392 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 octobre 1789.] avec amertume contre la violation du secret de la poste. M. Démeunier excuse la conduite du district de Saint-Roch. Paris, dit-il, a été livré aux alarmes d’un projet qu’on lui a dénoncé. Ce projet est terrible : je veux bien croire qu’il n’ait été que chimérique ; mais enfin Paris, croyant trouver les traces de ce complot exécrable en décachetant les lettres, l’on doit cesser de le blâmer d’avoir cédé à la nécessité de dévoiler une conspiration que tout citoyen est intéressé à découvrir. M*** : Je réponds à M. Démeunier que, puisque la conspiration est chimérique, il est inutile de violer le secret de la poste. M. Démeunier. Elle n’est pas tellement chimérique qu’il n’y ait des indices très-capables de donner quelque degré de vérité au complot que l’on veut dévoiler. Après plusieurs motions, l’affaire est renvoyée au comité des rapports. Un religieux, détenu depuis longtemps par lettre de cachet, offre un contrat de 200 livres de rente pour subvenir aux besoins de la patrie, mais à condition que sa lettre de cachet sera révoquée. Une vive discussion s’élève sur cet objet : elle se termine par déclarer qu’il faut supplier le Roi de révoquer la lettre de cachet, et que l’on ne peut recevoir la pension du religieux, puisqu’il n’est pas libre. M. le comte de Montmorency observe qu’il ne convient pas de demander la révocation d’une seule lettre de cachet ; il propose de faire une motion pour demander la révocation de toutes les lettres de cachet ; il demande à l’Assemblée un moment pour faire cette motion. La proposition de M. le comte de Montmorency est applaudie, adoptée et ajournée jusqu’à lundfi soir. Ainsi, reprend M. de Montmorency, la liberté du bon religieux ne sera pas longtemps suspendue, et le premier acte qu’il en fera sera sans doute pour déposer sur l’autel de la patrie le seul bien qu’il possède. Sous tous les habits, il est des vertus, surtout dans ce moment où la vertu du patriotisme germe dans tous les cœurs. M. Uewbell dénonce plusieurs seigneurs d'Alsace, qui poursuivent avec une sévérité sans exemple tous censitaires pour le payement des droits seigneuriaux. Ces despotes de la féodalité, dit-il, n’ont tenu aucun compte des arrêtés du 4 août. Plusieurs seigneurs étrangers, possesseurs de fiefs en Alsace, réclament contre ces arrêtés. L’Assemblée craint-elle d’annuler ces réclamations dérisoires ? La dénonciation de M. Rewbell est étouffée par les cris à l’ordre ! à l'ordre ! 11 a été fait lecture de la liste du comité des Domaines. Les membres de ce comité sont : MM. GÉNÉRALITÉS. Bévière. Paris. Gros (de Boulogne-sur-Mer). Amiens. De Vismes (de Laon). Soissons. Le Bois Desguays (Mon-targis). Orléans. Bengy de Puy vallée. Bourges. Descliainps, Lyon. MM. pe Bonnegens. Parent de Chassy. Gaultier de Biauzat. , De Bornier. Roy. De Biran (Gontier). Enjubault de la Roche, ' Manhiaval. Baron. Fleurye. Pouret Roquerie. . Buschey-Desnoes, Le chevalier Banyuls de Montferré. De Kervelegan. Lombard de Tarradcau. Barrère de Vieuzac. Geoffroy. Ghristin. Pison du Galand. - Baron do Poùilly. Pfiéger. Delattre de Batzaert. Hennet. Fricot. Le comte Colonna Césari de Rocca. Le marquis de Gouy-d’Arsy. GÉNÉRALITÉS. La Rochelle. Moulins. Riom. Poitiers. Limoges. Bordeaux. Tours. Au ch. Montauban. Champagne. Rouen. Caen. Alençon. Perpignan et Roussillon, Bretagne. Aix en Provence. Pau. Bourgogne. Franche-Comté. Grenoble. Metz. Trois-Evéchés. Alsace. Flandre et Artois. Hainaut et Cambresis. Lorraine et Bârrois. Isle de Corse. | Saint-Domingue. I La Guadeloupe. L’ordre du jour a commencé par la lecture des articles 18 et suivants du projet de décret sur la ré formation provisoire de la procédure criminelle . Il a été proposé sur chacun de ces articles divers amendements qui ont été admis: on a été aux voix sur chacun des articles 18, 19, 20 et 21, avec les amendements admis, et ils ont été décrétés ainsi qu’il suit: Art. 18. Le conseil de l’accusé aura le droit d’être présent à tous les actes de l’instruction, sans pouvoir y parler au nom de l’accusé, ni lui suggérer ce qu’il doit dire ou répondre, si ce n’est dans le cas d’une nouvelle visite ou rapport quelconque, lors desquelles il pourra faire ses observations, dont mention sera laite dans le procès-verbal. Art. 19. L’accusé aura le droit de proposer, en tout état de cause, ses défenses, faits justificatifs ou d’atténuation -, et la preuve sera reçue de tous ceux qui seront jugés pertinents, et même du fait de démence, quoiqu’ils n’aient point été articulés par l’accusé dans son interrogatoire et autres actes de la procédure. Les témoins que l’accusé voudra produire, sans être tenu de les nommer sur-le-champ, seront entendus publiquement, et pourront l’être en même temps que ceux de l’accusateur, sur la continuation ou addition d’information. Art. 20. II sera libre à l’accusé, soit d’appeler ses témoins, à sa requête, soit de les indiquer au ministère public, pour qu’il les fasse assigner ; mais, dans l’un ou dans l’autre cas, il sera tenu de commencer ses diligences, ou de fournir l’indication de ses témoins, dans les trois jours de la signification du jugement qui aura admis la preuve. Art. 21. Le rapport du procès sera fait par un des juges, les conclusions du ministère public données ensuite et motivées, le dernier interrogatoire prêté, et le jugement prononcé; le tout à l’audience publique. L’accusé ne comparaîtra à cette audience qu’au moment de l’interrogatoire, après lequel il sera reconduit, s’il est prisonnier ; mais son conseil pourra être présent pendant la séance entière, et parler pour sa défense après le [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 octobre 1789.] 393 rapport fini, les conclusions données, et le dernier interrogatoire prêté. Les juges seront tenus de se retirer ensuite à la chambre du conseil, d’y opiner sur délibéré, et de reprendre incontinent leur séance publique pour la prononciation du jugement. M. Gnillotin a proposé d’ajouter aux articles déjà décrétés, l’article suivant : Art. 22. Toute condamnation à peine afflictive ou infamante, en première instance, ou en dernier ressort, exprimera les faits pour lesquels l’accusé sera condamné, sans qu’aucun juge puisse jamais employer la formule, pour les cas résultant du procès. On a été aux voix, et le susdit article a été décrété tel, et ainsi qu’il vient d’être rapporté. Puis on a fait lecture de l’article ]23 du même projet de décret-, cette lecture a été continuée jusques et inclus l’article 28 qui est le dernier ; il a été fait sur chacun de ces articles divers amendements qui ont été admis. On a été aux voix sur chacun d’eux et les amendements admis, et ils ont été décrétés ainsi qu’il suit : Art. 23. Les personnes présentes aux actes publics de l’instruction criminelle, se tiendront dans le silence et le respect dû au Tribunal, et s’interdiront tout signe d’approbation et d’improbation, à peine d’être emprisonnées sur-le-champ par forme de correction, pour le temps qui sera fixé par le juge, et qui ne pourra cependant excéder huitaine, ou même poursuivies extraordinairement, en cas de trouble ou d’indécence grave. Art. 24. L’usage de la sellette au dernier interrogatoire et la question, dans tous les cas, sont abolis. Art. 25. Aucune condamnation à peine afflictive ou infamante ne pourra être prononcée qu’aux deux tiers des voix, et la condamnation à mort ne pourra être prononcée par les juges, en dernier ressort, qœaux quatre cinquièmes. Art. 26. Tout ce qui précède sera également observé dans les procès poursuivis d’office, et dans ceux qui seront instruits en première instance dans les cours supérieures. La même publicité y aura lieu pour le rapport, les conclusions, le dernier interrogatoire, le plaidoyer du défenseur de l’accusé, et le jugement, dans les procès criminels qui y sont portés par appel. Art. 27. Dans les procès commencés, les procédures déjà faites subsisteront; mais il sera procédé au surplus de l’instruction et au jugement, suivant les formes prescrites par le présent décret, à peine de nullité. Art. 28. L’ordonnance de 1670, et les édits, déclarations et règlements concernant la matière criminelle, continueront d’être observés en tout ce qui n’est pas contraire au présent décret, jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné. Un membre de l’Assemblée a proposé d’ajouter aux articles décrétés l’article suivant : « Le présent décret n’aura lieu que pour les délits sur lesquels il doit échoir peine affliclive ou infamante, sans qu’il puisse être appliqué, en aucune manière, à tous autres délits ou quasi-délits, tels que simples injures et voies de fait légères, pour la réparation desquels on ne pourra se pourvoir que par action civile, qui sera jugée sommairement à l’audience et sur enquête, s’il y a lieu, v Un autre membre a demandé l’ajournement sur cet article. On a été aux voix, et il a été décrété que le susdit article était ajourné. M. Guillotin, membre de l’Assemblée , a proposé d’ajouter aux articles décrétés les six articles qui suivent relatifs aux suppliciés (l) : Art. 29. Les mêmes délits seront punis par le même genre de supplice, quels que soient le rang et l’état du coupable. Art. 30. Dans tous les cas où la loi prononcera la peine de mort contre un accusé, le supplice sera le même, quelle que soit la nature du délit dont il se sera rendu coupable. Le criminel aura la tête tranchée. Art. 31. Le crime étant personnel, le supplice d’un coupable n’imprimera aucune flétrissure à sa famille. L’honneur de ceux qui lui appartiennent ne sera nullement entaché, jet tous continueront d’être également admissibles à toutes sortes de professions, d’emplois et dignités. Art. 32. Quiconque osera reprocher à un citoyen le supplice d’un de ses proches, sera puni de ..... Art. 33. La confiscation des biens des condamnés ne pourra jamais avoir lieu, ni être prononcée en aucun cas. Art. 34. Le corps d’un homme supplicié sera délivré à sa famille, si elle le demande ; dans tous les cas, il sera admis à la sépulture ordinaire, et il ne sera fait sur le registre aucune mention du genre de mort. M. Guillaume propose l’addition suivante, à la motion de M. Guillotin (2). Messieurs, rendre les hommes égaux devant la loi, comme ils le sont aux yeux de l’Etre suprême; effacer de notre code pénal des supplices stérilement barbares ; détruire le malheureux préjugé qui jusqu’à présent avait frappé de déshonneur et d’inlàmie une famille entière, pour une faute commise par un de ses membres, sur lequel la loi ne lui avait cependant donné aucune autorité: tels sont les différents objets de la motion de M. Guillotin, motion également conforme à la religion, à la philosophie et aux mœurs de la nation. Mais il est des abus non moins révoltants, et dont 1’humanitê sollicite également la réforme. La peine de mort, prononcée trop indistinctement, diminue l’horreur pour le crime, par la pitié qu’elle fait naître souvent en faveur du coupable. Je vous proposerai donc de réserver le dernier supplice pour les forfaits les plus atroces. Mais, quand il est une circonstance où cette peine doit être prononcée sur de simples soupçons, il suffit sans doute de vous indiquer la ipi barbare qui l’ordonne ainsi, pour en obtenir aussitôt l’abrogation. Que dirai-je maintenant de diverses peines encore eu usage parmi nous ; par exemple, du fouet, devenu depuis si longtemps dérisoire ; de la flétrissure, qui marque à jamais du sceau de l’infamie celui qui n’est souvent séquestré qu'à temps de la société ; du bannissement, qui, laissant à celui contre lequel on le prononce, une liberté dont il ne peut plus faire qu’un mauvais usage, est moins une peine pour lui que pour la (1) La motion de M. Guillotin n’est pas au Moniteur. (2) La motion de M. Guillaume n’a pas été insérée au Moniteur.