580 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 février 1790 J à la sienne, et je parle aussi pour eux. Il ne s’est occupé que des chefs, de quelques maisons religieuses opulentes, qui, ayant fait vœu d’obéissance et de pauvreté, jouissent de toutes les douceurs de l’indépendance et de la richesse. Moi, je songerai aux individus. Le préopinant s’est livré à des calculs dans lesquels il a glissé beaucoup d’erreurs. Je ne m’arrêterai pas à cette nature de raisonnement. Il suffit que l’existence des moines soit incompatible avec les droits de l’homme, avec les besoins de la société, nuisible à la religion, et inutile à tous les autres objets auxquels on a voulu les consacrer.... (Les murmures d'une partie de la salle interrompent l’opinant.) Je crois n’avoir pas besoin de démontrer l’incompatibilité des ordres religieux avec les droits de l’homme : il est très certain qu’une profession qui prive des hommes des droits que vous avez reconnus est incompatible avec ces droits ..... (MM. l’abbé Maury, deJuigné, l’évêque de Nîmes, Dufraisse-Duchey, l’évêque d’Angoulême, etc., se livrent à des mouvements si impétueux que l’orateur ne peut continuer.) M. GoupHIeau. Si ces Messieurs ne veulent pas entendre la discussion, il faut délibérer. Un grand nombre de membres demandent à aller aux voix. — Le tumulte cesse. M. Barnave continue. Ma proposition est juste ; il suffit, pour le prouver, de rappeler ce premier article des droits de l’homme : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits... Les ordres religieux sont contraires à l’ordre public; soumis à des chefs indépendants, ils sont hors de la société, ils sont contraires à la société... Obligés à des devoirs que n’a pas prescrits la nature que la nature réprouve, ne sont-ils pas par la nature même conduits à les violer ? Le respect pour la religion n’est-il pas alors attaqué ? C’est un très grand mal politique. Quant à l’éducation politique, elle doit être faite par des hommes qui jouissent des droits du citoyen, qui les aiment pour les faire aimer ..... Tout homme qui ne peut subsister par son travail doit subsister par la société; ainsi les secours à donner aux pauvres, aux malades, sont des devoirs de la société ; des hommes étrangers à la société ne peuvent être chargés de remplir ces devoirs. Les ordres religieux sont donc incompatibles avec l’ordre social et le honneur public; vous devez les détruire sans restriction. M. de Lafare, évêque de Nancy (1). Messieurs, je ne m’arrêterai point à réfuter ici ce qui a été dit par le préopinant (M. Barnave). Les opinions religieuses qu’il professe peuvent excuser quelques assertions hardies qu’il s’est permises, mais qu’il n’a pas prouvées. U vous a présenté des déclamations vagues et des sophismes; je vais vous soumettre des calculs positifs : je les crois exacts, irréfragables. Si je me trompe, il sera facile de relever mes erreurs. La proposition sur laquelle la discussion a été fixée et qui consiste à savoir si les corps religieux doivent ou ne doivent pas être supprimés, atteint par ses conséquences tout le système religieux. La nécessité de mettre dans son véritable jour le danger d’exécuter la suppression proposée, me (1) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire du dis-ceurs de M. de Lafare. force de tracer à vos yeux le tableau raccourci de la position actuelle du clergé : ce tableau exige des détails. Daignez, Messieurs, ne pas les suspendre; vous les jugerez dans leur ensemble, et j’ose croire que vous verrez bientôt combien ils sont nécessaires au développement des principes et à la maturité de votre décision : ils tendent à vous faire connaître s’il est convenable, s’il est utile pour la nation, de prononcer la suppression absolue des ordres religieux. Je suis bien loin de penser qu’on veuille porter aucune atteinte à la religion de nos pères ; mais il faut convenir que, si ce funeste projet eût été formé, il était difficile de travailler plus efficacement à son succès. Un monarque de ce siècle, justement célèbre (1), a consacré, dans ses ouvrages philosophiques, cette opinion trop certaine, que rien n’était plus capable d'affaiblir l'empire de la religion catholique que d’enlever aux églises leur patrimoine. Il aurait pu ajouter que de supprimer les ordres religieux. La marche, Messieurs, que vous avez suivie à l’égard du clergé n’était pas sans doute guidée par ce principe, mais le résultat n’est pas moins alarmant. Le rachat de la dîme a été décrété ; la rédaction postérieure de votre décret a porté son abô-lition. Bientôt a suivi la proposition de déclarer le patrimoine du clergé propriété nationale. Votre justice s’y refusait. On s’est borné à vous investir de la simple disposition des biens ecclésiastiques, d'après les instructions et sous la surveillance des provinces. Déjà le projet de la vente générale de tous les biens patrimoniaux des églises vous avait été présenté. Vous aviez paru le rejeter; mais, après avoir proscrit la lettre de ce projet, vous en avez adopté l’esprit par votre décret du 19 décembre; vous l’avez porté sans que les membres du clergé, inscrits pour la parole, eussent pu se faire entendre. Ici, Messieurs, la ruine des églises et du culte n’était que trop avancée. Jetez, pour un moment, vos regards en arrière, et faisant aujourd’hui ce qui devait être votre première opération, comparez la nécessité de la dépense du culte et des ministres avec la possibilité des ressources qui vous restent. Les plans les moins suspects d’exagération et de faveur pour le clergé demandent un fonds annuel de cent millions pour la dépense du culte. Ce fonds se trouvera-t-il, d’après le résultat de vos précédents décrets et des nouveaux qu’on vous propose? Cette connaissance devient indispensable, pour ne pas compromettre la disposition des biens ecclésiastiques que vous vous êtes réservée. Si la dîme restait abolie, il faudrait soustraire des revenus possibles du clergé. 70 , 000 , 000 liv. Pour la partie des droits féodaux supprimés sans indemnité 2,000,000 Pour la rente représentative de deux cents millions au moins de valeurs terrritoriales et improductives, qu’il faudra vendre pour compléter les quatre cents millions de propriétés ecclésiastiques que vous projetez de vendre ........... 10,000,000 Car vousne croirez pas qu’une (I) Frédéric II, roi de Prusse.