SÉANCE DU 29 BRUMAIRE AN III (19 NOVEMBRE 1794) - N° 46 401 Des citoyens intègres, patriotes, doués de connaissances judiciaires et administratives, que la vertu seule ne peut jamais suppléer, vont être appelés dans toutes les parties de la République pour fortifier ce rempart; alors toutes les espérances coupables de tous vos ennemis seront déjouées. Lorsque toutes les fonctions de la société reposeront entre des mains pures et fidèles, que pourra contre le bonheur la rage impuissante de quelques hommes il ne reste pour patrimoine civil et politique que le fruit de leurs rapines et la célébrité que donnent le crime et les forfaits dont ils se sont couverts? Le rapporteur propose un décret qui est adopté en ces termes (106) : La Convention nationale, sur la présentation de [PORCHER, au nom de] son comité de Législation, décrète : tous les citoyens nommés en la liste annexée au présent décret, entreront chacun dans les fonctions qui lui sont désignées. Le présent décret ne sera imprimé qu’au bulletin de correspondance; la commission des Administrations civiles, police et tribunaux, est chargée des mesures d’exécution (107). 46 Le président [LEGENDRE (de Paris)] arrive, et prend le fauteuil (108). REAL, au nom des comités de Salut public et des Finances réunis : Citoyens, favoriser le commerce, l’agriculture et les arts, encourager tous les établissements propres à développer l’industrie nationale, tel est le vœu bien prononcé de la Convention. C’est pour entrer dans vos vues générales de bien public que je viens vous proposer, au nom de vos comités de Salut public et des Finances réunis, d’utiliser les bâtiments de la ci-devant abbaye des Prémontrés, en les aliénant sur le pied de l’estimation, pour y établir une manufacture de verrerie, une fabrique de salpêtre, et une de potasse. L’abbaye des Prémontrés, située dans un local entouré de montagnes et couvert de bois, n’est propre qu’à l’établissement d’une usine à feu : on ne peut tirer aucun autre parti de ces bâtiments, qui ne sont pas susceptibles de division. Les terres, prairies et domaines qui en dépendaient ont été vendus en petits lots distincts et séparés, conformément à la loi. Il ne reste plus que quelques arpents de terre autour des bâtiments, un moulin et des étangs dont les eaux sont nécessaires pour donner l’action aux usines qu’on se propose d’y établir. (106) Moniteur, XXII, 542-543. Débats, n° 787, 840-841. (107) P.-V., XLIX, 287-291. Moniteur, XXII, 543; Débats, n° 787, 841. (108) P.-V., XLIX, 291. Deux fois ces bâtiments ont été adjugés à la chaleur des enchères, et à deux acquéreurs insolvables : la première fois au citoyen Dominique, ouvrier menuisier, au prix de 519000 livres; et la seconde, sur sa folle enchère, à Maurice Prud-homme, sabottier, au prix de 310000 livres. Ces acquéreurs, dans l’impuissance de fournir le premier à-compte, ont fait signifier leur désistement. Pour éviter un pareil résultat dans une troisième adjudication, la municipalité de Prémontré et l’administration du district de Chauny ont pensé que le parti le plus avantageux à la nation était d’aliéner, sur le pied de l’estimation, ces bâtiments à quelque entrepreneur ou société pour y établir une manufacture qui raviverait un pays pauvre et stérile, en augmentant nos richesses commerciales. Le citoyen Cagnon, artiste connu dans la verrerie pour fabriquer des verres de chimie et de pharmacie supérieurs à ceux des Anglais, s’est présenté pour acquérir ces bâtiments, à la charge d’y établir une manufacture de verrerie, une fabrique de salpêtre et une de potasse. Consultés sur les avantages de cette proposition, le district de Chauny, les commissions des Revenus nationaux, d’Agriculture et des Arts, et des Secours publics, ont unanimement émis un vœu favorable pour l’établissement proposé. La commission des Secours publics a surtout obtenu que la manufacture de verrerie offrirait des ressources précieuses pour le service des hôpitaux militaires, qui avaient un besoin pressant de verres de pharmacie. Déterminés par des motifs d’intérêts public, vos comités de Salut public et des Finances ont pensé que la Convention devait faciliter un établissement qui sera un jour de quelque poids dans la balance du commerce, et qui dès à présent nous procurera des objets nécessaires à nos armées, objets que nous serions obligés de tirer en partie de l’étranger. Les mêmes motifs ont engagé vos comités à imposer à l’acquéreur l’obligation de maintenir l’établissement pendant un temps déterminé. Enfin l’adjudicataire qui se présente ne demande ni secours, ni avance. C’est sur le pied d’une estimation rigoureuse qu’il paiera les immeubles qui lui seront aliénés. Voici le projet de décret que je suis chargé de vous proposer (109) : Le rapporteur du comité de Salut public monte à la tribune; sur son rapport, le décret qui suit est rendu : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [RÉAL, au nom de] ses comités de Salut public et des Finances, section des domaines, réunis, sur la soumission faite par le citoyen Cagnon, d’acquérir les bâtimens, terres, étangs et moulins restant à vendre, de la ci-devant abbaye des Prémontrés, pour y établir une manufacture de verre, une fabrique de salpêtre et une de potasse, décrète ce qui suit : (109) Moniteur, XXII, 539. 402 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Article premier. - Il sera incessamment procédé à l'estimation exacte et rigoureuse des bâtimens, cour, jardin, clos, terres, près et étangs, moulins et autres dépendances restant à vendre de la ci-devant abbaye des Prémontrés, district de Chaulny [Chauny], département de l’Aisne. Cette estimation sera faite par trois experts nommés, l’un par la commission des Revenus nationaux, le second par le directoire du département de l’Aisne, le troisième par le directoire du district de Chaulny [Chauny] ; Art. II. - Ces experts opéreront en présence d’un autre expert nommé par le citoyen Cagnon, qui aura voix instructive : ils adresseront leur procès-verbal d'estimation au comité des Finances, qui en fera son rapport à la Convention nationale, à l’effet de décréter l’aliénation, s’il y a lieu. Art. III. - L’adjudicataire paiera le prix des objets qui lui seront aliénés, dans les termes et de la manière prescrite pour l’aliénation des domaines nationaux. Art. IV. - L’adjudicataire sera tenu de réaliser l’établissement proposé, dans une année, à compter du décret d’aliénation, et de le maintenir au moins pendant l’espace de dix années. Faute par l’adjudicataire de remplir ces conditions, il sera évincé des bâtimens et autres propriétés à lui adjugés, et ne pourra répéter le premier paiement qu’il auroit fait, en conformité de l’article précédent (110). 47 Un des secrétaires fait lecture d’une adresse des citoyens de la commune de Nantes [Loire-Inférieure] et de la société populaire. Ils dénoncent Carrier, représentant du peuple, à la Convention nationale, qu’il a voulu avilir et au peuple entier, dont il a trahi la confiance et compromis la souveraineté, et ils retracent les crimes qu’ils lui imputent. La Convention nationale décrète l’impression de cette adresse, autorise ses secrétaires à en coter et parapher toutes les pages et à la remettre ensuite à sa commission des Vingt-un (111). [Les citoyens soussignés, de la commune de Nantes et de la société populaire, à la Convention nationale (112)] Nantes, le 9 brumaire, l’an 3e de la république française, une et indivisible. (110) P.-V., XL IX, 291-292. Moniteur, XXII, 539-540. (111) P.-V., XLIX, 292. Rapporteur Chazal selon C* II, 21. (112) Moniteur, XXII, 544-546. Ann. Patr., n° 688; Gazette Fr., n° 1053 ; J. Perlet, n° 787 ; Mess. Soir, n° 824 ; C. Eg., n° 823; Ann. R. F., n° 59; J. Univ., n° 1819; Rép., n° 60; Débats, 788, 857 ; Ann. R. F., n° 59. Citoyens représentants, c’est dans le temple de la justice et de la liberté, c’est au milieu des mandataires fidèles d’un peuple magnanime, que les Nantais, constants dans leurs principes énergiques et purs, toujours pénétrés de la même confiance dans la représentation nationale, s’empressent de déposer dans son sein leurs justes craintes et leur indignation. Représentants du peuple français, vous qui, déjà convaincus que ce n’est pas par la terreur, dont l’empire affreux ne s’élève qu’au milieu des forfaits et des désolations, qu’on peut consolider un gouvernement heureux; vous dont les actions sublimes prouveront à jamais que le règne seul des vertus assure la prospérité des républicains, nos coeurs, en s’épanchant dans votre sein paternel, se remplissent déjà d’espérance et de joie. Mais que veulent donc encore ces hommes féroces, toujours si prompts à criminaliser l’innocent, à accuser ceux qui les démasquent ; qui n’invoquent la punition du coupable que pour écarter un témoin qu’ils redoutent, et anéantir une preuve de conviction; qui ne s’agitent que pour défendre leurs complices, et voiler leurs attentats?... Ils voudraient entraver la marche du temps; mais que peuvent tous leurs efforts réunis contre sa puissance!... Ils s’élèvent contre la vérité; mais rien ne peut obscurcir ses rayons bienfaisants... Ils ne font que retarder leur supplice... Leurs accusateurs sortent du fond même des tombeaux où ils croyaient les avoir engloutis!... Le triomphe de l’homme probe est assuré ; la dernière heure du crime a sonné... Mais craignons encore jusqu’à son ombre même, redoutons toujours le méchant; il conspire sans relâche contre la vertu ; son existence est odieuse, et son impunité est un acte d’accusation contre la sécurité de l’homme de bien. Et nous qui avons combattu avec tant de courage pour la liberté, nous qui déclarons une guerre à mort à tous ses oppresseurs, nous qui avons bien mérité de la patrie, nous serions, par notre silence, les complices du crime, nous aurions la lâcheté d’oublier un grand coupable!... Non!... non!... Citoyens représentants, comme vous, fidèles à nos serments, nous vous dénonçons l’infâme Carrier : ses forfaits s’élèvent de toutes parts contre lui; tout ici les atteste; ... nous le dénonçons à la représentation nationale, qu’il a voulu avilir ; nous le dénonçons au peuple entier dont il a trahi la confiance et tant de fois compromis la souveraineté!... Carrier s’est rendu coupable de ces crimes en donnant les ordres les plus arbitraires à des hommes justement exécrés, à tous ces agents qu’il trouvait si dociles à servir sa fureur, ces monstres qui voulaient tout détruire dans cette cité, jusqu’à la racine (ce sont leurs expressions) ; à des Fouquet, à des Lambertye, dont le glaive de la justice a terminé l’affreuse existence; ces animaux féroces, que Carrier appelait ses meilleurs amis, des patriotes par excellence, et qui, de tant de victimes innocentes qu’ils firent périr, ne conservèrent que deux femmes ex-nobles, qu’ils ne réservèrent encore que pour leurs vils plai-