104 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {9 mars 1790.] Les voix prises sur celte demande, il est décrété que la députation de la commune de Paris sera reçue à la barre demain à deux heures. M. le Président lève la séance à onze heures du soir, après avoir indiqué celle de demain pour neuf heures et demie dumatin. Annexe à la séance de l'Assemblée nationale du 9 mars 1790. Proposition sur les poids et mesures (1) faite à l'Assemblée nationale , par M. de Talleyrand-Périgord, évêque d’Autun (2). Messieurs, l’innombrable variété de nos poids et de nos mesures et leurs dénominations bizarres jettent nécessairement de la confusion dans les idées, de l’embarras dans le commerce. Mais ce qui particulièrement doit être une source d’erreurs et d’infidélités, c’est moins encore cette diversité, en elle-même, que la différence des choses sous l’uniformité des noms. Une telle bigarrure, qui est un piège de tous les instants pour la bonne foi, est bien plus commune qu’on ne le pense, puisque, même sous les noms auxquels l’usage semble avoir le plus attaché l’idée d’une mesure fixe, tels que pied, aune, etc., il existe une foule de différences très réelles (3). Rien ne saurait justifier un semblable abus. Il était réservé à l’Assemblée nationale de l’anéantir. (1) Cette proposition n’a pas été insérée au Moniteur. (2) Os réflexions ne m'ont point semblé de nature à être lues à l’Assemblée nationale. J’ai préféré les faire imprimer et les distribuer à tous ses membres. ( Note de M. de Talleyrand.) (3) Tableau des principales différences des poids et mesures usités en France. LONGUEUR DE QUELQUES PIEDS DE FRANCE. Besançon, le pied est de ............ Dijon ........ . ..................... Dôle ............................ ... Grenoble .......................... . Lorraine ............................ Lyon..... ......................... Mâcon .............................. Paris ............................... Rouen ............................. Sedan ............................ .. ...... fBSÎîÏÏ&ü: Vienne en Dauphiné ................ 137.10 139.20 150.30 151.20 127 151.50 148.20 144 120 123 128.27 130.90 143 MESURES POUR LES AUNAGES. Aunes . Abbeville, l’aune est de ........... 524 Arras ........................... 309.40 Bayonne.., ....................... 391.80 Bordeaux ......................... 528 Bretagne ......................... 597.20 Caen ............................. 524 Cambrai ................... . ...... 317.60 Dunkerque .................... .... 299.80 / Lille ...... ........................ 305.60 Lyon ............................. 320.50 l Pour les soieries ......... 527.50 Paris ..< Pour les lainages ........ 526.40 1 Pour les toileries ........ 524 Morlaix ........................... 597.20 Nantes ............................ 526 R mi An ( Pour ,es lainages ........ 516 ■'{ Pour les toileries ..... . .. 519.20 Saint-Malo. ...................... 597.20 Ce tableau n'est qu'un extrait fort abrégé des principales différences entre les poids et mesures du royaume indiquées dans l’Encyclopédie par ordre de matières, dans Giraudeau, Paucton, etc. Je ne retracerai point ce que nous apprend l’histoire concernant ce point ae l’économie politique. il faut dire pourtant que les Romains en avaient senti tous les avantages. Ce peuple (et le fait est remarquable dans la discussion actuelle), en laissant subsister parmi cette foule de nations conquises, toutes les différences de lois, de langues, de mœurs et d’usages, ne fit qu’une exception : ce fut en faveur de l’uniformité des poids et mesures qu’il exigea et qu’il obtint partout. I Toulon .......................... 859.60 Montpellier ........ . . ............. 891.60 Provence ........................ 888.90 Toulouse ........................ 807 Troyes. ........................... 351.10 MESURES RONDES POUR LES CHOSES SÈCHES. Anées . Bichets Boisseaux.. Carte.. Charge. Emine . Mine... Muid . . Razière Sac Lyon, pouces cubes ............... Mâcon ......... ... ................. Cbàlons-sur-Sadne ................ Verdun ........................... Amboise ......................... Aurai .............. . .............. Blois ............................ Bordeaux ......................... Bourbon-Lancy .................... La Charité ........................ Charolles ...... : .................. Châteauneuf-sous-Loire ............ Cosnc ............................ Dieppe ........................... Havre-de-Grâce ................ ... Honfleur .......................... Montreuil ........................ Morlaix ........................... Nevers ................ . ........... Paris ............................. Périgueux ......................... Roanne ................... . ....... La Rochelle ... ........ .. ......... Rouen ............................ Tours.... ............. . ........... Villeneuve-d'Agenais. . . ............ Briare ........... . ............. ... Cahors ................. ... ........ Gien ............... ...... ........ Nancy .............. . ............. Sully ............................. Marseille ......................... Tarascon ......................... Toulon ........................... Auxonne ................ . ......... Montpellier ...................... Toulon ................... . ....... Beaugency ........................ Gergeau ......................... Rouen ............................ Orléans ........................... Paris .................. . .......... Rouen ............................ Aire ....... . ...................... Bergue-Saint-Vinox ........... . . . . < mesure d’eau ......... Dunkerque. j mesure de terre..;... Gravelines ........................ Lille ............................. Saint-Omer.. ................... .. Agen ............................. Aiguillon .................. ...... Bayonne ....... . ............... ... Beaumont.... ..................... Castel-Sarrasin... ........ . ........ Condom .................... . ..... Fronsac ........................... Gimous ........................... Grisolles ......................... Libourne ........ . ................. Mas-d’Agenais ..................... Moissac ........................... Montauban ........................ Nérac .................... . ....... La Réolle ......................... Tallemont ....................... Tournou ................. . ........ 9.670 12.893 9.283 9.670 552 1.934 387 3.868 573 967 1.221 1.105 314 5 157 1.743 1.976 430 2.670 967 644 2/3 1.547 967 1.658 128 342 4.100 703 1.469 806 2.415 806 7.968 2.882 23.206 20.629 1.289 5.157 2.443 2.210 4.510- 19.340 92.831 108.237 5.074 7.140 8.166 7.258 6.681 3.584 6.532 4.409 3.585 4.140 3.868 5.183 3.585 5.157 7.349 4.951 4.199 4.023 4.899 4.835 4.409 4.898 4.642 3.713 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 mars 1790.] 105 Charlemagne aperçut ce fruit de la sagesse romaine; il le recueil lit avec soin et en fit jouir ses sujets. Mais bientôt ses successeurs abandonnèrent à l’anarchie féodale tous les établissements Septier. Tonneau MESURES POUR LES LIQUIDES. (Bordeaux, pouces cubes ........... 12 000 Cognac ................ ; .......... 8.786 Isle-de-lthé ....................... 10.950 La Rochelle ............. . ........ 8.786 Rouen ............................ 9.855 Pour le vin ............. 1.277 Pour l’huile ......... .... 1.880 Blois... ............ ............. 5.107 Champagne.. ...... . .............. 4.540 Mâcon ............................ 5.107 Montpellier ....................... 470 Nuits ............................. 5.107 Blois ............................. 20,428 Bourgogne ............ . .......... 20.736 Champagne ....................... 18.161 Dijon... ......................... 20.428 Barai ....... Montpeî-' ....... lier... Quartaut . . . Queue. . gui avaient signalé son règne chacun de ses innombrables vassaux qui déchiraient la France, eut, dans sa petite souveraineté, son poids et sa mesure, comme ses lois et sa monnaie particulière. Sous la troisième race, Philippe le Long et après lui Louis XI essayèrent de rétablir l’uniformité de ce régime primitif; mais leurs efforts échouèrent contre les obstacles qui appartenaient à ces règnes de confusion. Cette idée parut longtemps perdue : elle dut reparaître dans un siècle de lumières, Sous le règne de Louis XIV, trois académiciens célèbres, MM. Amontons, Picard et Huyghens, la reproduisirent. Louis XV allait la réaliser, lorsque les préparatifs d’une guerre tournèrent ailleurs ses regards. Enfin, l’importance de cette réforme s’offrit au génie actif de M. Turgot,il était digne de l’apprécier, et il allait y attacher son nom quand il quitta le ministère. Vous ferez aujourd’hui ce que ce grand homme regretta de n’avoir pu faire. La nation vous aura encore cette obligation. Non seulement le com merce vous devra des encouragements par le mouvement rapide imprimé à sa marche, et par une circulation nécessairement plus productive; mais la propriété foncière, la culture, l’industrie, mais la consommation journalière en éprouveront un avantage sensible. L’habitant des campagnes, obligé d’assurer sa subsistance par le débit de ses productions, ne sera plus découragé à la vue de cette foule .de poids et de mesures différentes qui l’attendent de tous côtés pour peu qu’il s’éloigne de son séjour ordinaire. Quels soupçons en effet ne doit pas éveiller dans son esprit cette variété dont la seule étude l’épouvante? Aussi ose-t-il à peine quitter le cercle étroit qui renferme ses possessions : enchaîné aux mêmes lieux, aux mêmes correspondants, il préfère à un gain trop incertain, une perte réelle, tandis que, de son côté, l’acheteur étranger n’aborde qu’avec crainte un marché inconnu. Il faut que désormais le citoyen rassuré soit qu’il vende, soit qu’il achète, puisse librement parcourir tous les marchés du royaume; qu’il y verse avec confiance ses denrées ou son argent; qu’il s’y voie à l’abri de la fraude, sous la protection de la loi. Eh! combien il la bénira cette loi, lorsque, après en avoiréprouvé les bienfaits sous tant de rapports essentiels, il la retrouvera encore attentive à ses moindres besoins ! Opposera-t-on à cette énorme réforme l’intérêt du négociant? Osera-t-on dire que plusieurs branches du commerce de province à province ne subsistent que par l’inégalité des poids et mesures qui assure un bénéfice au marchand? Rapporter une telle objection, c’est plus que la résoudre : car l’objection elle-même est la preuve la plus frappante de la nécessité de la réforme. Un semblable commerce est fondé tout entier sur l’ignorance des acheteurs; or, vouloir conserver un commerce quelconque qui ne subsiste qu’aux dépens de l’ignorance, c’est évidemment vouloir protéger la fraude et la mauvaise foi. Les besoins réciproques, voilà le principe du commerce : La bonne foi et la confiance, en voilà les seuls fondements. Qui ne sait d’ailleurs que les hommes sont en général devenus trop éclairés par la concurrence de leurs intérêts pour ne s’être pas enfin aperçus que le prix quelconque d’une denrée ne doit s’accroître, au delà de sa valeur primitive, que du remboursement des frais nécessaires, du salaire des agents et de l’intérêt des avances. On présente une difficulté plus apparente dans 106 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 mars 1790.1 la commotioD que semble devoir exciter un changement soudain, une introduction subite de poids et de mesures nouvelles; mais ce sont encore là de vaines terreurs, dont on aurait pu s’alarmer dans d’autres temps, et qu’il ne nous convient pas de partager. Je n’ignore point la résistance qu’oppose la routine, cette ennemie aveugle et opiniâtre du bien qu’on lui présente, tant qu’il porte le caractère de la nouveauté ; je sais avec quelle persévérance elle se replie sans cesse sur elle-même pour perpétuer son empire. Mais pourtant qu’on ne pense pas qu’une telle résistance nécessite de bien grands efforts. Des moyens simples, prudemment ménagés, de la patience dans l’exécution, surtout une instruction claire qui pénétrera doucement tous les esprits, doivent suffire pour opérer un changement qui n’est au reste que le complément de ce que vous avez déjà fait. On peut même dire que déjà l’opinion a préparé les voies. De foutes parts, on s’attend à retrouver dans cette partie la même uniformité que vous avez arrêtée ou établie dans les autres branches de l’administration, dans la contribution, dans la législation, etc,, etc. ; le vœu des provinces, consigné dans leurs instructions, y est même formel et nous promet que ce nouveau bienfait sera reçu avec la même reconnaissance que ceux qui l’ont précédé. Ici |se présente un rapprochement frappant. Pendant plusieurs siècles, la féodalité regarda comme un de ses plus glorieux privilèges de créer, pour les diverses parties de la France, une prodigieuse bigarrure de monnaie: c’était autant de barrières qui séparaient les habitants d’uu même royaume. Le numéraire, à chaque instant arrêté dans sa marche, à chaque instant intercepté par des changes, vérifié, refondu dans cette foule d’hôtels des monnaies dont la France était couverte, finissait par se concentrer dans un petit nombre de mains avides, tandis qu’une pauvreté irrémédiable affligeait presque la totalité du peuple français. Malgré les énormes abus de cet absurde régime, l’habitude et le préjugé semblaient les protéger contre toute innovation. Cependant le gouvernement reconquit l’unité du pouvoir exécutif. Un des premiers usages qu’il en fit, fut de rendre à la circulation l’uniformité d’une monnaie exclusive. Un tel changement, loin d’exécuter des troubles, frappa tous les esprits par son utilité. Bientôt l’argent, devenu libre, parcourut rapidement toute l’étendue du royaume pour s’y multiplier dans son cours, pour répondre à toutes les demandes, remplir tous les engagements, satisfaire à tous les besoins. Le nombre des espèces n’était pas encore augmenté, et tout le royaume se crut enrichi. Il en sera de même de la réforme projetée, chacun se hâtera de voir que, plus les moyens de faciliter les échanges seront simples et identiques, plus l’aisance régnera : or, cette simplicité, cette identité tient évidemment à l’uniformité des poids et des mesures. Mais comment parvenir à établir cette uniformité? Le moyen le plus simple et qui, à toute autre époque, serait peut-être le seul proposable, consisterait à déterminer tous les poids et toutes les mesures quelconques du royaume sur le double étalon de livre et de toise qui existe à Paris. Cetteméthode présenterait plusieurs avantages» Le premier sans doute et qui, toutes choses d’ailleurs égales, pourrait paraître déterminant, c’est que dans une aussi vaste réforme, il en résulterait le moins possible d’innovations. Il faut savoir qu’en 1766, ou envoya des étalons, parfaitement conformes à ce double modèle dans quatre-vingts de nos principales villes. On a dû, avec le temps, rapporter à ces étalons les poids et les mesures linéaires qui y étaient en usage, ainsi que dans les cantons circon voisins ; ce ne serait donc pas aujourd’hui desobjets nouveaux, des noms étrangers, offerts à l’ignorance toujours soupçonneuse; et l’on s’accommoderait par là aux craintes et à la faiblesse de ceux qu’une trop grande nouveauté effraye, et qui ne se confient à rineasuu que sur la foi de ce qu’ils connaissent déjà. On pourrait observer aussi que la toise de Paris a acquis une grande célébrité; qu’elle a été employée aux observations savantes des astronomes envoyés au Pérou, d’où elle a retenu le nom de cette contrée : qu’on en a envoyé en différents temps des copies, non seulement dans les principales villes du royaume, mais encore à Londres, à Vienne, en Italie; eu sorte qu’il n'est point de nation en Europe qui n’en connaisse le rapport exact avec ses mesures, comme nous connaissons celui de la toise de Paris aux mesures de tous les Etats de l’Europe; et surtout que la longueur de cette toise a été comparée avec un grand 3oin avec celle du pendule qui bat les secondes à Paris, et déterminée dans le rapport de 504 à 257 par feu M. de Mairan, dont l’autorité a fait loi dans cette partie. Et cependant quelque naturel que soit ce moyen , quelques facilités qu’il offre dans la pratique, il ne répond pas encore assez ni à l’importance de l’objet, ni à l’attente des hommes éclairés et difficiles. Lorsqu’une nation se détermine à opérer une grande réforme, il faut qu’elle évite, qu’elle redoute même de l’opérer à demi, pour n’être plus obligée d’y revenir; et s'il s’agit d’une réforme dans les poids et mesures, il ne suffit pas de lès réduire à un seul poids, à une seule mesure, comme on pourrait aisément le faire par le moyen indiqué ; il faut, pour que la solution du problème soit parfaite, que cette réduction se rapporte à un modèle invariable pris dans la nature afin que toutes les nations puissent y recourir dans le cas où les étalons qu’elles auraient adoptés, viendraient à se perdre ou à s’altérer : or* l’étalon de poids qui se trouve à Paris, n’a été déterminé sur aucune mesure naturelle; même on a ignoré, jusqu’à ces derniers temps, si la nature pouvait fournir à cet égard un modèle. Quant à la toise, elle a été, il est vrai, rapportée par M. de Mairan, à la longueur du pendule qui bat les secondes à Paris ; mais cette opération, quelque degré de confiance qu’elle ait acquise parmi nous, n’a pas été faite avec la solennité nécessaire pour fixer irrévocablement l’opinion de toutes les nations éclairées. 11 conviendrait dooc en ce moment, et c’est le vœu connu d’un grand nombre de savants, de faire une nouvelle opération dont l'exactitude fiât appuyée sur des preuves et des témoignages irréfragables, et dont les résultats pussent présenter aux yeux de toute l’Europe, un modèle inaltéré ble de mesures et de poids. Deux métliodes principales pour parvenir à ce but ont déjà été indiquées pair de célèbres académiciens du siècle précédent et surtout de celui» ci. La première consisterait à adopter pour élément de nos mesures linéaires, la soixante millième partie de la longueur du degré du méridien coupé en deux parties égales par le quarante-cinquième parallèle, et dont la longueur â été déterminée à [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 mars 1790.] 107 57,030 toises par M. de la Caille. Cette mesure élémentaire s’est trouvée avoir cinq pieds huit pouces cinq lignes un quart; elle s’appellerait un milliaire. Mille milliaires feraient un mille, trois mille feraient une lieue, et vingt lieues composeraient un degré. Le milliaiie tiendrait lieu de la toise dont il ne différerait que de quarante-deux lignes trois quarts, et se diviserait comme elle en six parties, dont chacune représenterait un pied. Cette idée est juste ; mais dans l’exécution elle ne promet pas une exactitude assez rigoureuse. Les personnes les plus exercées dans ce genre d’opérations, s’accordent à penser qu’on ne peut répondre d’une erreur de 34 toises ; ce qui en produirait une sensible, c’est-à-dire d’environ une demi-ligne sur la longueur du milliaire mesuré en différents temps. Il faudrait d’ailleurs un concours d’hommes singulièrement habiles, et des instruments travaillés avec une perfection infiniment rare. La seconde méthode offre plus de facilités dans l’exécution. Ses nombreux partisans ont conseillé de prendre pour mesure élémentaire la longueur du pendule simple à secondes par la latitude de 45 degrés. Ils ont préféré ce point comme étant terme moyen entre l’équateur et le pôle : on donnerait alors à l’aune la longueur exacte de ce pendule, à notre toise le double de cette longueur, et la toise se subdiviserait en pieds, pouces et lignes, suivant les rapports connus de ces subdivisions. De là, passant aux mesures de capacité, telles que le muid, le septier, le boisseau, la pinte, etc., et en agissant pour base de leurs dimensions le pied cube déduit d’après la longueur du pendule, on pourrait également fixer d’une manière uniforme et invariable toutes les mesures. Enfin, ce qui est le résultat d’une expérience de nos jours, on appliquerait aux poids cette mesure en faisant usage d’un procédé ingénieux de M. Lavoisier qui a déterminé avec la plus grande précision, le poids d’un pied cube dcau douce, distillée une fois à la température de 14 degrés 4 dixiémes du thermomètre de Réaumur : par là, qn trouverait le moyen de fixer invariablement la livre de pesanteur, car on donnerait le nom de livre au poids réel de l’eau ainsi distillée qui serait contenu dans un vase cubique dont Ja hauteur serait la douzième partie de la longueur du pendule (1). La livre ainsi trouvée, il serait facile de déterminer ses subdivisions comme ses multiples. La longueur du pendule par la latitude de 45 degrés a été déjà calculée; elle s’est trouvée de 36 pouces 8 lignes 52 centièmes, mais comme elle n’a pas été déterminée par une expérience faite sous ce parallèle, et qu’il peut y avoir une erreur d’un dixième de ligne, il faudrait la recommencer sous la latitude même. Ge plan simple et parfaitement exact est fait pour réunir tous lès suffrages, et même pour excitér, entre toutes les nations savantes, la plus louable rivalité. Il m’est impossible de douter que l’Angleterre, qui dans ce moment paraît vouloir s’occuper de la réduction de ses mesures, avertie par notre détermination et invitée par vous, ne se réunisse à la France pour l’exécution d’une entreprise que nos relations de commerce doivent rendre commune et dont le résultat doit (1) Celte livre se trouverait un peu plu* forte que la livre actuelle, > ?.• f-� appartenir un jour au monde entier. Déjà, sur la proposition de M. deCassini, les académiciens des deux royaumes viennent d’associer leurs travaux pour lier les triangles de la carte de France à ceux de la carte d’Angleterre; et ce travail s’est fait avec le plus parfait accord. L’expérience du pendule faite plus particulièrement encore sous les auspices des deux nations, n’aurait pas sans doute un moindre succès, et la solennité même en garantirait aux yeux de l’Europe entière l’exactitude rigoureuse (îj. Chacune des deux nations formerait sur cette mesure ses étalons, qu’elle conserverait avec le plus grand soin, de telle sorte que, si, au bout de plusieurs siècles, on s’apercevait de quelque variation dans l’année sidérale, les étalons pussent servir à l’évaluer et, par là, à lier ce point important du système du monde à une grande autorité, celle de l’Assemblée nationale. Peut-être même est-il permis de voir dans ce concours de deux nations interrogeant ensemble la nature pour en obtenir un résultat important, le principe d’une union politique opérée par l’entremise des sciences. Cette vue ne peut échapper à des législateurs et mérite sans doute une haute considération de leur part. Enfin, je ne vois contre ce projet aucune objection réelle. Il est seulement une difficulté qu’il importe d’éclaircir, et dont la solution est une partie même du projet : c’est celle qui est fondée sur les obstacles qu’on rencontrerait en voulant introduire tout à coup, dans toute l’étendue du royaume, une multitude de mesures nouvelles et de poids différents, soit que l’on conservât les anciens noms, soit que l’on se crût obligé d’en changer. Il n’est point douteux que, quelque parfaites que fussent ces mesures, leur introduction subite et inattendue ue produise du désordre; mais le moyen d’opérer ce changement sans secousses et sans troubles se présente naturellement à l’esprit. Des commissaires du roi chargés de. suivre l’exécution de vos décrets et de faire jouir la France entière du fruit de votre sagesse, veillent en ce moment à la formation des»départements et des districts. Partout où s'étend leur vigilance, il leur sera facile de faire prendre les dimensions des poids et mesures employés dans chaque lieu, et de les rapporter à la du de leur mission dans la capitale (2). Ces poids et ces mesures étant bien connus, il sera aisé à des commissaires de notre académie des sciences d’en déterminer dans le temps le rapport exact avec les étalons qui se seront formés sur l’expérience du pendule, Dès que ce rapprochement aura été fait, il sera envoyé de nouveaux étalons à toutes les municipalités avec des instructions qui feront sentir fa nécessité d’une réforme à cet égard, et auxquelles seront jointes des tables imprimées avec grand soin,, à peu prés dans la forme des comptes faits de Barrême. Dans ces tables se trouveront les rapports exacts de toutes les anciennes mesures avec les nouvelles, (1) L’expérience devant se faire au niveau de la mer, et l’Angleterre n’ayant aucune possession à la latitude de 45 degrés, le lieux de l’expérience est naturellement indiqué auprès de Bordeaux. (2) 11 me paraît nécessaire que l’Académie des science* indique la méthode la plus sûre pour obtenir ces dinaeu-sions dans toute leur natqre. Ce travail peut être fait ep peu dé jours. 108 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 mars 1790. Ces petits livrets étant ainsi dressés pour toutes sortes de mesures, tant linéaires que solides ou de poids, on les distribuera dans chaque canton six mois avant que les nouvelles ne prennent la jplace des anciennes : ainsi il ne se fera aucun changement brusque; et dans cet intervalle chacun aura tout le temps nécessaire pour connaître parfaitement ou par soi ou par autrui, à quel prix chacune de ces mesures devra répondre. De plus, il sera fait aux dépens du Trésor public un certain nombre de ces mesures qui seront envoyées aux différentes municipalités pour qu’elles soient distribuées gratuitement et d’après la connaissance locale des besoins, à ceux pour qui ce changement occasionnerait des dépenses trop au-dessus de leurs forces. Cela doit paraître juste aux yeux de la nation et c’est ainsi que s’appla-niront toutes les difficultés. L’acquittement des redevances féodales en nature eût peut-être été le seul obstacle véritablement à craindre par la foule de discussions que le changement de mesure eut fait naître entre les seigneurs et les vassaux. On veut même que cette crainte ait arrêté quelques administrateurs au moment d'entreprendre cette réforme. Heureusement cette difficulté ne subsiste plus. Voici donc le projet de décret que je soumets à l’Assemblée. PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale désirant faire jouir à jamais la France entière de l’avantage qui doit résulter de l'uniformité des poids et mesures, et voulant que les rapports des anciennes mesures avec les nouvelles soient clairement déterminés et facilement saisis, décrète que Sa Majesté sera suppliée de donner des ordres aux commissaires choisis par elle pour l’établissement des assemblées de départements et de districts afin qu’ils obtiennent de toutes les municipalités comprises dans chaque département et qu’ils rapportent à Paris un modèle parfaitement exact des diflérents poids et mesures élémentaires qui y sont en usage. Décrète ensuite qu’il sera écrit par l’Assemblée nationale une lettre au Parlement d’Angleterre pour l’engager à concourir avec la France à la fixation de l’unité naturelle de mesures et de poids; qu’en conséquence, sous les auspices des deux nations, des commissaires de l’académie des sciences de Paris se réuniront en nombre égal avec les membres choisis de la société royale de Londres, dans le lieu qui sera iugé le plus convenable, pour déterminer à la latitude de 45 degrés la longueur du pendule, et en déduire un modèle invariable pour toutes les mesures et pour les poids ; qu’après cette opération faite avec toute la solennité nécessaire, Sa Majesté sera suppliée de charger l’académie des sciences de fixer avec précision, pour chaque municipalité du royaume, les rapports de leurs anciens poids et mesures avec le nouveau modèle, et de composer ensuite, pour l’usage de chacune de ses municipalités, des livres usuels et élémentaires, où seront indiquées avec clarté toutes ces proportions. Décrète, en outre, que ces livres élémentaires seront adressés à la fois dans toutes les municipalités pour y être répandus avec profusion ; qu’en même temps il sera envoyé à chaque municipalité un certain nombre de nouveaux poids et mesures qui seront distribués gratuitement par elles à ceux que ce changement constituerait dans des dépenses trop fortes; enfin que, six mois seulement après cet envoi, les anciennes mesures seront abolies et seront remplacées par les nouvelles. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE TALLEYRAND, ÉVÊQUE D’AüTUN. Séance du mercredi 10 mars 1790 (1). La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin. M. de Talleyrand, évêque d'Autun, ex-président, annonce que M. l’abbé de Montesquiou, président, se trouvant indisposé, il le remplace au fauteuil. M. de Nompère de Champagny, l’un de MM. les secrétaires, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier matin. Il ne se produit aucune réclamation. M. Lanjninais. Vous avez adopté hier cinq articles sur les péages et les minages qui feront partie du décret surl’abolition de la féodalité, et qui prendront placeavantun articlequi porte que ces décrets auront leur exécution du jour de la publication des lettres -patentes du mois de novembre dernier. De là, il résulterait que ceux qui auraient perçu ces droits de péage et de minage, se trouveraient obligés de restituer ce qu’ils auraient reçu depuis ces lettres-patentes. Comme telle n’a pas été sûrement votre intention, je propose d’ajouter que les cinq articles votés hier n’auront d’exécution que du jour de leur publication. (Cette addition est adoptée à ruuanimité.) M. le marquis d’Estourmel, député du Cam - brésis. Je propose d’ajouter deux nouveaux articles à ceux que vous avez déjà décrétés en faveur de la liberté du commerce. Le premier ordonnera que les marchés soient libres à l’avenir, de manière qu’on puisse, lorsqu’on y aura porté des grains, les remporter s’ils ne sont pas vendus ; le second stipulera que les négociants et les bateliers du Cambrésis, ainsi que ceux d’Artois, de Flandre et du Hainaut, pourront charger toute espèce de marchandises, à Condé et même dans les Pays-Bas, sans être soumis à aucun péage pour la navigation sur les rivières et les canaux de ces provinces. (Cette motion est renvoyée au comité d’agriculture et du commerce.) M. Bouche, député d'Aix , expose à l’Assemblée que, suivant l’ancien régime, les consuls et assesseurs d’Aix étaient en même temps chargés de l’administration de la Provence, sous le titre de Procureurs du pays ; mais que, depuis la formation de la nouvelle municipalité, les anciens consuls et assesseurs se regardaient comme dépouillés de ces fonctions ; tandis que, de leur côté, les nouveaux officiers municipaux croyaient que les décrets de l’Assemblée les éloignaient de toute fonction administrative : ce qui, si l’Assemblée différait à s’expliquer sur cet objet, laisserait la Provence sans administration, jusqu’au moment où les départements seraient formés. La réclamation deM. Bouche est accueillie et le décret suivant est rendu : (1) Cette séance est incomplète an Moniteur.