232 (Assemblée nationale.] M.Voldel, rapporteur , Messieurs, jesuis chargé par votre comité des recherches de vous rendre compte de la procédure instruile au tribunal de Beaune pour de prétendus enrôlements d’hommes qui devaient servir les ennemis de la chose publique. Le directoire du département du Doubs, instruit vers la fin du mois de janvier, qu’il y avait dans la ville de Besançon, chef-lieu de ce département, différents particuliers soupçonnés de faire des enrôlements pour les ennemis de la patrie, chargea son procureur général syndic de les poursuivre; celui-ci crut devoir choisir le tribunal de Beaune ; présenta sa plainte le 28 du mois dernier, contre les fauteurs de ces enrôlements. Le même jour, un juge de ce tribunal a procédé à l’audition des témoins indiqués, et sur le vu de l’information, la dame de Constable, M. Chaillot, capitaine au régiment de Mestre de camp cavalerie, mari de la nièce de cette dame, et un sieur Aubin, beau-père de cette dame, furent décrétés de prise de corps, arrêtés et transférés dans les prisons de Beaune. Le tribunal de Beaune, après avoir interrogé les trois détenus, a pensé que les faits dont ils sont prévenus étaient de la nature de ceux sur lesquels l’Assemblée nationale se réservait de prononcer ultérieurement. Votre comité en est saisi, et je suis rhargé de vous en rendre compte. Les témoins entendus sont les sieurs Grevet, Monuot, Pierre Laîné et un quatrième, dont je ne parle pas, parce qu’il ne dépose que sur les ouï-dire des autres. Le sieur Monuot ayant du tabac à vendre est allé chez M. Dauquou ci-devant président, où logeait alors Mme de Constable, pour vendre son tabac. Il dépose qu’après une longue discussion elle lui a acheté et qu’après s’êre beaucoup plainte de l’Assemblée nationale elle lui avait proposé d’aller trouver M. Lallemand, qui, à Bâle, engageait au nom des seigneurs retirés dans les pays étrangers, à l’effet d’opérer une contre-révolution en France ; que la dame de Constable lui avait dit qu’il ne s’en repentirait pas, qu’on le récompenserait généreusement ; qu’on donnerait 3 livres de solde par jour et huit louis d'or comptant pour engagement; que cette dame l’avait chargé d'engager le plus d’hommes possible pour partir avec lui. Le sieur Pierre Laîné se joint à MonDot et dépose que M. Chaillot lui a proposé de l’engager dans son régiment; mais Mme de Constable a trouvé plus à propos de le déterminer à aller trouver M. Lallemand à Bâle pour s’enrôler. Le sieur Dauquoi ayant rencontré le 24 le sieur Monnot dans la rue, lui dit : « Eh bien, mon ami, quand partirez-vous pour la Suisse? Sur l’invitation de l’un des dépesants, un jeune homme se rend dans la maison du président et to jours sou-; le prétexte de vendre du tabac. Achat fait, M. Dauquoi eut des soupçons et se mit à dire : « Je n’ai rien à lui proposer » ; mais Mm# de Constable : « Moi |’ai quelque chose à lui proposer, je ne crains rien, j’aime autant mourir que de rester comme nous sommes ; allez, mon ami, ne craignez rien, retirez votre rot de l’esclavage, soutenez la noblesse, le clergé et votre religion. » ( Murmures à droite.) Messieurs, dans un mémoire présenté à votre comité par l’un des accusés, on a dit qu’en supposant ces faits comme prouvés ils ne constateraient pas un délit, encore moins uu crime de lèse-nation, parce qu’il ne s’agit ici que d’un simple conseil, et que, suivant tous les crimina-[17 février 1791.] listes, celui qui conseille le crime n’est coupable. aux yeux de la loi, que lorsque le crime a été commis, ou qu’au moins on a tenté de le commettre. Or, il n’y a eu en effet ni enrôlement, ni argent donné. Les particuliers ne sont point partis pour Bâle. Enfin le sieur Lallemand n’a fait aucun enrôlement aux termes d’un certificat du bourgmestre du lieu. Il serait bien étonnant si Mme de Constable avait chargé Monnot de lui amener des recrues, qu’il n’en eût introduit chez elle qu’en procurant du tabac pour excuse; qu’il n’est pas plus vraisemblable qu’on les ait engagés à partir par Bâle sans leur donner un écu pour faire la route. Il est encore bien invraisemblable que M. Dauquoi, qui est assez prudent, ait arrêté au milieu de la rue, le 27 janvier, devant la porte d’un café, Monnot et Grevet, qu’il n’avait vus qu’une fois quinze jours ou trois semaines auparavant, et leur ait tenu, dans un lieu aussi public, des propos aussi suspects. Ou ajoute que Monuot, principal témoia, est dans les liens d’un décret de prise de corps; que Grevet est fils d’une femme enfermée pour crime de vol et maquerellage; qu’il est sans fortune, note à la police et ne méritant aucune foi. Votre comité, par l’examen de la procédure, a en effet reconnu quelques difficulîés dans les dépositions. Votre comité a pensé que, quelle que fût la nature des preuves, la procédure ayant été commencée et suivie à la requête de l’accusateur public dans un tribunal avoué par la loi, et les accusés étant sous le lien d’un décret de prise de corps, il ne vous appartenait plus de prononcer sur le fond de l’accusation; qu’ainsi il était complètement inutile de vous faire perdre des moments précieux à discuter sur la nature des preuves, l’existence du délit ne pouvant être jugé que par un tribunal. Il s’est cependant élevé une difficulté dont il faut vous rendre compte. On dit qu’il s’agit ici d’un crime de lèse-nation et que, par l’article du décret du 12 ociobre, l’Assemblée s’est réservée de prononcer ultérieurement sur les accusations pour crime de lèse-nation attribuées au Châtelet de Paris; que, par conséquent, le tribunal de Beaune n’a pu décerner un décret de prise de corps avant que l’Assemblée nationale eût décidé s’il y avait lieu ou non à accusation. On s’est encore étayé de l’article 4 du décret du 8 de ce mois, qui porte que la haute cour nationale, juge naturel des crimes de lèse-nation, ne connaîtra que des délits dont le Corps législatif jugera nécessaire d'être accusateur; d’où l’on infère que, dans l’hypothèse où il s’agirait d’un crime de lèse-nation, l’Assemblée doit prononcer s’il y a lieu ou non à accusation. Votre comité a pensé, en effet, que, dans les circonstances actuelles, les enrôlements pour les ennemis de la patrie, tels qu’ils sont dénoncés par la plainte de l’accusateur public, sont un véritable crime de lèse-nation; mais il a observé d’abord que le décret du 8 de ce mois n’est point encore sanctionné ; il est d’ailleurs postérieur à la plainte rendue par les juges de Beaune ; il a reconnu, par l’examen du décret du 12 octobre, sanctionné le 19 du même mois, que, par l’article 9 de ce décret, l’Assemblée s’est réservée seulement de déterminer un tribunal pour juger définitivement lus accusations pour crimes de lèse-nation attribués au Châtelet de Paris; mais elle n’a rien entendu statuer sur la procédure antérieure au jugement, et elle n’a nullement dérogé au décret du 12 janvier 1790 qui porte, en termes formels, que ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [17 février 1791.] 233 tous juges ordinaires doivent et peuvent informer et décréter pour tout crime de quelque nature qu’il soit, sauf le renvoi au Châtelet de ceux dont la connaissance lui était provisoirement accordée. Nous vous proposons le projet de décret suivant : « L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des recherches, décrète que la procédure commencée au tribunal de Beaune sera continuée et jugée en dernier ressort par le tribunal de Besançon; à l’effet de quoi les procédures seront transférées au greffe dudit tribunal, les accusés transférés de ladite ville de Beaune au tribunal de Besançon-, charge son président de se retirer par devers le roi, pour le prier de donner des ordres nécessaires à l’exécution du présent décret. » M. d’André. Je n’ai rien à dire sur le fondde l’affaire; mais j’observe que le décret que l’on propose est contraire à tous les principes. Vous avez voulu que la voie de l’appel fût ouverte à tous les accusés; et cependant on vous propose d’autoriser le tribunal du district de Besançon à juger en dernier ressort. Je demande que le décret soit amendé et que l’affaire soit renvoyée au tribunal de Besançon, en laissant aux accusés la faculté que vous avi z donnée à tous les accusés du royaume, lorsqu’ils auront été jugés en premier ressort à Besançon, de se pourvoit par appel à un des sept tribunaux, dans la forme décrétée. M. Voidel, rapporteur. Je ne demande la parole sur l’amendement que pour dire que je l’appuie, parce qu’il paraît conforme aux principes. M. de Tracy. J’avais demandé la parole pour faire le même amendement qui vient d’être proposé; je me borne à l’appuyer. Je suis bien aise de saisir cette occasion de certifier que j’ai servi pendant 8 ans avecM. Chaillot, qui est l’honneur et la raison mêmes. (L’Assemblée adopte l’amendement de M. d’André.) M. Salle. Il y a dans les prisons de Paris plusieurs personnes décrétées de prise de corps pour crimes de lèse-nation : je demande qu’elles soient renvoyées pardevaut les tribunaux de Paris, pour y être jugées. Le projet de décret est adopté dans ces termes ; « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des recherches, relu tif à l’arrestation de Mme de Constable, et des sieurs Chaillot et Dauquoi, décrète que la procédure commencée au tribunal de Beaune sera continuée et jugée par le tribunal du district de Besançon, sauf l’appel à l’un des sept tribunaux de l’arrondissement, à l’effet de quoi, les procédures seront transportées au greffe dudit tribunal, et les accusés transférés dans les prisons de ladite ville de Besançon; « Charge son président de se retirer dans le jour par devers le roi, pour le prier de donner les ordres nécessaires à l’exécution du présent décret. » Une députation de la municipalité de Pans est admise à la barre. M. l’abbé Mulot présente la députation et dit : « Messieurs, l’assemblée du conseil général de la commune de Paris vient avec confiance vous découvrir l’une des sources des maux qui l'affligent davantage. Depuis longtemps elle s’en occupe, et quand le législateur profond et élo-uent qui vous présidait dernièrement, a cru evoir rappeler à l’une de ses députations cette maladie anticivique, elle avait, pour ainsi dire, épuisé tous ses remèdes ; oui, Messieurs, nous avons épuisé toutes nos ressources ; mais nous avons encore votre secours à attendre, et nous venons le solliciter. Quelque incurable que la plaie des jeux nous paraisse, elle ne pourra pas résister à votre puissance ; et vous, qui avez guéri toutes les plaies politiques de PEmpire, les ulcères invétérés qu’avaient causés à la France tous les genres de despotisme, vous guérirez encore celui-ci. L’orateur de la commune va vous dévoiler tous les détails de la maladie, et nous comptons sur les moyens que votre sagesse vous indiquera pour la vaincre. » L’orateur de la députation s’exprime ainsi : « Messieurs, les citoyens de Paris, dont nous sommes les organes, viennent à la source des lois en réclamer une contre les désordres dont les progrès ont menacé trop longtemps la tranquillité de la capitale. « A mesure que vos lois bienfaisantes nous régénèrent, nous souffrons davantage des restes de nos désordres, et la frénésie des jeux est un des derniers malheurs, auxquels la patrie vous demande d’apporter un promet remède. « L’ancien régime nous avait laissé des habitudes odieuses, qu’à la honte des mœurs on l’a vu tolérer : il était permis à des subalternes favorisés de fonder des fortunes immenses sur le produit des jeux ; fortunes scandaleuses et faciles, qui révoltaient à la fois la probité, la délicatesse, le mérite et les talents. Un nouvel ordre de choses succède à cet ancien régime ; mais, pendant qu’il s’établit, la licence effrénée des jeux s’accroît par l’impunité, et vient augmenter le désordre en offrant de tous côtés des appâts trompeurs à la crédule indigence. « Toutes b s fois que, sans risquer de blesser les droits de l’homme, de violer les asiles, de causer quelques secousses dangereuses, la municipalité provisoire et la municipalité définitive ont pu mettre les ordonnances en vigueur, elles l’ont fait avec une scrupuleuse exactitude ; mais, peu assurées dans une marche qui n’était pas tracée par la Constitution, leurs efforts pour l’exécution des anciennes lois ont pre-gue toujours été impuissants. Alors 3,000 maisons de jeu se sont successivement ouvertes, et des jeux établis sur des places publiques, sur les quais, dans tous les coins de la capitale, tentent la misère, séduisent la faiblesse, et favorisent la mauvaise foi. Par les jeux, l’oisiveté passagère devient une oisiveté invétérée et criminelle ; l’homme demande à la fortune infidèle ce qu’il ne veut plus obtenir du travail ; et nous avons vu avec douleur la misère enfanter le désespoir, le vice conduire au crime, et les ruines multipliées produire des rixes, des vols, des assassinats et des suicides. Pour arrêter ce désordre, pour fermer ces abîmes, où vont s’engloutir les fortunes et les mœurs, vainement nous avons voulu recourir aux lois en vigueur, inapplicables aux circonstances; à côté d’elles nous avons toujours rencontré l’insuffisance et l’inutilité ; tous les règlements nous présentent le jeu comme un