une décharge, dont un homme fut tué dans la cour de marbre. Elle dit encore qu’un garde du roi poignarda un citoyen. Le sieur Richer entendit dire qu’un garde du corps avait frappé de trois coups* de couteau un soldat parisien, entre la chapelle et les petits appartements. Le docteur Goudran était à six heures dans la cour royale ; il entendit un coup de fusil, et l’on apporta un homme mort, que l’on disait avoir été tué par les gardes du roi. Le sieur Laurent était sous Ja voûte de la chapelle; il entendit un coup de fusil; puis un jeune homme, tenant un fusil brisé, lui dit : En voilà un qui ne vous tuera plus, car je viens de l’assommer ; il a déjà tué mon camarade. Jusque-là il n’a été commis par le peuple aucun excès qui ait provoqué ces meurtres. Jeanne Martin dit qu’après la décharge, dont elle a parlé, un garde du roi fut saisi et immolé. Elle et le sieur Richer déclarent que le garde du roi, qui avait poignardé un citoyen, fut massacré sur-ie-champ ; et le sieur Laurent vit passer le cadavre. Voilà les premiers excès commis sur les gardes du roi, et il faut convenir qu’ils avaient été provoqués. Le sieur Valdony, cent-suisse, était au pied du grand escalier. Un homme, dit-il, est tué à côté de lui d’un coup de fusil; on accusait les gardes du roi ; mais il croit, au contraire, que le coup était dirigé contre eux, étant parti d’un côté où il n’y avait pas de gardes du roi. Le sieur Prioreau entendit six coups de fusil dans le grand escalier, et ensuite il vit un homme mort dans la cour de marbre. Le sieur de Lisle, garde du roi, vit un homnae mort au milieu de la cour de marbre; ses camarades lui dirent qu’il avait été tué dans le grand escalier, par un garde national, tirant sur les [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1« octobre 1790.] 053 gardes du roi, et qu’on en avait injustement accusé ceux-ci. Selon le sieur de Saint-Aulaire, un homme s’avançant dans la cour de marbre, glisse, tombe en arrière et se tue. On cria d’abord qu’il avait été tué par les gardes du roi ; mais après l’avoir visité, on reconnut qu’il n’avait aucune marque de coup de feu, et qu’il avait la tête fendue par derrière. Le sieur Gallemand était sur le grand escalier; il dit qu’un garde national, tirant sur un garde du roi, le manqua, et que le garde du roi cassa d’un coup de pistolet la tête du garde national. Le sieur Morel vit dans le groupe qui montait le grand escalier un homme couvert d’un chapeau bordé; on le prit vraisemblablement pour un garde du roi, et du pallier au-dessus on tira sur lui, et un autre homme en veste eut le crâne emporté. Enfin le sieur du Repaire, garde du roi, se défendait à la porte de la salle; au moment où il entrait, on entendit un coup de pistolet, dirigé vraisemblablement contie lui, qui renversa un homme à ses pieds. On désirerait que les moments fussent marqués précisément dans chaque déposition. On ne peut se dissimuler qu’il y a quelque confusion. Il paraît cependant que le premier choc eut lieu au côté de la chapelle; car c’est là que se porta d’abord le peuple; c’est par là qu’il arriva sur la terrasse où il fut vu par le sieur Gueroult de Saint-Denis, par le sieur de Lisle, et entendu d’abord par la dame Thibault et la dame Augué, femmes de la reine. Or, du côté de la chapelle, les gardes du roi débutèrent par donner la mort à deux hommes. Il est vrai que les détails nous manquent et des doutes restent. Une variation inexplicable rend surtout énigmatiques les récits de ce qui se passa dans le grand escalier, où chaque témoin, pris à part, ne suppose qu’un meurtre, tandis que pris ensemble ils en supposent trois. Il n’y a qu’une manière de sortir de cette incertitude, c’est d’expliquer plusieurs incidents par celui dont on est instruit en termes clairs et positifs . Or, un citoyen est renversé d’un coup de feu dans la cour de marbre ; il n’était pas armé, il n’offensait personne ; trois témoins entendent le coup, trois témoins le voient tomber; la déposition du sieur de Saint-Aulaire ne saurait l’emporter. Aussitôt on saisit un garde du roi, et l’on venge sur lui le malheureux qui vient de périr : voilà un fait qui me paraît constant. Et puisque le peuple n’a commis ici un meurtre que pour en punir un autre, j’ai tout lieu de croire que le même effet est venu de la même cause, du côté de la chapelle. Et ensuite j’ai tout lieu de croire que de là venait toute la fureur qui s’est exercée dans le grand escalier (1). Aussi je remarque que le grand escalier est le théâtre de la dernière scène, parce que la multitude irritée se porte vers le lieu où les gardes du roi sont attaqués par une sorte de représailles. Aussi je remarque que deux têtes seulement sont coupées, bien qu’un plus grand nombre de gardes du roi périsse; parce que la vengeance (1) Voyez la déposition du sieur de Lisle à Annonay, qui place l’invasion du grand escalier après le massacre du sieur Deshuttes. lre Série. T. XIX. épuise dans ses premiers moments son atrocité. Aussi je remarque qu’une rage excessive se dissipe tout à coup, lorsque les gardes du roi étant retirés et retranchés, la tronpe qui les poursuivait, ne peut pins atteindre l’objet de sa colère. Je l’ai dit, la rage se dissipa : à une tempête succéda un silence froid ; et une poignée de soldats parisiens éconduisit sans résistance ces hommes qui tout à l'heure auraient tout bravé. Ceci s’accorde mal avec certaines versions. Le sieur Rabel, garçon de la chambre du roi, dit que la reine passa chez le roi. — Que le roi était allé chez la reine par un autre passage ; qu’il revint... qu’une minute plus-tard il aurait vu tous les gens à piques dans la chambre de la reine. Gela suppose que les gens à piques entrèrent dans la chambre de la reine, et le sieur Gallemand prétend les avoir vus entrer. Le sieur Duveyrier l’a ouï dire ainsi; Morizot de Langres déclare que Boussard, perruquier de Paris, lui a dit avoir vu fuir la reine presque en chemise; etM. Claude-Louis de La Châtre, pénétrant quelque temps après dans l’appartement de la reine, frémit à l’aspect de son lit, qui lui parut avoir été bouleversé par des malfaiteurs. Il est certain, au contraire, que l’appartement de la reine ne fut pas souillé de leur présence. Rabel n’affirme pas les avoir vus. Il était chez le roi. Lui et Marquaud son camarade, ouvrent à la reine l’œil-de-bœuf, et le referment; car peuaprès, le roi frappe de nouveau pour se faire ouvrir. Il est probable que Rabel demeura dans l’œil-de-bœuf, et que, dans le trouble où Ton était, il crut ce qui n’était pas. A l’égard de Gallemand, il était dans la foule, il vit qu’un garde du roi fut terrassé, volé, et il se retira. Il pensa que l’on allait pénétrer; mais il ne put le voir. Il ne fait pas attention, lorsqu’il dit avoir vu, que selon lui-même la porte était fermée, puisque le garde du roi n’avait pu donner avis que par le trou de la serrure du danger auquel il croyait la reine exposée. La vanterie de Boussard et le ouï-dire du sieur Duveyrier ne méritent pas que l’on s’y arrête. Quant à M. de La Châtre, je considère le moment et le lieu... je considère son inquiétude mêlée de timidité et de respect... un regard furtif le servit mal... et son imagination fit le reste* J’ai conjecturé, maintenant j’affirme. Biaise Etienne, feutier de la reine, déclare qu’aucun de cette troupe n’entra jusque dans la chambre à coucher. La dame Augué, l’une des femmes de la reine, poussa un verrou et je ne trouve point que cet obstacle ait été forcé. Bersy, valet de pied de la reine et le sieur Bernard, cent-suisse, n’en disent rien, et leur silence vaut une dénégation expresse. La porte que la dame Augué avait fermée fut ensuite ouverte; le sieur Gueroult de Bervilie, le sieur Gueroult de Valmet et le sieur de La Roque entrèrent chez la reine, ils y trouvèrent le roi, ils y restèrent après lui; la preuve que les gens à piques n’y étaient pas, n’y allaient pas, c'est la présence de ces trois gardes. Enfin le sieur de Miomandre Sainte-Marie, baigné dans son sang, laissé pour mort par les gens à piques , volé par eux, et les suivant, lorsqu’ils s’éloignèrent de ses regards inquiets, les vit passer dans la grande salle des gardes et ne craignit plus pour la reine. 23 354 [Assemblée nationale.] Des bandits armés ne pénétrèrent donc pas jusque dans l’appartement de la reine; l’asile de la beauté et de la majesté fut préservé de la profanation... je respire; cette certitude me soulage ; elle m’aide à continuer ma recherche. Nous allions à la découverte d'un complot dans les détails de l’événement qui pouvait en être la suite. Nous trouvons des excès, mais nous apercevons une impulsion immédiate qui peut avoir tout fait. Le 5, la fureur est provoquée par des coups de sabre. Le 6, des meurtres la suscitent de nouveau. On crie vengeance, et ceux que l’on accuse sont poursuivis, ils ne se montrent que pour être immolés; mais s’ils disparaissent, tout change; la multitude, qui ne peut plus se venger, s’apaise, et le feu meurt faute d’aliments. Je ne veux pas conclure de là qu’il n’y a point eu de complot, mais je dis que l’événement ne m’en présente aucun vestige, et même je crois avoir déduit au moins quelques raisons d’en douter. Il est temps que, revenant sur nos pas, nous sachions ce que nous avons fait au milieu d’une longue carrière; on a besoin de se retourner et de mesurer des yeux l’espace que l’on a parcouru. Nous avons énuméré des faits et des bruits qui nous ont rappelé le mois de juillet et des efforts généreux. Des bruits, des rapports plus rapprochés du mois d’octobre, quelques récits ridicules, la fable grossière de Marguerite Andel, quelques faits de peu d’importance souvent étrangers à notre examen, nous ont ensuite occupés ; ils laissent à peine dans la pensée cette première surprise où je dirais que le soupçon commence à poindre. Mais nous avons recueilli le fait de Blangez, celui du chasseur désespéré, les conversations entendues par M. Diot et par M. Baras, le propos ouï par le sieur de Rosnel, le 5 octobre, qu'il y avait des ordre de rester , l’avis donné au sieur Leclerc, d’un signe de ralliement porté sur la manche, enfin les distributions d’argent. Ces faits isolés les uns à l’égard des autres se répondent cependant vers un centre commun qui est le complot qu’ils supposent ; ensuite on descend au fait sans peine, où ils semblent se remontrer encore comme dans leur conséquence. Admettez un complot, et vous verrez que Blangez et le chasseur ont été choisis, tentés, séduits pour en être les complices; que les conversations entendues s’y enchaînent; que les femmes attroupées ont ordre de rester pour l’exécuter; que les conjurés se reconnaissent à la manchette déchirée, et que les distributions d’argent supposent des chefs puissants qui ont acheté des scélérats. Admettez un complot, et l’argent distribué vous montrera le moyen d’une catastrophe préparée. Blangez et le chasseur seront des moyens secondaires qui auront manqué; et enfin le temps ou l’occasion d’exécuter arrivant, les conversations nocturnes et l’ordre de rester seront les dernières mesures qui s’enchaînent avec les circonstances; car on restera selon l’ordre prétendu, et l’on semblera n’être resté que pour donner l’affreux spectacle qui commencera la journée suivante. Or, ce qui se lierait si parfaitement et à un complot et à l’exécution donne nécessairement sur le complot même quelque chose de plus que des indices pressants; et alors les bruits, les ouï-dire, tous les indices éloignés auxquels on a 11er octobre 1790.J cru d’abord ne devoir pas s’arrêter, revivent avec quelque force. D’un autre côté, cependant,, vous croyez avoir saisi l’explication naturelle de tout l'événement. Alarmé pour sa subsistance, alarmé pour sa liberté, menacé de l’éloignement de son roi et du fiéau de la guerre intestine, le peuple s’émeut et cherche à se rassurer; et puis des incidents malheureux se succèdent, ils amènent des horreurs qui, peut-être, n’avaient pas été méditées. On s’arrête avec complaisance à cette idée, on se porte avidement à tout ce qui la favorise; on voudrait qu’elle fût vérifiée; une réflexion la détruit, une autre la ramène à l’esprit inquiet. D’habiles conjurateurs auraient pu se couvrir de toutes ces apparences ; avec leurs trésors, disposer des subsistances; avec leurs agents, calomnier la cour et les gardes du roi. Le peuple aveugle aurait eu des motifs, l’artifice dont ils auraient été le chef-d’œuvre, lui eût échappé. Par une fatalité qui appartient à cette affaire, on ne quitte cette conjecture que pour passer à une conjecture opposée. Les ennemis du peuple ne cherchaient-ils point dans leur astuce à l’égarer, à l’employer comme l’instrument de sa propre ruine; et le dessein d’enlever le roi n’avail-il pas besoin de quelque désordre au milieu duquel le prince trompé lui-même fût livré à une faction qu’il aurait méconnue ? Vous n’apercevez encore que des nuages. Suspendez votre jugement; il sera temps de le former, lorsque vous aurez apprécié les charges dans leurs rapports particuliers avec le rôle que M. de Mirabeau et Monsieur d’Orléans ont pu jouer dans ces événements. PARTIE DEUXIÈME. Charges contre M. de Mirabeau et Monsieur d’Orléans. Un complot a pu exister sans que vos deux collègues y aient eu part; mais les crimes du 6 octobre, réduits à des assassinats, ne peuvent être les leurs. S’ils ont contribué à ces assassinats, il y avait un complot. A leur égard l’un est lié à l’autre, et tel est l’intérêt de notre recherche actuelle qu’elle peut déterminer même le résultat de celle qui nous a d’abord occupés. J’appelle premièrement votre attention sur les charges qui affectent M. de Mirabeau. Je laisse de côté tout ce qui remonte à cette époque précieuse où le retour à la liberté consacra tous les efforts qui furent faits pour elle* Je ne parle ici ni des opinions soutenues dans l’Assemblée nationale ou entre ses membres, ni des pressentiments communiqués à Blaizot et l’hôtel de la reine. J’excepterais le propos tenu à M. Mounier, si la déposition de M. Mounier n’en démentait Je rapport. Un témoin a dit que M. de Mirabeau entretient des liaisons suspectes, il a désigné trois personnes, elles ne sont plus désignées après lui dans l’information; ce n’est qu’un vain propos. Le 5 octobre arrivé, le peuple de Paris est annoncé à Versailles ; M. de Mirabeau donne au président de l’Assemblée nationale en secret le conseil de se trouver mal pour rompre la séance, et aller tout de suite chez le roi. Je suis d’autant plus embarrassé de l’importance que l’on donne à ce conseil bon ou mau-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PAR vais de rompre la séance et d’aller chez le roi, que l’on ne tarde pas d’interpréler mal dans des circonstances qui ne différent pas beaucoup, le conseil de ne pas aller chez le roi; or, si ce fut une trahison en dernier lieu de s’opposer à ce qu’on allât chez le roi, il semble qu’en premier lieu la proposition d’y aller ne fut pas une trahison. On dit que, dans la soirée, M. de Mirabeau fut vu dans les rangs ou derrière les rangs du régiment de Flandre portant un sabre nu, et parla it aux soldats. Supposant M. de Bouthillier, le lieutenant colonel entendit assez pour s’être porté à quelque extrémité, s’il avait été plus maître de sa troupe. Le sieur Miomandre-Sainte-Marie va jusqu’à rapporter, d’après M. de Valfond, ce que disait M. de Mirabeau : « Mes amis, prenez garde à vous, « vos officiers et les gardes du roi ont formé une « conspiration contre vous; les gardes du roi « viennent d’assassiner deux de vos camarades « devant leur hôtel, et un troisième dans la rue « Satory ; je suis ici pour vous défendre. » Voilà M. de Mirabeau jouant le rôle de Don Quichotte, transformé en visionnaire, qui pense qu’à l’ombre de son sabre des régiments n'ont aucune offeuse à redouter. Or, je connais peu M. de Mirabeau, mais il me semble que ces visions ne sont pas son fait. Je prends la déposition de M. de Valfond, et je vois qu’entre lui et M. de Mirabeau tout se réduisit à cette conversation. « Vous avez l’air d’un Charles XII, dit le premier ; on ne sait, répond l’autre, ce qui peut arriver. » Ce n’est pas tout: le sieur de La Morte déclare qu’un officier d'infanterie lui a dit que l’homme vu dans les rangs du régiment de Flandre, était M. de Gamache; il ajoute que celui-ci ressemble de figure à M. de Mirabeau. De plus M. de Bessancourt a déposé qu’il vit un homme en redingote, de la taille de 5 pieds 7 à 8 pouces, lequel portait un sabre nu, et disait être le comte de **\ Ces trois étoiles vous surprennent dans une information où l’on cherche les noms comme les choses ; quant à moi, je remarque que la taille énoncée n’est pas celle de M. de Mirabeau. Il se pourrait donc que la personne vue armée d’un sabre nu ne fût pas M. de Mirabeau ; mais quelle qu’ait été cette personne, il n’y a rien à dire, si le discours rapporté par le sieur Miomandre n’a pas été fait; et puisque personne ne l’a entendu, il ne reste qu’une promenade indifférente. Le sieur Thiery de La Ville vit des membres de l’Assemblée nationale se trouver à la rencontre des femmes sortant de chez le roi, et leur crier, courage et liberté; dans ce nombre il crut reconnaître M. de Mirabeau ; j’observe d’abord l’incertitude du témoin, et ensuite, que dans ce moment il n’y avait aucune raison de ne pas applaudir au peuple, qui était venu exposer ses besoins et ses craintes, et qui n’avait annoncé aucun dessein hostile. M. Deschamps, allant au château dans la nuit, entendit des femmes crier: — Où est notre comte de Mirabeau? nous voulons notre comte de Mirabeau 1 Partout ailleurs que dans une information, je prendrais cela pour une mauvaise plaisanterie. Mais le même M. Deschamps, en cela d’accord avec M. Henry, m’apprend que quelques instants après, comme ces femmes introduites dans la salle de l’Assemblée nationale y mettaient le EMENT AIRES. [l«r octobre 1790.] 355 trouble, ce fut M. Mirabeau qui les gourmanda vivement. Le second fait ne permet plus les interprétations mystérieuses du premier. Deux soldats parisiens arrêtent dans la nuit un citoyen de Versailles pour lui demander où est l’habitation de M. de Mirabeau. Vous allez penser que ces deux hommes cherchent M. de Mirabeau, et sont des émissaires ou des complices; c’étaient un avocat et un tapissier, et l’un des deux déclare qu’il a l’honneur d’être l’ami intime du valet de chambre de M. de Mirabeau. Vous ne désirez pas une glose sur ce passage. Le lendemain 6, M. de Mirabeau fut vu par le sieur Gallemand, caché avec d’autres membres de l’Assemblée nationale derrière les rangs du régiment de Flandre. Alors la fatale scène était passée, et je ne concevrais pasM. de Mirabeau se cachant, quand il n’y avait assurément aucune raison de se cacher. M. de Mirabeau vous proposa une adresse aux provinces, pour les rassurer sur un événement, dont il était à craindre qu’on ne leur fît des récits divers et menteurs. Il ajouta qu’il fallait apprendre aux Français que le vaisseau de l'Etat allait avancer plus rapidement vers le port. M. Madier a grand soin d’assurer qu’il rapporte fidèlement les expressions de l’orateur, et le Châtelet souligne, et moi je cherche le mystère ; mon intelligence est mise à la torture, et je ne vois pas ce que cette tournure oratoire cèle d’important et de suspect. Voici un apophtegme recueilli par le sieur Peltier. M. de Mirabeau parlant de ce qui venait de se passer, s’était exprimé ainsi : le peuple a besoin quelquefois qu'on lui fasse faire le saut du tremplain. Je vois bien ce que l’on peut, en quintessen-ciant ce propos, en tirer de parti pour un commentaire ; mais pour fonder une accusation, il n’est pas besoin d’aller si loin ; et puis personne n’a entendu le propos que le sieur Peltier a ouï dire seulement. M. de Mirabeau et Monsieur d’Orléans sont prévenus d’une trame commune. Je vais vous faire part des seuls faits dans lesquels l’information les réunisse. Monsieur d’Orléans était déterminé à passer en Angleterre. M. de Mirabeau, pour l’en détourner, lui dit que l’on n’avait contre lui que des indices, et que son départ allait produire des preuves ; c’est encore un ouï dire du sieur Peltier. Apparemment le conseil deM. de Mirabeau avait été goûté; mais pour retenir Monsieur d'Orléans, on avait penséqu’il fallait le dénoncer à l’Assemblée nationale, etM. de Mirabeau s’en était chargé; le jour était pris, la séance était ouverte, lorsque M. de Mirabeau reçut une lettre de Monsieur d’Orléans, qui lui mandait : j’ai changé d’avis, ne faites rien, nous nous verrons ce soir. C’est le docteur La Fisse qui a ouï dire cela. Or, non seulement M. de Mirabeau ouvre et lit la lettre, de manière que quelqu’un placé derrière lui peut la lire aussi; de plus ilia fait passer à l’un de ses voisins, qui saas doute était de la confidence; de plus, il s’exhale en reproches peu discrets, qualifiant rudement le personnage qui lui avait écrit, en ajoutant ; il ne mérite pas la peine qu’on s’est donnée pour lui. Le sieur Peltier et le docteur La Fisse ont ouï dire; et je m’étonne que ce qui s’est passé dans le sein de l’Assemblée nationale, avec si peu de 356 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (i« octobre 1790. réserve ne nous parvienne que par des rapports. Au milieu de l’ennuyeuse monotonie de ces anecdotes, voire impatience me demande si je n’arriverai pas enfin à de plus graves récits ; vous m’accusez de m’appesantir sur des riens, et de retarder, par une vaine prolixité, une délibération importante. Eh bien ! j’ai tout dit ; voilà l’énumération complète et fidèle des charges que j’ai péniblement cherchées contre M. de Mirabeau. Je n’entends pas prévenir ici le jugement de l’Assemblée nationale. Je ne dis pas que ces charges, bien que très légères à mon sens et au premier coup d’œil, ne méritent aucune attention ; souvent on a vu les plus faibles indices marquer de loin les traces de la vérité, et y conduire enfin... Nous jugerons, quand nous aurons un ensemble. Arrêtons cependant quelques points principaux; la promenade dans les rangs du régiment de Flandre, et l’accord que supposent, entre M. de Mirabeau et Monsieur d’Orléans, ces conseils sur le départ du premier et le dessein d’une dénonciation bientôt abandonnée, voilà ce qui peut faire croire que M. de Mirabeau eut part à un complot. Il n’y a de ceci que des ouï dire, mais des ouï-dire qui, se répondant ainsi, peuvent faire quelque impression. Quant à l’affaire isolée du 6 octobre, le sabre nu dont on prétend que M. de Mirabeau était armé la veille, peut être un indice, mais il est le seul. Venons à Monsieur d’Orléans. La première partie de mon rapport vous a présenté une énumération de bruits divers et de faits qui ne durent par attacher vos regards. Je vous rappellerai le chasseur ivre et désespéré, qui, sur les questions du sieur Miomsndre, nomma Monsieur dJOrléans, et le même nom échappé dans la conversation qu’entendit M. Diot. Je vous rappellerai encore ce conseil de ne pas artir pour l’Angleterre, donné par M. de Mira-eau, et ce projet avorté de dénonciation. Je m’arrête à ces distributions d’argent faites aux soldats, faites au peuple, et que des indices multipliés, quelquefois pressants, semblent constater. Simple interprète de la procédure, je crains d’abord de me livrer à des conjectures qu’elle ne m’offre pas explicitement. Elles sont au moins indiquées par le sieur Pel-tier qui suppose que Monsieur d’Orléans a fait une dépense énorme, et par le chasseur du sieur Miomandre qui, suivant le sieur de Rebour-ceau, avait reçu de l’argent. Marguerite Andel reçoit un passeport miraculeux avec lequel elle doit pénétrer jusqu’à Monsieur d’Orléans, et quand elle l’aura vu, elle sera riche. Rien n’est extravagant comme la déposition de cette femme, si elle fut de bonne foi; rien n’est plus grossièrement fourbe, si elle jouissait de ses sens et de son entendement. On ne discute pas des témoignages de ce genre. La déposition de M. de Frondevilie demande un instant vos regards. Il vit Monsieur d’Orléans, le 2 ou le 3 octobre, descendant de sa voiture, qu’une grande foule suivait, et entrant dans l’Assemblée nationale, il remarqua quelque chose qui paraissait peser dans la poche droite du frac de Monsieur d’Orléans, il pensa que c’était un sac d’argent ; il observa de façon à pouvoir s’en assurer, et vit très distinctement le frac tomber dansla basque droite de l’habit par une ouverture faite à la doublure, et la tête du sac répondre dans la ceinture de la culotte à laquelle elle était attachée. Il vit M. d’Orléans dans cet état durant deux jours de suite, et auparavant il n’avait rien vu de pareil. Il semble que le témoin a dit à M. d’Orléans : arrêtez-vous, renversez votre poche, soulevez la basque de votre habit, découvrez votre ceinture, et que ce plaisant exercice a recommencé le lendemain. Et le témoin ne sait pas même si le sac contenait en effet de l’argent, il n’en a vu faire aucun usage; le même volume s’est conservé durant deux jours... Après tout, il était permis à M. d’Orléans de porter un sac d’argent, de l’attacher à sa ceinture, de percer la doublure de sa poche... et puisque tout cela pouvait se voir très distinctement , il eu fallait peut-être conclure qu’il n’y avait rien de suspect. Je fais une réflexion. M. de Frondevilie observe, dit-il; il avait sans doute quelque motif d’observer; il attachait quelque importance à ce qu’il voyait, il en lirait quelque induction. Gomment ne communiqua-t-il sa remarque à personne? comment demeura-t-il le seul témoin d’un fait qui lui parut aussi singulier, et eut-il, durant deux jours entiers, la patiente discrétion de garder sa découverte pour lui? Je vous dis sans déguisement, non sans une sorte de peine et d’embarras, ce qui se présente à mon esprit attentif dans la recherche de la vérité; tout ménagement est une dissimulation, toute dissimulation serait un mensonge. On prétend que le jardin du Palais-Royal était le théâtre des distributions, le lieu d’adresse du distributeur Otel. Les distributions et le distributeur sont une étrange chose; je ne sais de plus singulier que l’argent jeté par les fenêtres, et qu’ont déclare le sieur Duval sur la parole du sieur de La Morte, et le sieur de La Morte sur la parole du sieur Duval. Les distributions du Palais-Royal fussent-elles bien avérées, peut-être faudrait-il, pour compromettre M. d’Orléans, remonter jusqu’à lui, et je ne trouve pas le chemin qui conduit jusques-là. Si des millions sont venus de Hollande, je ne vois pas qu’ils aient passé dans les mains de M. d’Orléans; si de grandes sommes ont été distribuées, je ne vois pas qu’elles aient été répandues par lui, et l’information à la main, je dois penser peut-être que ces faits lui sont étrangers. Le sieur Peltier a ouï dire que M. d'Orléans fit appeler les gardes du Palais-Royal pour leur faire l’histoire du dîner du premier octobre, et leur recommander de la rendre publique. Pourquoi les gardes n’ont-ils pas été produits pour confirmer un ouï dire qu’il était si aisé de vérifier : cette charge particulière aurait été de quelque conséquence ? Le sieur Peltier a ouï dire encore qu’un grand nombre de courriers avait couvert les routes, de la part de M. d’Orléans; M. deBouthillier vit, dans la nuit du 5 au 6 octobre, deux hommes à cheval, arriver de Paris à Versailles, et entrer dans la maison de M. d’Orléans, et successivement un autre homme à cheval partir de cette maison et aller vers le château ; mais en soi des courriers ne sont pas suspects, c’est la mission qui caractérise la course, et ce que vit M. de Bouthillier pouvait n’être qu’un mouvement indifférent. Quittons un moment M. d’Orléans, pour parler de ses enfants. Le sieur de Raigecourt était auprès d’eux le 5 octobre, assistant à l’Assemblée nationale dans [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [lw octobre 1790.] 357 la tribune des suppléants. La réponse du roi, à la déclaration des droits, donnait lieu à des débats; le sieur de Raigecourt entendit ou crut entendre à côté de lui M. de Chartres et M. de Barbantane qui était avec lui, dire qu’il fallait encore des lanternes, expressions qui furent répétées. Je dis ; ou crut entendre; car on m’a assuré que le sieur de Raigecourt est extrêmement sourd, et je vois que M. de Barbantane lui en fit le reproche. M. de Beauharnais cependant entendit aussi ce propos, mais il ne l’entendit qu’une fois, et il put attribuer à M. de Chartres ce qui était la fin de la querelle et des explications que l’on donnait au sieur de Raigecourt. De ce fait au reste, fût-il bien constaté, il y aurait peu de chose à conclure. Je retourne à M. d’Orléans, et je vais le suivre pendant le 5 et le 6 octobre. Je lis d’abord l’exposé que M. d’Orléans a publié de sa conduite, page 17 : « Il n’y avait pas d’ Assemblée le dimanche 4, « et j’étais parti pour me rendre à Paris ; j’étais « dans l’intention de retourner le lundi matin à « Versailles; mais je fus retenu par le travail qu’a-« vaientà faire, avec moi, quelques personnes de « ma maison. J’appris successivement pendant ce « jour l’effervescence qui régnait dans Paris, le « départ pour Versailles ...... Je ne sus d’ailleurs « rien de ce qui se passait à Versailles jusqu’au « lendemain matin, que M. Le Brun me fit éveiller. « Le même jour, vers huit heures du matin, je me « mis en route pour me rendre à l’Assemblée na-« tionale. Tout me parut tranquille, jusqu’à l’en-« trée du pont de Sèvres. Mais là je rencontrai « les têtes des malheureuses victimes delà fureur t du peuple. Entre Sèvres et Versailles, je ren-« contrai quelques charrettes chargées de vivres, « et escortées par un détachement de la garde « nationale. Quelques-uns des fusiliers pensèrent « que ma voiture ne devait pas passer ce convoi... « Mon postillon était Anglais, et ne savait pas « un mot de français; il écoutait sans comprendre, « et continuait son chemin. Un des fusiliers le « mit en joue à bout portant, et tira son coup de « fusil, qui, par bonheur, ne partit point. L’of-« ficier accourut, réprimanda le soldat, ordonna « qu’on me laissât passer, et me donna deux « nommes à cheval pour escorte. Je sortis sur-le-« champ de chez moi pour me rendre à l’As-« semblée nationale, je trouvai une partie des dé->< pûtes dans l’avenue; ils m’apprirent que le roi « désirait que l’Assemblée se tînt dans le salon « d’Hercule, je montai au château, et j’allai chez « Sa Majesté. J’appris ensuite que l’Assemblée se « tiendrait dans la salle accoutumée, et j’y re-« vins. » Vous avez entendu la version de M. d’Orléans, vous allez juger de celle de l’information. M. de Foucault était à Paris le 5, il sortit à la pointe du jour, il rencontra M. d’Orléans au boulevard Saint-Honoré, en redingote grise et chapeau rond. M. de Foucaud était sorti de bonne heure, par curiosité. M. d’Orléans était sorti de même, il n’importe par quel motif, ce fait ne m’apprend rien. Le même jour, à onze heures, le sieur de La Corbière, étant au bois de Boulogne, vit deux quidams à cheval demandant le chemin de Boulogne. Un quart d’heure après, il vit M. d’Orléans, suivi de deux jockeys, entrer par la porte Maillot, s’arrêter près de l’obélisque, donner des ordres aux jockeys, ceux-ci le quitter, l’un allant vers Neuilly, 1 autre vers la Muette, et lui aller vers Boulogne. Il vit ensuite M. d’Orléans revenir seul, et ayant repassé la porte Maillot, rester un moment indécis, puis revenir sur ses pas, et prendre au galop le chemin de la Révolte. Il était alors midi et demi environ. Pierre Loutaud, domestique du sieur de La Corbière, tenait deux chevaux près de la porte Maillot; il ne vit qu’un quidam demander le chemin de Boulogne, puis il vit M. d’Orléans et les deux jockeys, puis il ne vit plus rien. J’ignore comment il ne vit pas, ainsi que son maître, M. d’Orléans, revenir, s’arrêter et prendre le galop, ce qui semble être le fait dans lequel la charge consiste. Le sieur Cornier, médecin, venant de Rueil à midi, entre dans le faubourg Saint-Honoré, puis retourne à pied à Rueil. Il chemine entre le bois de Boulogne et Neuilly avec un boucher. Trois cavaliers, un maître en habit gris, et deux jockeys en habit rouge, viennent à eux. Le maître aborde le boucher ; après quelque conversation, le boucher rejoint le sieur Cornier, et lui dit qu’il croit avoir parlé à M. d'Orléans. Je me demande, d’après ces témoignages, pourquoi le valet ne voit qu’un quidam, tandis que le maître en voit deux ? Pourquoi il ne voit pas revenir M. d’Orléans ? Comment M. d’Orléans revenu seul de Boulogne à midi et demi, suivant le sieur de La Corbière, se trouve à peu près à la même heure revenir de Neuilly avec les deux jockeys. Enfin, quel rapport il y a entre ces courses de M. d’Orléans, le quidam ou les deux quidams, et ce qui devait se passer à Versailles le même jour et le lendemain ? Mon embarras augmente, si je lis la déposition du sieur Boisse, garde du roi; car le même jour, à une heure, il vit à Versailles M. d’Orléans sortir de l’Assemblée, monter à cheval et partir pour Paris. Il me paraît difficile que M. d’Orléans soit sorti du bois de Boulogne, seul à midi et demi, ait été rencontré revenant de Neuilly, bien qu’il eût pris un autre chemin et ait été vu en même temps à Versailles. Le même sieur Boisse vit encore M. d’Orléans à Versailles au déclin du jour, sur le trottoir de l’avenue de Paris, à droite. Croyant le voir à une heure en plein jour, lorsqu’il ne pouvait y être, puisque deux et même trois témoins le voyaient ailleurs; on aurait quelque raison de croire qu’il se trompe de même, et plus facilement quand la nuit tombait ; et puis si M. d’Orléaus sortit de l’Assemblée à une heure, s’il parut dans l’avenue à la fin du jour, comment put-il n’être vu que par le sieur Boisse ? M. de Mirabeau le jeune remarqua dans la soirée qu’un buvetier distribua au peuple, ses cervelas, ses fruits, son vin. On demanda à cet homme s’il voulait se ruiner, et M. de Mirabeau l’entendit répondre que M. d’Orléans lui avait donné ses ordres. Cependant M. de Mirabeau ne vit point M. d’Orléans, et il ne fut vu par aucun autre, ni dans l’Assemblée, ni à la buvette; je ne puis m’empêcher de dire combien tout cela me paraît singulier : j’ajoute que, selon la déposition de M. Anlhoine, le président de l’Assemblée avait dit au buvetier de donner des vivres à cette foule exténuée, dernier témoignage qui m’a été confirmé par d’autres personnes ; et je vous donnerai connaissance d’une déclaration qui en a été faite en dernier lieu, d’après la publicité de l’information. 358 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [le«- octobre 1790.) Voici deux faits qui me semblent tout à fait insignifiants ; mais je ne dois rien céler, et ce n’est, pas à moi de juger. . M. de Batz conversa quelques instants avec l’une des femmes introduites dans l’Assemblée ; cette femme lui parla de ses loges aux spectacles, de ses chevaux, de sa femme de chambre et d’un prince du sang qui était allé plusieurs fois chez elle; on la nommait Beaupré. J’apprends de la déclaration que cette femme a faite au comité des recherches de Paris, que son vrai nom est Elisabeth Girard. Et ce qui me donne l’idée de sa fortune et de ses habitudes, c’est que le matin du 5 octobre elle fut appelée par des marchandes d’huîtres, et alla avec elles à Versailles. Que signifie sa vanterie d’avoir vu un prince chez elle ? Un espion apparemment est envoyé chez la reine; c*est un valet de chambre de Monsieur d’Orléans; M. de Digoine et M. de Frondeville étaient présents : ou raisonnait librement, la reine imposa silence, en avertissant qu’un homme de Monsieur d’Orléans venait d’entrer; et cela était si vrai, que ces Messieurs se retournant, M. de Digoine le vit en habit puce et cheveux gris-blancs, et M. de Frondeville en habit et cheveux bruns. Je conviens que M. de Frondeville n’achève pas le signalement ; il se ravise, et dit que sa mémoire peut ne pas être fidèle sur un fait aussi indifférent. Mais pourquoi déposer d’un fait indifférent? pourquoi se raviser sur un fait indifférent ? Au surplus, j’observe que M. de Digoine avait déposé le 19 avril, et M. de Frondeville déposé le 21; le dernier se ravise, comme a fait le sieur Laimand dans l’affaire de Blangez; fort à propos j’achève là mon commentaire. La matinée fatale commence. Un sieur Burkoffer a ouï dire que le sieur Morel, en faction à l’une des portes du château, vit passer plusieurs fois dans la nuit Monsieur d’Orléans. Le sieur Morel, appelé, dit avoir été mis à 6 heures et demie, 7 heures, en sentinelle, à la porte de la salle des gardes du roi, tenant à l’œil-de-bœuf; que sa consigne était de ne laisser entrer personne, et que Monsieur d’Orléans s’étant présenté, et ayant été refusé par lui, passa dans une autre pièce. Je serai obligé de revenir à cette déposition. Le sieur Chauchard a ouï dire au sieur de Roux, que Monsieur d’Orléans fut vu dans la nuit, soit au château, soit à l’Assemblée nationale, et même qu’il fut question entre lui et M. de La Fayette d’une lettre qu’il avait écrite à ce général. Le sieur de Roux vient ensuite, pour transporter, bien avant dans la matinée et après le calme rétabli, la conversation de Monsieur d’Orléans et de M. de La Fayette. Déjà les deux têtes des gardes du roi étaient soulevées sur des piques, et d’infâmes meurtriers les portaient comme en triomphe loin du lieu de leur crime, lorsque M. Claude de La Châtre vint à sa fenêtre; il ne vit plus les tètes, il ne dit pas l’heure, mais il déclare qu’il était avec Jacques Guenissey, Antoine Hudeline et Claude Mericourt. Il déclare encore que très peu temps après , Fhomme à la grande barbe a passé à la porte du pavillon de Talaru, et a parlé au suisse, auquel il a demandé une prise de tabac. Ces circontances nous aideront à découvrir l’heure. Il vit Monsieur d’Orléans, longeant la ligne des troupes qui étaient postées dans la cour des ministres. Jacques Guenissey dit que c’était vers huit à neuf heures. Claude Méricourt dit huit heures. Antoine Hudeline était revenu de Paris ce jour-là même, et arrivé, dit-il, à huit heures, et l’on conçoit qu’il n’est pas allé sur-le-champ à la fenêtre. François Dupont, suisse de Mme de Talaru, ne vit pas M. d’Orléans; mais il dépose qu’il était neuf à dix heures quand l’homme à longue barbe lui demanda du tabac. M. d’Orléans montait vers la cour des princes. Selon M. de Frondeville, il était sept à huit heures. Selon Brayer, dix ou onze heures; selon Quence, huit heures et demie; selon la nommée Besson, et selon Jean Jobert , sept heures, et selon M. Guilhermy, par ouï dire, six heures. Mais si Hudeline, revenu de Paris, et le suisse Dupont, nous ont aidés à découvrir l’heure véritable de ce fait, le sieur de La Borde et le sieur Dodemain achèvent l’éclaircissement. Le premier était aussi venu de Paris, et il était neuf heures, lorsqu’il vit M. d’Orléans; le second remarque que, lorsque M. d’Orléans montait vers la cour des princes, tout était déjà tranquille, et le roi s’était montré à son balcon. Il faut remarquer d’ailleurs que, dès lors, les troupes étaient en lignes, ce qui est de beaucoup postérieur aux scènes du grand escalier. Il ne s’agit pas tant de déterminer précisément l’heure à laquelle M. d’Orléans parut dans la cour des ministres, que de juger s’il alla au château avant ou après la scène tragique, et dans un temps éloigné ou voisin de celui-là. On pourrait dire que M. d’Orléans traversa deux fois la cour des ministres; mais comment la première fois personne ne l’aurait-il vu retourner? Ge qui donnerait quelque crédit à cette explication, c’est la différence des vêtements que les témoins disent avoir vu sur M. d’Orléans. On reconnaît bientôt le peu de justesse de cet indice, car la différence d’habits n’est point liée à la différence d’heure. M. d’Orléans est en redingotte ou en lévité à six heures et demie, sept heures, suivant le sieur Morel et suivant Jean Jobert ; à huit heures un quart, suivant le sieur de Miomandre-Châteauneuf, et à huit, à neuf heures, selon Guenissey. Il est en frac rayé à six heures, selon le sieur La Serre; à cette même heure, M. de Digoine le voit en frac gris ; et le sieur de Saint-Aulaire et le sieur Santerre l’habillent encore en frac gris à neuf heures et demie. De plus, il a un chapeau à trois cornes à six h jures, lorsqu’il est vu par M. de Digoine, et à neuf heures lorsqu’il est vu par Hudeline, et pourtant il porte un chapeau rond, selon Jobert et Morel, à sept heures; selon Guenissey, à huit à neuf heures; et selon le sieur de Saint-Aulaire, à neuf heures et demie. Voilà de singulières diversités; mais comme elles s’étendent également sur tous les moments de l’intervalle de temps dont il s’agit, on ne peut pas en conclure que M. d’Orléans ait monté deux fois la cour des ministres pour aller à celle des princes. Ajoutez à cela l’exposé de M. d’Orléans, qu’il est parti de Paris vers huit heures, qu’il a vu les deux têtes sanglantes à Sèvres, comme le sieur de La Borde, venant de même de Paris, les y avait vues, et vous douterez de plus en plus que M. d’Orléans ait été au château de Versailles, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1« octobre 1790.] 359 dans le temps des atrocités qui y furent commises. Avant de passer à d’autres faits, il faut suivre celui-ci daus ses circonstances. Selon le sieur Duval de Nampti, le peuple entourait et suivait M. d'Orléans, traversant la cour des ministres, et l’on entendait crier : Vive le roi d'Orléans! M. de La Châtre et M. de Frondeville répètent le même cri; le sieur Boisse prétend qu’il l’avait entendu la veille. M. d’Orléans, souffrant de telles acclamations, n’aurait pas été exempt de blâme, quand même on n'aurait pu lui reprocher de les avoir provoquées. Ce fait mérite donc d’être examiné. Si l’on suppose ces acclamations antérieures aux excès commis par la multitude, on les conçoit et on juge l’intention qui les a produits. Mai s le sieur Boisse excepté, dont vous savez que le témoignage unique fait promener M. d’Orléans le 3, dans l’avenue de Paris, elles sont évidemment postérieures , et alors je demande si l’on peut y croire une minute, et quel sens elles pourraient avoir ? Je dirais volontiers que le sieur de Nampty, M. de La Châtre et M. de Frondeville étaient occupés, d’après ce qui venait de se passer, de mille conjectures, et entendaient un cri pour l’autre dans leurs distractions. Aussi ceux gui n’étaient pas distraits, ceux qui ne conjecturaient pas, Méricourt, Brayer, Quence, Guenissey, qui, étant dans la cour, entendaient de plus près ; le sieur de La Borde qui arrivait, le sieur la Serre lui-même que vous verrez bientôt' n’être pas timide en témoignage, disent qu’ils ouïrent crier : Vive le duc d’Orléans! Ce sont six témoins qui ont mieux entendu que trois. Peut être encore les cris de : vive le duc d’Orléans! ne sont-ils pas exempts de reproche et de mystère aux yeux de ceux qui veulent à tout prix trouver de3 crimes. Des acclamations, témoignages d’amour, hommage flatteur du peuple à qui sa publicité ne permet pas d’être suspect, des acclamations seraient un attentat dans ces sérails de l’Asie, d’où un maître ombrageux règne par la crainte et défend tout autre sentiment. Là un seul homme est compté; mériter de l’être est une trahison ; et un sultan dans sa vieillesse imbécile, commande aux ministres de sa vengeance de laver dans le sang de son fils le crime d’avoir élé aimé. Mais parmi des hommes libres, ces bénédictions qui honorent les bons citoyens et acquittent l’Etat, sont le trésor du peuple, le germe à la fois et la récompense du patriotisme. Je demande votre attention ; je vais vous rendre compte d'une charge très grave. Elle résulte principalement de la déposition du sieur La Serre. Celui-ci montait, dit-il, le grand escalier au milieu de la foule après six heures ; il entendait proférer autour de lui ces mots : Notre 'père est avec nous ; marchons . Quel est donc votre père? demande-t-il. — Eh ! est-ce que vous ne le connaissez pas? Eh f...., est-ce que vous ne le voyez pas? il est là, lui répondit-on d’un ton très énergique. Alors levant la tête et se haussant sur la pointe des pieds, il vit M. d’Orléans vêtu d’un frac rayé, sur le second palier à la tête du peuple, faisant du bras un geste qui indiquait la salle des gardes du corps de la reine ; il le vit ensuite tourner à gauche pour gagner l’appartement du roi ; lui-même il alla dans cet appartement, et il apprit que M. d’Orléans n’était pas chez le roi. Cette déposition n’est peut-être pas isolée. Le sieur Morel, conduit en faction à 6 heures et demie, 7 heures, vit M. d’Orléans se présenter pour entrer chez le roi; il semble qu’échappé aux regards du sieur La Serre, M. d’Orléans passe immédiatement sous ceux du sieur Morel. Bercy, valet de pied delà reine, entendit, on ne sait précisément d’où, des voix dire : C’est là ! c’est là ! au moment où la multitude arrivait au-dessus de l’escalier. S’il disait une voix, on pourrait croire que c’était M. d’Orléans gui accompagnait de ces mots son geste indicatif. M. de Digoine assure qu’il vit M. d’Orléans au bas de l’escalier des princes; il se pourrait que, monté par le grand escalier, il fût allé descendre par l’escalier des princes. Le sieur de Miomândre-Ghâteauneuf, après avoir été témoin du premier choc qu’essuyèrent les gardes du roi au-dessus du grand escalier, se retira chezMmo d’Ossun ; il y fut retenu quelque temps ; il sortit, descendit le grand escalier au pied duquel il vit deux cents suisses ; l’un de ceux-ci levant son chapeau, il lui demanda qui il saluait, et on lui fît apercevoir M. d’Orléans à côté de deux hommes déguisés en femmes ; il était alors, dit-il, huit heures et un quart. Je ne sais si cette déposition ne se rapprocherait pas de celle du sieur La Serre. Alors je voudrais que les deux cents suisses eussent été produits. Le sieur Duval de Nampty a ouï dire au sieur Groux, garde du roi, que ce dernier avait vu M. d’Orléans en grande redingotte grise indiquer du bras au peuple le grand escalier. Le sieur Thiery de La Ville dépose, d’après le sieur Rousseau, maître d’armes, que celui-ci avait vu M. d’Orléans montant le grand escalier, en indiquant du bras au peuple l’appartement de la reine. Enfin un sieur de Lartigue a dit, selon M. Guil-hermy, avoir vu M. d’Orléans parmi les brigands qui s’introduisirent dans le château. Je ne sais si j’énonce bien cette série de témoignages qui s’accordent, et s’entr’aident mais elle me semble effrayante. Que dira M. d’Orléans pour se dérober à cet ensemble de lumières? que deviendra son exposé qu’il était à Paris, d’où il ne partit que vers huit heures? Quelque confiance que puisse mériter le prévenu, ue meurt-elle pas devant des dépositions ? Notre devoir est pourtant d’étudier ces dispositions. Si à l’examen nous parvenons à reconnaître qu’elles n’ont pa3 l’importance que nous leur supposons au premier coup-d’œil, nous jouirons de la satisfaction que l’on goûte à dépouiller des soupçons affligeants. Si, au contraire, le résultat de notre analyse doit être de confirmer une triste découverte, alors au moins, daus les conséquences de notre recherche, nous nous rendrons ce témoignage consolant, que nous n’avons rien omis, et que la présomption sacrée de l’innocence n’a été abandonnée qu’aprè3 des soins infructueux. La déposition de Bercy, exprimant plusieurs voix, ne saurait désigner Monsieur d’Orléans. On ne voit pas ce que signifiaient les mots : c’ est-là! c’ est-là! Une conjecture peut les expliquer, mais elle suppose une foule gui s’indique elle-même, et exclut l’idée d’un indicateur particulier. M. de Digoine ne dit pas l’heure à laquelle il trouva Monsieur d’Orléans au pied de l’escalier des princes ; et si l’on en voulait juger d’après son récit, il faudrait consulter le temps qu’il dut 360 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [l*r octobre 1790.] mettre à se lever lorsqu’il fut averti de ce qui se ' passait, à se rendre de chez lui au château, à se présenter à la porte du salon d’flercule qu’il trouva fermée, à marcher de là au grand escalier, à le monter, et ne pouvant pénétrer dans la salle des gardes, se rendre de là à l’escalier des princes, et le descendre. Or, M. de Digoine dit bien qu’il fut averti à cinq heures et demie; mais cela était-il possible avant les faits mêmes dont on lui donnait avis? Il était six heures lorsque le peuple s’avança dans les cours, et de là pénétra plus avant; le docteur Goudran, le sieur Valdony, la dame Thibaut et la dame Augué déclarent précisément cette heure. Si donc M. de Digoine a vu Monsieur d’Orléans au pied de l’escalier des princes, c’est évidemment trop tard pour que ce fait vienne à la suite de celui du sieur La Serre. 11 en est de même de la rencontre, au bas du grand escalier, du sieur Miomandre, car lui-même dit huit heures et un quart. Le rapport du sieur Duval de Nampty, la ré-dingotte grise et Monsieur d’Orléans guidant la foule du bas de l’escalier, s’accordent mal avec la déposition du sieur La Serre. Le sieur Rousseau est produit dans l’information, et ne confirme pas le propos qui lui est attribué par le sieur Thiery. Le sieur Groux et le sieur de Lartigue, cités par le sieur de Nampty et par M. Guilhermy, ne sont pas dans le nombre des témoins, et il ne reste que les rapports. Le témoignage du sieur Morel est plus sérieux ; voici ce qu’il faut remarquer. Allant à sa faction, il traverse la multitude qui occupe le grand escalier, et c’est au moment de l’invasion, car il est témoin du coup de feu qui casse la tête d’un homme au pied de l’escalier, et c’est ensuite qu’il est posté vers l'œil-de-bœuf, et ensuite qu’il voit Monsieur d’Orléans. Or, là garde nationale ne prit les postes dans l’intérieur du château qu’après avoir expulsé les bandits qui s’y étaient introduits. Quand ceux-ci montaient le grand escalier, les gardes du roi occupaient seuls ces postes, seuls ils résistèrent, seuls ils se barricadèrent. Aussi le sieur Morel ne vit rien de tout cela. J’en conclus qu’il n’y était pas ; j’en conclus que, s’il fut mis en faction vers i’œil-de-bœuf, ce fut dans un autre moment, et dès lors sa déposition ne s’accorde plus avec celle du sieur La Serre. J’en conclus que pour vouloir se donner comme témoin de trop de choses, le sieur Morel laisse voir qu’il n’a été témoin d’aucune. Ces considérations sembleraient réduire la déposition du sieur La Serre à elle-même ; mais dans un fait si grave, une seule déposition, au milieu de certaines conjectures qui la renforceraient et seraient renforcées par elle, serait encore d’une grande importance, et l’on aurait peine à se défendre d’un sentiment, même supérieur au soupçon. Le sieur La Serre est-il au-dessus de toutes contradictions? C’est ce que vous allez reconnaître. Je serais tenté de lui demander d’abord comment il se trouvait alors dans le grand escalier. Il n’était appelé par aucun service, il n’apportait aucun secours; quel était son dessein? Il monte en même temps que la foule le grand escalier. Nous savons qu’à l’instant même un combat s’engagea. Un homme fut tué au-dessus de l’escalier, et un autre au-dessous. Les gardes du roi furent, après quelque résistance, accablés par la fureur et le nombre... Eh bien! le sieur La Serre n’a pas vu cela. Un garde du roi est terrassé, volé; forcés de céder, lui et ses camarades se retirent, se ferment, se barricadent... Eh bien ! toute cette action échappe au sieur La Serre. Il est le seul homme qui, dans toute la journée, ait vu M. d’Orléans en frac rayé. Il voit M. d’Orléans tourner à gauche pour gagner l’appartement du roi ; et les passages pour aller chez le roi sont condamnés. Lui-même il va dans l’appartement du roi, comme lorsque dans les moments les plus calmes, toutes les avenues sont libres d’obstacles. Et parvenu miraculeusement dans les appartements du roi, il n’y remarque aucun mouvement extraordinaire, ni l’inquiétude du roi, ni la fuite de la reine, ni les alarmes que reproduisent de minute en minute les mouvements, les efforts et la bruyante colère de la troupe forcenée qui est aux portes. Il avait sur le grand escalier et des oreilles et des yeux, il est frappé dans ces deux sens, aussitôt qu’il a aperçu M. d’Orléans, et il ne voit plus et n’entend plus. Après avoir battu ce témoignage par lui-même, on peut le battre par d’autres. Le sieur d’Haucourt, garde du roi, vit d’abord deux femmes entrer dans la salle des gardes, et en faire le tour : il faudrait supposer, si quelque projet était médité, qu’elles venaient prendre connaissance du lieu, et que la troupe u’avait pas de guide plus sûr. Le sieur Valdony, cent-suisse, était au pied du grand escalier, lorsque le peuple s’y présenta — et il ne vit point M. d’Orléans. Le sieur Galleman, qui monta l’escalier dans le même temps, remarqua bien deschoses, et il n’entendit pas le propos : notre père est avec nous , et il ne vit pas M. d’Orléans. Au premier bruit que l’on entendit sur l’escalier, les gardes du roi accoururent. Le sieur Gueroult de Berville, le sieur de La Roque, le sieur d’flau-court, le sieur de Miomandre-Sainte-Marie, le sieur de Rebourseaux tentèrent d’arrêter le peuple qui montait l’escalier, et ils ne virent pas M. d’Orléans. Le sieur de Miomandre-Ghàteauneuf était avec les gardes du roi ; il fut présent au premier choc, et il ne vit pas M. d’Orléans. Dans de telles conjectures, ne pas dire que M. d’Orléans marchait avec le peuple et à sa tête, c’est affirmer qu’il n’y était pas. Le peuple seul, guidé par son emportement, et le peuple ayant à sa tête M. d'Orléans, sont deux spectacles qui ne se ressemblent point; et les témoins rapportent qu’ils ont vu le premier, parce qu’ils n’ont pas vu le second. Enfin, pour se retirer, en prenant à gauche, M. d’Orléans aurait dû traverser quelque espace, et passer quelque part; et pourtant il n’a paru d’aucun côté, et personne ne s’est trouvé sur ses pas ; car je ne compte plus le sieur Morel. Etait-il donc invisible pour tout le monde, en vertu de quelque charme, d ont le sieur La Serre seul n’éprouvait pas l’effet? Après avoir épluché, pour ainsi parler, l’étrange déposition du sieur La Serre, il est difficile de conserver quelques dispositions à la confiance ; dans un examen indifférent ou de pure curiosité, on dirait franchement : c’est une fable ridicule; dans un rapport et devant l’Assemblée nationale, on hésite, et l’on ne forme une résolution qu’après avoir balancé avec soin et patience le pour et le 361 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [!•' octobre 1790.] contre de cette charge particulière, et le pour et le contre de la totalité des charges. Si ces témoins, qui n’ont pas vu M. d’Orléans à la tête du peuple, et qui n’en ont pas parlé, eussent dit : nous ne l’avons pas vu; alors même on aurait à remarquer que rigoureusement un seul peut voir ce qui échappe à plusieurs, et que les dépositions qui nient, n’ont jamais la force de la déposition qui affirme. Or le silence n’est qu’une dénégation implicite. Achevons des détails longs et pénibles. L’information vous apprendra que plus tard, et le calme étant rétabli, M. d’Orléans fut vu dans les appartements du roi, seul et rêveur, par un sieurde Maison-Blanche; libre, gai et causant avec diverses personnes, par M. de Digoine et par les sieurs du Rosnet et Santerre. M. d’Orléans convient qu’il est allé chez le roi. Le sieur Le Gentil de Paroy le vit, à son grand étonnement, .dans la galerie, causant avec MM. de Liancourt, Sillery et La Touche. Le sel de cette déposition est, comme on voit, dans le grand étonnement du témoin, qui pourtant ne prouve rien. Puis M. de Vaudreuil le remarque au salon d’Hercule, à côté de M. de Liancourt, ce qui est très indifférent. Puis lorsque le roi fait annoncer qu’il ira à Paris, le sieur Dupré voit que M. d'Orléans frappe du pied, et se retire ; le sieur de Prioreau note qu’il entre en conférence avec M. de Biron; et le sieur de Rosnel l’entend dire que, puisque le roi va à Paris, il ignore pourquoi l’on s’assemble, et qu’il n'y a plus besoin d'Assemblée nationale; discours tout naturel, puisque le roi n’avait demandé l’Assemblée nationale au château , que pour prendre conseil d’elle sur le voyage à Paris. Puis le sieur Galland l’aperçoit se promenant de sa maison à l’Assemblée nationale, et recevant et rendant les saluts du peuple; ce qui alors au moins n’était plus suspect. Enfin on le suit à Passy. Le peuple allait, marchant au-devant des voitures du roi. M. d’Orléans, placé sur la terrasse de la maison qu’habitent ses enfants, voyait passer avec eux. Le peuple criait : Vive le duc d'Orléans. Le roi approchant, M. d’Orléans faisait signe que l’on se tût; et comme les acclamations continuaient, il se retira. C’était peut-être un ménagement, un procédé discret; mais il faut qu’on en ait jugé autrement au Châtelet, car après la déposition du sieur de Rosnel qui avait déclaré ce fait, deux filles ont été produites, uniquement pour le confirmer. J’ai rapporté ces particularités indifférentes en elles-mêmes, et ridicules dans les dépositions qui les expriment, parce que j’ai dû tout dire. La liste des charges contre M. d’Orléans est nombreuse. Je continue de ne relever que ce qui me présente une certaine importance. Ainsi vous avez à retenir que M. d’Orléans fut nommé par le chasseur du sieur de Miomandre et par la personne suspecte, dont M. Diot entendit les discours. Vous avez à retenir les distributions d’argent que quelques indices semblent ramener à M. d’Orléans. Vous avez à retenir surtout la déposition du sieur La Serre. Vous avez à retenir enfin ce que l’on dit s’être passé entre M. d’Orléans et M. de Mirabeau, au sujet du départ de celui-là pour l’Angleterre. Après avoir fondé dans tous ses retranchements ce secret funeste, dont la découverte vous fut annoncée, vous allez composer, s’il se peut, un ensemble des détails que vous avez parcourus, et chercher dans un résumé général les motifs de la conclusion à laquelle vous devez enfin vous arrêter. PARTIE TROISIÈME. Résumé. Quelques faits et beaucoup de matière offerte aux conjectures, voilà, pour ainsi parier, la provision que nous avons faite. « Une foule innombrable sort de Paris, et se rend à Versailles le 5 octobre. « Dans la soirée, un officier des gardes du roi est blessé; plus tard, l’escadron défilant, reçoit une grêle de coups de fusil ; des excès et le pillage de l’hôtel des gardes suivent ces premiers mouvements. « Le peuple entre à six heures du matin dans les cours du château, et des gardes du roi sont massacrés. « Successivement le grand escalier est rempli d’une troupe furieuse, quirenversetoutdevantelle; les gardes du roi soutiennent l'ardeur d’une première attaque; ils sont accablés, forcés de fuir et de se retrancher. » Voilà le délit dénoncé au Châtelet; et il est avéré. On a dit que des scélérats, couverts du sang de leurs victimes, pénétrèrent jusque dans l’appartement de la reine : je n’hésite pas, je retranche ce fait d’un désastre qui n’a pas besoin d’exagération. Deux témoins supposent cette dernière horreur ; mais je considère ce qu’ils disent avoir vu; et je reconnais que leur expression va au delà; sept témoins contraires, et surtout le verrou qui ne fut pas forcé, déterminent ma conviction. Le délit étant réduit à ses vrais termes, il faut chercher les coupables, dans ses circonstances, dans sa préparation, dans ses accidents. Il y a des bruits d’un complot profond ; dans les détails, à peine passons-nous les ouï dire, et les idées éloignées qui se présentent aux esprits soupçonneux. L’aventure de Blangez est un conte absurde qui se décrie par ses circonstances. Il y a un apprêt plus que suspect dans l’histoire de ce chasseur, que le sieurde Miomandre fait expirer, que le sieur de Rebourceaux sauve de son désespoir, et dont le sieurLe Gointre ne fait qu’un ridicule bravache, désolé d’avoir manqué l’escalade d’un balcon. Les propos nocturnes entendus par M. Diot et M. de Barasont contre eux leur invraisemblance, le sang-froid des deux témoins, après d’horribles menaces, l’obscurité profonde au sein de laquelle un coup d’épée est paré avec une canne, et un signalement est tiré avec une extrême exactitude ; et enfin M. Diot et M. de Baras sont témoins isolés, chacun dans le fait qu’il rapporte. Le sieur Le Clerc est Je seul qui parle de ce signe d’une manchette déchirée, et d’un morceau attaché sur la manche qui aurait distingué des factieux; et même il ne le vit point. Observez que le sieur Le Clerc est celui qui, à la suite de la fête du 1er octobre, cria : Vive le roi, la reine, et au diable l’Assemblée nationale et M. d’Orléans. L’argent distribué, dont parlent tant de témoins, fait une impression plus durable. Toutefois, M. de Montmorin est le seul de ces témoins qui ait vû le fait du panier d’osier, et Marguerite Andel a 362 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [le» octobre 1790.) vu trop de choses ; il n’y a point d’autres témoins positifs. Depuis plus d’un an, s’il faut en croire ce qu’on nous dit, le peuple est payé et les écus se donnent, et pourtant les écus ne furent jamais si rares. Quelle est donc la magie qui les répand et les retire, et comment passent-ils dans tant de mains, et ne se trouvent-ils dans aucune? Nous voyons donc l’abondance et la disette se toucher et se confondre; et l’argent, versé comme la rosée, s’évapore de même. Des distributions d’argent peuvent appartenir à toutes les conspirations. Nous en cherchions une, nous avons suivi les traces d’une autre ; ou nous a parlé d’une faction qui pouvait amasser les moyens de trois campagnes, et qui s’était assurée de la délivrance d’un million et demi par mois. C’est donc là qu’était l’argent; mais d’où partaient les canaux qui l’ont distribué, si ce n’est du réservoir où il ôtait amassé? Bien des gens ont voulu que la source de cette dangereuse générosité ne fût pas intestine. On a soupçonné les ennemis de la France d’un dessein artificieusement combiné, où les moyens auraient été de l’enrichir, et le but de la perdre ; et ainsi des trésors nous auraient été envoyés pour opérer notre ruine. Au milieu de ces versions, on ne puise que l’incertitude ; et là où l’on avait cru d’abord démêler quelque objet réel, on finit par ne voir que ces fantômes vains qu’en ces temps de troubles et de discordes, des imaginations frappées sont sujettes à produire. Mon devoir est de vous rendre compte de toute l’impression que j’ai reçue. La multitudedes bruits, des rapports, des propos, m’étonne, et semble condenser devant moi un nuage que ma vue ne peut percer. Je suis peu touché du discours que le sieur de Rosnel seul a entendu. Je crois que, si dés femmes avaient parlé d’un ordre de rester, elles auraient été entendues de plusieurs autres; mais l’action répond au propos ; ces femmes restent, et voilà ce qu’il est difficile d’expliquer. On peut dire que le dessein d’amener le roi à Paris retint à Versailles ce peuple qui y passa la nuit; on peut dire qu’il fut successivement arrêté par le ressentiment que provoquèrent les coups de sabre et les coups de pistolet des gardes du roi, et enfin par l’obscurité de la nuit; mais on ne se dissimule pas que quelque doute survit. 11 reste à combiner avec ces considérations générales, qui m’ont.appris peu de choses, les considérations particulières qui me ramènent àM. de Mirabeau et à M. d’Orléans. Rappelons-nous les charges : M. de Mirabeau a été le 5 octobre dans les rangs du régiment de Flandre. On suppose un discours que personne n’a ouï; il portait un sabre nu; mais il n'en a fait aucun usage, mais il a fait comprendre qu’il songeait à sa sûreté; euün il n’est pas certain que l’homme désigné ait été M. de Mirabeau. Un conseil, dont le motif serait un aveu, a été donné à M. d’Orléans sur son départ pour l’Angleterre; une dénonciation a été concertée pour le retenir, et ce projet échouant a attaché encore un aveu dans un discours aigre et impatient; on a ouï dire cela, personne n’a vu, personne n’a entendu; le rapport qu’il y a entre ces deux traits frappe d’abord, mais l’impression ne dure pas. M. d’Orléans a été nommé par le chasseur du sieur de Miomandre; il n’y a que ce dernier qui le dise, et son récit choque la vraisemblance. Il a été nommé encore dans un groupe où l’on conseillait d’abominables attentats; mais M. Diot a contre lui et sa solitude, et même toutes les circonstances du fait qu’il déclare. Quelle apparence d’ailleurs que l’on regarde comme une preuve de complicité, le nom qu’ont proféré des scélérats capables en un sens de méditer des forfaits? Ils le sont dans tous, et ils pourraient être apostés pour faire entendre parmi des horreurs le nom le plus respectable. La déposition du sieur La Serre n’est pas réduite à des mots proférés, elle est aussi affirmative qu’elle est grave; je serais tenté de dire qu’elle est la clef de la voûte ; si elle tient, nous avons une masse qui va résister; si elle manque, tout s’écroule. Je ne saurais me figurer M. d’Orléans marchant à la tête du peuple, montant le grand escalier, et indiquant l’appartement de la reine, sans remonter à l'idée d’une trame ourdie, dont ce fait étrange serait la suite et l’explication. D’autres dépositions semblent confirmer celle du sieur La Serre. Celle du sieur Morel est la seule qui soutienne les premiers regards ; mais bientôt le sieur Morel se décèle. On voit qu’il n’a pas été, qu’il n’a pas pu être mis en faction à l’heure qu’il cite, et son témoignage s’évanouit. Après avoir écarté les apparences qui m’avaient présenté quelque liaison entre la déposition du sieur La Serre et d’autres dépositions, je n’aborde celle-là qu’avec une extrême défiance. Et lorsque je la trouve démentie par elle-même, démentie par les témoignages nombreux, démentie par toutes les circonstances, je ne dirai pas quel sentiment succède aux doutes que j’avais conçus; un masque tombe à mes yeux, et je m’attache d’autant plus à la vérité qui se montre, que j’en avais été dévoyé durant quelques moments. Je l’ai remarqué : de cette déposition vérifiée pouvait dépendre l’importance de l’information entière. Après la conviction acquise sur un tel fait, il ne restait rien qu’il ne fût aisé de croire ; l’invraisemblance n’était plus une raison de douter, et les conjectures les plus hardies devenaient des preuves. En sens contraire, dès que l’imposture est évidente, dès qu’une si positive affirmation n’est pas un garant de la vérité ; il devient permis de douter de tout, et il ne reste d’indices que contre les témoins, et en faveur des prévenus. Une difficulté m’arrêterait, si l’insurrection du 5 octobre et les crimes du 6 se montrant à moi dans tout ce qu’ils ont d’étonnant, je ne pouvais en démêler les causes et calmer les inquiétudes de mon imagination. Tout s’aplanit, lorsque je vois le peuple de Paris accourir à Versailles, parce qu’il manque de pain, parce qu’il croit sa liberté menacée de quelque attentat nouveau, parce que, dans ses alarmes, il pense que la présence du roi au sein de la capitale sera le terme de tous ses maux. Tout s’applanit, lorsque l’on me montre l’occasion du coup de fusil tiré sur le sieur de Savon-nières, dans les coups de sabre et dans le cri : on nous laisse assassiner; celle de la décharge bruyante qui part ensuite sur l’escadron des gardes du roi, dans les coups de pistolet tirés de cet escadron contre les citoyens, et enfin celle de ce qu’eut d’horrible la matinée du 6, dans l’aspect des victimes qui parurent immolées par la vengeance ou par la trahison des gardes du roi. Des doutes agitaient mon esprit; maintenant s’il n’en est pas guéri, au moins doit-il les faire [l,r octobre 1790.J [Assemblée nationale,! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 363 céder. Il est un terme où il faut enfin se résoudre et choisir entre des alternatives même hasardeuses. Or, d’un côté mes soupçons ne m’expliquent rien, d’un autre côté je descends de la cause à l’effet par une liaison sensible. Des preuves m’éclairent ici, là je vague dans des combinaisons conjecturales; eussé-je démêlé les traces d’une conspiration, nul rayon de lumière ne se réfléchit sur des coupables. Après tout cela, y a-t-il lieu à une accusation contre M. de Mirabeau et M. d’Orléans ? J'avoue que les juges du Châtelet n’ont, pas douté ; c’est en vertu de votre décret du 26 juin qu’ils ont eu recours à vous ; et si M. de Mirabeau et M. d’Orléans n’eussent pas été membres de l’Assemblée nationale, déjà l’accusation existerait. Us ont écrit sur la procédure que M. de Mirabeau et M. d’Orléans étaient dans le cas d’être décrétés, et vous n’avez pas oublié qu’admis à la barre, ils ont pris un ton plus affirmatif encore. Si nous partons des mêmes principes, les juges du Châtelet et moi, nous devons nous rencontrer dans la conséquence ; le résultat sera divers, si les principes le sont. Or, je dis que l’accusation est un procédé de la loi, qui suspend dans l’homme qu’elle atteint l’exercice de la liberté, et des droits du citoyen. Je ne vous dirai pas quel est le prix de l’une et des autres, à vous, qui avez fait tant de choses pour les rendre aux Français. Je vous dirai que la loi ne doit pas aller légèrement jusqu’à me ravir les premiers de ses bienfaits. Je vous dirai que, pour accuser, elle doit se prescrire des mesures, un examen, et ne venir à moi qu’avec des preuves. Les idées reçues différent de celles que j’expose; la jurisprudence de nos tribunaux, facile pour l’accusation, réservait toutes ses épines pour le jugement, Ici on demandait des preuves, là on connaissait d’autres moyens et d’autres règles, ou plutôt on ne connaissait rien; la loi se taisait; de gros livres avaient été faits, où l’arbitraire était érigé en une espèce d’art. Les juges étaient abandonnés à eux-mêmes, aux caprices de leurs soupçons, et les décrets étaient comme une production spontanée dans la vaste latitude des indices. Voici ma pensée. Parmi les esclaves que le despotisme conduit, sans dérober à leurs yeux sa verge de fer, l’accusation et le jugement ne sont qu’un ; à peine est-il besoin d’être soupçonné pour être puni, et nul n’a le droit de détendre sa tête, quand le despote ou ses agents la demandent. Sous les gouvernements qui se disent modérés, parce que le pouvoir arbitraire s’y cache sous des formes où les lettres de cachet sont mises à la place des muets, et la procédure à la place des volontés du Gadi; on respecte la vie des hommes, mais on ne se doute pas qu’ils aient des droits ; on ne pense pas à la liberté, et conséquemment le jugement est une affaire et l’accusation n’est rien. Tels sont, si je puis ainsi m’exprimer, les errements que les juges du Châtelet ont suivis. Mais à un nouvel ordre de choses, d’autres idées conviennent. Après la déclaration des droits, après la Constitution, nous avons été citoyens : il est pour des citoyens quelque chose à côté de la vie, et l’accusation doit prendre un autre caractère. S’il suffisait d’articuler un crime, et de nommer un citoyen pour donner l’être à une accusation, aucun ne pourrait dire au lever du soleil qu’il sera libre encore à la fin du jour : l’accusation demande donc des preuves. J’appelle preuves, cet ensemble de renseignements appliqués à un fait et à un homme, qui me démontre la vérité de l’un et l’opération de l’autre. Admettre, pour fonder l’accusation, des preuves qui n’auraient pas cette étendue, ce serait retomber dans le danger qu’il s’agit d’éviter; car, au-dessous de la démonstration, le moyen est d’établir des degrés. Et plus le fait dénoncé est grave et offense de grands intérêts, plus la démonstration est difficile; car elle a à surmonter les arguments que je tirerai de l'invraisemblance du fait. S’il faut, par exemple, supposer une conspiration contre l’Etat, ou contre le prince, elle est nécessairement enveloppée de combinaisons, dont la considération a dû précéder le fait, et qui rendent ma croyance plus lente. Mille chances sont pour la chute du conspirateur, contre une pour le succès. 11 craint les regards de tous les citoyens, parce qu’il va les offenser tous. . Il craint l’infidélité, la faiblesse, les remords, l’imprudence de ses complices. S’il a le bonheur d’échapper à ces premiers périls, il n’a rien fait encore, et il poursuit une entreprise où ses mesures peuvent sans cesse être déconcertées par les incidents les plus inattendus. Enfin, s’il est découvert, le supplice est prompt, rigoureux et irrémissible. Ils sont rares, heureusement, les scélérats que cette perspective ne contient pas; et pourtant une conspiration ne peut pas être l’ouvrage d’un seul. Lors donc qu’une telle accusation est provoquée, une carrière pénible s’ouvre devant les juges; ils ont d’abord à se défier du délit même, et l’incrédulité est un devoir qu’ils doivent remplir longtemps. Voilà peut-être ce qui a échappé aux juges du Châtelet ; ils ont vu, dans leur immense procédure, des dépositions effrayantes, et ils n’oot rien approfondi. Les bruits d’un complot leur ont paru prendre de la consistance, à côtédu fait de Blangez du récit du sieur Miumandre, et de celui du sieur La Serre. Ainsi, dans cette jurisprudence barbare, dont l’Assemblée nationale nous délivrera, l’accusation pouvait être fondée sur des apparences, et la conscience des juges n’allait enfin au-delà, que lorsque, après une longue captivité, les victimes étaient amenées devant eux pour entendre leur dernier arrêt. Messieurs, si vous eussiez pensé que le droit d’accuser les citoyens dût tenir à ce premier coup d’œil qui suffit dans les choses indifférentes et légères, M. de Toulouse serait dans les fers. Deux témoins affirmatifs, clairs, uniformes, avaient chargé M. de Toulouse, et il s’agissait aussi d’une conspiration ; les juges du Gààtelet auraient dit que M. de Toulouse paraissait être dans le cas d'être décrété. Vous ne fûtes pas séduits par une apparence vraiment imposante; vous allâtes encore à la découverte de la vérité, là où les juges du Châtelet auraient presque vu la conviction; la calomnie ne soutint pas vos regards, et M. de Toulouse fut absous. Ce que vous avez fait alors, vous le ferez aujourd’hui. Vous êtes entre vos collègues inculpés, et le précipice vers lequel on les pousse, entre 364 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [l*r octobre 1790. | la vérité et les témoins, entre la justice et la prévention, et votre sagesse saura choisir. J’ai presque dit qu’il n’y a pas lieu à accusation, et pourtant une réflexion profonde m’arrête encore. Eh quoi! des juges accoutumés à parler au nom de la loi, accoutumés à rechercher et à découvrir les méfaits qui la violent, auront désigné deux citoyens prévenus, et l’Assemblée nationale, qui fait la loi, imposera silence à ses organes, et proclamera des innocents ! Et deux membres de l’Assemblée nationale seront l’objet de cette étonnante contradiction! Mais un soupçon outrageant va survivre, texte livré à la malignité des commentaires; l’opinion publique balancera entre les législateurs et les juges. On dira que, si la présomption de l’innocence est suffisante pour la foule des citoyens, d’autres obligations sont imposées aux représentants du peuple; on dira que ceux-là sont quittes envers la société quand elle ne les a pas convaincus, et que ceux-ci ne Je sont pas, quand elle les soupçonne. Ces objections ont je ne sais quel ascendant qui me pénètre. Je demandais des preuves pour l’accusation; je ne les trouve pas, et pourtant j’hésite; ma conscience serait tranquille, mon esprit ne l’est pas; et, pour me déterminer enfin, j’ai besoin de me recueillir encore. Il est une attention nécessaire aux juges dans leurs recherches, sans laquelle souvent ils embrasseront des illusions, et la vérité fuira devant eux. Un crime dénoncé tient à des circonstances qui le caractérisent. Les preuves reçoivent aussi l’influence des conjectures. Isolez l’affaire des passions générales ou particulières qui l’accompagnent, vous serez dans les ténèbres ; ramenez-la, pour ainsi dire, dans le cadre auquel elle appartient, vous serez surpris de l’éclat de lumière qu’elle va réfléchir. Ainsi, dans les maux imprévus qui affligent le tempérament infecté d’un vice originaire, le médecin expérimenté, comptant peu sur des symptômes accidentels, remonte à la maladie chronique et en suppose toujours l’action . J’ai peut-être enfin aperçu le moyen d’aller à la vérité sans nuages. Une grande révolution a changé la face de la France ; elle doit faire des heureux ; elle a produit des mécontents. L’édifice de la Constitution n’a pas été fondé sans contradiction. Des attaques ouvertes ont échoué, des attaques secrètes le minent encore. H va s’élevant au milieu des efforts et de la rage impuissante d’une faction toujours vaincue, mais toujours révoltée. Une faction, une faction révoltée contre la Constitution!... voilà (souffrez que je m’exprime ainsi), voilà la maladie originaire; et cette grande procédure qui attire tous Tes regards, n’est peut-être qu’une fièvre éphémère qu’elle a produite, et quelle va nous expliquer. Supposez un événement. Au milieu de deux partis qui s’observent, avez-vous intérêt de l’approfondir? N’interrogez ni d’un côté ni de l’autre; au lieu de témoins, vous trouveriez des champions, et vous ne trouveriez pas la vérité. Découvrez quelque personne simple, étrangère à la querelle, qui ait vu le fait et qui ne le commence pas, c’est là que vous serez instruit. Ainsi, par exemple, le grenadier qui harangua M. de La Fayette le 5 octobre; ainsi Maillard qui parla dans l’Assemblée nationale au nom d’une troupe de femmes qu’il avait guidée et coù-tenue, vous ‘diront naïvement comment le peuple fut poussé à l’insurrection, et quels desseins le conduisirent à Versailles. Des témoins commentateurs, intéressés peut-être, envelopperont ce récit d’ua mystère conforme à leurs vues. Ainsi Blaizot vous dira sans ornement que M. de Mirabeau l’a entretenu de pressentiments fâcheux, et le sieur de Belleviile aura ses raisons pour ajouter que M. de Mirabeau fit retirer (rois secrétaires. Ainsi plusieurs témoins, dont les oreilles sont neutres, entendent crier : Vive le due d'Orléans , et trois autres personnes entendent d’une plus grande distance : Vive le roi d’Orléans. Ainsi des témoins disent que M. d’Orléans riait en traversant la cour des ministres, et le sieur Dodemain s’érige en appréciateur de la pensée, et remarque que M. d’Orléans n'avait pas l'air qu’il devait avoir dans une pareille circonstance, etc., etc. Il ne suffit pas d’avoir choisi les témoins, il faut encore apprécier le fait avec soin, et juger de son origine par les intérêts qui ont probablement donné l’impulsion. Je vois bien que l’on n’assigne aucun terme aux projets que l’on suppose à M. d’Orléans et à la faction dont on dit qu’il fut l’âme ; mais je tiens qu’à la face de tout le royaume armé, cette ambition n’eût été qu’une inutile extravagance, et que l’on ne tente pas ce qui est impossible. Il est plus facile de croire que des mesures ont été prises contre de bons citoyens que leur patriotisme avait fait haïr et rendus redoutables, et les mouvements d’une secrète astuce conviennent à la méchanceté faible, honteuse de ses défaites. Si j'avais appartenu aune faction antipatriotique, si j’avais été appelé à concerter l’enlèvement du roi et la guerre civile, j’aurais pu désirer le soulèvement de la capitale; j’aurais pu susciter des inquiétudes sur les subsistances; j'aurais pu provoquer des distributions de cocardes odieuses; j’aurais pu semer des bruits inquiétants; j’aurais pu employer tous les moyens de produire des alarmes, et je me serais dit : c’est au milieu du trouble qui va naître, qu’il sera aisé de tromper le roi, de le ravir à son peuple, d’étouffer la liberté naissante, ou de la faire acheter encore par des flots de sang. J’articule des conjectures qui s’opposent à d’autres conjectures. L’information que nous avons examinée, n’est-elle pas elle-même un complot? Quelqu’un a dit que le Châtelet faisait le procès à la Révolution : cette remarque fut peut-être une grande vérité. On disait cela lors de la poursuite que la cour des aides avait entreprise ,au sujet de l’incendie des barrières. On serait ici tenté de le répéter. J’éprouve quelque peine à porter mes regards sur les juges ; à Dieu ne plaise que leurs intentions me soient suspectes et que je veuille ajouter aux épines de leur ministère celles d’une censure injuste ou indiscrète 1 Il est des circonstances où les intentions les plus pures sont un principe d’erreur, où l’on est entraîné l’on ne sait comment, où l’on cesse en quelque sorte d’être soi, pour avoir une pensée d’emprunt. Ainsi, parmi les discordes et les factions, la bonne foi même environnée de pièges n’en est pas toujours préservée. J’avouerai l’impre6sion qu’avait faite sur moi ce discours trop énergique peut-être, dans lequel 365 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [i~ octobre 1790.] vos collègues vous furent dénoncés ; je cherchais l’immobile équilibre de la justice ;je crus démêler dans la balance une secrète oscillation. Quelque prévention m’a-t-elle ensuite guidé? Je l’ignore ; je vais vous exposer mes griefs, et vous les jugerez. D’abord je n’aime pas la complaisance avec laquelle on a transmis, dans l’information, des récits qui appartiennent à une époque glorieuse où les desseins avaient été un droit, et les entreprises des moyens légitimes; il semble qu’en naine de la Révolution, l’on remonte jusqu’à son berceau, et l’on voudrait le briser. Sans doute, des témoins appelés peuvent s’expliquer avec les détails qu’ils estiment nécessaires, et il n’est pas permis aux juges de les interrompre; mais il ne faut pas que les dispositions sortent du fait qui est a éclaircir; car audelà, elles sont au moins inutiles, et si les juges laissent ainsi vaguer la plume du greffier, l’information pourra être bientôt étrangère à elle-même. Je ne fais pas aux juges du Châtelet le reproche seulement de n’avoir pas avisé les témoins qui les amenaient ainsi hors de leur mission. Entre ce qui tenait et ne tenait pas à cette mission, la nuance pouvait être délicate, mais l’intention n’est plus équivoque, lorsque l’on trouve des dépositions absolument relatives aux faits du mois de juillet. Or, Louis Poterne, Antoine et Joseph Faure n'ont été appelés que sur le fait des piques fabriquées le 14 juillet. Le sieur de Villelongue n’a paru que pour articuler les mouvements prétendus des jockeys de M. d’Orléans à la même époque. N’est-il pas clair, après cela, que les juges ont voulu informer sur les faits du mois de juillet? 11 y a des circonstances où je reconnais dans la suite de l’information la scrupuleuse exacti-titude qui veut aboutir à la vérité ; mais il y en a qui me font apercevoir des omissions où l’on semble avoir craint la lumière. Je ne dis pas que les juges du Châtelet ont réservé l’exactitude pour ce qui renforçait les charges, et les omissions pour ce qui les aurait atténuées. Vous allez voir, dans quelques traits, ce qu’il faut en penser. Le comité des recherches de la commune avait provoqué la poursuite et donné des listes de témoins. L’on ne s’arrête pas à ces listes et l’on a raison. Les premiers témoins appelés en indiquent d’autres que l’on appelle à leur tour. Tels sont les sieur et dame Coulomiers sur le fait des conciliabules de Passy : tel est le sieur de Valfond sur le sabre nu de M. de Mirabeau et la promenade dan3 les rangs du régiment; telles sont les deux tilles qui avaient vu, le 6 octobre, M. d’Orléans sur la terrasse à Passy ; tels sont les deux abbés qui semblent n’avoir quitté leur séminaire, le 5, que pour entendre seuls, dans l'Assemblée nationale, M. Dillon parler de la reine sur le ton des femmes qui étaient à la barre. On découvre des personnes qui ont vu M. d’Orléans le 5 octobre au bois de Boulogne, et à qui les courses qu’il a faites out paru suspectes, et ces personnes sont incontinent produites. Lorsque les témoins cités se taisent, on sait bien les interroger. Tel est le sieur Rousseau, fondeur, sur le fait des plaques ; tel est encore le sieur de Valfond. Voilà le beau côté ; voici le revers. Est-il question des piques fabriquées le 3 octobre par les ouvriers du Palais-Royal? un sieur Durban est cité; on ne demande point son témoignage, on néglige celui des ouvriers. Est-il question du chasseur dont a parlé le sieur de Miomandre? celui-ci a nommé le sieur du Verger, le sieur de Saint-Marceau ; il est allé vers uu corps de garde ; on ne fait déposer ni le sieur du Verger, ni le sieur de Saint-Marceau, ni les soldats qui étaient alors dans le corps de garde. Le docteur Ghamseru indique sur des renseignements particuliers le sieur Lintex et le sieur du Quenoy; ils paraissent, et on les laisse, sans les interroger, dire qu’ils ne savent rien. Rousseau, fondeur, est interrogé à l’égard des plaques, il disait d’abord ne rien savoir. Il explique le fait, il déclare que sur l’une des plaques Gibiard a gravé le nom de M. d’Orléans et le sien. Gibiard arrive, il dit ne rien savoir, et on ne l’interroge pas . M. d’Orléans a publié un exposé justificatif; il y déclare qu’il était à Paris le 6 octobre; qu'il fut éveillé par le sieur Lebrun, arrêté sur la route de Versailles par un détachement de la garde nationale, dont l’officier le fit escorter. Le sieur Lebrun était un témoin à produire; il en aurait indiqué d’autres. 11 n’était pas bien difficile de découvrir les personnes qui composaient le détachement rencontré à Sèvres, et surtout l’officier qui le commandait. J’aurais désiré que les officiers du Châtelet fussent allés jusques-là; je n’admettrais pas l’excuse qui serait puisée dans le défaut de notification légale ; il me semble que l’amour de la vérité ne s’enveloppe pas dans cette pointillé de formes. Hé! je remarque trois dépositions dont l’objet unique fut de justifier un ministre. On avait cité, on avait altéré probablement un discours de M. de Saint-Priest; trois témoins sont soigneusement découverts et produits pour restituer ce discours dans sa vérité. On se permettait ainsi de sortir, pour l’intérêt ou pour la gloire d’un homme en place, des bornes de la mission que l’on avait à remplir. Lorsqu’on faisait si peu d’état de la justification du citoyen, je demande pourquoi cette étrange prédilection en faveur du ministre? Il est bien plus difficile de concevoir les officiers du Châtelet dans l’intention qui éloigne de l’information M. d’Estaing, le sieur Le Cointre et le sieur Mattereau dont le témoignage était si précieux à recueillir. Je les remarque entre plusieurs dont les noms étaient sur la liste du comité des recherches, et qui n’ont point été appelés. Et pourtant j’aurais cru que cette liste faisait en quelque sorte une partie de la dénonciation ; j’aurais cru qu’il n’appartenait pas aux tribunaux de composer ainsi avec les, indications fournies par les dénonciateurs. Ce triage que l’on fait au Châtelet, a quelque chose de singulier dont il est difficile de ne pas marquer son étonnement. Je n’ai pas dû reprendre ici tout te fil de la procédure. J’ai réuni quelques traits principaux ; ils suffisent au développement de mon idée. Si les juges ont laissé échapper quelques signes d’un secret penchant à décrier la Révolution, fe vois que les témoins n'ont pas même pensé à le déguiser. Que signifient les rapports multipliés du sieur Peltier, qui ayant tout ouï dire et n’ayant rien vu, remplit douze pages de son fiel antipatriotique, et semble n’ouvrir l’information que pour 366 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [l'r octobre 1790.] donner dans la malignité du prélude la juste idée de ce qui va suivre. Que signifie la longue narration au début de laquelle M. Mounier avertit qu’il dira plus qu’il n’a vu, et dont les détails semblent n’être ensuite qu’une glose amère qui, ne s’arrêtant pas aux faits, va jusqu’à supposer les intentions? Que signifie l’histoire des pressentiments de M. Malouet et de sa société intime, où l’on sépare dans l’Assemblée nationale une classe de membres attachés aux principes constitutifs de la monarchie ; comme si ces principes, dans leur pureté, avaient pu être divers? Que signifie cette affectation malicieuse qui, lorsqu’il s’agit des crimes du 6 octobre, rappelle une ancienne conversation de M. Goroller, et montre un mystère dans une légèreté; Qui met dans la bouche de M. Barnave un discours ridicule pour supposer l’aveu d’un complot; Qui répète des expressions indifférentes de M. l’abbé Sieyès, avec le ton que l’on prend pour faire sous-entendre un sens profond; Qui établit M. Duport au milieu des soldats du régiment de Flandre pour les haranguer ; Qui entasse les membres de l’Assemblée nationale parmi le peuple agité, pour le stimuler encore; Qui dans l’affreuse matinée du 6 octobre, déguise en femmes MM. Barnave, Le Chapelier, d’Ai-guillon, Lameth; qui met un mystère dans les conversations de Monsieur d’Orléans avec M. Du-ort, de Liancourt, de Biron, de Sillery, de La ouche; Qui, dans la même matinée, environne M. de Mirabeau entouré de plusieurs de ses collègues mal vêtu, et se cachant derrière les rangs d’un régiment? etc., etc., etc. Ce que tout cela signifie?... Ouvrez l’information : voyez comme ces atroces suppositions sont vagues, comme on s’enveloppe de rapports, comme les moments et les lieux sont à dessein ou confondus, ou passés sous silence, afin que la calomnie, sûre de son effet, se replie, change de face, et dans sa mobilité échappe à toutes les lumières? Ce que tout cela signifie?... Voyez les noms qui sont proférés, choisis sur la liste des amis de la liberté et des coopérateurs de la Constitution, noms chers aux citoyens, et odieux aux ennemis du peuple? Ne vous est-il pas démontré que la Constitution est le but de tous les traits que l’on aiguise en secret ? Les fureurs qui veulent la renverser ne sont-elles pas exercées d’abord contre l’Assemblée nationale, dont elle est l’ouvrage? Vous n’avez pas oublié la remarque de M. de Virieu et de M. Henry, que, le 5 octobre, il y avait de la raideur dans certaines opinions; M. de Fron-deville va renchérir. Il vous dira ce qui se passait à l’Assemblée nationale lorsque le peuple de Paris y fut annoncé. « L’Assemblée, ajoutera-t-il, l’Assemblée, dont la « très grande partie n’était pas dans le secret de « ce qui devait arriver, continua son travail. » L'Assemblée, dont la très grande partie n'était pas dans le secret!... En peu de mots combien de choses exprimées!... Combien elle est imprégnée de venin, l’intention qui la suggère!... Sera-t-il en vous une force d’indignation qui réponde à Poutrage? Écoutez encore : M. de Frondeville se joint à M. de Batz : qualifiez cette basse et méchante note de la prétendue adresse des forçats de Toulouse, « qui n’ayant point d’argent à donner, offraient à « l’Assemblée nationale leurs bras et leurs services « pour le maintien de la Constitution »... Sarcasme que je ne saurais apprécier dans la bouche de quelque énergumène, étranger à l’Assemblée nationale. Ne quittez pas M. de Frondeville ; il est fécond. Lui, M. de Digoine et M. Claude de La Châtre vont apprendre à la France que le roi hésitait sur la déclaration des droits et sur les articles constitutionnels qui lui avaient été présentés. Les femmes qui allèrent chez le roi le 5 octobre disaient en sortant : « Nous savions bien que nous le ferions sanc-c tionner : ce qui prouve, dit M. de Frondeville, « qu’elles avaient ajouté à leurs demandes l’ac-« ceptation pure et simple du roi ». Ici la querelle à la Constitution ne se déguise pas: elle est ouverte, elle est déclarée. — On veut que l’acceptation du roi soit imputée à l’empire des circonstances; on veut que le peuple craigne encore de n’avoir embrassé dans ses lois nouvelles qu’un fantôme assis sur des fondements ruineux. Ont-ils donc cru, nos détracteurs insensés, que ces vains subterfuges convinssent aux grandes affaires des peuples, et que le monarque, qui fut assez grand pour rendre hommage à nos droits, voulût un jour voir sa gloire ternie dans un repentir inutile? Ont-ils pensé que cette déclaration des droits, évangile immortel de la raison et de la nature, que votre sagesse a recueilli pour les hommes, et pour les nations, dût, comme les transactions de l’intérêt, dépendre de quelques formes et de quelques volontés? Ainsi la Providence a voulu que, dans la tentative même qui nous menaçait, on nous laissât reconnaître le piège qui nous était tendu. Ainsi la procédure du Châtelet décèle l’esprit secret qui la suscita. A présent vous allez expliquer sans peine tout ce qu’elle avait pour vous de difficile. Vous concevrez comment l’extravagance d’un soldat, payé peut-être, pour dire qu’il l’avait été, a fourni le sujet d’une description aussi incroyable que pittoresque ? Comment a été conçue l’aventure de ce valet associé, dans son ivresse, au coin d’une rue, à une grande conspiration ? Vous concevrez le sieur Le Clerc fusillé, parce qu’il ne portait pas une manchette déchirée, quand personne ne portait une manchette déchirée. Ces richesses distribuées au peuple par des mains libérales et invisibles; les bruits, les rapports, les discours entendus, etc., etc. Vous concevrez cette déposition du sieur La Serre, dont l’atroce imposture se trahit elle-même, avant d’être démentie ? Vous concervez cette histoire ridicule de Marguerite Andel, ce voyage férie-cette amulette si bien décrite, et qui ressemble au rameau d’or de la Sybille,.à la vue duquel les portes de l’enfer laissaient passer les vivants. Eh ! quels prodiges ne sont pas intervenus dans cette affaire étonnante? Le ciel, vous le savez ; le ciel même, y a pris intérêt. En ce temps profane où l’art des miracles et des révélations semblait depuis longtemps oublié dans la perversité du monde, la Vierge a bien voulu descendre jusqu’à des mortelles, et déposer dans leurs mains son témoignage irrécusable. Que penser enfin de l’affaire où le merveil- [Assemblée nationale.] leux intervient, et où les moyens naturels qui mènent à la vérité ne suffisent pas? Je le dirai franchement ; quand pour me faire croire on a recours à des miracles, c’est lors que je ne crois pas (1). Messieurs, je n’ajoute rien. — Mon irrésolution est fixée. L’affaire où mon esprit a été successivement tourmenté de tant d’impressions diverses, est ramenée à ces termes simples où un seul point éclairci donne l’explication de tous; et il me semble enfin qu’en lacement par enlacement, j’ai défait le nœud gordien. Je ne vois plus qu’une conspiration, celle qui a été ourdie contre la Constitution. Une ligue s’est formée sur les débris de l’ancien régime, pour tenturle renversement du régime nouveau. Elle a dit : la force est unie contre nous à la justice, nous avons développé d’inutiles efforts ; �s pour nous relever ; opposons l’intrigue à e, et l’artifice à la justice. Agissant ensuite dans l’ombre, elle a marqué un but dont elle ne s’écarte pas; déconcertée, elle substitue une mesure à une mesure nouvelle, et son art est de se reproduire sous toutes les formes. Elle avait appelé cette armée qui devait envahir Paris et la liberté naissante, elle a suscité, elle a nourri cette procédure monstrueuse, cette guerre de greffe, passez-moi l’expression, dont le prétexte n’a pu dérober à nos yeux la prétention secrète. Je m’abuse peut-être, mais partout je crois voir son influence. Je l’accuse de la tiédeur dans laquelle le patriotisme semble s’engourdir, et de cette sécurité dangereuse qui a pris la place d’une sage et nécessaire réserve. Je l’accuse des nuages qui ont obscurci ces jours purs où les bons citoyens n’avaient qu’une âme et ne formaient qu’un vœu. Je l’accuse des vains démêlés où cette milice fénéreuse qui, de la capitale, donna à tout Empire un si noble exemple, ne craint pas d’exposer enfin le fruit de ses travaux. Je l’accuse de l’inconcevable illusion dont nous sommes frappéa; et où germe, entre les vrais serviteurs de la patrie, cette défiance qu’ils devaient garder pour ses ennemis. Je l’accuse de la division cruelle qui se propage entre nous et dans le sein de l’Assemblée nationale, alors môme que la liberté est l’objet commun de notre culte ; comme si les dogmes de cette religion étaient à la merci des tiistes disputes qui enfantent les sectes ! Ainsi l’on nous égare pour nous surprendre, et l’on nous divise pour nous vaincre ; et lorsque nous allons échapper à une embûche, d’autres plus dangereuses peut-être sont dressées, où nous sommes attendus, que dis-je ?... où nous sem-blons courir de nous-mêmes. Citoyens, vous êtes les maîtres de votre sort. Abjurez de funestes débats ; que les soupçons, que la défiance n’habitent plus parmi vous. Serrez-vous, continuez de former cette masse imposante qui renversa tous les obstacles, et qui doit repousser tous les assauts. Vous n’avez pas acquitté votre dette envers la patrie; elle est toujours menacée. Le temps viendra, mais il n’est pas encore, où, délivrés d’alarmes, vous n’aurez plus qu’à (1) Je n’aurais pas besoin de m’expljquer auprès ides esprits bien faits; pour prévenir toute maligne interprétation, je déclare que cela ne peut avoir aucun rapport à des vérités d’un ordre supérieur aux misérables démêlés des hommes. 367 recueillir, dans le bonheur du peuple et la prospérité de l’Empire, la récompense digne de vous, qui vous est promise. Et quant aux malheurs du 6 octobre (car il faut enfin ne plus voir que d’horribles malheurs dans cette journée fatale); nous les livrerons à l’histoire éclairée pour l’instruction des races futures ; le tableau fidèle qu’elle en conservera fournira une leçon utile aux rois, aux courtisans et aux peuples. Voici le décret que le comité vous propose : L’Assemblée nationale, après avoir ouï le compte, que lui a rendu son comité des rapports, de lin-lormation faite à la requête du procureur du roi au Châtelet, les 11 décembre 1789 et jours suivants, et des charges concernant M. de Mirabeau 1 aîné et M. Louis-Philippe-Joseph d’Orléans, A déclaré et décrété qu’il n’y a pas lieu à accusation. PIÈCES JUSTIFICATIVES N°l. ASSEMBLÉE DES REPRÉSENTANTS DE LA COMMUNE DE PARIS. Extrait du procès-verbal de l’Assemblée des représentants de la commune de Paris , du dimanche 4 octobre 1789. L’Assemblée, informée que plusieurs ont pris des cocardes différentes de celles qui sont aux couleurs de la ville, et notamment des cocardes noires ; considérant que la cocarde originairement adoptée a été un signe de fraternité pour tous les citoyens, et que Sa Majesté a adoptée elle-même ; ordonne que les arrêtés précédemment rendus, qui sont en tant que de besoin confirmés, continueront d’être exécutés ; déclare que la cocarde aux couleurs rouge, bleue et blanche est la seule que les citoyens doivent porter; fait défenses à tous particuliers d’en porter d’autres ; enjointàM. le commandant général de donner les ordres nécessaires pour l’exécution du présent arrêté, qui sera imprimé, affiché, envoyé à tous les districts et aux différentes municipalités des environs de Paris. Signé : Bailly, maire ; Moreau de Saint-Méry, président ; de Joly, secrétaire. N» II. Ce 10 novembre 1789. Déclaration de M. Grincourt, sous-lieutenant de la compagnie J ouanne. Je certifie que le cinq octobre dernier, j’ai vu arriver de Paris vers les quatre heures et demie après-midi, quantité de femmes et d’hommes ; aussitôt j’ai vu accourir les gardes du corps du roi qui ont formé un cordon de trois rangs vis-à-vis la grille du château, faisant face à l’avenue de Paris. Le régiment de Flandre s’est mis sous les armes, a formé un cordon de trois rangs, qui faisait l’équerre, conjointement avec les gardes du roi. Je me suis transporté entre la grille du cbâ-ARCH1VES PARLEMENTAIRES. [l,r octobre 1790.] 368 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1er octobre 1790.] teau et les gardes du roi ; j’ai vu, comme j’approchais, un desdits gardes du roi qui avait quitté son rang, courir après un garde national de Paris, le sabre en main, et escadronnant après le garde qui, se voyant poursuivi, a tiré son sabre, et s’est mis en garde ; mais tou t en parant les coups que lui portait le garde du roi, il prenait la fuite et a dirigé sa course vers les baraques adossées à la cour du château ; il avait l’air de chercher à se réfugier dans une desdites baraques; et comme il était toujours sur la défensive, il n’aperçut pas un tonneau ; ce qui le fit à moitié culbuter. Le garde du corps qui le poursuivait profita du moment pour lui donner, un coup de sabre sur la tête ; pendant cette poursuite, deux autres gardes du roi, le sabre en main, 3e mirentà courir au galop après plusieurs citoyens qui se trouvaient dans cette place ; cequi mit l’alarme ; chacun s’enfuyait, et comme ces deux Messieurs paraissaient disposés à aller plus loin, un garde national de Versailles voyant celui de Paris en danger, tira un coup de fusil (1), qui remit le calme aussitôt. D’après ce, je me suis mis en marche pour aller chez moi; j’ai rencontré plusieurs tambours qui battaient la générale ; j’ai vu plusieurs compagnies s'assembler sur l’avenue de Saint-Cloud : la mienne était du nombre; je l’ai rejointe ; mais comme l’on n’avait aucun ordre, personne et nos capitaines ne savaient quel parti prendre, lorsque M. Le Cointre, notre lieutenant-colonel, vint à nous, conseilla seulement, et non à titre d’ordre, de nous rendre au corps de garde de la place d’armes, et que là il espérait que le commandant général nous donnerait des ordres, en nous recommandant la plus grande prudence dans notre conduite : deux heures se sont écoulées assez tranquillement, chacun sur les armes, et inquiet sur l’issue de ce qui se passait. A peu près vers les huit heures, M. le comte d’Estaing est venu et a ordonné aux troupes de se retirer. Les gardes du corps ont défilé par la rampe pour retourner à leurs hôtels. Une partie de la populace leur a lâché quelques huées ; dans ce moment plusieurs gardes du roi se retournèrent et tirèrent plusieurs coups de pistolet, qui se trouvèrent dirigés, non sur la populace, mais sur la arde nationale, et fut riposté par quelques gardes ourgeois. Je suis rentré aussitôt chez moi, et n’en suis sorti qu’à six heures du matin ; à sept heures je me rendis dans les cours du château; j’ai vu dans la cour de marbre un homme en veste, un tablier de toile verte à la ceinture, couché sur le dos, les pieds en face du grand balcon; cet homme avait la moitié de la tête du côté droit totalement emportée, et plusieurs personnes dirent que c’était l’effet d’un coup de fusil tiré par les gardes du roi des appartements. Je vis paraître un inst-mt après un garde du roi, que deux gardes de Paris, en habit uniforme, tenaient au collet, entourés d’un graud nombre de populace de Paris; ils amenèrent le garde du roi près l’homme qui était tué, en lui disant : regarde, malheureux, ton ouvrage. Le garde du roi répondit : Messieurs, ce n’est pas moi. Plusieurs voix dirent ensemble : c’est ton camarade; c’est la même chose : tu vas périr. Le garde du roi dit : je vois bien que je vais mourir; mais je vous assure que je ne suis pas coupable. Ou criait toujours : il faut le tuer. J’étais alors vêtu très simplement. Je me suis mêlé parmi cette popu-(1) Qui croit que c’est ce coup de fusil qui a cassé le bras à M. de Savonuières, garde du roi. lace ; et afin de gagner du temps pour le sauver, j’ai crié : Non, Messieurs; c’est à Paris qu’il faut le pendre. Il n’y eut qu’un cri pour me répondre: Non; tout de suite. Je leur représentai qu’il fallait au moins que nos camarades de Paris eu fussent témoins; mais la présence du cadavre les transportait tellement de colère, qu’ils ne voulaient entendre à aucune représentation. Cependant, à force de crier à Paris, on s’achemina vers le grand corps de garde. Arrivé là, on voulait le pendre, lorsque M. de La Fayette arriva et le sauva. J’ai appris depuis par M. de Cannecaude, garde du corps du roi, que, le 5 octobre au soir, dans le moment où tout le monde était sous les armes, plusieurs d’entre ceux qui étaient au château voulaient, et avaient même commencé une lettre adressée à la municipalité et à la garde nationale de Versailles, pour les assurer que l’intention de leur corps n’avait jamais été d’insulter personne, et qu’ils étaient prêts à punir ceux qui s’étaient écartés de ce principe. La lettre commencée, ils reçurent ordre de leur capitaine de n’en rien faire. Fait à Versailles, ce 10 novembre 1789. Signé : Grincourt, sous-lieutenant de la compagnie Jouanne. N° III. Ce 8 décembre 1789. Rapport de la conduite qui a été tenue par les officiers et gardes bourgeois du poste de la grille du Dragon, lors de l’apparition des voitures de la reine, le 5 octobre 1789, et explication faite avec un palefrenier rentrant dans la ville avec les chevaux de M. le comte d'Estaing, dans le cours de la nuit du 5 au 6 dudit mois d'octobre. Le lundi 5 octobre 1789, 9 heures trois quarts du soir, cinq voitures de la reine, attelées de six et huit chevaux, se présentèrent à la grille du Dragon pour sortir : elles étaient escortées de plusieurs cavaliers en habits bourgeois; et toutes les autres personnes des équipages, tant cochers, postillons qu’autres, étaient aussi en habits bourgeois. Un desdits cavaliers, reconnu pour être le sieur Valentin, piqueur de la reine, cria au suisse de celte grille : « Ghenette, c’est nous; ouvrez-« nous. Gomme le sieur Ghenette se disposait à « ouvrir, le factionnaire de la grille, le sieur « Baptiste, garde de la compagnie Jouanne, dont « un détachement occupait le poste de la grille, « s’opposa à cette ouverture, eu en demandant « la raison. Alors la sieur Valentin dit eucore « au suisse : c’est de la part de la reine ; c’est « pour aller à Trianon. .» Gette assertion ne paraissant pas véridique, ledit sieur Baptiste continua de s’opposer à cette sortie. Le sieur Emard jeune, tapissier à Versailles, pour l’instant commandant le poste comme caporal, et que le bruit occasionné par l’apparition des voitures avait fait sortir à la tête des gardes du détachement, engagea ceux qui escortaient les voitures à leur faire reprendre le chemin d’où elles venaient; ce qui fut exécuté. 11 détacha même trois des gardes qui étaient avec lui, pour accompagner les voitures. Ges gardes ne revinrent que quand elles furent toutes remisées aux écuries de la reine. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1‘* octobre 1190.] 369 Le sieur Ray, bourgeois de Versailles, sergent de ladite compagnie Jouanne, en l’absence duquel ledit sieur Emard avait commandé le poste, revenant de prendre l’ordre au château, fut instruit de tout ce qui s’était passé, tant par le monde qu’avait amassé cet événement, que par ledit sieur Emard et les autres gardes du poste. Il trouva la conduite qui avait été tenue d’autant plus à propos, qu’elle était conforme à l’ordre qui avait été apporté au corps de garde parM. Barbier, aide-major, de la part de l’état-major de la garde nationale de Versailles, de faire fermer la grille, et de ne laisser sortir qui que ce soit par le parc, excepté M. Bertrand, député, qui avait un logement au delà de la grille. Dans le milieu de la nuit, un palefrenier conduisant plusieurs chevaux de selle (tous bridés et sellés), se présenta en dehors de ladite grille, pour entrer dans la ville. Sur l’interrogation qui lui fut faite où il allait, d’où il venait, et pourqu’oiil demandait à entrer, il répondit « que c’étaient les « chevaux de M. le comte d’Estaing, qu’il avait « été chargé la veille au soir de conduire ainsi « arrangés dans le parc ; et que ne voyant personne « venir, il prenait le parti de rentrer dans la ville ». D’après cette explication, l’oflicier du poste qui avait été appelé, crut sans difficulté devoir dire au factionnaire défaire ouvrir la grille, et délaisser entrer l’homme et les chevaux. Autant qu’il soit possible de se rappeler, les chevaux étaient au nombre de cinq. Nous, officiers et gardes de la compagnie Jouanne, composant le détachement du poste de la grille du Dragon, le 5 octobre dernier, certifions véritable ce que dessus et des autres parts. A Versailles, ce 8 décembre 1789. Signé : Emard jeune, Ray, Lozière, Cauville, Louis Tranchant, Mansart, Baptiste, garde nationale , compagnie de Jouanne, Le Sieur. N* IV. Déclaration de M. Baudart, cent-suisse de la garde du roi. M. Baudart, l’un des cent-suisses de la garde-ordinaire du roi, s’est présenté au comité le 10 décembre 1789, et a déclaré que le 6 octobre à 6 heures 1/4, beaucoup d’hommes armés de piques et de fusils, accompagnés d’un soldat de la garde nationale de Paris, se sont présentés à la porte de la salle de la reine, en ont enfoncé les panneaux; qu’alors il est allé avertir ses camarades. A son retour les portes étaient ouvertes. Ils entraienten foule avec des piques et d’autres armes. Le citoyen en uniforme dit aux autres : Messieurs, il ne faut point entrer dans la salle des cent-suisses, et je passerai la baïonnette au premier qui voudra s’y rendre. Ils ont remis aux cent-suisses les pertuisvines qu’ils avaient prises dans la salle des gardes, en leur disant que c’était à eux qu’elles appartenaient. Ils ont remis le drapeau des gardes du roi à M. Bernard, l’un des cent-suisses, en lui disant aussi que ce drapeau lui appartenait. En suite ils sont tous sortis, les uns dans le jardin, les autres par la cour. Il ignore tout ce qui s’est passé ailleurs : le répondant est resté dans la salle des cent-suisses jusqu’à 9 heures. Déclare que M. Bernard et M. Valdony, qui étaient en sentin-nelleau bas de l’escalier, pourront donner de plus lrô Série. T. XIX. grands détails. Déclare qu’il n’a pas vu un garde du roi tuer un citoyen avec un banc, comme on l’a prétendu. . Signé : Baudart, cent-suisse de la garde du roi. N° V. Du 11 décembre 1789. Déclaration par M. Le Cointre, négociant, lieutenant-colonel, commandant la première division de la garde nationale de Versailles. Aujourd’hui 11 décembre 1789, dix heures du matin, est comparu devant nous M. Laurent Le Cointre, négociant et lieutenant-colonel, commandant la première division de la garde nationale de Versailles, quartier Notre-Dame, y demeurant rue de Paris; lequel, sur la réquisition à lui par nous faite par nos deux lettres des 4 et 7 du présent mois, qu’il nous a représentées, et à lui rendues au même instant, a dit : Messieurs,. fortement pénétré de mes devoirs de citoyen, dans la seule vue de l’intérêt de le patrie, et pour rendre hommage à la vérité, je vous fais la déclaration qui suit : Le 18 septembre dernier, M. le comte d’Estaing, commandant général de la garde nationale de Versailles, se rend à midi au comité ; il ouvre la séance en priant tous ceux qui n’étaient pas de l’état-major ou capitaines, de se retirer : eux retirés, il nous fait prêter serment, et sous la religion de ce serment, il nous communique une lettre : ici ..... je m’arrête, je me tais; je passe donc sous silence tous les faits qui ont rapport à l’entrée du régiment de Flandres dans la ville de Versailles, quelque puise être l’intérêt de la patrie à pénétrer ce mystère, j’ai fait un serment; je ne puis seul prendre sur moi dans cet instant de l’enfreindre. J’estime que c’est à vous, Messieurs, de prononcer s’il est de mon devoir, malgé mon serment, de passer outre pour le bien de la patrie, et, en ce cas, de m’en faire une loi impérieuse ..... Sur quoi, après nous être tous réunis, il en a été délibéré, et nous avons décidé que le salut de la patrie délie M.Le Cointre du serment qu’il a antérieurement prêté, soit comme citoyen, soit comme garde national, et l’oblige à révéler généralement tout ce qu’il sait; en conséquence, M. Le Gointre a ajouté : M. le comte d’Ëstaing nous communique une lettre deM. le marquis de La Fayette, qui annonce que ce général n’est plus maître de contenir les gardes françaises qui menacent d’aller reprendre leurs postes à Versailles. M. d’Estaing nous peint l’inquiétude du roi, le danger que courraient l’Assemblée nationale et la famille royale, si cette insurrection avait lieu. 11 ajoute qu’un régiment d'infanterie qui se joindrait aux gardes du corps, aux autres troupes du roi et à nous, nous mettrait à l’abri des malheurs que l’on redoutait. Après de longues et sérieuses discussions, il fut décidé que la municipalité serait requise de demander au roi un secours de mille hommes; M. le comte d’Estaing se rendit avec six officiers auprès d’elle, et le réquisitoire de la garde nationale fut adopté, sous condition que la lettre de M. de La Fayette serait déposée et annexée aux registres de la municipalité. M. le comte d’Estaing observa qu’il serait dangereux pour son auteur de la faire connaître; mais la municipalité persistant à vouloir un titre 24 87 tt [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [l« octobre 1790.] qui autorisât sa démarche, il proposa d’aller à M. de Saint-Priest, ministre, et d’avoir de lui une lettre qui pût remplacer celle de M. de La Fayette. M. Clausse, président, ayant consenti, le modèle fut fait sur-le-champ, agréé par la municipalité, et porté au ministre, qui l’approuva et le revêtit de sa signature. La municipalité, ayant ce qu’elle désirait, fit sa demande au roi (l). Le lendemain, à l’ordre, M. le comte d’Estaing nous fait part du dessein où il est d’aller à Paris, malgré le danger imminent qu’il y aurait pour sa personne, si la cause de son voyage était connue par les gardes françaises, pour s’aboucher avec M. le marquis de La Fayette. Le plus grand nombre des officiers le prie avec instance de rester à Versailles; lorsque ce fut à moi de parier, je dis : Mon général, si j’étais à votre place, dans une affaire aussi délicate, rien ne m’empêcherait de partir ; je prendrais seulement la précaution d’avoir toujours deux officiers avec moi (ce fut à qui serait de ce nombre) ; le général, sans rien décider, passe dans la pièce voisine avec quelques officiers, qui, un instant après, nous apprennent que le général cède aux instances qui lui ont été faites; qu’en conséquence, il n’ira point à Paris. M. le comte d’Estaing paraît ; on l’applaudit. Ensuite il fut fait, au comité militaire, une motion tendant à prévenir les compagnies de l’arrivée du régiment, et à se procurer leur vœu par écrit ; et malgré quelques personnes, qui prétendaient que les arrêtés de l’état-major et de la municipalité dispensaient de cette formalité, elle fut adoptée. Les raisons qui déterminèrent à prendre cette dernière précaution, furent que le 17 août dernier, lorsqu’il s’était agi de faire entrer deux cents chasseurs des Trois-Evêchés dans la ville, la municipalité n’ayant prévenu ni par affiches ni autrement la bourgeoisie, lorsque ce détachement se présenta, il fut refusé aux portes, et obligé de passer la nuit dans les cours du château de Trianon, et le lendemain quinze cents hommes de la garde nationale se mirent sous les armes pour aller au-devant d’eux et les introduire. Le 2 l,dix-sept capitaines apportent les procès-verbaux de leurs compagnies; neuf se trouvèrent pour, et huit contre l’admission du régiment. Je présidais l’assemblée; et comme c’était le surlendemain qu’il devait entrer, j’ordonnai que les compagnies qui n’avaient pas encore manifesté leurs intentions, se rassemblassent sur-le-champ, et que les procès-verbaux fussent remis dans le jour. Dix-huit se trouvèrent opposants, et cinq, seulement, favorables aux dispositions déjà faites (2). Ainsi, des quarante-deux compagnies formant la garde nationale, vingt-huit refusèrent de recevoir le régiment de Flandres. Le 22, les capitaines ont ordre de représenter aux compagnies de quelle importance il était que la nouvelle troupe entrât, et M. le comte d’Estaing prend toutes les mesures nécessaires à cet effet, sans en communiquer avec l’état-major; je lui en fis des reproches par écrit; il a bien voulu me répondre de la même manière ; les pièces sont entre nos mains. (1) Je joins ledit réquisitoire et le décret de la municipalité imprimés, et qui, dans le temps, furent affichés. (2) Les capitaines Du Breton et De Baleine essuyèrent les reproches les plus v(ifs des généraux, pour n’avoir pas réussi à déterminer leurs compagnies à donner leur consentement. Enfin le 23* notre général annonce que le régiment est aux portes de la ville, et que le roi a démandé la liste des officiers de la garde nationale qui iront au-devant avec leurs commandants; il part en disant ces mots. Chacun le suit â ta municipalité pour y prendre M. le président, qui précéda le cortège, et de là aux Menus-Plaisirs, où l'on s’arrêta dans un des bureaux de l’Assemblée nationale. M. le comted’Estaingécrivitaussitôt son nom en tête d’une feuille de papier blanc et invita chacun à imiter son exemple, et à donner ainsi au roi un témoignage de dévouement et de respect. Sur l’observation faite par un officier, que donner à Sa Majesté upe liste partielle, ce serait compromettre ceux que l’absence, ou l’ignorance de ce qui se passait, empêcherait de signer, M. le commadant général la finit en disant que tous lés officiers qui étaient alors* dans Versailles, l’ont accompagné. À cinq heures du soir on apprend que le régiment paraît : le détachement de la garde, et M. Clausse, président de la municipalité, se rendent à pied hors de la barrière; les gardes du corps bottés et prêts à monter à cheval se promenaient sur l’avenue de Paris. (1). La troupe arrivant est conduite sur la place d’armes, où elle prête serment entre les mains de la municipalité en présence des officiers delà garde nationale. Elle amenait avec elle deux pièces de canon de quatre, huit barils de poudre, six caisses de halles, pesant chacune cinq cents livres, un caisson de balles pour la chasse, un de mitraille, environ six mille neuf ceDt quatre-vingt-dix cartouches toutes faites, outre celles dont les gibernes étaient garnies (2). Le 24, le roi écrivit, de sa propre main, à M. le comte d’Estaing, une lettre pleine d’expressions de bonté, pour remercier la garde nationale de l’empressement à recevoir le régiment de Flandres (3). Le 28 , MM. les gardes du corps invitent nominativement quelques-uns de nous à se trouver au repas qu’ils doivent donner le jeudi. Déjà l’on parle de changement de cocarde. Le 29, les lieutenants-colonels bourgeois sont présentés à la reine, qui daigne leur annoncer le dou qu’elle fait d’un drapeau à chacune de leurs compagnies. Le trente, les drapeaux sont bénis; la municipalité donne un dîner à M. l’archevêque de Paris, aux ministres, aux généraux, à des officiers et gardes nationaux, enfla à des officiers de tous les corps; j’étais de ce nombre : on porta les saDtés de la nation, du roi, de la reine, de la famille royale, etc., etc., tout s’y passa avec dignité. Le 1er octobre , jour de la fête promise par M. les gardes du roi , pour laquelle le prix du dîner fut arrêté avec le sieur Deharmes, traiteur, pour le nombre de deux ceot dix convives, à raison de vingt-six livres par tête, en ce, non compris le vin, les liqueurs, les glaces et les bougies, l’on se rend, du salon d’Hercuie, lieu (1) Le bruit s’était répandu oue si les habitants s’opposaient à t’entrée du régiment de Flandres, les gardes du corps la protégeraient à force ouverte. On les a même vus, dit-on, donner le fil à leurs sabres les jours précédents. (2) Je dois ees renseignements au lieutenant-colonel et au major qui me les ont donnés chez M. Berthier, et en sa présence. _ , (3) Je représente cette lettre imprimée paraphée de moi. [l«r octobre 1790.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 311 du rendez-vous, à la salle de l’Opéra, où elle devait avoir lieu (1). Ail second service, on porta quatre santés, celles du roi, de la reine, de monseigneur le dauphin et de la famille royale. La santé de la nation fut proposée, mais les gardes du corps la rejetèrent. La reine, après avoir paru dans la salle avec le roi et monseigneur le dauphin, lit, en portant ce prince dans ses bras, le tour de la table au milieu des applaudissements les plus vifs et des acclamations les plus bruyantes. La cour se retire après avoir accepté les santés offertes par les gardes du corps, lesgrenadiers de Flandres, les suisses, les chasseurs des Trois-Evêcbés, car on avait admis à l’entrernet des soldats de tous les corps. Bientôt la fête, qui jusques-là n’avait été animée que par une gaieté un peu plus libre il est vrai, mais encore décente, se change en une orgie complète; le vin échauffe les têtes; la musique du régiment de Flandre et celle des gardes du corps exécutent différents airs propres à exalter les esprits ( ô Richard! 6 mon Roi! et la marche des Houllans dans Iphigénie). On sonne la charge ; les convives chancelants escaladent les loges et donnent un spectacle à la fois dégoûtant et horrible. Dans un moment d’ivresse, on lâche les propos les plus indécents, la cocarde nationale est proscrite et remplacée par la cocarde blanche, que plusieurs capitaines de la garde nationale s’empressent d’adopter (2). Cependant l’on s’était porté en foule à la suite de la cour; les gardes, les différents ofticiers, les soldats se livraient dans la cour de marbre à des excès de folie dont on ne retrouve les exemples que dans les récits fabuleux de l’ancienne chevalerie. M. Perseval, aide-de-camp de M. le comte d’Ës-taing, escalade le balcon de l’appartement de Louis XIV, s’empare des postes intérieurs des gardes, et s’écrie : « ils sont à nous I Désormais que l'on nous appelle garde royale. » Il se pare de la cocarde blanche; plusieurs personnes y applaudissent en l’imitant. Un grenadier de Flandre arrive parla même route, au mène balcon; le sieur Perseval le décore d’une croix de Limbourg qu’il porte ; un dragon moins heureux, voulut, se détruire, pour n’avoir pu escalader comme les deux autres (3). Le tumulte devient tel que l’alarme se répand dans la ville. Quelques corps de garde éloignés (1) M. le comte d’Estaing, commandant général, M. Berthier, major général, MM. Leroy, lieutenant-colonel de la seconde division, Villantrois, ancien officier de dragons, Defranqueville, lieutenant des gardes de la porte, De Beaumont, De Kscau, Desguichard, anciens gardes du corps du roi, M. Rousseau, maitre d’armes des enfants de France, Du Breton, commis de la guerre, tous capitaines de la garde nationale, Denier, commis de la guerre, et quelques autres membres de ladite garde, dont les noms ne me sont pas connus, furent invités, et se trouvèrent à ce repas mémorable. ' (2) MM. De Kscau, De Beaumont et Rousseau ; les noms de ces messieurs m’ont été connus par la lecture que j’ai prise de déclarations diverses qui m’ont été remises par l’état-major, lorsque j’étais chargé de la rédaction du mémoire justificatif de la garde nationale, pour les journées des cinq et six octobre, lesquelles pièces j’ai rendues audit état-major, suivant quittance du vingt-sept octobre, après avoir été signées et paraphées par moi. (3) Ces détails, que je connaissais, m’ont été confirmés le vingt-neuf novembre dernier par M. Perseval lui-même, en présence de MM. Duru, De Baleine et Géant, capitaine». envoient pour s’instruire d’un événement qui inquiète les citoyens; la sentinelle gardant les drapeaux chez moi, me fait part des craintes du peuple; je monte sur-le-champ à cheval, suivi de mon aide de camp; je monte au château, dont je ne tardai pas à descendre, lorsque j’eus vu que ce n’était que la lin d’une orgie. Je m’empressai de répandre dans la ville qu’il n’existait aucun danger, et, j’eus la satisfaction de voir mes concitoyens calmés regagner tranquillement leurs demeures. Le lendemain, M. le comte d’Estaing vient chez moi et me témoigne du regret que je n’aie pas été invité. Général, lui répondis-je, on parle fort mal de la journée d’hier, et il est quelques particularités qui affligent et qui inquiètent le bon citoyen. Pour moi, répliqua le général, je me suis retiré au café. Ce même jour, une députation de la garde nationale va porter aux pieds de la reine notre respect et notre reconnaissance du don qu’elle nous a fait. Sa Majesté nous témoigne sa satisfaction en ces termes : « Je suis fort aise d’avoir donné des drapeaux à la garde nationale de Versailles. La nation et l’armée doivent être attachées au roi, comme nous le leur sommes nous-mêmes ; j’ai été enchantée de la journé du jeudi. » C’est donc à tort, en conclut M. d’Estaiug, que quelques-uns en sont formalisés (1). Nouveau repas donné par MM. les gardes du corps le samedi 3 octobre. Le général fait savoir qu’uu fusilier de chacune des compagnies peut y assister. M. Plateau, de la compagnie Jouanne, m’avaut demandé s’il devait y aller, ie l’eu détournai, ainsi que M. Girard Descoli, de la compagnie Le Tellier; et je m’applaudis fort du conseil que j’avais donné, quand j’appris que l’indécence la plus marquée avait été l’âme de la fête, et que des gardes nationaux s’en étaient retirés avec indignation. A cette seconde fête, tous les gardes du corps se réconcilièrent avec M. le duc de Guiche; il fut décoré de quatre bandoulières en signe de réconciliation. Le quatre, la municipalité donne trois pièces de viu pour les soldats de Flandre ; M. le comte d’Estaing invite notre corps à faire les honneurs. Le général, l’état-major du régiment de Flandre, partie de nos officiers s’y trouvèrent; tout se passa dans le plus grand ordre. Ce même jour, en dînant avec le général et M. Berthier chez M. de Baleine, je demande et j’obtiens la permission de m’absenter huit jours pour vaquer aux affaires de mon commerce, que j'avais négligées depuis six semaines. Le soir, je vais au château pour avoir une audience de M. Necker à sa sortie du conseil ; arrivé dans la galerie, j’aperçois trois dames, dont deux se nomment Laboureau, de Villepatour, distribuant, de concert avec plusieurs abbés, des cocardes blanches. Gonservez-la bien, disait-on à ceux qui en recevaient; c’est ia seule bonne, la triomphante ; ces dames exigeaient le serment de fidélité, et donnaient leur main à baiser au récipiendaire. J’ai vu distribuer un certain nombre de ces cocardes pendant une heure que je restai seul, et après quoi je fus rejoint par M. le chevalier Desroches, major de bataillon. Nous en vîmes une à nos pieds en nous promenant : M. üesroches la (1) J’ai cité cette pièce au long, parce qu’il ne m’en reste qu’un seul exemplaire imprimé, que je ne puis déposer. 372 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |i" octobre 1790.1 ramassa, en disant : Je ne suis pas riche ; en ajoutant un peu de bleu à celle-ci, elle deviendra uniforme (1). Bientôt après nous passons dans l’appartement de rOEil-de-Bœuf, où nous trouvons M. Varin fils, garde national, en uniforme, portant une cocarde blanche. Je l’invite tout haut à la quitter; il me répond que le jeudi 1er octobre, les gardes du corps la lui avaient fait prendre, en l’assurant qu’elle était plus agréable à la cour, et qu'il a cédé d’autant plus facilement à leurs instances, que son père possède plusieurs charges chez les princes. Il ajoute qu’il n’a fait que suivre l’exemple des officiers, qui l’ont adoptée avec plaisir au repas de l’Opéra. Je n’eus pas de peine à le convaincre de ses torts, et bientôt il reparut avec la cocarde nationale (2). Le conseil fini, M. Necker sort, et je le suis. Un groupe assez considérable entourait sur le passage les dames Laboureau, qui, dans le moment, recevaient d’uh nouveau prosélyte à genoux, le serment de fidélité, et lui présentaient leur main pour qu’il y mît le sceau d’un attachement inviolable. H est bien étonnant, dis-je, que l’on se permette de tenir une telle conduite chez le roi ; ou la couleur des cocardes tombera sous huit jours, ou tout est perdu. Aussitôt un chevalier de Saint-Louis, qu’on m’a dit depuis se nommer M. Cartousière, gendre de la dame Emmery, bouquetière de la Reine, s’avance et me dit, étant encore dans l’CEil-de-Bœuf : « C’est l’épée à la main ue vous me ferez raison de ce propos.» Je répon-is : «Nous serons deux », en suivant toujours le ministre, qui, près d’entrer dans sa chaise, voulut bien m’accorder l’entrevue que je sollicitais. Alors le sieur Cartousière me dit : Nous irons avant, derrière le cavalier Bernin, vider notre différend.— Non, lui dis-je : tout à l'heure sur la place; attaque si tu l’oses; autrement, ne crois pas que j’aille sottement me mesurer avec un homme né pour la destruction des citoyens, lorsque moi, je ne fais que les conserver. » Nous arrivons vis-à-vis l’hôtel : je me dispose à entrer; le sieur Cartousière insiste pour que nous descendions plus loin ; le service de la ville, pour lequel je me rendais auprès du ministre, me fait loi. J’entre, et promets de sortir par la même porte ; l’audience finie, je me retire avec M. Haracque, négociant, que je trouvai avec le ministre. M. Cartousière vient à moi, me réitère le défi, et d’aller à la pièce d’eau des Suisses. « Non, lui dis-je : c’est ici qu’il faut terminer; mais ne crois pas, vil gladiateur, que je m’expose à me mesurer avec toi, suivant l’usage; tire ton épée, et le plus adroit poignardera l’autre.» Un ami du sieur Cortousière, comme lui chevalier de Saint-Louis, se joignit à M. Harac-ue, et ils empêchèrent un combat qui eût pu onner le signal et lever l’étendard delà discorde. Le cinq, à l’Assemblée présidée parM.Berthier, je parlai de ce qui m’était arrivé la veille, et de la fermentation où étaient les esprits depuis le jeudi {1) Depuis, M le chevalier Desroches m’a dit avoir été insulté dans ce même temps à l’OEil-de-Bœuf par un officier des gardes du corps, qui lui avait dit qu’il fallait avoir bien peu d’honneur pour porter l’habit d’uniforme national. Il en a fait sa déclaration par écrit; elle existe, paraphée de moi, dans les papiers de l’état-major. (2) Le sieur Yarin a donné par écrit des détails circonstanciés, par rapport à la fête du premier octobre et jours suivants : je ne me rappelle pas si ce fait est du nombre, mais l’écrit est déposé à l’état-major, et paraphé de moi. précédent. Je demande que nos deux commandants (1) soient invités à se rendre sur-le-champ parmi nous, et que l’on propose au général de faire monter à cheval les gardes du corps et de leur faire prêter entre les mains de la municipalité le nouveau serment prescrit par l’Assemblée nationale, et de leur donner la cocarde que nous portons. Plusieurs de nos capitaines, anciens gardes du roi, rejettent vivement ma proposition, et me disent que c’est connaître bien mal ce corps, que de penser qu’il se rende à nos désirs. Un d’eux, M. le chevalier de Beaumont, me dit : « Monsieur, vous ne connaissez pas la force « de ce corps; j’y ai servi vingt-deux ans, et ja-« mais il ne se soumettra à cé que vous demandez; « votre personne même courrait les plus grands « dangers, si vous persistiez dans votre motion.» Rien ne m’étonne. J’insiste, en disant : « qu’il « nous est plus avantageux de connaître les « troupes qui se refusent aux décrets de l’As-« semblée nationale, que de craindre sans cesse « un corps qui peut à chaque iustaut nous écra-« ser; et je renouvelle ma motion ». M. Berthier y apporte des obstacles, et prétend que, si elle a lieu, elle peut être le signal d’une guerre civile. Je cède en obtenant que l’on priera M. le comte d’Estaing de se rendre le lendemain au comité, afin de statuer sur cet objet qui me semblait de la plus grande importance. Je rentre chez moi à deux heures et je me disposais à profiter du congé que j’avais obtenu ; J’allais partir; on médit qu’un peuple nombreux arrive de Paris. Je fais dételer mes chevaux qui étaient à ma voiture et j’attends l’ordre du général. Inquiet de n'en pas recevoir, j’envoie chez lui ; il ne s’y trouva point. MM. de Robard, de Baleine, Jouanne, Tellier et d’autres capitaines de ma division me demandent des ordres. Je leur dis que je n’en ai point, mais qu’ils doivent rassembler leurs compagnies et se tenir prêts devant leur maison. Des hommes armés de piques arrivent; je monte à cheval pour me rendre au château; je rencontre en chemin, et auprès du régiment de Flandre déjà rangé en bataille avec les gardes du corps et les dragons, notre commandant en second, Monsieur de Gouvernet. Je le prie de me donner des ordres : il s’y:refuse en me disant qu’il n’en a point reçu, qu’il n’en donnera point et qu’il ne sait où est le général. Je vais aux compagnies de mà division, je leur commua nique la réponse de notre commandant en second, et je les exhorte à se compléter et à se former en ligne sur l’avenue de Saint-Cloud. Je retourne -à la place d’armes où je retrouve M. de Gouvernet; je demande de nouveau des ordres: il refuse encore de m’en donner; je lui dis qu’en l’absence du général, c’est à lui de commander. Voyant que ma représentation était sans effet, j’ordonne aux compagnies de se rendre au corps de garde principal, celui des gardes-françaises, toujours dans l'espoir d’v trouver le général; plusieurs y étaient déjà: je“ les range en bataille, et je cours arrêter quelques autres compagnies qui se portaient sur l’avenue de Paris ; je les fais rejoindre le corps de la troupe. C’est dans cet intervalle que le sieur Bunout, soldat de la garde nationale parisienne non soldée, compagnie Ruelle, est arrêté par un groupe de (1) M. le comte d’Estaing et M. le comte de Gouvernât. 373 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Mer octobre 1790.] femmes qui veulent l’emmener chez le roi avec elles. Les gardes du corps s’opposent à leur passage, et M. de Savonnières, lieutenant, s’attache particulièrement à ce sieur Bunout, le poursuit avec trois gardes, en le frappant de coups de sabre. Ce malheureux, séparé des femmes, se voyant assailli par le nombre, tire son épée qui lui sert à parer les coups qu’on lui porte. « Fort, fortl crient les gardes du roi ; c’est un parement blanc de Paris. » Malgré les instances de la garde de Versailles, qui priait de ménager un citoyen, malgré les plaintes de Bunout, M. de Savonnières s'obstinait, avec M. de Montesquiou et un autre garde du corps, à sabrer ce malheureux; ils lui coupent le passage du corps de notre garde et le forcent do se réfugier dans une des baraques attenant le château. Un soldat national, le voyant près de succomber, tira un coup de fusil et cassa le bras àM. de Savonnières. Je crois me rappeler qu’il m’a été dit dans le temps que ce garde était de la compagnie Rollet, quartier Saint-Louis. M. de Montesquiou et ses camarades lâchent alors leur proie, vont au secours de leur chef qu’ils emmènent, et Bunout est rendu à la vie, qu’il eût perdue sans doute en sortant de la baraque où il s’était sauvé et dont il avait effrayé la maîtresse, qui lui disait qu’il allait la faire égorger. Il était alors quatre heures et demie de relevée; c’est le premier acte hostile entre les deux corps. Divers détachements de gardes du corps couraient çà et là, sabraient les uns (la femme Ne-mery, teinturière, rue de la Calandre, et la veuve Leloutre, marchande mercière, rue Mondétour à Paris, de ce nombre) ils écartent les autres avec leurs chevaux, et les couvrent de boue. Une députation de l’Assemblée nationale, à la tête de laquelle était M. Mounier, président, qui accompagnait les femmes pour l’audience du roi, essuya les mêmes avanies (1). Dans ces entrefaites et sur les trois heures de relevée, M. d’Estaing faisait assembler la municipalité et en obtenait un pouvoir dont il a fait voir l’original à M. Perrot, alors lieutenant de la garde nationale, compagnie Rollet, et aujourd’hui officier municipal, et à moi, le 13 octobre dernier. Il est signé de cinq ou sept officiers municipaux, et conçu à peu près en ces termes : « Sur l’exposé fait par M. le comte d’Estaing, « qu’un grand nombre d’hommes et de femmes « armés arrivent de Paris, et que le roi et la fa-« mille royale pourraient être en danger, la mu-« nicipalité autorise M. le comte d’Estaing à ac-« compagner le roi dans sa retraite, et à ne rien «. négliger pour le ramener à Versailles le plus « tôt possible. » Cet ordre l’autorisait de plus à tenter toutes les voies de conciliation, et à repousser, s’il le fallait, la force par la force (2). (1) Les sieurs Rivet et Calmin, fusiliers de la garde nationale parisienne, non soldée, district Saint-Honoré, m’ont parlé de cette affaire, en disant qu’ils en avaient été témoins oculaires. L’écrit intitulé : Justifications des gardes du corps, par M. de Comeyras, ancien garde du roi, présente, folios 14 et 15, un récit à peu près semblable à celui-ci. (2) M. le comte d’Estaing, dans une lettre qu’il a écrite le 8 octobre de Versailles, fournit la preuve de de l’exposé ci-dessus; on y lit : « Le dernier article de « l’instruction que notre municipalité m’a donnée le « cinq de ce mois, me prescrit de ne rien négliger pour « ramener le roi à Versailles le plus tôt possible. » Je représente cette lettre imprimée, et paraphée de moi. J’ai appris, depuis, que cette pièce origiaale n’était pas enregistrée à la municipalité. En effet, quand elle eut connaissance de la lettre de M. d’Estaing, elle envoya M. Clausse, son président, au comité militaire, pour conférer avec nous, et sur-le-champ nous fîmes vers elle une députation de laquelle était M. du Breton, capitaine, qui m’a assuré que, vérification faite en présence de la députation, le pouvoir n’existait pas sur les registres. Arrivées au corps de garde desgardes-françaises, les compagnies représentèrent qu’elles n’avaient point de cartouches; j’aperçois pour la première fois de l’après-dîner, M. Berthier, à qui je demande des ordres, et qui, comme le commandant en second, refuse d’en donner, se rejetant sur le commandant général qui ne lui en a pas donné. J’expose à ce major général le besoin que nous avons de munitions; M. de La Tontinière, chargé de la garde de l’artillerie, me répond, et m’affirme avec M. Berthier, qu’il n’en existe plus. Peu confiant dans cette assertion, je sollicite l’ouverture du magasin; j’en fais moi-même la visite, et je ne trouve rien. Je fais part aux compagnies de la détresse où nous sommes, et je les invite à se persuader que nous ne serons pas réduits à avoir besoin de cartouches (l). M. Berthier se retire; la pluie vient à tomber; la nuit vient, l’inquiétude est générale; on interprète différemment la conduite des gardes du corps. Je déclare que je vais sonder leurs intentions; je pars en conséquence suivi de deux officiers, M. Poivet, mon aide de camp, et M. Lainé fils, aide-major. Arrivé à la tête des gardes, je demande aux chefs ce que la garde nationale doit espérer ou craindre d’eux; j’ajoute que le peuple se croit en danger, et que l’on désire savoir comment on doit les regarder. Un d'eux me répond : « Monsieur, vos doutes sont cruels; ce-« pendant nous oublions le traitement fait à un « des nôtres, et nous ne sommes animés que du « désir de vivre en bonne intelligence. Nous ne « commettrons aucun acte d’hostilité. >» Je lui donne la même assurance au nom de la garde nationale, et je le prie de faire remonter sa troupe plus haut, près des grilles, afin de dégager l’entrée de notre corps de garde; ce qui fut exécuté sur-le-champ. Après avoir rendu à ma troupe compte de ma démarche, je me porte au régiment de Flandre. Les officiers m’entourent et me donnent leur parole que jamais ils n’onteu l’intention de faire du mal aux bourgeois; les soldats le jurent unanimement; et pour exprimer mieux leurs sentiments, ils délivrent à des détachements de nos compagnies une assez grande quantité de leurs cartouches. Muni d’un gage aussi certain du dévouement du régiment de Flandre, je cours en faire part à mes camarades, et je m’informe si l’on sait le nombre, les forces et les projets des hommes armés de canous qui stationnaient devant l’Assemblée nationale. Personne n’ayant pu me répondre, je vais à eux, accompagné de mon aide de camp et de l’aide-major dont j’ai parlé ci-dessus. (1) A peu près dans ce moment, les voitures du roi vont pour sortir par la porte de l’Orangerie; le détachement de la compagnie de Presle, qui occupait le poste, refuse le passage ; M. de Baleine, instruit qu’il y a de la rumeur, envoie un renfort de quatre hommes de sa compagnie, commandés par un caporal; les portes se ferment et les voitures rentrent aux écuries du roi. 374 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [l** octobre 1790.] A peine arrivé, je me fais annoncer, et je demande à être introduit sous escorte. Douze hommes armés de fusils se présentent; je descends seul de cheval, et je dis aux officiers qui m’accompagnaient, de rester aux gardes avancées. L'on me place, pour m’entendre, à la bouche des canons; les mèches éclairaient le cercle qui se forma. Vos frères de Versailles, dis-je à haute voix, étonnés de vous voir dans cet équipage, m’envoient vous demander quel sujet vous amène, et ce que vous désirez ? Un cri général me répondit : du pain et la fin des affaires. Nous subviendrons à vos plus pressants besoins, mais nous ne pouvons, leur dis-je, vous laisser vous répandre dans la ville avec vos armes; un malheur, s’il arrivait, troublerait la tranquillité du roi; que nous devons tous respecter. Jurez-moi donc que vous ne dépasserez pas le poste que vous occupez, et je vais travailler à ce qu’il vous soit délivré suffisamment de pain : combien êtes-vous? — Six cents. — Autant de livres de pain suffiront-elles? — Oui. Je partais pour remplir ma promesse : deux hommes de la troupe viennent à moi avec fureur, et prétendent que c’est pour les trahir que je me suis informé de leur nombre ; ils me demandent mon nom, mon état et ma demeure pour garants de la conduite que je tiendrai avec eux ; un troisième s’approche et se porte caution de ma franchise et de ma loyauté; il affirme qu’il me connaît du temps qu’il travaillait chez le sieur Lecomte, maître perruquier dans ma rue; que je iouis de la meilleure réputation dans la ville; qu on peut prendre confiance en ma parole. Cette troupe, dont il commandait un détachement, le charge de m’accompagner pour veiller au prompt effet de ma parole. Je l’accepte avec un de ses camarades, mais je me refuse au désir que l’on témoigne de me faire escorter par vingt-uatre fusiliers. Je reçois de nouvelles assurances e tranquillité et de confiance. Je remonte à cheval ; les députés de la troupe s’emparent de la bride, et me conduisent à la municipalité. Je fais à ces messieurs le tableau touchant de la situation des hommes qui m’envoient. Je demande pour eux les 600 livres de pain que je leur ai promises. J’observe que le serment de ne pas entrer dans la ville pendant la nuit, n’a été prêté et reçu qu’à ces conditions. M. de Montaran dit qu’étant chargé des subsistances, il ne peut, sans s’exposer à faire manquer la ville, disposer d’une aussi grande quantité de pain. M. Glausse dit que la donner, c’est engager les Parisiens à fondre sur Versailles. Il conclut à ce qu’on refuse. Un autre observe que la distribution sera embarrassante, le payement et le transport difficiles. J’offre deux chevaux, un domestique, de l’argent pour payer, et je me charge de faire exécuter l’ordre de la municipalité, s’il lui plaît de le donner. J’ajoute qu’on ne peut, sans danger, refuser à ces malheureux un secours qui leur est indispensable. M. de Montaran prend de nouveau la parole, et dit que le seul sacrifice que l’on puisse faire dans ce moment, est de donner deux tonnes de riz. En vain j’oppose l’impossibilité de le faire cuire, et le ridicule d’une telle proposition ; on fait retirer mes deux aides de camp et les deux députés, et l’on va aux voix. La motion pour délivrer du riz obtient neuf voix; celle pour du pain n’en a que sept, mon suffrage compris (dans la municipalité de Versailles, l’officier commandant de la garde nationale y a voix délibérative); M. Rivière de Grais opine pour qu’on ne donne ni pain ni riz. Un officier ne veut exprimer aucun vœu; on fait rentrer la députation ; la municipalité lui signifie son décret, et en même temps elle me charge de la triste commission de savoir si la troupe veut que le riz soit cuit ou cru. En ce moment, on vient m’apprendre que les gardes du corps et la garde nationale se sont fusillés; je fais reconduire les députés par mon aide-de-camp, en ordonnant de leur délivrer tout le pain qui était chez moi, et de dire que la circonstance était trop malheureuse pour qu'on fît plus pour eux. Arrivé au camp des Parisiens, dont on devine facilement le vœu,M. Poivet s’acquitte, avec beaucoup de difficulté, de la mission délicate dont il était chargé. On le renvoie avec les deux mêmes députés pour avoir le riz cuit qu’ils étaient venus proposer; la municipalité était déjà dissoute; et le sieur Chausse, qu’ils rencontrèrent, les prévint que le suisse avait reçu de la municipalité un paquet contenant un ordre pour M. LeGointre;il était conçu en ces termes : « L’assemblée municipale laisse M. Le Gointre maître de faire tout ce qu’il jugera plus convenable pour la tranquillité. » A Versailles, ce 5 octobre 1789. Signé: Loustaunau, président: En vain je suis retourné à la municipalité pour faire interpréter cet ordre ; je n’ai trouvé personne. Mon aide de camp quitte les députés, en les assurant que, dès qu’il m’aurait trouvé, nous nous occuperions de leur procurer ce dont ils avaient besoin. En arrivant à la caserne, j’apprends que M. le comte d’Estaing a paru un instant pour renvoyer les compagnies; l’on me dit aussi qu’il avait essuyé des reproches assez vifs de l’abandon où il nous avait laissés. Plusieurs compagnies exécutèrent l’ordre de retraite qu’elles avaient reçu du général; mais le plus grand nombre, voyant les gardes du corps rester sur la place d’armes, annonça qu’il ne partirait qu’après les avoir vus défiler. L’ordre leur en fut donc donné; et ils prenaient le chemin de leur hôtel, lorsqu’un d’eux, le seul de tous qui fût sans manteau à la queue de l’escadron, s’en sépara de la distance de vingt pas, et tira sur la garde nationale un coup de pistolet, dont la balle contusionna la joue du sieur Briand, fusilier de la compagnie Hiver. Les esprits étaient déjà aigris des divers actes d’hosilité commis par les gardes du corps, tant sur les anciens que sur nous ; ce dernier mit le comble au mécontentement; et quelques gardes nationaux, armés de fusils chargés, ripostèrent aux gardes du corps dont le dernier rang fit un feu roulant sur nous (1). Comme les gardes du corps tiraient en marchant, nous en fûmes quittes pour quelques cha-paux et quelques habits qui furent percés ; un cheval des gardes du roi fut tué, un autre eut la jambe cassée (2). La garde nationale, qui venait de courir les plus grands dangers, comptant bien sur le retour (1) M. Hiver, capitaine, a dressé et remis au comité un procès-verbel ce cet événement funeste ; il est paraphé de moi. (2) Ces faits sont attestés par une déclaration signée de MM. Joigemini et Thorillon, capitaine, et par des officiers et des gardes. 375 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [l«r octobre 1790.] de ses ennemis (car on ne peut plus donner d’autre nom aux gardes du roi), demanda de nouveau des munitions. Sur le refus du sieur de La Tontinière, M. de Bury, sous-lieutenant, certain qu’il en existait, le meuaça de lui faire sauter la tête, s’il ne donnait à notre troupe de quoi se défendre. La peur de perdre la vie détermine ce même garde d’artillerie (M. de La Tontinière), qui précédement m’avait assuré n’avoir ni poudre ni balles, qui m'avait même ouvert un magasin, à délivrer une demi-tonne de chacune de ces munitions (1). Rassurés sur les suites de cette affaire, qui pouvait devenir très sanglante, nos soldats, déterminés à faire une défense vigoureuse, chargent les canons, qui bientôt sont braqués vis-à-visjla rampe, où l’on s’attendait à voir reparaître les ennemis. Arrivé assez tôt pour être le témoin de ces dispositions, j’approuve que l’on se prépare à la résistance, mais je défends que l’artillerie sorte de l’esplanade, comme quelques-uns trop ardents le proposaient. M. Joigemini, capitaine de la compagnie d’artillerie, était à la recherche du comte d’Estaing, qu’il ne trouva pas. Cependant le garde du corps, M. de Moucheton, delà compagnie écossaise, dont le cheval venait d’être tué, était tombé dans les mains des femmes de Paris, et courait le plus grand risque. M. de Baleine et M. Raisin en sont informés; ils partent avec un détachement de leurs compagnies, et parviennent à le sauver, en assurant les femmes qu’ils vont le faire juger sur-le-champ par un conseil de guerre. On l’emmène à la caserne où les secours lui sont prodigués, et il y reste jusqu'au lendemain. Pour sortir de l’inquiétude où nous jetait l’abandon de nos trois chefs supérieurs, les officiers restés à la caserne s’assemblent dans la chambre du capitaine commandant le poste, M. Dutannay, qui l’avait laissé depuis six heures aux ordres d’un lieutenant, pour délibérer si nous nous en donnerions d’autres pour lemoment.il fut arrêté que, si le lendemain ils ne paraissaient pas, nous prendrions le parti convenable aux circonstances; du nombre de ces officiers réunis étaient MM. de Vauchelles, major, Villantrois et de Baleine, capitaines, et autres. Mon aide de camp me rejoint, et me remet les pouvoirs que la municipalité avait confiés pour moi à son suisse; mais les hommes à qui je m’étais engagé de procurer des vivres, voyant qu’on ne leur tenait pas parole, se crurent dégagés du serment qu’ils m’avaient fait de rester campés dans l’avenue de Paris, et se répandirent dans la ville. Un grand nombre, auquel des femmes s’étaient jointes, se réfugie à la caserne pour y passer la nuit. La faim était telle, que le cheval mort dans le combat fut rôti à moitié et mangé. Après les avoir engagés à la tranquillité et à la paix, après avoir invité notre troupe à donner tous les secours possibles à ces malheureux, je monte au château, dans la cour des ministres, où une partie des gardes du corps, après avoir fait la ten • tative de passer par l’avenue de Sceaux pour gagner la rampe, tentative qu’ils abandonnèrent aussitôt d’après l’avis qui leur fut donné par un citoyen, que la garde nationale venait d’être abondamment pourvue de munitions, était revenue par les rues de l’Orangerie et de la surintendance, se ranger en bataille avec le régiment des suisses; les autres étaient sur la terrasse. Je trouve auprès d’eux notre commandant en second, M. de Gouvernet, à qui je témoigne toute ma surprise; il me répond qu'il passe du côté des gardes au corps , et qu’il restera avec eux. Après avoir exprimé mon mécontentement, je retourne à la caserne ; le calme y régnait, j’ordonne des patrouilles nombreuses et fréquentes. En ce moment cinq voitures de la reine se présentent à la grille du Dragon ; le suisse se disposait à l’ouvrir pour les laisser sortir; mais la sentinelle, étonnée du nombre, appelle le commandant du poste : la garde sort; le piqueur dit que la reine est dans la voiture, et qu’elle veut aller à Trianon. «Dans ces moments de trouble, il serait dangereux pour Sa Majesté de quitter le château », réplique le commandant : nous offrons de reconduire la reine à son appartement, mais nous ne pouvons prendre sur nous de la laisser sortir de la ville. Le piqueur insiste, l’officier refuse, et les voitures rentrent sous escorte aux écuries. La dame Thibault, première femme de chambre de la reine, était, dit-on, partie en avant et Mma de Salvert, avec sa femme g de chambre, était dans le carrosse de Sa Majesté, qu’elle représentait. On a remarqué que les gens de la reine étaient en habits bourgeois. Une autre voiture, chargée de malles et d’une vache, est amenée au corps de garde par une patrouille qui avait empêché qu’elle ne sortît ; je m’informe à qui elle est; j’apprends qu’elle ap-partien t à M . de Saint-Priest ; je répète qu’elle ne doit pas sortir; je défends qu’on en fasse la visite; et pour que ce qu’elle contient ne coure aucun risque, je la fais garder par deux fusiliers. Le lendemain au soir elle a été remise sans dommage. Je monte à cheval avec le capitaine de Baleine; l’avant-garde parisienne arrive, et se range sur la place d’armes; je vais à M. le duc d’Aumont qui la commandait ; ce seigneur me prodigue et reçoit de moi les assurances de l’intimité et de la fraternité la plus complète ; il me promet de faire rester sa troupe sous les armes jusqu’à l’arrivée de M. le marquis de La Fayette. Je continue ma ronde, et j’ordonne aux boulangers de cuire extraordinairement; j’apprends bientôt que le corps de l’armée est aux portes de la ville; je vais au-devant avec M. de Baleine, capitaine, et M. Poivet, mon aide de camp ; M . de La Fayette était à la tête, et M. de Gouvernet l’accompagnait; enfin j’obtiens de lui ce que j’avais sollicité vainement tout le jour, un ordre; mai3 c’était celui d’avertir mes camarades de l’arrivée de la garde parisienne, et de la recevoir avec distinction. Les portes du corps de garde s’ouvrent, nos frères de Paris se répandent dans la caserne. Quelle fut ma surprise en voyant dans la partie droite six tonnes de poudre, et plus de 4,000 cartouches prêtes à recevoir la poudre! On travaille à déplacer ces munitions; M. de Gouvernet lui-même aide à rouler les toones. M. de La Fayette se rend auprès du roi ; la garde parisienne s’empare des postes du château. En achevant ma ronde dans la ville, j’apprends qu’un garde du corps du roi, compagnie ae Luxembourg, s’est réfugié au corps de garde du poids à la farine; que le sieur Marcus, commandant du poste, et les gardes à ses ordres, l’ont accueilli, lui ont donné à souper, et l’ont fait reconduire à (1) M. de Bury fait cette déclaration au comité. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [i« octobre 1790.] 376 [Assemblée nationale.] l’hôtel sous un manteau, et avec un chapeau bourgeois. Un procès-verbal, paraphé de moi, et déposé aux archives de la garde nationale, atteste ce fait. Voyant que tout était tranquille, et ayant appris que M. de La Fayette était retiré à l’hôtel de Noailles, je rentre chez moi à quatre heures du matin. A six heures M. Jouanne, capitaine, M. Richaud, officier de notre garde, viennent chez moi ; je donne, selon leur désir, au tambour de leurs compagnies, l’ordre de publier en mon nom une invitation aux habitants de Versailles, de faire l’accueil le plus fraternel à la garde parisienne, même de la traiter individuellement. J’ai eu la satisfaction de voir nos vœux exaucés à l’envi par les citoyens de toutes les classes ; je donne avis à M. Leroy, mon collègue, du parti que j’ai pris, et je l’invite à en agir de même dans le quartier qu’il habite. A huit heures je monte à la place d’armes, et j’apprends avec horreur les événements du matin ; on me dit que plusieurs personnes ont été massacrées; que ce qui a occasionné les premières violences, est un coup de fusil tiré du haut de l’escalier de marbre, qui a fait sauter le crâne d’uu jeune homme qui était au pied (1) ; que le peuple, irrité de ce meurtre, avait traîné ce cadavre au milieu de la cour de marbre, en criant vengeance, et disant qu’il sacrifierait les gardes du corps dessus. M. Gondran, capitaine de la garde parisienne, ayant été le témoin oculaire de tous ces désordres, s’étant porté, à la tête de toute sa compagnie, pour les réprimer, m’en a remis une note ; mais elle est égarée ; ainsi on peut recourir à cet officier pour avoir à ce sujet des détails de la plus grande importance. Le sieur Beuzard, sergent-major de la compagnie Bulard, m’a rapporté un fait que je ne dois pas laisser ignorer. Le sieur Gârdaine, fusilier de la garde nationale de Paris, compagnie de Maury, district de Saint-Jean-en-Grève, arrivé avec sa compagnie le cinq au soir, étant sorti sans armes le lendemain à cinq heures du matin, fut rencontré dans la cour des ministres par un garde du corps qui lui porta un coup de couteau. Gardaine, oubliant qu’il a reçu une blessure mortelle, se jette sur son ennemi, lui arrache son couteau, et allait sans doute en tirer vengeance, lorsque le peuple bientôt informé accourt; une partie emmène le garde parisien, l'autre immole le garde du corps à sa juste fureur, lui coupe la tête; c’est la première qui ait été mise au bout d’une pique. Le sieur Cardaine a été transporté chez M. Du-parc, procureur au bailliage; il y a reçu tous les secours dont il avait besoin. Il existe encore dans nos archives une pièce authentique, paraphée de moi, qui atteste cet affreux événement. A neuf heures je me rends au château ; je rencontre M. de La Fayette, à qui je demande des ordres : ce général ne m’en ayaut donné aucun, je prends un fort détachement; j’invite mon collègue d’en faire autant, et nous allons chercher nos drapeaux; lorsqu’ils sont sur la place d’ar-(1) Il est vraisemblable de croire que le jeune homme tué au bas de l’escalier, est celui qui a été enterré ledit jour (six), en vertu d’un jugement et procès-verbal de la prévôté de l’hôtel, desquels il resuite que le nommé Jérome-Honoré Lhéritier, ébéniste, natif de Paris, âgé d’environ dix-huit à vingt ans, a été tué, dans la cour du château, d’un coup de feu qui lui a fait sauter la cervelle. mes, j’envoie aux appartements du roi quarante hommes de la compagnie Jouanne, que le général, M. le marquis de La Fayette, m’avait fait demander par le capitaine Hiver, qui y était entré de service quelques instants auparavant, avec un faible détachement de sa compagnie. Peu après se passe cette scène attendrissante dont je ne donnerai pas de détails, parce que je ne la connais, comme tout le monde, que par le rapport qui m’en a été fait. Les gardes du corps quittent les retraites où ils avaient passé la nuit ; ils se confondent parmi les soldats avec lesquels ils changent de chapeaux; la paix que le roi venait de dicter se cimente de plus en plus ; et bientôt la cour se rend I aux vœux de la capitale, et laisse, en quittant Versailles, ses malheureux habitants livrés au désespoir le plus affreux. Dès le lendemain de la perte incalculable que nous avions faite, le bruit se répand que l’on indispose le roi contre nous, et que l’on ose nous accuser d’avoir, les premiers, tiré sur ses gardes, et de les avoir assassinés. Le 8 octobre, je demande au comité, en présence de MM. les officiers de la garde de Paris, que M. le comte d’Estaing soit invité de se rendre à l’assemblée suivante pour y exposer les raisons qui l’ont déterminé à nous abandonner dans des moments aussi critiques. Une lettre de lui nous est remise, et l’on arrête qu’elle sera imprimée. Le 9, la garde nationale, voyant avec peine que la calomnie s’obstine à la perdre et à la déshonorer, décide qu'il sera fait un exposé de notre conduite. Deux capitaines sont nommés avec moi pour travailler à sa rédaction. Les pouvoirs m’en sont délivrés, M. le prince de Poix, informé de ce qui se passe, vient chez moi m’engager à garder un silence qui plaira d’autant plus au roi, que Sa Majesté verrait avec peine que l’on écrivît contre ses gardes. Je réponds au prince que l’honneur de tous les Français est également cher au roi, et que notre justification ne peut que lui être agréable. M. le prince de Poix insiste pour qu’on n’écrive pas; je résiste à ses arguments, en lui donnant ma parole que nous ne sortirons pas des bornes d’une juste modération. Le 11, M. d’Estaing me fait dire par son aide de camp, M. de Perseval, qu’il est loin de m’en vouloir de la demande que j’avais faite le 8 contre lui; il me fait assurer qu’il me regarde comme un bon citoyen, et m’engage à lui conserver mon estime. Ce même jour, le détachement de la garde parisienne qui était resté à Versailles, nous quitte. Ce départ fait la plus grande sensation dans la ville; l’inquiétude qu'en conçoit la municipalité la détermine d’écrire à M. le marquis de La Fayette pour le prier de nous rendre les deux pièces de canon que le régiment de Flandre nous avait amenées, et que par méprise, on avait conduites à Paris. M. de Gouvernet en écrit une de son côté, et je suis chargé, avec M. Perrot, lieutenant, de les porter toutes deux. En route, je lui propose de m’accompagner chez M.le comte d’Estaing, que je désirais devoir. Nous nous y rendons à notre arrivée. A peine suis-je entré qu’il m’embrasse et me demande la continuation de mon estime et de mon amitié. -< Monsieur le comte, lui répondis-je, vous forcez par votre aménité les hommes à vous aimer; mais depuis la journée du cinq, je ne puis vous accorder la même estime. » Il me répond : < Le salut du 377 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [l*r octobre 1790. J roi, de la reine, de la famille royale, j’avais tout à ménager. Je désirerais avoir le temps de vous entretenir de ces détails; je vous prouverais que je n’ai jamais cessé de mériter votre confiance à tous.» Je lui présente sa lettre du huit, et lui dis : « N’est-il pas visible par l’ordre que vous aviez pris de la municipalité, que votre résolution était de nous abandonner et d’emmener le roi? » Alors il me montre l’original de l’ordre. 11 était conçu, autant que je me rappelle, dans les termes que j’ai cités plus haut, folio vingt-sept. Je lui observe enfin que par sa lettre, il inculpe grièvement la garde nationale, lorsqu’il dit: « Ce n’est pas « des consolations dont les gens tels que vous « ont besoin; il faut les servir. C’est ce que l’on « m’a vu faire, lorsque me mettant devant les « fusils qui tiraient sur les gardes du corps, je con-« jurais de tirer plutôt sur moi, parce que me « tuer serait moins contraire aux intérêts de ceux « que la colère aveuglait. » Or, Monsieur le comte, vous savez qu’avant que la garde nationale tirât, il y eut des coups de pistolet tirés par les gardes du roi. M. le comte d’Estaing me répond : « Je saisqu’ilaété tirés deux coups de pistolet du côté où était l’arrière-garde des gardes du corps, mais je ne puis croire qu’ils aient été tirés par eux. »— « Au moins, Monsieur le comte, lui dis-je, vous eussiez dû, en écrivant des faits, dire ce qui vient à décharge, comme ce qui charge, sans vous rendre l’accusateur d’un corps que vous commandez. Après cela, jugez si la garde nationale a tort de paraître mécontente (1). Nous quittons M. le comte d’Estaing; nous allons à l’hôtel de ville; nous remettons à M. le marquis de La Fayette nos dépêches ; le général nous ajourne à son hôtel à 5 heures du soir. Arrivés, nous demandons audience; l’officier qui voulut bien se charger de nous annoncer, nous dit que M. de Gouvernet était avec le général. M. deGou-vernet sort l’instant d’après. Je m’adresse à lui; je lui demande s’il a recommandéau général la dépêche de la municipalité; il me répond qu’il n’en a pas été question. Je m’adresse au général ; il me laisse apercevoir la nécessité de l’adhésion à notre demande de MM. lesrépresentants de la commune, auxquels il en fera part; il assure qu'il répondra parla voie de M. le comte de Gouvernet, qui reste à Paris; le général rentré dans son cabinet, M. de Gouvernet vient àmoi, et me dit qu’il faut renoncer au mémoire justificatif. Ce discours de M. de Gouvernet me surprit d’autant plus, que j’étais porteur de ses pouvoirs et de ceux de l’état-major pour réfuter différents bruits mal fondés, desquels on voulait faire résulter que le lundi soir 5 octobre, c’était la garde nationale qui avait commencé à tirer sur les gardes du corps et abandonné la garde du roi. J’en joins ici la copie (2). (1) Le même jour treize, il a été apporté à M. Berthier une lettre en date du douze, de M. le comte d’Estaing, qui le priait d’en donner lecture au comité et de témoigner les sentiments d’estime particuliers dont il était toujours pénétré pour moi, et même de m’embrasser. La lecture de cette lettre a eu lieu à mon absence. (2) Sur les différents bruits mal fondés qui sont venus à la connaissance de l’état-major et des capitaines de la garde nationale de Versailles, que le lundi soir cinq courant, c’était la garde nationale qui avait la première commencé à tirer sur les gardes du roi, il a été nommé au scrutin pour commissaires, à l’effet de rédiger un procès-verbal de ce qui s’est passé ledit jour, ainsi que ce qui a précédé et donné lieu à l’affaire de cette soirée, MM. Le Cointre, lieutenant-colonel, quartier Notre-Dame, Durups de Baleine et Thorillon, capitaines, lesquels ont accepté ladite commission, et promis de Ma réponse ayant occasionné une discussio assez vive, Mma de La Fayette présente pendant une partie du temps qu’elle a duré, je l’ai» sur-le-champ, transcrite, d’accord avec M. Perrot» et le lendemain quatorze, j’en ai donné lecture au comité, et l’ai remise sur le bureau ; on a témoigné le plus grand désir de savoir ce qu’aurait à répondre M. de Gouvernet. La lecture faite, arrive une lettre de lui qui annonce sa démission; malgré cela, plusieurs voulaient encore qu’il parût pour rendre compte de sa conduite. Le seize, M. le comte d’Estaing envoie sa démission ; je joins ici extrait de cette lettre qui a été remise ledit jour (1), parce que, quoique cette lettre ait été imprimée, il ne m’en reste qu’un exemplaire. Plusieurs compagnies expriment leur vœu par écrit, à l’effet que M. le comte d’Eslaing soit entendu. Les compagnies Géant, de Baleine et Jouanne sont de ce nombre. Le dix-neuf, M. Berthier, major général, m’écrit qu’il désirait me voir le matin avant mon départ; il vient m’engager à ne point remettre en délibéré ma motion contre M. de Gouvernet, que j’avais retirée la veille, et de me contenter de sa démission. Je promets à M. Berthier une réponse ostensible dans le jour, avant mon départ. Je fais ma lettre, je prie M. Harach, lieutenant, compagnie Tellier, de la remettre au comité, afin qu’elle y soit lue. Le but de cette lettre était que M. le comte de Gouvernet en usât avec moi, comme avait fait M. le comte d’Estaing. La lecture de cette lettre a été faite sans réclamation sur son contenu. La demande que je faisais à M. de Gouvernet n’a pas eu de suite, parce que M. de Gouvernet n’ayant plus de commandement, j’ai cru ne devoir pas insister, et que, d’un autre côté, le parti dévoué aux gardes du corps m’a suscité affaires sur affaires, afin de fatiguer ma patience et de vaincre le zèle que je mettais à rétablir l’honneur de la garde nationale et de la ville, attaqué de toutes parts, tant par des anonymes que par des mémoires authentiques. Tous mes débats aujourd’hui avec ceux de la garde nationale qui m’étaient opposés, sont terminés par une transaction du 30 novembre, qui a dévoué nos démêlés à l’oubli le plus profond. Il ne fallait pas moins, Messieurs, qu’une loi impérieuse comme celle qui m’est faite, pour révéler et publier les faits ci-dessus transcrits, ainsi que la conversation avec M. de Gouvernet, rédiger ledit procès-verbal d’après la connaissance qu’ils ont de la manière dont le tout s’est passé. A Versailles, le neuf octobre mil sept cent quatre-vingt-neuf. Signé : Gouvernet, Leroy, de Villard, L. Le Cointre, Dessingy, Vauchelle, J.-B. Luteau, le chevalier Desroches, J. Jouanne, Perrot, Le Comte, Beuzart, Raisin de Sainte-Lucie, Martigues, Moisson, Simon Duprelle, Meunier, Géant et Durups de Baleine. (1) Messieurs, j’aimerais à me voir dans le cas heureux d’avoir l’honneur de vous dire que celui que vous avez honoré de votre choix a dû être au-dessus du soupçon; ce qui s’est passé ne me le permet pas. Une juste surveillance est la sauvegarde, comme le berceau de la liberté; ces deux titres rendent toute inquiétude si respectable, que les rigueurs même de la défiance deviennent précieuses ; elles peuvent dès lors être considérées comme l’enfance du bonheur. Permettez-moi de sacrifier le mien en m’efforçant encore de contribuer au vôtre; ce n’est plus que par mes vœux qu’il m’est permis de m’en occuper, etc. ........ et recevez l’hommage de l’attachement et du respect avec lequel j’ai l’honneur d’être, Messieurs, votre très humble serviteur. Signé : d’Estaing. 378 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [i»r octobre 1790.1 chez M. de La Fayette, que je transcris ici, d’après l’arrêté que j’en ai fait dans le temps avec M. Perrot, qui l’a signé avec moi, et que je garde en mes mains, comme pièce de conviction qui doit me rester, et que je vous prie de parapher. Suit cette conversation : Alors M. de Gouvernet, se rapprochant de nous, nous a parlé de MM. les gardes du corps, au sujet du mémoire justificatif que nous nous occupions de faire pour détruire les imputations fausses qui étaitent faites à la garde nationale de Versailles, d’avoir fusillé les premiers. Il nous a priés et exhortés de n’en rien faire; nous lui avons répondu que notre mémoire serait simple, uni, vrai, mais qu’il était impossible que des citoyens, qui, lors de la malheureuse journée du 5, livrés à eux-mêmes, sans commandant, sans chef, sans ordre, ne sachant quel parti prendre, avaient encore la douleur de se voir accusés par ces mômes chefs qui, loin de les protéger, les défendre, les instruire, semblaient ne les avoir abandonnés que pour avoir l’occasion de se joindre à leurs ennemis contre eux, ne répondissent pas à des calomnies ; que la lettre de M. le comte d’Es-taing ne justifiait que trop cette présomption, dans l’endroit où il dit : « Ce n’est pas des consola-« tions, Messieurs, dont les gens tels que vous ont « besoin; il faut les servir. C’est ce qu’on m’a vu « faire, lorsque, me mettant devant les fusils qui « tiraient sur les gardes du corps, je conjurais de « tirer plutôt sur moi, parce que me tuer serait « moins contraire aux intérêts de ceux que la « colère aveuglait. » Alors nous avons fait remarquer à M. de Gouvernet que cette partie de la lettre de M. le comte d’Estaing était d’autant plus répréhensible, que sur la remarque que nous venions d’en faire le matin à lui-même, il était convenu quedeux coups de pistolet avaient été tirés du côté des gardes du corps avant la décharge de mousqueterie, mais qu’il était persuadé qu’ils étaient incapables, d’en être les auteurs; sur quoi nous lui avions remarqué qu'étant notre commandant, il aurait dû au moins citer les faits avec exactitude, et non en supprimer d’aussi essentiels. Alors M. de Gouvernet, prenant la parole avec vivacité, dit et soutint que la garde nationale avait commencé l’agression ; sur quoi nous lui avons reparti qu’il était étonnant que des chefs qui avaient abandonné à elle-même une infortunée bourgeoisie qui, en les choisissant, avait cru trouver un appui en eux, et n’y avait trouvé que des chefs qui, dans un moment aussi désastreux que la journée du 5, ne semblaient avoir paru un instant avec eux que pour être contre eux, ou leurs accusateurs; et instant contre M. de Gouvernet, nous nous sommes permis de lui dire : Si vous avez paru, si, vous nous avez parlé quatre ou cinq fois sur la place d’armes, lorsque nous vous avons demandé des ordres, que nous avez-vous répondu? Je n’en ai point du général; je ne vous en donnerai aucun. M. de Gouvernet, avouant qu’il s’était ainsi expliqué avec nous, nous nous sommes permis de lui dire :Eh bien! Monsieur, puisque le commandant en chef nous abandonnait, quel était votre devoir ? Celui de le remplacer, de calmer nos alarmes, de rétablir notre confiance. Vous n’en avez rien fait; et votre seule gloire aujourd’hui est de donner de la force aux fausses imputations qui nous sont faites ! M. de Gouvernet insistant sur les torts qu’il imputait à la garde nationale, nous lui avons ait : M. le comte, la lettre de M. le comte d’Estaing a déchiré le voile; le départ du roi et de la famille royale était résolu dès la matinée du 5; vous avez sans doute craint de trouver en nous des citoyens trop attachés à la personne du roi pour l’abandonner; vous avez craint que le roi, voyant notre zèle, ne rétractât un consentement donné peut-être sur des terreurs paniques qu’on avait su lui inspirer. De là la défection de nos chefs, les apprêts d’un départ précipité. Or, Monsieur, vous-même pouvez-vous méconnaître que dans la cour des ministres, lorsque partie des gardes du corps y était en bataille, je vous demandai : M. le commandant, quel ordre? que faisons-nous? que devenons-nous ? vous m’avez répondu : Monsieur, je passe du côté des gardes du corps, je me joins à eux. Je vous ai observé que quiconque commande un corps, ne doit jamais porter les armes contre ce corps; que vous deviez rentrer chez vous; alors M. de Gouvernet repartit : Oui, Monsieur, je l’ai dit, et je le répète, qu’il valait mieux être avec des hommes qui sussent se battre et sabrer, qu’avec des milices indisciplinées. Alors nous lui avons reparti : Monsieur, lorsque le public lira, d’un côté, l’endroit de la lettre de M. le comte d’Estaing, où il dit : Le dernier article de l’instruction que notre municipalité m’a donnée le 5 de ce mois, à quatre heures après midi, me prescrit de ne rien négliger pour ramener le roi à Versailles, le plus tôt possible, il verra clairement la retraite du roi concertée avec nos commandants, la cause de leür inactiçn auprès de nous, celle de leur défection lorsqu’ils ont cru que tout était prêt : car c’est à l’instant d’après celui où vous m’avez déclaré que vous passiez avec les gardes du corps, que les voitures de la reine se sont présentées à la porte du Dragon, pour sortir de la ville, entrer dans le parc, recevoir sans doute la famille royale, pendant qu’une partie des gardes du corps, pour en imposer, continuait de rester en bataille dans la cour des ministres, et que l’autre, déjà en bataille dans le parc, n’attendait que l’arrivée des voitures pour partir tous ensemble. Heureusement pour le salut de la France, les ordres que j’avais doanés aux différents postes, de ne plus laisser sortir personne, ont été exécutés. Les voitures se sont présentées; l’ouverture des portes a été refusée, nonobstant l’empressement du suisse à les ouvrir, et que les écuyers insistassent à dire que la reine était dedans, et qu’elle voulait aller à Trianon. Le commandant du poste répondit avec le respect dû à la personne dont l’écuyer empruntait le nom : dans un moment de trouble comme celui-ci, la sûreté de la personne de la reine serait compromise en la laissant sortir de la ville ; c’est pourquoi il offrit escorte pour reconduire les voitures à l’hôtel des écuries ; ce qui fut fait. Le coup manqué, les chevaux de M. le comte d’Estaing sont sortis du parc, tout sellés, par la même grille du Dragon. Nous avons observé à M. de Gouvernet que lorsque tous ces faits seraient connus par la voie de l’impression, qu’on y aurait joint les preuves les plus complètes de l’agression de la part des gardes du corps, des services que nombre d’officiers et gardes nationaux avaient rendus à plusieurs d’entre eux, suivant leurs certificats, le public, le roi loi-même, désabusé, connaîtront que ses infortunés sujets de Versailles, toujours fidèles, mais abandonnés, calomniés nour les rendre odieux à ses yeux et à ceux de l’univers [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [i*r octobre 1790.) 379 entier, méritaient un meilleur sort et de plus dignes chefs. Alors M. de Gouvernet, ne se connaissant plus de colère, nous dit avec violence : Si vous faites imprimer toutes ces choses, vous ôtes ruinés, écrasés, anéantis; le roi n’habitera jamais votre ville. Nous observons à M. de Gouvernet, que, ruinés perdus, déshonorés, notre silence sur tant de calomnies en justifierait les auteurs, nous rendrait infâmes aux yeux de l’univers ; qu’il suffit d’être ruinés dans nos fortunes et dans nos personnes-, que nous devons laisser à nos enfants les noms de victimes infortunées, mais au moins sans opprobre ; que notre parti est pris ; que notre roi, que l’univers nous jugeront, mais après nous avoir entendus, et non sur les délations de courtisans intéressés à notre perte, pour couvrir leurs fautes. M. de Gouvernet, à ces dernières paroles, ne se possédant plus, nous dit : Je vous déclare, Messieurs, que votre ville est vouée à l’exécration... Eh bien! Monsieur, perdus, ruinés, dévoués à l’opprobre et à l’infamie, qu’avons-nous de mieux à faire que de démasquer les auteurs de nos maux ? Gomment l’un de nos commandants généraux, fils de ministre, peut-il se permettre, ou de nous interdire toute défense, ou de nous déclarer que notre ville est vouée à l’exécration ? Nous vous déclarons donc que, malgré l’anathème prononcé contre nous, et dont vous vous dites le héraut, nous dirons toujours la vérité, nous la préconiserons, et rien ne sera capable d’ébranler notre constance ; et sans nous abandonner nous-mêmes, nous garderons le château du meilleur des rois, mais trompé; nous défendrons nos possessions et nous montrerons à la France, étonnée de nos malheurs et de notre constance, qu’il existe des hommes vraiment citoyens, bons sujets, et dignes d’un meilleur sort, dans Versailles. Je vous requiers, Messieurs, d’annexer à ces présentes toutes les pièces, au nombre de trois, que je vous ai présentées ci-devant, après quelles seront signées et paraphées, tant par vous, Messieurs, que par moi, qui les certifie véritables. Vous m’avez demandé, Messieurs, des informations par rapport aux canons qui ont été amenés à Versailles en juillet dernier, et déposés sur leur affût aux écuries de la reine ; j’ai appris que le nombre en était de six pièces; savoir: trois pièces de 12 livres de balles, et trois de 6 livres ; une forge et un gril pour rougir des boulets ; plus, un grand nombre de voitures chargées de munitions de guerre. J’ai vu moi-même ces canons; mais dans le temps je n’y ai pas porté une attention scrupuleuse. D’un autre côté, les portes des écuries de la reine étaient fermées; des artilleurs les gardaient, et empêchaient la communication du passage qui se fait ordinairement par la cour de ces écuries, avec les rues de la Pompe et de la Paroisse ; il fallait absolument demander quelqu’un de l’hôtel pour entrer. Les personnes dont vous pourrez avoir des connaissances certaines, sont: MM. Valentin, piqueur de la reine, celui-là même qui précédait les voitures dans la nuit du cinq octobre (c’était de M. de Saivesle, écuyer, commandant, qu’il avait reçu des ordres) ; Réal, cocher de la reine, qui conduisait le premier carosse; Dubois, autre cocher de service à ces mêmes voitures; Defoy, cocher; Langlois, limonadier, rue de la Paroisse, prèslesdites écuries; toutes ces personnes, étant habituellement dans la cour où étaient ces canons, vous instruiront positivement de l’état de ces forces; peut-être même ayant nécessairement conversé avec les artilleurs qui couchaient aux écuries, pourraient-ils vous instruire de la destination de ces forces. Vous pourriez même avoir des renseignements précis de M. Vauchelle, commis aux bureaux de la guerre, qui demeure vis-à-vis la grande porte des écuries, et dont les croisées du second étage qu’il occupe, plongent droit dans la cour, d’où on voit absolument tout ce qui s’y passe. Une personne dont le témoignage pourrait être très précieux à la patrie, si ceux qui ont eu des emplois auprès de M. le maréchal de Broglio pouvaient être citoyens, ce serait M. Berthier, fils de M. Berthier, concierge de l'hôtel de la guerre à Versailles, aujourd’hui notre commandant général en second, nommé le 15 juin dernir aide-major général des logis de cette armée, et aide-de-camp de M. le. maréchal de Broglio, pour ce service. C’est à votre prudence, Messieurs, à décider sous quel rapport vous devez entendre cet officier. Voilà, Messieurs, l’exposé simple, mais exact, que vous avez exigé de moi, de tous les faits qui se sont passés sous mes yeux, et qui sont parvenus à ma connaissance par des témoins dignes de foi, et d’après des pièces dont je vous garantis l’authenticité. Je vous en demande acte, ainsi qu’une copie en bonne forme des présentes. En conséquence du réquisitoire ci-dessus dudit M. Le Gointre, toutes les pièces, au nombre de trois, qu’il nous a ci-devant présentées, sont demeurées jointes à ces présentes, après avoir été signées et paraphées, tant par lui que par nous. Nous lui avons donné acte de la présente déclaration, et nous lui avons déclaré, à l’égard de la copie demandée, que le secret inséparable de nos recherches ne nous permet pas de la lui accorder, et a, ledit sieur Le Gointre, signé avec nous ces présentes dans le cours desquelles il a été rayé, de son consentement, douze mots comme nuis. Signé : le Cointre, négociant, lieutenant-colonel de la garde nationale de Versailles, commandant la première division, quartier Notre-Dame; Oudàrt, Agier. 'Réquisitoire de messieurs les commandant en chef et députés des capitaines et de V état-major de la garde nationale de Versailles , à l'assemblée générale de la municipalité de Versailles . Les députés soussignés, conformément à la délibération de l’assemblée des capitaines et de l'état-major de la garde nationale de Versailles, et d’après la lettre de M. le comte de Saint-Priest, en date de ce jour, annexée en original à la présente réquisition, sont venus à l’effet de déclarer l’insuffisance de leurs forces, attendu les divers avis plus alarmants les uns que les autres qui se succèdent continuellement; et après avoir protesté qu’ils ne compteraient pour rien le sacrifice de leur vie, ils ont dû, pour le salut des autres citoyens encore plus que pour le leur, notifier à l’assemblée générale de la municipalité, que, d’après la lettre de M. le comte de Saint-Priest, il était indispensable pour la sûreté de la ville, pour celle de l’Assemblée nationale et pour celle du roi, d’avoir le plus promptement possible un secours de mille hommes de troupes réglées, qui 380 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1er octobre 1790.] seront aux ordres du commandant général de la garde nationale de Versailles. Lesdits députés sont venus en conséquence pour réquérir de la manière la plus forte et la plus positive la municipalité de demander au roi ce secours. A Versailles, le dix-huit septembre mil sept cent quatre vingt-neuf. Signé : d’Estaing’, Berthier , Le Cointre, Dutannay, Jouanoe, Denois, et Durups de Baleine. A Paris, ce 8 octobre 1789. Messieurs (1), ceux de nos camarades qui sont venus hier à Paris ont bien voulu me confirmer les excellentes dispositions dont votre sagesse et les soins de vos officiers supérieurs et généraux ne m’avaient pas permis de douter un seul instant. M. Gurtaise, qui avait suivi le roi volontairement, vous aura sûrement rendu compte de qui s’était passé, et de la bonne santé de toute la famille royale. Je prie M. de Perceval de s’acquitter aujourd’hui de la même commission, et de vous remettre la lettre que j’ai l’honneur de vous écrire. Le dernier article de l’instruction que notre municipalité m’a donnée le 5 de ce mois à quatre heures après midi, me prescrit de ne rien négliger pour ramener le roi à Versailles le plus tôt possible. Ce devoir m’est trop précieux à remplir, il importe trop à la prospérité de la ville, pour qu’il n’ait pas dominé impérieusement tous les autres sentiments, qui m’auraient fait désirer de rester avec vous. Ce n’est pas des consolations, Messieurs, dont les gens tels que vous ont besoin ; il faut les servir. C’est ce que l’on m’a vu faire, lorsqu'en me mettant devant les fusils qui tiraient sur les gardes du corps, je conjurais de tirer plutôt sur moi, parce que me tuer serait moins contraire aux intérêts de ceux que la colère aveuglait. J’agirai toujours de même; et l'attachement dont on m’a donné quelques marques dans ce malheureux moment, n’a pu qu’accroître tous les sentiments qui m’unissent à vous. Un autre devoir ne m’imposait pas moins la loi de suivre le roi. Le règlement discuté par l’état-major, corrigé par les commissaires, communiqué au ministre, et qui, au moment d’être sanctionné par tout le corps municipal, allait être ensuite recommandé, par le moyen de l’impression, et par un discours que j’y ai joint, à l’in-iluence des capitaines et au zèle des compagnies : ce règlement, devenu exécutoire pour moi, prescrit l’honneur précieux de mettre, en cas d’absence, sous les yeux du roi, le nom de ceux à qui Sa Majesté permettra de continuer à former une partie de sa garde. Je n’ai pu que me proposer, et j’ai rempli à cheval ces augustes fonctions pendant la route : plût au ciel que je fusse à la vtiile de les remplir de même pour le retour 1 Je ne vous cache point que l’exacte et totale adoption, et que l’exécution du règlement seront un des moyens secondaires sur lesquels je compte davantage. Il en est un autre qui n’est pas moins indispensable : c’est de considérer, de traiter, sous tous les rapports, et d’aimer la garde nationale de Paris comme nos frères ; ils sont nos aînés par les moyens; se plaindre d’un droit d’aînesse, dont le bien général diminuera sans doute le poids, ce serait en rendre la force plus durable. Vous connaissez ma sincérité : c’est celle d’un citoyen qui, élevé avec vos pères, a presque (1) Messieurs de Rassemblée des capitaines et officiers de l’état-major de la ville de Versailles. toujours vécu depuis en soldat et en matelot, et qui a toujours dit la vérité à ceux à qui l’on craint trop souvent de la montrer dans toute son étendue. J’ai l’honneur d’être, avec tin tendre attachement et respect, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur : d’Estaing. P. S. Gomme le compte que je rends à la municipalité est peu détaillé, je vous supplie de lui communiquer cette lettre. Il me paraît nécessaire qu’elle le soit aussi aux compagnies, lorsque la prudence des chefs trouvera convenable que MM. les capitaines les assemblent. Arrêté à l’assemblée de l’état-major et des capitaines de la garde nationale de Versailles, que la présente lettre serait imprimée, et qu’à cet effet, M. Berthier, major général de ladite garde, demeurerait autorisé. A Versailles, le 8 octobre 1789. Signé : GOUVERNET, Berthier, LEROY. Extrait du registre de rassemblée générale de la municipalité de Versailles , du 18 septembre 1789. L’assemblée, après avoir pris communication du réquisitoire de M. le commandant général et des autres députés, tant de l’état-major que des capitaines de la garde nationale de Versailles, ensemble de la lettre de M. le comte de Saint-Prieat, ministre de la maison du roi, qui y est relatée, Délibérant sur les motifs urgents énoncés dans ce réquisitoire, ainsi que dans la lettre du ministre, a arrêté unanimement, que le salut public exigeait le secours demande de mille hommes d’infanterie française, lequel corps sera sous les ordres immédiats du commandant général de la arde de la ville, et prêtera le serment prescrit parle écret de l’Assemblée nationale du 10 août dernier. L’A°serabiée a aussi arrêté que, dans tous les cas, l’activité de ce corps sera déterminée de concert entre la municipalité et la garde nationale qui conservera les postes d’honneur auprès de la personne du roi et de la famille royale; elle a aussi arrêté que ledit réquisitoire et ces présentes seront imprimés et affichés. Signé : d’Estaing, Porchon, Bougleux, LeBeuf, Busnel, Le Clerc, Cornut,Angot, Vignon, Gilbert, Le Roi,Gravois,Chambert, Ghanteclaire, Crouvizier,Godin,Baud, Legrand, Deslandres, Jeanty, Remy, Mellin, Rollet, Ménard, Verdier, Fontaine, Forestier, Rivière de Gray, Niort, Glausse, président , et Emard, greffier municipal. Il est ainsi aux minutes desdits réquisitoire et délibération, étant en la possession de nous, greffier municipal de Versailles. Signé: Emard. Lettre du roi écrite de la propre main de Sa Majesté à M . le comte d'Estaing , commandant général de la garde nationale de Versailles , par lui lue à l'assemblée de l'état-major et des capitaines de ladite garde , le 24 septembre 1789, et qu'elle a consignée dans ses registres . « Je vous charge, mon cousin, de remercier la « garde nationale de ma ville de Versailles, de « l’empressement qu’elle a marqué à aller au-« devant de mon régiment de Flandre ; j’ai vu « avec plaisir la liste que je vous avais demandée, « et que tous vous ont accompagné. Témoignez 381 [Assemblé® nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. fl" octobre 1790.] « à la municipalité combien je suis satisfait de sa « conduite-, je n’oublierai pas son attachement et * sa confiance en moi, et les citoyens de Versailles « le doivent à mes sentiments pour eux. C’est « pour l'ordre et la sûreté de la ville que j’ai fait « venir le régiment de Flandre, qui s’est bien « conduit à Douai et ailleurs; je suis persuadé « qu’il en fera de môme à Versailles, et je vous « charge de m’en rendre compte. » Ce 24 septembre 1789. Signé : Louis. Je, soussigné, major général de la garde nationale de Versailles, certifie la copie de la lettre ci-dessus conforme à l’original, étant ès mains de M. le comte d’Estaing, et dont pareille copie est transcrite dans les registres du bureau de l’état-major de ladite garde nationale. A Versailles, le 24 septembre 1789. Signé : Berthier. N° VI. Déclaration du sieur Denise et autres à l’état-major de la garde nationale de Versailles, remise le 12 décembre par M. Le Cointre , lieutenant-colonel de la garde nationale de ladite ville. L’an 1789, le 5 octobre, le sieur Denise, sergent de la garde nationale de Versailles, compagnie de M. Simon, commandant le poste de la grille du Grand-Montreuil avec huit hommes, expose au comité de l’état-major de la garde nationale, que vers les quatre heures après midi, il est passé un page du roi qui allait au-devant de Sa Majesté qui était à la chasse. Ce page fut arrêté à quelque distance de cette grille par plusieurs brigands, armés de piques, de bâtons et autres armes ; ils se sont emparés de la personne du page et de son cheval, et le menacèrent de le massacrer s’il ne marchait pas ; alors le sieur Denise s'est présenté à eux, et les a engagés, en les priant avec instance, de ne pas maltraiter ce page : ils ont répondu s’il voulait prendre son parti, et ils lui présentèrent avec fureur leurs piques et autres armes sur sa poitrine en lui disant de se retirer. Le sieur Denise n’eut dans cette occasion d’autres parti à prendre que celui de la modération et de la prudence, afin de conserver sa vie et celle des personnes qui étaient de garde avec lui ; d’après cet événement, le sieur Denise détacha un des fusiliers de son poste pour aller au corps de garde des gardes françaises, pour savoir ce qu’il devait faire; il n'eut point de nouveaux ordres, malgré cette démarche ; alors il demanda du renfort au détachement du régiment de Flandre, qui est en Provence : il lui fut accordé dix hommes et un sergent. Vers les neuf heures et demie du soir, quatre gardes du corps se sont présentés au poste dudit sieur Denise, et lui ordonnèrent de fermer la rille, et que les Parisiens arrivaient, et qu’il ait ne laisser entrer que les suisses qui revenaient de Courbevoie ; il leur répondit qu’il ne pouvait exécuter leur ordre, n’en devant recevoir que de M. le comte d’Estaing ou de l’état-major de la arde : effectivement, il en est passé à peu près eux cents; et une demi-heure après, M. le duc d’Aumont est arrivé à la tête de quatre mille Parisiens, avec un grand «ombre d'artillerie, qui ont passé par cette même grille. Ce qui est dit au présent ci-dessus etautres parts, certifié véritable, et ont signé ledit jour et an. Signé : Denise, sergent ; Bienaimé, au régiment de Flandre; de Montoussin, sergent au caporal régiment de Flandre. N» VII. Du 12 décembre 1789. Déclaration de M. Emard jeune, caporal , servant dans la compagnie de Jouanne. Le cinq octobre mil sept cent quatre-vingt-neuf, à onze heures du soir, après avoir arrêté les voitures de la reine, une compagnie de la garde nationale de Paris soldée, un sous-lieutenant à la tête, vint au poste de la grille du Dragon, où j’étais de garde, comme on le verra par le procès-verbal que j’ai signé, me demanda l’ouverture de la grille; je lui dis que j’avais des ordres pour ne laisser passer que M. Bertrand, député de l’Assemblée nationale, qui demeurait à Trianon, et que je ne pouvais lui accorder ce qu’il me demandait. Il me dit qu’il avait envie de faire des patrouilles dans le parc : je le priai d’attendre que j’aille demander de nouveaux ordres à notre état-major; il m’a dit qu’il attendrait bien volontiers mon retour , et que je tâche de ne pas être longtemps. Je fus pour aller au grand commun, où siège notre état-major; passant par la place d’armes, je vis la compagnie de grenadiers de la garde nationale de Paris. Je m’arrêtai un instant pour les voir défiler; je vis M. le comte de Gouvernet au milieu d’eux, qui leur faisait compliment sur leur arrivée à Versailles. Je le tirai en particulier et lui demandai si je pouvais satisfaire à la demande qui venait de m’être faite à mon poste. M. de Gouvernet me dit que si l’on persistait, je pouvais donner entrée. Je fus pour m'en aller à mon poste : M. de Gouvernet me rappela, et me dit que j’aille, en m’en retournant, sur la terrasse avertir MM. les gardes du corps qui étaient en retranchement, que la garde nationale de Paris se proposait de faire des patrouilles dans le parç, et qu’ils aient à aller à Trianon. Je répondis à M. de Gouvernet que je n’en avais pas le temps, attendu qu’il fallait que je rendisse réponse à la patrouille qui m’attendait. Quittant M. de Gouvernet, je passai cour royale où montait la garde, pour examiner plusieurs compagnies de suisses qui étaient en attente. Je fus pour passer à la grille de la chapelle; je vis la même patrouille, que je croyais être à m’attendre à la grille du Dragon, demander l’ouverture de celle de la chapelle. Il n'y avait pas de sentinelle : se trouva là le coureur de Monsieur, frère du roi, qui prit un pavé, et cassa un très gros cadenas qui formait ladite grille. La compagnie entrée, je dis au sous-lieutenant que j’avais ordre de lui ouvrir : il me répondit qu’il craignait que je ne fusse trop longtemps; et, comme je le voyais, il avait cherché à entrer ailleurs; alors je m’en retournai à mon poste. A Versailles, ce 12 décembre 1789 : rayé neuf mots comme nuis. Signé : Emard jeuue, caporal servant dans la compagnie Jouanne . $$} [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [i« octobre 1790.] N° VIII. Du 19 décembre 1789. Déclaration par M . Durups de Baleine , secrétaire du département de la guerre, et capitaine du premier bataillon de la première division de la garde de Versailles. Aujourd’hui dix-oeuf décembre mil sept cent quatre-vingt-neuf, après midi, est comparu devant nous M-Jean-Louis llurups de Baleine, capitaine au bataillon de Gondé, secrétaire du département de la guerre, et capitaine de la quatrième compagnie du premier bataillon de la première division de la garde nationale de Versailles, y demeurant avenue de Saint-Cloud, n° 35. Lequel, sur la réquisition à lui par nous faite, par notre lettre du onze du présent mois, qu’il nous a représentée et à lui rendue au même instant, a dit : Messieurs, je n’ai pu me rendre au moment de votre invitation, comme mon cœur i’aurait désiré; j’ai dû consulter M. le comte de La Tour-du-Pin, ministre de la guerre, au secrétariat duquel je suis attaché, et obtenir de lui la permission de m’absenter de Versailles. Ce ministre, dont les vertus patriotiques sont connues, m’a fait un crime de n’avoir pas obéi sur-le-champ ; ses intentions m’ont été manifestées hier ; je m’empresse de réparer ce retard. Vous me demandez, Messieurs, que j’aie à déclarer tout ce que je sais sur ce qui s’est passé à Versailles depuis le mois de juin, iusques etcom-Jiris les journées des 5 et 6 octobre dernier, et edit mois. Je dois vous observer, Messieurs, que depuis que je sers dans la garde nationale, j’ai été plusieurs fois requis de prêter serment; ce que j’ai fait, et ce qui m’empêcherait de vous faire un récit suivi, à moins que vous ne tne releviez de cea mêmes serments. Sur quoi, nous étant tous réunis, et après en avoir délibéré, nous avons décidé a l’unanimité, uele salut de la patrie délie M. Durups de Baleine e tout serment qu’il peut avoir prêté antérieurement, en quelque qualité que ce soit, et l’oblige à révéler dans la plus exacte vérité et le plus grand détail tout ce qu’il sait. Messieurs, j’ignore civilement le nombre effectif des troupes qui étaient aux environs de Versailles dans le courant de juin, jusqu’à l’époque du 13 juillet ; je n’y ai vu que les deux régiments de Nassau et Bouillon, qui y ont séjourné dans l’Orangerie, un gros détachement de hussards, les troupes ordinaires, composant la garde du roi, un guet des gardes du corps extraordinairement retenu à Marly, un détachement de suisses, aussi extraordinairement appelé de Courbevoie, dans cette ville, et logé aux grandes écuries du roi, et enfin un détachement d’artillerie, logé aux écuries de la reine ; ce dernier avait un train d’artillerie; l’impossibilité d’entrer dans les écuries de la reine m’a empêché de juger moi-même du nombre de chariots et de pièces de canons dont il était composé ; mais plusieurs gardes de ma compagnie, attachés à ces mêmes écuries, m’ont dit dans le temps, et me l’ont encore répété hier, qu’il était composé de dix pièces de canons, de deux forges, d’un gril à chauffer les boules, et d’une quinzaine de chariots, dont les caissons ont été présumés contenir des munitions de guerre. Gomme je n’ai pu juger du nombre de ces chariots par moi-même, je ne puis, Messieurs, que vous nommer une partie des personnes de qui je tiens ces faits, MM. Godin, Leclerc, Langlois, Réal, Dubois, Marescaut, Rouget, Comtois, Lavar, La Ravine, tous gens attachés aux écuries de la reine. M. Berthier fils, aide-maréchal général de logis de l’armée, que l’on dit avoir été employé près de M. de Broglio, pourra, je pense, vous donner des renseignements plus positifs à ce sujet. Le dix-huit septembre dernier, M. le comte d’Estaing arriva au comité de la garde nationale de Versailles, et après avoir annoncé qu’il avait quelque chose crintéressant à communiquer à MM. les capitaines seulement, pria tous les officiers qui n’avaient pas ce grade de se retirer; il exigea de nous serment de ne pas parler de ce dont il allait nous entretenir : le serment prêté, il nous fait lecture d’une lettre par laquelle M. le marquis de La Fayette le prévenait d’une incursion qu’environ dix-huit cents gardes françaises ou gens mal intentionnés se proposaient de faire à Versailles ; ce qui pourrait faire courir des risques au roi et à l’Assemblée nationale : cette lettre et les discours pathétiques de M. le comte d'Estaing nous firent frémir et ébranlèrent la résolution où nous étions de ne souffrir plus l’entrée d’aucun régiment dans la ville, qui renfermait deux dépôts si précieux, spécialement confiés à notre garde depuis quelque temps. La question positive qu’il nous fit : Etes-vous en état de résister à dix-huit cents ou deux mille hommes disciplinés et bien armés ? détermina la majorité de l’Assemblée à demander qu’on allât aux voix pour savoir s’il fallait demander des troupes, et de quelle arme. La majorité de l’assemblée vota pour que la municipalité fût sur-le-champ invitée à demander un régiment de ligne de deux bataillons, pour être sous ses ordres, et à ceux du général de la garde nationale, pour aider à cette même garde à repousser tous malintentionnés qui voudraient troubler l’ordre public. Mais il fut spécialement arrêté que le régiment qui allait être appelé ne concourrait en aucune manière avec la garde nationale à faire la garde de Sa Majesté. Ces faits décrétés, et avant qu’on procédât à la nomination des députés près de la municipalité, le général proposa de demander le régiment de Flandre qui s’était bien conduit à Douai; corps dans lequel la discipline s’était bien maintenue, et sur la fidélité duquel on pouvait d’autant plus compter qu’il était commandé par un membre de l’Assemblée nationale, dont le zèle patriotique était connu. On nomma une députation de six membres ; j’étais l’un d’eux ; le général à notre tête, nous allâmes à la municipalité. M. le comte d’Estaing fit lecture de la lettre de M. de La Fayette, développa les motifs de crainte qu’il nous avait inspirés et pria MM. les officiers municipaux de délibérer sur la demande de la garde nationale. Ce corps délibéra en notre présence, pensa qu’un régiment était nécessaire pour repousser les ennemis du bien public, et demanda que la lettre de M. de La Fayette fût déposée en ses mains. M.d’Estaing prétendit qu’il le ne pouvait pas, de crainte de compromettre son auteur, mais proosa de la remplacer par une de M. de Saint-riest, qu’il nous dit avoir reçu les mêmes avis. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1« octobre 1790.] 383 La municipalité adhéra; le général monta au château, rapporta la lettré qu’il avait proposée. Les députés firent réquisitoire en forme, le signèrent et le laissèrent au corps municipal, qui promit de faire les diligences nécessaires auprès du ministre du roi. Le dix-neuf, il fut ordonné à l’ordre, de pressentir les, compagnies sur l’arrivée prochaine d’un régiment. Le môme jour et le jour suivant, la grande majorité des compagnies protesta contre l’arrivée du régiment qui leur avait été annoncé; particulièrement la mienne exigea que je protestasse en son nom contre le vœu que j’avais porté le dix-huit, observant que ni moi ni les autres capitaines n’avions pas eu le pouvoir de traiter de cette importante affaire, sans au préalable avoir consulté les compagnies. Je rempli son vœu. Le vingt, sur l’assurance que le général nous donna, que l’Assemblée nationale sanctionnait l’arrivée du régiment de Flandre, je lui observai qu’il serait important que la ville, et particulièrement les compagnies en fassent informées; mon observation ne lui plut pas, et je n’eus pas lieu d’être satisfait de la réponse dure qu’il me fît. Le même jour, en sortant de l’ordre, j’allai, accompagné du capitaine Bluteau, chez M.le comte d’Estaing, pour le prier de se trouver au rassemblement de ma compagnie, en l’assurant que, s’il voulait y paraître, ii obtiendrait sûrement qu’elle retirât sa protestation ; le capitaine qui m’accompagnait avait la même grâce à lui demander. Ce général, furieux de l’opposition qu’avait portée à ses désirs la compagnie que j’avais l’honneur de commander, me traitant encore plus durement que le maliu, me rendit responsable de son opinion, me fit remarquer mon peu de fortune, le nombre de mes enfants ; récapitula les émoluments de ma place au secrétariat de la guerre, et ce que ma femme pouvait espérer de celle qu’elle occupe près de madame Victoire; me dit que le glaive était sur ma tête; que dans cinq minutes, je perdrais tout, si je ne lui apportais le vœu de ma compagnie; que quand on avait servi sous ses ordres, on devait savoir commander une compagnie de garde nationale ; qu’il m’en connaissait le talent, puisque j’avais par elle rendu des services essentiels lors de l’établissement de cette troupe. Il me renvoya par devant M. de Gouvernet, notre commandant général en second, en me répétant encore : Allez, Monsieur , songez que vous êtes perdu sans ressource ; songez que votre femme et vos enfants auront à vous reprocher le manque d'existence, si dans cinq minutes vous ne m'apportez le vœu de votre compagnie ; sortez , Monsieur , et voyez M. de Gouvernet. Je me retirai confondu; toutes mes facultés restèrent un instant suspendues ; la douleur m’ôta celle d’alléguer une seule réponse ; s’il avait pu m’entendre, il ne m’aurait pas été difficiledele convaincre des efforts que j’avais fait pour ramener ma compagnie à son avis, qui était aussi le mien, puisque j’avais le premier signé le réquisitoire. Mon compagnon ne fut pas bien traité non plus; mais sa position était bien différente de la mienne, il répondit qu’il était marchand épicier, qu’il vendait de bonnes marchandises et que le général ne pouvait rien sur lui. J’allai chez M. le comte de Gouvernet; j’avais le cqtur gonflé en entrant; je fus bientôt à l’aise ; aussi humain que M. d’Ëstaing avait été dur, il daigna m’entenare avec bonté; voulut bien croire aux efforts que je lui dis avoir faits près de ma compagnie pour l’arrivée du régiment ; îl m’or-donna delà faire rassembler dans l’instant même chez lui ; ce que je fis. Environ quatre-vingts personnes s’assemblèrent : il voulut bien pendant trois heures joindre ses instances aux miennes; mais elles furent inutiles; nous ne pûmes rien gagner. Pendant cette longue-séance, dans laquelle M. de Gouvernet montra tout son attachement pour la patrie, un membre de l’assemblée ftt un procès-verbal très détaillé de la conduite que j'avais toujours tenue avec la compagnie, depuis que je la commandais, et particulièrement lorsqu’il avait été question de l’arrivée du régiment de Flandre ; il attestait, au nom de tous, qu’il n’était aucun moyen que je n’eusse mis en usage pour lui en faire sentir la nécessité ; ils signèrent tous, et prièrent M. de Gouvernet de le faire, ce qu’il fit. La compagnie partit : ce général eut la bonté de m’assurer qu’il ferait revenir M. d’Estaing sur mon compte, et eut celle de convenir qu’il était bien méritant à moi d’avoir pu contenir une compagnie dont les membres avaient tant de caractère. M. Dubreton a aussi été à l’instant de perdre sa place de commis aux bureaux de la guerre, parce que sa compagnie n’était pas d’avis de l’entrée du régiment de Flandre; mais une députation du comité, près du ministre, l’a préservé de ce danger. Le 23, M. le comte d’Estaing annonça à l’ordre que Sa Majesté l’avait chargé d’aller au devant du régiment de Flandres, qui allait arriver, ainsi que de lui apporter la liste des officiers qui l’auraient accompagné. Nous allâmes prendre MM. les officiers municipaux, et nous nous rendîmes dans un des bureaux de l’Assemblée nationale, en attendant le moment de l’arrivée du régiment. Là, il se fit apporter une feuille de papier, y si�na son nom, et nous engagea à en faire autant, afin de pouvoir remettre le soir même cette liste au roi, comme Sa Majesté lui avait ordonné de le faire. Le régiment n’arriva qu’à 6 heures, et prêta serment entre les mains du corps municipal ; beaucoup de gardes du corps à pied, bottés, armés et prêts à monter à cheval, se promenaient au milieu du concours de monde que la curiosité avait amené sur l’avenue de Paris. Le 24, M. le comte d’Estaing fit lecture à l’ordre d’une lettre du roi, dont je vous remets copie paraphée de moi. Ce même jour, j’éprouvai les bons effets de la promesse que m’avait faite M. de Gouvernet, de faire revenir M. d’Esiaing sur mon compte. Je commandais le poste de la garde du roi ; ce général vint à moi (il était 7 heures du matin), me prit la main, confessa ses torts envers moi, m’assura du retour de son amitié, et m'annonça qu’il me destinait une place supérieure dans la troupe soldée qu’il se proposait d’établir à Versailles. Sur l’observation que je lui fis, que je ne quitterais pas mon emploi que j’aimais, il me dit que tout était arrangé avec M. de La Tour-du-Pin. Le trente, on bénit les drapeaux de notre garde nationale. Le premier oclobre, MM. les gardes du corps donnèrent un grand dîner à MM. les officiers du régiment de Flandre, à ceux des chasseurs des Evêchés et à quelques officiers et gardes nationaux. A la nuit tombante, j’entendis un grand bruit (mon bureau etff dans la cour de3 ministres) dans la cour de marbre; j’y descendis; je vis des gardes du corps, des officiers, soldats et chasseurs des corps qui étaient à Versailles, et un grand concours de monde que la crainte ou la 384 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1®* octobre 1790.] curiosité y avaient conduit; je remarquai que le i vin avait échauffé les têtes ; je me retirai et parvins, en m’en retournant, à faire rebrousser chemin à une patrouille, qui, ignorant la cause de ce ta-e, se portait vers le château. e trois, il y eut un déjeuner que MM. les gardes du corps donnèrent à leur hôtel; on m’a assuré qu’il avait été plus indécent encore que le dîner ; j’y avais été invité ; un pressentiment, dont je m’applaudis, me fit refuser d’y aller. Dès ce jour, il existait une indisposition dans la ville contre MM. les gardes du corps ; beaucoup de personnes se plaignaient d’avoir été insultées par eux, relativement aux cocardes blanches qu’ils portaient tous, et qu’ils voulaient leur faire prendre. J’en parlai au comité, qui prit l’arrêté que j’ai l’honneur de mettre sur le bureau, après que je l’ai eu paraphé. Le cinq, à l’ouverture de l’assemblée, M. Le Cointre rendit compte de ce qui lui était arrivé la veille à l’œil-de-bœuf, relativement à une distribution de cocardes blanches que faisaient des femmes et des abbés, et à un duel qui lui avait été proposé, parce qu’il avait témoigné hautement sa surprise de ce que l’on en usait ainsi dans les appartements du roi:, et de ce qu’il avait fait reprendre à un garde national sa cocarde, qu’il avait eu la faiblesse de changer contre une blanche. Cet officier fit ensuite la motion que MM. les commandants généraux seraient priés de se rendre à l’instant au comité, et que M. le comte d’Estaing voulût bien ordonner (en sa qualité de commandant général de toutes les troupes alors à Versailles) à MM. les gardes du corps de monter à cheval, de se rendre sur la place d’armes, pour y prêter, entre les mains de la municipalité, qui serait invitée à s’y transporter, le serment prescrit par l’Assemblée nationale. J’appuyai de tout mon pouvoir cette motion, en observant qu’elle pourrait faire cesser l’indisposition que la conduite de quelques gardes du corps avait fait naître, et que cela empêcherait sûrement les rixes que l’on craignait. M. de Beaumont, capitaine d’une des compagnies, dit avec chaleur, en s’adressant au lieutenant-colonel, qui avait fait cette motion, que jamais ce corps, dans lequel il avait servi vingt-un ans, ne s’y soumettrait ; que, sans doute, il ne le connaissait pas; que lui M. Le Cointre courrait des risques, s’il persistait dans son opinion. M, Berlhier fils, alors major général, fut en quelque façon de l’avis du chevalier de Beaumont, et dit que cela pourrait devenir le germe d’une guerre civile ; que, de plus, l’objet était trop important ; qu’il fallait y réfléchir, le remettre au lendemain, et inviter MM. d’Estaing et de Gouver-net à s’y trouver. Le même jour, 5 octobre dernier, j’étais encore à table, lorsque plusieurs membres de ma compagnie vinrent en armes chez moi; me dirent que MM. les gardes du corps étaient, ainsi que le régiment de Flandre , en bataille sur la place d’armes; que plusieurs gardes du corps avaient poursuivi un garde bourgeois de Paris, revêtu de son uniforme, qui voulait entrer au château ; que ce garde, sabré par ces messieurs, s’était mis sous la protection de la sentinelle avancée du poste voisin ; que cette sentinelle avait crié aux plus avancés de ces gardes du corps de se retirer; mais que ces derniers continuant de sabrer ce Parisien, l’un d’eux avait reçu un coup de fusil, dont il avait été blessé; que cette rixe avait excité une grande fermentation; que, de plus.il y avait sur l’avenue de Paris un grand nombre de femmes de la capitale, avec quelques pièces de canon, et que, sans doute, on ne tarderait pas à rassembler les compagnies. On battit en effet l’assemblée, et à quatre heures et demie ma compagnie se trouva réunie, ainsi que plusieurs autres, sur l’avenue de Saint-Cloud. M. Le Cointre, commandant de notre division, passa dans ce moment ; j’allai à sa rencontre ; je lui demandai des ordres; il dit n’en avoir point encore à me donner; qu’il cherchait les généraux; qu’il ne les rencontrait nulle part. Je restai dans la même position jusqu’à ce que M. Le Cointre, repassant encore , m’ordonna de poster ma troupe au rendez-vous général (l’esplanade devant le corps de garde de la place d’armes), il n’avait rencontré que M. le comte de Gouvernet, qui ne lui avait point donné d’instructions, n’en ayant point reçu de M. le comte d’Estaing. En arrivant, je demandais des cartouches àM. de La Tonlinière, qui toujours avait été chargé de ces détails ; il me dit qu’il n’en avait pas (je n’en avais que douze pour soixante-douze hommes). Sur les huit heures du soir, un officier supérieur, que je ne pus reconnaître, et dont je ne pus m’approcher, ordonna aux compagnies de se retirer; elles répondirent qu’elles ne le feraient qu’après les gardes du corps. Dans l’intervalle de ce moment à celui où le même officier revint, je fus informé que des voitures du roi s’étaient présentées pour sortir par la grille de l’Orangerie, et que cela avait occasionné du tumulte. Pour m’en convaincre, j’euvoyai un caporal et quatre hommes à ce poste qui était occupé par des gardes de la compagnie de Presle; au retour de ce petit détachement, je sus qu’en effet plusieurs voitures des grandes écuries du roi s’étaient présentées pour sortir par cette grille, mais qu’au refus que fit lu garde nationale de son ouverture, elles s’en retournèrent au galop au lieu d’où elles étaient parties. Gomme je vous le disais dans le moment, Messieurs, le même officier supérieur reparut dans le corps de garde de la garde du roi, et dit que MM. les gardes du corps allaient se retirer. Sur les huit heures un quart, MM. les gardes du corps défilèrent par quatre, en longeant l’esplanade, pour se rendre à leur hôtel. Le dernier peloton avait le sabre à la main, et en faisait usage sur des gens que l’obscurité ne permettait pas de distinguer; dans l’instant, quelques coups de pistolet partirent de ce dernier peloton; et dirigés sur la garde nationale, l’une des balles perça le chapeau du sieur Moneret , la même ou une autre traversa les vêtements du sieur Loudel , l’un et l’autre gardes de ma compagnie, alors dans l’enceinte de l’esplanade. J’étais présent, et j’ai vu que l’un de ces coups de pistolet avait été tiré par un officier ou garde arriéré de quelques pas de la colonne, et le seul peut-être qui fût sans manteau. Quelques gardes bourgeois qui se trouvèrent dans ce moment sur l’esplanade et dont les armes étaient chargées, ripostèrent par quelques coups de fusil. A cette décharge, le dernier et l’avant-dernier escadron des gardes du corps firent un à droite en très mauvais ordre, et une décharge de leurs mousquetons, à laquelle on riposta, mais faiblement. Les gardes du corps galopèrent et disparurent bientôt. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1er octobre 1790.] 3 85 L’alarme devient générale : on craint de voir reparaître les gardes du corps réunis et en force ; on assure qu’il existe des munitions ; on somme de nouveau M.deLa Tontinière d’en donner; un sergent, M. Burry, le menace de lui faire perdre la vie, s’il n’en donne pas ; la-crainte s’empare du premier, qui fait mettre sur l’esplanade une demi-tonne de poudre et un demi-baril de balles. On charge alors les fusils et les canons; on se met en état de repousser les gardes du corps, s’ils reparaissent avec des desseins hostiles. Dans ce moment, des hommes armés de piques, du peuple de Paris, arrivent sur l’esplanade; ils demandent du pain. M. Dutannay, capitaine, avait quitté le poste ; j’en avais pris le commandement; M. Baisin était en second : j’envoie chercher du pain chez tous les boulangers, et une barrique de vin que je leur fais distribuer. Celte distribution à peine finie, un groupe de poissardes et de lanciers de Paris arrivèrent au corps de garde par la rampe de la rue de la Chancellerie, conduisant un garde du corps qu’ils disaient vouloir décapiter. Je les arrête, je les prie de suspendre un moment, je m’approche du garde, qui me remet ses armes; je lui rends son sabre ; je ne garde que son pistolet, parce qu’il était chargé; il dit hautement et sans être interrogé qu’il ri était d'aucun complot ; qu’il riavait point été du dîner ; qu'il était dans son lit avec la fièvre , mais que l'honneur lui avait fait la loi de monter à cheval. Je fais de nouvelles instances pour modérer la colère des lanciers : je parvins à les conduire dans un des dortoirs du corps de garde, où ils jugèrent qu’il devait périr, parce qu'il était un de ceux qui avaient tiré sur lepeuple. Je n’étais plus maître d’eux; ils se portent dans le corps de garde où ils ne le trouvent plus. Pendant ces discussions, M. Raisin, à qui j’en avais donné l’ordre, était parvenu, à l’aide de plusieurs hommes de ma compagnie, à le faire sortir et à le cacher dans la chambre du chirurgien des anciens gardes-françaises, qui loge dans la caserne. Leur colère se tourne alors contre moi ; ils m’accusèrent d’avoir ordonné cet élargissement, pendant que, pour les tromper, je les entraînais d’un autre côté; beaucoup concluaient pour me faire subtr le sort qu’ils destinaient au malheureux garde du corps ; beaucoup aussi étaient portés à m’excuser : je crus prudent de m’évader pour quelques moments (1). Sur les neuf heures, je m’aperçus que MM. les gardes du corps étaient en bataille dans la cour des ministres, et les gardes suisses aussi en bataille à quelques pas uevant eux. Tout était assez calme; je partis pour me rendre chez moi; je conduisis mon détachement, qui y prit quelque nourriture; je me rendis chez M.Le Gointre avec deux gardes de ma compagnie; M. Jouaune y était; ce capitaine reçut ordre de joindre sa compagnie à ia mienne et sous mes ordres, et il me donna celui de me rendre sur l’esplanade, d’y former ma troupe en bataille, afin d’être prêt à me porter où le besoin l’exigerait. J’obéis; en chemin j’ai appris que deux voilures de ia reine, précédées du sieur Valentin, piqueur, s’étaient présentées pour sortir par la grille du Dragon; que l’ouverture leur en avait été refusée, que ciuq autres voitures des écuries (1) M. de Moucheron, chevalier de Saint-Louis, est venu, quatre jours après, me iaire ses remerciements; je lui ai remis son pistolet : il m’a donné un certificat qui constate ces faits ; l’original est déposé à l’état-fnajor. i*e SÉRIE. T. XIX. de la reine étaient en mouvement pour sortir aussi. D’après les renseignements que j’ai pris, j’ai su que les deux premières voitures étaient conduites parles nommés La Jeunesse et Brugnon, et les cinq autres par les nommés Dubois, Comtois, Réal, Jérôme et Biron, et que madame de Salvert, femme du commandant de i’écurie, était dans celle conduite par ce dernier. Sur les dix heures, M. Le Gointre parut sur l’esplanade, m’ordonna de monter à cheval avec lui, et délaisser ma troupe aux ordres de M. Jouanue. J’accompagnai ce lieutenant-colonel, qui alla reconnaître M. le duc d’Auraont, qui venait d’arriver de Paris, à la tête d’une division qu’il avait mise en bataille sur la place d’Armes, la droite appuyée à l’hôtel des gardes de la porte. Je "suivis encore M. Le Gointre sur l’avenue de Paris, où il reconnut le corps de l’armée; nous y trouvâmes M. le comte de Gouvernet (il était environ minuit), à la tête des grenadiers, qui donna des ordres au lieutenant-colonel qui me transmit celui de me rendre au corps de garde de ia place d’Armes, où il se rendit aussi; d’y tout disposer pour recevoir la garde parisienne qui venait partager avec nous la garde de Sa Majesté. La garde parisienne prit possession des casernes dont les dortoirs "venaient d'ètre ouverts. L’ordre établi, je reçus celui de faire des patrouilles et de me retirer. Il était environ trois heures et demie lorsque je rentrai chez moi; un instant après je vis passer M. le Gointre qui allait en faire autant; je me mis à ma fenêtre, et l’engageai à reconduire jusque chez eux deux cent-suisses en uniforme galonué, que la ressemblance des habits pouvait, dans l’obscurité, faire prendre pour des gardes du corps. Il eut la bonté de se rendre à ma prière. Le 6, sur les sept heures, au son du tambour, les citoyens furent invités à fournir gratuitement des vivres à nos frères de Paris. A dix heures, on battit les drapeaux ; chaque division prit les siens, et alla se former sur la place d’Armes, la première ayant sa droite appuyée à la grille du château, et la seconde sa gauche sur la même grille. Le roi partit sur les une heure. Le 8, à l’ordre, M. Le Cointre demanda que M. le comte d’Estaing fût invité à déduire les raisons qui l’avaient porté à ne point donner d’ordre dans les journées des 5 et 6 : sa motion, quoique goûtée, n’eut point de suite. Le même jour, il fut fait lecture d’une lettre de ce général ; il fut décidé qu’eile serait imprimée. Le 9, on produisit au comité plusieurs écrits qui nous accusaient d’avoir mal gardé le roi, et d’avoir les premiers tiré sur les gardes du corps. Pour détruire ces assertions, il fut décidé que l’on serait un mémoire justificatif de notre conduite; MM. Le Gointre, Thorillon et moi, fûmes chargés de le faire. La lettre de M. d’Estaing revenue de l’impression, que je vous représente ici, on s’aperçut que ia municipalité avait, dans la journée du 5 et avant quatre heures après midi, donné des ordres à notre général de ramener le roi à Versailles le plus tôt possible. Gette phrase n’étant pas très explicative, il fut envoyé une députation à la municipalité, pour lui demander une copie de cet ordre que l’on présumait transcrit sur ses registres, mais il ne s’y trouva point porté. (M. du Breton était de cette députation.) Quelques jours après, M. Le Gointre rendit compte au comité d’une conversation que lui et °25 386 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. M. Perrot avaient eue chez M. de La Fayette, avec M. de Gouvernet, et demanda qu’il fût invité à venir à l’Assemblée. Un instant après, arrive pne lettre, de lui ; on en fait lecture ; elle contenait sa démission. Le 16, une lettre de M. le comte d’Estaing, qui contenait sa démission, fut imprimée et envoyée aux compagnies; quelques jours auparavant, il en, avait écrit une autre, par laquelle il priait M. Berthier d’assurer M. le commandant de la première division de l’estime particulière qu’il avait, et qu’il conserverait toujours pour lui. Telle est, Messieurs, l’exposition simple que vous m’avez demandée des faits dont j’ai été témoin, et qui sont parvenus à ma connaissance. Je vous requiers, Messieurs, de m’en donner acte. En conséquence du réquisitoire dudit sieur Durups de Baleine, toutes les pièces qu’il nous a présentées, au nombre de trois, sont, à sa réquisition, demeurées jointes à ces présentes, après avoir été signées et paraphées' par lui et par nous, et nous lui avons accordé acte de la présente déclaration : rayés dans le cours de la présente déclaration, du consentement dudit sieur de Baleine, vingt-six mots comme nuis; et a, ledit sieur de Baleine, signé avec nous. Signé : Durups DE BALEINE, ÂGIEIt, PERRON. AVIS. Comme des papiers publics disent que quelques particuliers se sont permis de changer de cocarde, la garde nationale de Versailles, regardant comme inséparables la nation et le roi, et la cocarde qu’elle a adoptée représentant l’un et l’autre, déclare qu’elle sera aussi constante à l’égard de sa cocarde, qu’elle le sera à jamais dans ses sentiments de fidélité envers la nation, la loi et le roi. Arrêté à rassemblée de l’état-major et des capitaines de la garde nationale de Versailles, Je quatre octobre mil sept cent quatre-vingt-neuf. Signé : d’EsTAiNG, Berthier, Le Cointre, Leroy, le chevalier Déroché, Dessingy, Hyver, Vauchelle, Jouanne, d’ENNiÉE, commissaire aux revues : Simon, Mèttereau, Devilliers de La Bellangerie. Nota. La lettre du foi à M. d’Estaihg, et la lettre de MM. les offlcièrs et capitaines, se trouvent à la fin de la déclaration de M. Le Cointre. N° IX. Du 22 décembre 1789. Déclaration de M. Ëettereau, ancien capitaine de la garde nationale de Versailles, et faisant les fonctions d’aide de camp auprès de M. le comte d'Èstaing. Messieurs, en exécution des ordres que vous m’avez donnés par votre lettre du présent mois, je vous fait ma déclaration ainsi qu'il suit : En septembre dernier, M. le comte d’Estaing, à l’ordre, après avoir invité MM. les officiers qui n’étaient pas au moins du grade de capitaine, à se retirer, ce qui fut fait, demande notre serment sur des objets de la pliis haute importsüiCe. Le serment proféré, il nous lit une lettré de M. de (1er octobre 1790.] La Fayette, par laquelle ce général annonçait que l’insubordination des gardes-françaises était telle, qu’il n’en était plus le maître; qu’il craignait qu’ils ne se portassent à Versailles et n’y causassent les plus grands désordres. , M. le comte d’Estaing part de cette lettre pour nous faire sentir la nécessité que Versailles soit renforcé de douze cents hommes, au moins, d’infanterie réglée; que cette force jointe à celle de la maison du roi, et de notre milice, mettra notre ville à l’abri de toute incursion. La crainte que plusieurs capitaines conçurent d’une demande de troupes réglées, après les événements du mois de juillet, occasionna plusieurs débats; enfin, la majorité s’étant rendue aux raisons du général, on députa à la municipalité (j’étais de ce nom-bre-là) M. le comte d’Estaing montra la même lettre de M. de La Fayette ; la municipalité consentit à se prêter à cette demande, en gardant la lettre de M. de La Fayette. Le général, craignant que la publicité de cette lettre ne fût préjudiciable à son auteur, proposa de l’échanger contre une de M. de Saint-Priest, ministre; ce qui fut agréé; en conséquence, M. le comte d’Estaing monta au château. Mes affaires m’appelant, je n’aj pas vu la fin de cette séance. Quelques jours après, M. le comte d’Estaing, à l’ordre, nous dit que le régiment de Flandre arrivait ; que le roi lui avait ordonné de lui donner la liste des officiers qui iraient au-devant de ce régiment : il part; nous le suivons, et sur les six heures le régiment paraît ; nous l’accompagnons jusque sur la place d’Armes, où il prête serment entre les mains de la municipalité. Le lendemain le roi écrivit de sa main une lettre à* M. le comte d’Estaing, pour lui témoigner sa satisfaction de notre conduite. Quelques jours après, plusieiirs d’entre nous reçoivent des lettres d’invitation de MM. les gardes du roi de se trouver le premier octobre à un repas qu’ils donnent à la salle d’opéra. Je n’ai pas été de celte fête; je n’en connais les détails que par ouï-dire ; pour quoi je n’en dis rien ici. Dès cet instant on parlait du changement de cocardes. Plusieurs de nos officiers avaient déjà arboré la blanche. Le quatre octobre au soir, je fais rencontre dans le parc, deM. Le Cointre, notre lieutenant-colonel, qui était avec M. Haracque, lieutenant, compagnie Tel lier ; je leur dis que nombre d§ braves citoyens se plaignaient que MM. les gardes du corps avaient arraché et foulé aux pieds la cocarde nationale ; que cependant je ne croirais ces excès qu’après les avoir vus. Nous montons à l’œil-de-bœuf; mon devoir auprès de M. le comte d’Estaing m’y appelait : je croyais le trouver dans les appartements du roi ; en conséquence, je passe dans l’appartement où est le lit de Louis XIV : à peine suis-je entré, qu’un officier des gardes du roi, décoré de la croix de Saint-Louis, vient à moi, et regardant ma cocarde d’un air dédaigneux, me dit : <■ Est-ce bien là la cocarde que vous adoptez? Croyez-vous que la majeure partie de votre corps pense comme vous? — Oui certainement, je le crois.» Il me quitte alors d’un air de colère et de mépris ; et je lui dis ; « Il est indécent, Monsieur, que vous me fassiez cette question, et que vous teniez cette conduite chez le roi.» Je rentre dans l’œil-de-bœuf. Je rencontre M. de La Bellangerie, l’un de nos capitaines, qui avait à son chapeau une cocarde blanche d’une grosseur énorme. Il me dit [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [i« octobre 1790.] 387 que c’étaient des dames qui l’avaient attachée à son chapeau. Je, le quitte avec indignation. Je passe dans la grande galerie. Je fais rencontre de trois dames qui viennent à moi, en disant : Vive la cocarde blanche 1 c’est la bonne, et m’en proposent une; je me retire sans leur répondre, me contentant de leur exprimer le mépris de leur proposition par un coup d’œil d’indignation. N’ayant point rencontré M. le comte d’Estaing, je yais chez lui; il y était : je lui tais part de ce qui vient de m’arriver. Je lui fais ie signalement du garde du corps; il nie témoigne delà surprise, et m’observe que le grand nombre de gardes du corps ne lui permet pas d’espérer qu’il pourra connaître, celui que je lui ai désigné.. Je me retire. Le lendemain, à l’ordre, M. Le Gointre rend compte d’une scènequ’il avait eue par rapport aux cocardes blanches, et demanda que M. le comte d’Estaing fût priédese rendre, et qu’il mandât aux gardes du corps de venir à cheval sur la place d’Ar-mes prêter le serment à la municipalité. Nombre de nos capitaines, surtout ceux qui ont servi dans les gardes du corps, s’opposèrent à cette motion du lieutenant-colonel; l'un d’eux lui dit même que sa vie courait le plus grand danger s’il persistait ;M. le major générai s’opposa aussi de toutes ses forces à cette motion, qui eut beaucoup de partisans, tellement qu’on arrêta que les généraux seraient invités de se trouver à l’ordre du lendemain pour terminer cette affaire. A ma rentrée chez moi le même jour, j’apprends qu’un nombre d’hommes et de femmes armés arrivent de Paris, se portent du côté du château ; je rassemble ce que je peux de ma compagnie, et, selon l’ordre du commandant de ma division, je me rends au corps de garde des ci-devant gardes-françaises. J’y suis resté depuis 5 heures jusqu’à 8 heures en station, sans généraux, sans ordres, avec peu de munitions quoique j’en aie demandé au garde de L’artillerie, qui nous dit n’en plus avoir. Après être resté 3 heures la pluie sur le corps dans -cette position, M. 1e comte ü’Estaing paraît, nous dit que tout est tranquille, que l’on peut se retirer. Nos gardes lui disent qu’il convient que les gardes du corps en fassent autant; il en donne l’ordre; ils défilent vers la rampe; des coups de pistolet, tirés de quelques-uns de ceux de leur arrière-garde sur nos pelotons, attirent une riposte de quelques coups de fusil de notre part. Alors toute cette arrière-garde fait volte-face et lâche une décharge de mousqueterie, tant sur nous que sur quelques volontaires de la Bastille, qui étaient çà et là dans la place d’Armes et s’enfuient : nous avons encore riposté à cette décharge par quelques coups de fusil, ainsi que les volontaires de la Bastille. Les gardes du corps retirés, j’ai sorti notre esplanade, et j’ai vu un cheval tué et un autre blessé. Personne ne paraissant, m’ayant plus du tout de munitions, je me suis retiré et j’ai fait des patrouilles dans la ville jusqu’à minuit. Le lendemain 6, ayant entendu battre l’assemblée, je passe chez le général, le comte d’Es'aing, et lui demande des ordres. 11 me dit qu’il ne pouvait m’en donner; une personne lui dit que M. Le Gointre fait battre l’assemblée; il répond qu’on peut se réunir, et m’engage à passer avant, si je peux, chez le roi, s’informer de sa part de l’état du roi, et lui demander si Sa Majesté a des ordres à lui faire passer. Je pénètre chez le roi, que je trouve dans la consternation, ainsi que la reine, avec Madame leur fille. Ils parurent sensible à ce que je leur dis de la part de M. le comte d’Estaing, Le roi me dit qu’il n’avait rien cependant à lui mander. Je me retire : quoique je fusse en habit bourgeois, j’eus beaucoup de peine à sortir, plusieurs, et en grand nombre, m’arrêtant et me prenant pour un garée du corps; de sorte qu’en différents endroits des bourgeois ont été sommés de déclarer s’ils me connaissaient; autrement j’aurais couru le. plus grand danger. Aussitôt que j’ai été libre, j’ai rassemblé ma compagnie, et me suis transporté dans la place d'Armes, où partie de ma division était déjà rangée sur 3 lignes. Gomme il se faisait différentes décharges de mousqueterie, une balle est venue me frapper à la tête : j’ai été emporté chez moi blessé, où j’ai été un mois à guérir, ce qui m’a fait donner ma démission de capitaine Tei est l’exposé au vrai de tout ce que j’ai vp. et qui est parvenu à ma connaissance : en foi do quoi j’ai signé le présent, à Versailles, ce vingt-deux décembre mil sept cent quatre-vint-neuf. Il se trouve dans le contenu de la présente déclaration dix-huit mots rayés comme nuis. Approuvé le contenu de la présente déclaration, comme sincère et véritable. Signé : Mettereaü, ancien capitaine de la garde nationale de Versailles , et faisant les fonctions d’aide de camp auprès de M. le comte d’Estaing. N° X. Déclaration de la veuve Duvet. Le quatre janvier mil sept cent quatre-vingt-dix est comparue par-devant nous Anne-Marguerite Handel, veuve de François Ruvet, demeurant rue de la Ghanverrerie, n° 18; laquelle nous a déclaré qu’étant ailée q Versailles le 3 octobre précédent, pour ses affaires, comme elle sp rendait sur les cinq heures du soir chez M. Target, pour le consulter, elle rencontra dans l’avenue de Paris une 'troupe de femmes et d’hommes armés de piques , plusieurs d’entre ces femmes la provoquèrent, la soupçonnant d’ètré une aristocrate (c’était le mot dont elles se servirent) et l’entraînèrent à la salle de l’Assemblée nationale, où elle passa le nuit avec elles, jusqu’environ. cinq heures et demie, que ces femmes se déterminèrent à aller au château, et l'entraînèrent de nouveau avec elles dans les cours du château, où elle fut témoin des excès commis contre les gardes du corps, et entendit différentes femmes crier, lorsqu’on apprit que M. de La Fayette sauvait quelques gardes du corps et demandait leur grâce, que c’était un traître à la nation et qu’il fallait s’en défaire. Elle s’approcha plus particulièrement d’un groupe de femmes qui étaient près des arcades du côté de l’appartement de Mme Elisabeth, et où se trouvait ùn particulier avec l’uniforme national, taille de cinq pieds quatre pouces environ, visage ovale et blême, nez aquilin, grande bouche, sourcils épais, chevelure forte et noire, avec un chapeau rabattu sur les yeux, portant une croix de Malte. Ce particulier lui parut glisser de l’argent dans la main de ces t'emmes qui se pressaient toutes autour de lui ; elle l’entendit leur dire qu’il fallait respecter M. ie Dauphin et Monseigneur le duc d’0rléan3, mais qu’il fallait avoir la tête de la reine et de M. de La Fayette; que ce dernier était un traître, puisqu’il métait parti de Paris que malgré lui, très tard, et qu’étant au pont 388 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Louis XVI, il s’était écrié : Faut-il que je trahisse mon roi ! Qu’on avait été obligé de le faire marcher en tirant à côté de lui quelques fusils en l’air. Elle vit parmi ces femmes une qui avait beaucoup de barbe, une figure affreuse, et une espèce de faucille, et qui s’écria : c’est moi qui lui couperai la tête, à cette g.... La veuve Ruvet s’a�ançe vers ce particulier, et lui dit qu’il cherchait à tirer les marrons du feu avec la patte du chat; que cet assassinat était une chose affreuse; mais que si c’était une chose si glorieuse, et s’il y avait quelque récompense, ii n’avait qu’à le faire lui-même ; sur quoi ce particulier lui répondit qu’elle ne savait ce qu’elle disait. La veuve Ruvet lui répartit que ce n’était point à eux à se mêler de tous ces différends ; qu’ils étaient faits pour obéir, et non pour assassiner leur souverain ; qu’ils se feraient le plus grand mal, parce que certainement les troupes nationales ne souffriraient point cet assassinat, et qu’elles tireraient sur les assassins les canons qu’on avait amenés : sur cette réponse une de ces femmes s’écria qu’elle parlait comme une aristocrate, lui porta un coup violent sur la poitrine, qui lui a fait cracher longtemps le sang, et dont elle s’est ressentie pendant plus de trois mois. Ce coup n’a pas empêché la veuve Ruvet de les exhorter de nouveau à se tenir tranquilles ; mais ces femmes lui répondaient qu’on leur donnait de l’argent pour cela ; que c’était un officier de la garde nationale, et qu’elles voulaient avoir M. le duc d’Orléans sur le trône, et tuer M. de La Fayette. La veuve Ruvet leur disait toujours que ce serait amener les plus grands malheurs et la guerre civile, et qu’il valait mieux qu’elles gardassent l’argent et se tinssent tranquilles ; elle entendit encore deux de ces femmes dire, lorsque M. de La Fayette rentrait, après avoir sauvé les gardes du corps, qu’il faudrait prendre le moment où un particulier avec deux épaulettes, qui accompagnait M. de La Fayette, le quitterait, pour se défaire de lui. La veuve Ruvet entendit dire que ce particulier était un commandant de bataillon; elle J’a vu et reconnu depuis, à un corps de garde de la rue Quincampoix. La veuve Ruvet a de plus déclaré que le lundi 28 décembre dernier, elle a rencontré, sur les cinq heures du soir, aux Tuileries, où elle était allée pour tâcher de présenter un placet à Mme Elisabeth, ce même particulier, habillé d’un habit rayé, et avec sa croix de Malte, qui l’a abordée, l’a interrogée sur ce qu’elle faisait ; et apprenant d’elle que divers malheurs l’avaient réduite dans un état de détresse, il lui dit comme elle était douée de beaucoup d’intelligence, il pouvait lui être utile ; que cela dépendait d’elle. Il a ajouté qu’il était impossible que l’état de choses actuel durât ; que les représentants de la Commune à l’hôtel de ville n’agissaient que pour leur intérêt ; que quand ils auraient fait leur coup, ils s’en iraient; que l’ancien ordre de choses reviendrait ; que la noblesse et le clergé reprendraient le dessus; que la nation serait alors sacrifiée ; qu’il fallait prévenir cela, et que si la veuve Ruvet voulait se prêter à faire des commissions pour des personnes qui voulaient rétablir les choses, elle n’aurait qu’à venir tous les jours aux Tuileries avec une camisole à longues manches, sur lesquelles seraient des boutons qu’on lui donnerait, et qui serviraient à la faire reconnaître; que la veuve Ruvet lui déclara qu’elle était bonne citoyenne; qu’elle ne se prêterait à rien de ce qui serait contraire à l’intérêt de la nation ; que tout en prolongeant cette conversa-[l0r octobre 1790.] tion, ce particulier la conduisit jusque dans les Champs-Elysées, toujours l’exhortant à se prêter au rôle qu’on voulait lui faire jouer; que la veuve Ruvet témoignant quelque effroi d’être seule si tard et au milieu de la nuit, ce particulier chercha à la rassurer et lui dit qu’on lui donnerait une carte afin de lui procurer une entrée libre dans tous les appartements de la Cour, où elle aurait l’air d’aller présenter un mémoire. Ensuite il appela un autre particulier qui le suivait à quelques pas, et lui demanda quelle était la dame qui était de semaine chez la reine; ce particulier parla si bas qu’elle ne l’entendit pas. Comme ils étaient dans les Champs-Elysées, ce dernier s’approcha et demanda au particulier s’il avait bientôt fini, en lui ajoutant que c’était une marchandise dont il fallait se défaire. Celui-ci répondit en le priant de faire tenir son cabriolet au Cours-la-Reine, et continua à exhorter la veuve Ruvet à se charger de ces commissions, en lui promettant beaucoup d’argent. Voyant qu’il ne réussissait pas, il voulut employer un ton doucereux, et se porta même jusqu’à caresser le menton de la veuve Ruvet ; ce qui l’indigna tellement que d’un coup de pied elle l’étendit à terre, se jeta sur son épée, la tira, lui donna un coup, et se sauva précipitamment. Elle rencontra en fuyant l’autre particulier qu’elle avait déjà vu à côté du cabriolet, et lui dit que son camarade le demandait, le tout afin de l’empêcher de la poursuivre. Lecture à elle faite de la présente déclaration, a reconnu qu’elle était vraie, excepté que l’offre de la carte lui a été faite dans les Tuileries, et non dans les Champs-Elysées. Je certifie que les faits contenus dans la présente déclaration sont véritables, et j’offre de venir déposer en justice. Ce quatre janvier 1790. Veuve Ruvet. N° XI. Déclaration de M. Regnier. Le vingt-cinq septembre mil sept cent quatre-vingt-dix, est comparu devant moi, membre du comité de recherches de la municipalité de Paris, M. Marcel Regnier, un des électeurs réunis au 14 juillet 1789, lequel a déclaré qu’il a vu avec surprise dans le recueil de la procédure criminelle instruite au Châtelet de Pans sur la journée du 6 octobre, partie première, page 224, que M. de Mirabeau le jeune a déposé que l’homme qui tenait la buvette de l’Assemblée nationale, du côté de la rue des Chantiers, et qui vend actuellement des brochures sous le couloir qui conduit de la salle de l’Assemblée aux Tuileries, avait distribué des comestibles avec profusion à tous venants, et que deux personnes lui ayant demandé qui est-ce qui le payerait, il avait répondu : M. le duc d'Orléans m'a dit que je pouvais donner; que le déclarant était, lors de cet événement, dans la matinée du 10 octobre, à la tribune des suppléants ; qu’à côté de lui était un jeune homme, qui doit être le buvetier dont parle ledit sieur de Mirabeau le jeune dans sa déposition ; que ce jeune homme dit au déclarant et à d’autres personnes présentes, qu’il était extrêmement fatigué, ayant distribué toute la nuit du pain, du vin, des cervelats et autres comestibles au peuple, qui était dans la salle de l’Assemblée nationale; qu’il en avait reçu l’ordre de M. Mou- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1« octobre 1790.] 389 nier, président de l’Assemblée; ordre qu’il montra, tant au déclarant qu’à plusieurs autres des personnes qui étaient dans la tribune; que le déclarant croit se rappeler que ledit ordre était effectivement écrit en entier de la main de M. LVlounier; qu’ayant vu hier ledit buvetier, qui vend aujourd’hui des livres à l’entrée de l’Assemblée nationale, près les Tuileries, le déclarant lui demanda s’il se rappelait lui avoir montré cet ordre de M. Mounier ; qu’il lui a répondu qu’il devait l’avoir encore, attendu qu’il n’était pas encore payé; que lui ayant demandé son nom, afin de pouvoir le citer, il lui a dit s’appeler Brille, et querson mémoire de fourniture se monte à cent soixante-dix livres quelques sous. Ajoute le déclarant qu’il ne connaît point les personnes qui étaient avec lui dans la tribune des suppléants, lorsque le buvetier leur montra cet ordre de M. Mounier. Lecture faite de ladite déclaration, M. Regnier a déclaré y persister, et a signé avec moi ; seize mots et trois chiffres à la quatrième ligne rayés comme nuis. J.-Ph. Garran, Regnier. N° XII. Lettre de M. le procureur du roi du Châtelet à M. Chabroud , avec la liste des témoins à assigner. Monsieur, j’ai l’honneur de vous adresser les trois listes des témoins qui m’ont été indiqués sur la dénonciation des faits du 6 octobre 1789, et que vous avez pris la peine de me demander. Gomme ces listes sont celles qui m’ont été remises par M. le procureur-syndic de la part du comité des recherches de ia municipalité, je vous prie, lorsqu’elles ne vous seront plus utiles, d’avoir la complaisance de me les faire repasser, atin que je les fasse joindre au reste de la procédure. M. le rapporteur de l’affaire du sieur abbé de Douglas, étant, Monsieur, dans ce moment-ci à la campagne, j’ai fait reprendre toutes les pièces de la procédure dont j’aurai l’honneur de vous donner communication quand cela pourra vous convenir. Je voudrais savoir le moment qui vous sera le plus commode, afin de m’arranger de manière à me trouver chez moi. J’ai l’honneur d’être très respectueusement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, DE FLANDRE. Paris, ce premier septembre 1790. LISTE DES TÉMOINS A ASSIGNER. MM., le comte de Luxembourg, capitaine des gardes. le marquis d’Aguesseau, major des gardes, rue de Ventadour, n° 8. Sudan, valet de pied de la reine. Gondrau, capitaine de la compagnie centrale de Saint-Philippe-du-Roule, rue des Saussaies , n° 6. Théodore de Bery, valet de pied de la reine. Rodolphe de Bery, valet de pied de la reine. Biaise Etienne, feutier de la reine. Baudart, l’un des cent-suisses de la garde ordinaire du roi. le duc d’Ayen. * Regnier, ancien contrôleur à la cour des aides, rue Basse, porte Saint-Denis ou rue d’Orléans. MM. Durepaire, garde du roi, cul-de-sac des Petits-Pères, n° 6. Duval Dumets, garde du roi. Joseph Bernard et Joseph Yaldony, deux des cent suisses. de Champseru, docteur en médecine, rue du Hasard. le chevalier de Maubourg. le marquis de Maubourg, député, donnera sa de meure. Chaussard, capitaine d’infanterie, aide de camp de M. le duc d’Ayen, à l’hôtel do Noailles, rue Saint-Honoré. Le Cointre, négociant, et lieutenant-colonel de la garde nationale, à Versailles. le comte d’Estaing, ci-devant commandant de ladite garde. Jouanne, négociant et capitaine de ladite garde. Esnard, jeune, caporal clans la compagnie do Jouanne. Simon, graveur de la maison d’Orléans, au Palais-Royal. Jean Bernard et Jean Valdony, des cent-suisscs. Mmo* de la Varenne, portière du petit hôtel d’Aligre, rue Saint-Honoré. la marquise de Tourzel, gouvernante des enfants de France. Adélaïde et Victoire, tantes du roi. la duchesse de Narbonne, dame d’honneur de Madame Adélaïde. la comtesse de Chastellux, dame d’honneur de Madame Victoire. MM. Bergasse, Mounier et Lally-Tolendal. de La Fayette, commandant général. George Mandier, caporal de Flandres, compagnie de Ghampagny. Julien, avocat au parlement, et aide de camp de M. de La Fayette. Denise, sergent-major de la garde nationale de Versailles, compagnie de Simon. Amelin, commandant de bataillon de la garde nationale de Paris. de Vareilles, ancien contrôleur de la régie, et sergent-major de la compagnie de Jouanne, à Versailles. Grincourt, lieutenant dans la même compagnie. Mutel, conseiller au Châtelet. Roussilhe de Champseru, médecin. le duc d’Ayen . le baron de Totl, en Suisse. le comte de Luxembourg. Henry, député à l’Assemblée nationale, avocat du roi à Orléans. Mm0 Thibault, femme de chambre de la reine. MIIe Larrivée, du district des Filles-Saint-Thomas, rue Grêtry, n° 1. MM. Gondrau, capitaine de la compagnie du Centre district Saint-Eustache. Borey, valet de pied, et Etienne, feutier de la reine. Sudan, valet de pied de la reine; ils sont deux frères au même service. Mm° Elisabeth, sœur du roi. MM. Rousseau, fondeur, rue de la Verrerie. Caze, maître des requêtes. Monsieur et Madame. Les valets et les femmes de chambre. MM. Durups de Baleine, capitaine au bataillon de Condé, et secrétaire au département de la guerre. Bluteau, capitaine de la garde nationale de Versailles. le chevalier de Maubourg. Mattereau, ancien capitaine de la garde nationale de Versailles, et faisant fonctions d’aide de camp auprès de M. le comte d’Estaing. l’abbé Dupré et l’abbé Pommier, habitués à Saint-Roch. Carra, de la bibliothèque du roi. Diot, député d’Artois à l’Assemblée nationale. Mme Augué, femme de chambre de la reine. MM. Gibiard, fondeur, rue de Lappe, faubourg Saint-Antoine. le comte de Chastellux , écuyer de Madame Victoire# 390 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1er octobre 1790.] le vicomte de Narbonne, écuyer de Madame Adélaïde. Mm0‘ les femmes de chambre de ces deux princesses, de service au mois d’ociobre dernier. la marquise de Combarel. la veuve Ruvet, demeurant rue de la Chanverrerie, n° 18. MM. Joyminy, entrepreneur de bâtiments, et capitaine de la garde nationale de Versailles. Mmes Gailliard, rue Froid-Manteau, n° 40. Richard, rue Jean-Tison, maison de madame Pi-chault, fruitière. N° Xliï. Du 7 octobre 1789. Brouillon de lettre de il/, le comte d'Estaing à la reine. Il m’est impossible de ne pas mettre aux pieds de la reine le véridique hommage de mon admiration. La fermeté inébranlable avec laquelle Sa Majesté s'est refusée à la proposition de se séparer du roi, est décisive; la reine triomphera de tout; elle aidera à sauver la monarchie, et nous lui devrons le repos ; mais il faut qu’elle croie uniquement ses vrais serviteurs. L’ondulation des idées a plus d'une fois pensé tout perdre. Le roi a toujours voulu le bien; c’est en sacrifiant tout au désir de le faire qu’il est arrivé, comme il le disaitlui-même avant-hier, au point où nous en sommes. Plusieurs de ses anciens ministres, si calomniés, si dévoués à la haine, ne l’ont peut-être méritée que par l’instabilité des principes, et des démarches (puisse ce mot m’être pardonné 1) qu’ils n’ont peut-être pu empêcher. Ce malheureux dîner, la santé à la nation omise de dessein prémédité, la visite qui aurait pu tout réparer si cette santé avait été portée par des bouches augustes, et qui a caractérisé le mal, parce que tout a été interprété à contre-sens ; le dîner aussi impromptu et aussi nuisible du lendemain ; de si faibles erreurs, si peu importantes dans tout autre temps, ont persuadé ce qui n’était pas, et le malheur que j’avais prévu est arrivé. Si le roi n’avait pas été à la chasse, et que j’eusse pu lui parler lorsque l’on m’a dit formellement qu’on ne voulait pas boire à la nation ; si au moins à son retour la visite ne m’avait pas été cachée, d’innocentes victimes... ce tableau est affreux, mais je dois encore en rappeler une partie. Le hasard, car il est plus consolant d’y croire qu’aux complots, a fait ensuite partir avant-hier deux coups de pistolet; ils ne sont pas des gardes du corps; ils étaient tirés de trop bas pour venir de gens à cheval ; la fureur que les imputations avaient préparée s’est enflammée. Je me suis vainement placé devant les fusils; j’ai détourné ou relevé les coups; j’ai inutilement crié que j’aimais mieux qu’on tirât sur moi. La plupart de ces frénétiques, en me respectant, en m’assurant qu’ils préféreraient de se tuer eux-mêmes à me faire du mal, m’ont désobéi, et m’ont fait courir tout le risque d’un combat. Cinq furieux qui me menaçaient de me tuer si je ne faisais pas délivrer des cartouches, se sont laissé entraîner par moi, sans s’en apercevoir, dans l’intérieur des cours ; et là, au milieu de tous les gardes à cheval, et devant M. d’Aguesseau, ils ont continué leurs imprécations. Un mot d’un de nous, et ils étaient exterminés; ils le voyaient alors, et ils ne se taisaient pas. Tels furent dans tous les temps les martyrs de l’enthousiasme; il est indispensable que les rois s’en rappellent souvent la force. Il en faut un autre enthousiasme; et qui plus que la reine a le pouvoir de le faire naître? La voilà dans ce Paris, qui le reçoit si vite et qui le communique de même. La roum a été terrible ; elle doit être oubliée; ce grand théâtre est digne de Votre Majesté : il peut résulter de grands biens du malheur passé : l’Assemblée nationale peut enfin en recevoir le mouvement; sa mortelle inertie ne sera plus possible ici; bientôt la reine, avec quelques soins, sera adorée ; elle fera mouvoir Paris. Qu’elle se croie encore madame la dauphine; qu’elle daigne oublier les torts qu’on a eus, et ils n’en auront plus. Votre Majesté m’a aperçu hier au milieu d’eux tous ; je l’atteste, la foule criait; Vive la reine! qu’elle est belle, disaient-ils! comme elle caresse ses enfants! qu’ils sont charmants? n’a-t-elle point peur? empêchez donc qu’on ne tire; et puis c’était: Vive la nation, vive le roi ! Ah ! Madame, soyez notre première citoyenne; pensez-le, dites-le, prouvez-le; et vous seriez tout si vos principes vous permettaient de le vouloir. Je l’ai écrit, je l’ai répété, et cela n’est actuellement que trop démontré ; nous en avons une triste preuve de plus : la seule noblesse ensemble était les gardes du corps; et hier le peuple, depuis les faubourgs, n’a fait que crier à bas la calotte. Le clergé et la noblesse n’ont que le roi pour les sauver ; ils achèvent de se perdre sans le vouloir; leurs impuissantes-et tardives tentatives entraîneront la couronne avec eux . M. de La Fayette m’a juré en route, et je le crois, que les atrocités avaient fait de lui un royaliste : tout Français le doit être jusqu’à un certain point; il n’a pas à choisir; nous nous sommes donné la main : je lui ai offert de le seconder dans le peu que je puis; et quelque contraire que cela soit à mes goûts et à mon âge, s’il le veut, et qu’il le trouve nécessaire, je lui tiendrai parole; c’est à mon devoir que je l’ai donnée. La dernière chose que j’ai dite au roi et qui acquerrait quelque valeur si la reine la rappelait, c’est qu’il fallait avoir confiance dans M. de La Fayette, et l’en persuader. Je n’ai parlé qu’une fois d’affaire à M. Mercy : cette seule fois m’a suffi pour me convaincre qu’il pense comme moi; il dirait, je crois de même, s’il avait vu les mêmes choses. N° XIV. Brouillon de lettre de il/, le comte d'Estaing à la reine. Mon devoir et ma fidélité l’exigent... il faut que je mette aux pieds de la reine le compte du voyage que j’ai fait à Paris. On me loue de bien dormir la veille d’un assaut ou d’un combat naval. J’ose assurer que je ne suis pas timide en affaires. Elevé auprès de monseigneur le dauphin qui me distinguait, accoutumé à dire la vérité à Versailles dès mon enfance, soldat et marin, instruit des formes, je les respecte sans qu’elles puissent altérer ma franchise ni ma fermeté... Eh bien! il faut que je l’avoue à Votre Majesté, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. On m’a dit dans la société, dans labonne compagnie, et que serait-ce, juste ciel, si cela se répandait dans le peuple? on m’a répété que l’on prend des signatures dans le clergé et dans la noblesse. Les uns prétendent que c’est d’accord avec le roi, d’autres croient 39i [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1« octobre 1790.] que c’est à son insu. On assure qu’il y a un plan de formé; que c’est par la Champagne ou par Verdun que Je roi se retirera ou sera enlevé; qu’il ira à Metz. M. de Bouille est nommé, et par qui? par M. de La Fayette, qui me l’a dit tout bas à table chez M. Jauge. J’ai frémi qu’un seul domestique ne l’entendit. Je lui ai observé qu’un mot de sa bouche pouvait devenir un signal de mort. Il est froidement positif M. de La Fayette... Il m’a répondu qu’à Metz comme ailleurs, les patriotes étaient les maîtres, et qu’il valait mieux qu’un seul mourût pour le salut de tous. M. le baron de Breteuil, qui tarde à s’éloigner, conduit le projet. On accapare l’argent, et l’on promet de fournir ùn million et demi par mois. M. le comte de Mercy est malheureusement cité comme agissant de concert. Voilà les propos : s’ils se répandaient dans Je peuple, leurs effets sont incalculables. Cela se dit encore tout bas. Les bons esprits m'ont paru épouvantés des suites : le seul doute de la réalité peut en produire de terribles (1). J’ai été chez M. l’ambassadeur d’Espagne, et c’est là, je ne le cache point à la reine, où mon effroi a redoublé. M. de Fernand-Nunez a causé avec moi de ces faux bruits* de l’horreur qu’il y avait à supposer un plan impossible, qui entraînerait la plus désastreuse et la plus humiliante des guerres civiles, qui occasionnerait la séparation ou la perte totale de la monarchie, devenue la proie de la rage intérieure de l’ambition étrangère, qui ferait le malheur irréparable des personnes les plus chères à la France. Après avoir parlé delà cour errante, poursuivie, trompée par ceux qui ne l’ont pas soutenue lorsqu’ils le pouvaient, et qui voudraient (2) encore, qui veulent actuellement l’entraîner dans leur chute par là, et m’être affligé d’une banqueroute générale, devenue dès lors i ndispensable et de toutes épouvantable (3), je me suis écrié que du moins il n’y aurait d’autre mal que celui que produirait cette fausse nouvelle, si elle se répandait, parce qu’elle était une idée sans aucun fondement. M. l’ambassadeur d’Espagne a baissé les yeux à cette dernière phrase. Je suis devenu pressant, et il est enlin convenu que quelqu’un de considérable et de croyable lui avait appris qu’on lui avait proposé de signer une association. Il n’a jamais voulu me la nommer; mais soit par inattention, soit pour le bien de la chose, il n’a point heureusement exigé une parole qu’il m’aurait fallu tenir. Je n’ai pas promis de ne dire à personne ce fait : il m’inspire une grande terreur que je n’ai jamais connue : ce n’est pas pour moi que je l’éprouve. Je supplie la reine de calculer dans sa sagesse tout ce qui pourrait arriver d'une fausse démarche : la première coûte assez cher. J’ai vu le bon cœur de Sa Majesté donner des larmes au sort des victimes immolées ; actuellement ce serait des flots d’un sane versé inutilement qu’on avait à regretter. Une simple indécision peut être sans remède; ce n’est qu’en allant au devant du torrent, ce n’est qu’en le caressant, qu’on peut parvenir à le diriger en partie. Rien n’est perdu : la reine peut reconquérir au roi son (1) Il paraît dans l’original qu’il ÿ a un trait de plunae passé sur ce qui est soussigné ici. (2) Il y a en marge de l’original ces autres mots : « Qui voudraient actuellement l’entraîner par (dans) « leur chute, et qui s’ôteraient à eux-mêmes, dans leur « aveuglement ou par leur fureur, toutes les grandes « espérances qui leur restent ; après m’être affligé d’une cc banqueroute générale devenue dès lors...,. » (3) Il y a ici quelque chose d’omis, mais on doit se rappeler que ce n’est qü’un brouillon de lettre. royaume; la nature lui en a prodigué les moyens : ils sont s mis possibles : elle peut imiter son auguste mère; sinon je me tais. Le trouble d’hier au soir n’était rien. Il me paraît que le boulanger nommé Augustin, demeurant rueSainte-Famille a voulu vendre un pain quatre fois plus cher. Il a vu le réverbère descendu, la corde prête; ses pauvres meubles ont été brûlés : il sera jugé; et ceux qui allaient faire justice eux-mêmes le seront aussi. Je supplie la reine de m’accorder une audience pour un des jours de cette semaine. N° XV. Du 3 octobre 1789. Lettre de M. Hyver à M. le comte d'Estaing. Général, je suis trop attaché au roi, je le suis trop à votre personne, pour vous taire ce qui vient de m’être dit à l’Assemblée nationale par des députés. Je suivrai la conversation. D. Etiez-vous du dîner de jeudi? R. Non. D. Ç’aété une belle orgie. On y a porté la santé du G. d’Ar. On a envoyé au f... l’Ass. nat. R. Vous avez été trompés. Je jurerais sur ma tête qu’il n’y a pas un mot de cela. D. G’est très vrai. Et de plus, on nous a assuré que trente grenadiers étaient disposés à venir le sabre à la main dans la salle nous forcer à boire à la santé du G. d’A. R. Ce propos prouve le fâux du premier : si vous voulez y réfléchir, vous le sentirez mieux que moi. D. Tout est possible. D’ailleurs, ôn peut faire venir le G. d’Es. rendre compte de sa conduite. R. Je la réponds pure, et je suis certain que ses réponses seraient aussi simples que son honneur est intact. D. Il se trame encore quelque chose. R. MM. Que peut-on faire? Vous régissez tout. Les représentants delà nation peuvent-ils craindre, au milieu de 5 m, de patriotes? MM. les ipoucheS vous paraissent de aigles; les grands intérêts qui remplissent vos têtes, grossissent tous les objets à vos yeux. J’ai quitté. Il est vrai que le propos a été tenu sur la terrasse par un homme ivre ; mais de cette manière V.; le R. et la R. AU F. l’Ass. nat. et le duc d’O. Permettez-moi actuellement, général, une réflexion. La réponse de la reine dit qu’elle est enchantée de la journée de jeudi. Le jeudi déplaît généralement. Cette citation déplaira; ce jour était celui des gardes du corps et non le nôtre. Notre jour de fête était mercredi. Son don était mercredi; sa réponse ne peut être relative qu’à mercredi. S’il y est cité un jour où nous n’étions qu’une portion invitée nominativement, et non en corps, il y aura des interprétations, réflexions qui feront tort à l’intention. Qe tnoment mè semble fait pour éviter de donner prise; les choses les plus' simples étant interprétées suivant l’esprit dominant. Je croirais prudent de ne pas donner de publicité à la réponse de Sa Majesté. Votre sagesse, général, appréciera mes réflexions. Permettez-moi d’en ajouter une autre: tâchez de faire cesser les buvettes: si elles continuent, nous perdrons le Rég. do Flandre, et peut-être nous demandera-t-on de renvoyer les gardes du corps. Mes notions ne sont pas fausses. 392 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1" octobre 1790.] Je suis avec un profond respect, mon général, votre très humble et très obéissant serviteur, Hyver. N° XYI. Lettre de M. La Fayette à M. le président de l'Assemblée nationale. Monsieur le Président, j’apprends que dans le rapport fait hier à l’Assemblée, il est question d’une lettre de moi, ainsi que de l’usage irrégulier et mystérieux qu’on en lit. Le billet que voici fut écrit de l'Hôtel de ville, non à M. d’Estaing, mais à M. de Saint-Priest, ministre du département. Je suis avec respect, Monsieur le Président, votre très humble et obéissant serviteur, La Fayette. Paris, ce jeudi. Copie du billet écrit par M. de La Fayette au ministre. Leduc de LaRochefaucauld vous aura dit l’idée qu’on avait mis dans la tête des grenadiers, d’aller cette nuit à Versailles; je vous ai mandé de n’être pas inquiet, parce que je comptais sur leur confiance en moi pour détruire ce projet ; et je leur dois la justice de dire qu’ils avaient compté me demander la permission, et que plusieurs croyaient faire une démarche très simple, et qui serait ordonnée par moi : cette velléité est entièrement détruite par les quatre mots que je leur ai dits, et il ne m’en est resté que l’idée des ressources inépuisables des cabaleurs. Vous ne devez regarder cette circonstance que comme une nouvelle indication de mauvais desseins, mais non en aucune manière comme un danger réel. Envoyez ma lettre à M. de Montmorin. On avait fait courir la lettre dans toutes les compagnies des grenadiers, et le rendez-vous était pour 3 heures à la place Louis XV. N° XVII. Lettre de M . La Reynie à M. le président du comité des recherches. Monsieur le Président, je ne prétends pas prononcer sur les intentions des juges du Châtelet dans l’instruction de la procédure criminelle dont on a commencé hier le rapport à l’Assemblée nationale : mais on pourrait, je pense, leur demander pourquoi ils ont préféré les dépositions d’une infinité de personnes absentes de Versailles, à celles d’une infinité d’autres personnes qui auraient pu jeter un grand jour sur cette affaire. Pourquoi, par exemple, le sieur Hulin, qui marchait à la tête des volontaires de la Bastille le 5 octobre, et qui arriva cinq heures avant l’armée parisienne, n’a-t-il pas été entendu? pourquoi vingt autres de ses camarades ne Font-ils pas été? pourquoi ne l’ai-je pas été moi-même? par la même raison que M. Le Cointre et M ..... ne le furent pas. Cependant je dois à la vérité de dire qu’un émissaire du Châtelet, que je nommerai, vint au mois de février me tâter pour savoir à peu près ce que j’avais à dire, en m’avertissant que j’allais être assigné. Apparemment que, de même que MM. Le Cointre et Hulin, je savais trop de choses, et que je ne savais pas ce quon voulait que je susse. Je déclare que j’ai presque tout vu dans ces deux fameuses journées; que j’ai tout médité, et que j’indiquerai vingt autres personnes qui n’ont pas plus démérité que moi dans leur poste de citoyen dans ces moments tumultueux, qui auraient dû être consultées. On a fait déposer tant de gens qui ont entendu par d'autres à qui on avait dit avoir appris , etc., qu’il me semble à propos de faire enfin déposer ceux qui ont vu de leurs propres yeux et entendu de leurs propres oreilles. Je demande donc au nom de tous les amis de la Constitution, et j’y suis autorisé, que si l’on donne quelque suite à cette étonnante procédure, l’Assemblée nationale ordonne que les bons citoyens, les véritables témoins de cette affaire, soient entendus avant de prendre aucun parti. Je suis avec un profond respect, Monsieur le Président, votre très humble serviteur. J. -B. Louis La Reynie, ci-devant aide-major de la garde nationale parisienne , et l’un des vainqueurs de la Bastille. N° XVIÏI. Extrait du registre de police du comité du Gros-Caillou adresséau rapporteur , le 1er octobreil%. Cejourd’hui premier octobre mil sept cent quatre-vingt-dix, le comité assemblé, il a été fait lecture du rapport de M. Chabroud à l’Assemblée nationale, rapporté par le postillon par Calais ; il y est dit, page 7 ; « Vers six heures du matin du « six octobre, le sieur Lasserre monte avec la foule « le grand escalier: « Allons, disait le peuple, nous « avons notre père à la tête. — Quel est votre père, « lui dit le sieur Lasserre? — Est-ce que vous ne « le voyez point? il est là? » Alors le sieur Lasserre « se lève sur ses pieds, aperçoit M. d’Orléans, « sur le second palier, indiquant la salle des « gardes du corps du roi. D’autres témoins s’ac-« cordent sur ce fait et sur d’autres antérieurs et « postérieurs. » Le sieur Bisseau, ici présent à la lecture de ce paragraphe, a dit que le six octobre étant avec soixante hommes qu’il commandait, à la hauteur de l’église d’Auteuil, près le Point-du-Jour, sur la route de Versailles, à sept heures et demie du matin, il a vu M. d’Orléans étant dans un carrosse attelé à quatre chevaux, venant de Paris, et allant à Versailles; que sa troupe a porté les armes, et qu’il les a salués. Il ajoute que lui avec ses soixante hommes, allant aussi à Versailles, ont rencontré, dans l’avenue du Point-du-Jour au pont de Sèvres, sept ou huit hommes portant deux têtes sur des piques, et il juge que M. d’Orléans peut les avoir rencontrés à Sèvres. — Signé à l'original : BlSSEAU. Et tout de suite les sieurs Pognot, Brossard, Larcher et Perisé ont été mandés. II leur a été fait lecture de la déposition du sieur Bisseau; ils ont déclaré être du nombre des soixante citoyens armés, qui ont été à Versailles avec ledit sieur Bisseau; que sa déclaration ci-dessus contient vé- Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1790.] 393 rité dans toutes ses parties ; qu’ils y donnent leur adhésion; et ont signé à l’original, Larcher, Brossard, Pognot, Perisé. Collationné conforme à l’original : GlRAUD, secrétaire greffier. Nota. Les déposants offrent un plus grand nombre de témoîns. M. le Président fait lecture d’une lettre de M. de La Fayette, concernant le rapport de M. Cha-hroud. On demande que cette léttre soit imprimée à la suite du rapport. Cette motion est adoptée. (Voyez cette lettre insérée dans les pièces justificatives ci-dessus, sous le n° XVI). M. de Bonnay. Messieurs, la calomnie qui s’attaque à la vertu n’obtient jamais que des succès bornés, que des triomphes passagers. En vain les scélérats, qui avaient tant d’intérêt à tromper le peuple et à l’égarer, qui avaient tant d’intérêt surtout à se frayer un chemin facile jusque dans l’asile sacré denos rois, ont entrepris de diffamer les gardes du corps : la voix publique les a bientôt vengés. — Dans cette prétendue orgie devenue le prétexte malheureux de tantde crimes, tout homme sage n’a vu qu’un repas fraternel, consacré par l’usage entre les corps militaires, et dont l’intention était innocente et pure. Pour la première fois, dans cette tribune, et dans un rapport qui, je l’avoue, m’a paru un modèle de plaidoyer pour tous les grands criminels, on a osé avancer que, dans les affreuses journées des 5 et 6 octobre, les gardes du corps avaient été les agresseurs. On a osé plus, on a eu l’étrange courage, dirai-je de s’étonner ? dirai-je de s’applaudir? de ce que deux têtes seulement ont été coupées. On a tenté de rejeter sur les prétendues violences de ces guerriers, que j’appellerai vraiment stoïques, et qui se sont laissé égorger sans résistance, de rejeter, dis-je, sur eux, les atrocités qui, dans la matinée du 6 octobre, ont souillé le palais de nos rois, et entaché à jamais notre histoire. Vains efforts ! méchanceté inutile ! Vous tous vous avez été témoins des faits. Vous tous, vous avez lu les pièces du procès, les seules dispositions légales et juridiques. La vérité est au grand jour. La France et l’Europe entière savent que les gardes du corps, toujours fidèles à l’honneur, toujours fidèles à la nation, à la loi et au roi, les gardes du corps qui ont tant de fois combattu pour la patrie, et qui l’ont quelquefois sauvée, n’ont jamais été si grands que lorsque, par excès d’amour et d’obéissance pour le roi, ils ont laissé enchaîner leur courage ; héroïsme sublime qui n’eut jamais de modèle ni d’égal! Oui, Messieurs, jamaisils n’ont été plus dignes d’hommages et de respects que le jour où, frémissant de rage et de désespoir, ils se sont laissé massacrer sur les marches du trône que le roi leur avait interdit de défendre. Ils sont tombés, victimes innocentes, sous le fer des assassins : et l’on ose encore outrager leurs cendres I Mais, Messieurs, en se sacrifiant, ils ont sauvé la reine, ils ont sauvé le roi, peut-être, et ils sont morts contents. Pour moi, Messieurs, membre de ce corps respectable, auquel j’ai toujours fait gloire d’appartenir, et qui ne m’a jamais été plus cher que depuis qu’il est malheureux, de ce corps dont l’honneur et la loyauté furent toujours les seuls guides, je craindrais d’être désavoué par lui, si je m’abaissais à le justifier, si je m’abaissais à repousser des calomnies grossières, et qui partent de trop bas pour l’atteindre. En réponse au récit d’un sieur Le Cointre, en réponse à la déclaration illégale de cet homme, trop connu pour que son témoignage dût être compté, en réponse aux allégations de M. le rapporteur, qui n’a pas craint de s’appuyer d’un tel témoignage, j’opposerai seulement quatre cents ans de courage, de victoires et de vertus, et malgré leurs lâches détracteurs les gardes du corps du roi, mes braves frères d’armes, seront toujours ce qu'ils ont été ; ils seront toujours, tels que Bayard : sans 'peur et sans reproche. (La partie droite applaudit.) (On demande l’impression du rapport fait par M. Ghabroud.) M. de Mirabeau. Le rapport est déjà imprimé; il ne peut être trop tôt distribué. Il est temps que cette question qui couvre de blâme quelques membres de l’Assemblée soit profondément discutée. Je demande qu’il me soit permis d’inviter M. de Bonnay à plaider contre les grands criminels, et je proteste de ne point prendre ma revanche sur le repas fraternel dont il vous a fait l’apologie. M. de Bonnay. Je déclare que mon dessein n’a pas été de discuter la procédure; je reconnais mon insuffisance à cet égard. J’ai dû monter à la tribune, pour justifier un corps dont je suis; quant à l’expression dont je me suis servi de modèle de plaidoyer pour le grand criminel, et que je ne rétracte point, je déclare que je n’ai voulu retracer que la eritique sévère à laquelle le rapport de M. Ghabroud m’a paru et me paraît encore donner lieu. (La discussion est continuée au lendemain.) (La séance est levée à quatre heures.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. BUREAUX DE PUSY. Séance du samedi 2 octobre 1790, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Bureaux de Pusy, ex-président, occupe le fauteuil à raison d’une indisposition de M. le Président. M. l’abbé Bourdon, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance du jeudi soir, 30 septembre. M. Wieillard (de Saint-Lô), secrétaire , donne lecture du procès-verbal delà séance d’hier, vendredi, 1er octobre. La rédaction de ces deux procès-verbaux est adoptée. M. de Marsanne. Si les auteurs des attentats horribles du 6 octobre échappent à la vengeance des lois, comme nous le présage le rapport de M. Ghabroud, à quoi bon conserver plus longtemps des comités inutiles, tels que les comités (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.