758 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les mars.] Art. 50. Que les dîmes soient perçues uniformément et seulement à raison de quatre gerbes par arpent, ainsi qu’elles se perçoivent dans plusieurs endroits, comme à Brie-Comte-Robert et autres paroisses circonvoisines. Art. 51. Qu’il soit pris les précautions nécessaires pour que les médecins, chirurgiens et sages-femmes soient suffisamment instruils et ne puissent exercer leur art sans avoir été scrupuleusement examinés et reçus en concours dans les écoles de médecine et de chirurgie. Art. 52. Qu’il soit absolument interdit à tous particuliers de débiter des médicaments qu’ils n’aient été autorisés à les vendre par des personnes de l’art, constituées à cet effet. Sù/ne Dufresnon ; Pelletier; Fremont; Cordel-lier ; Dartron; Paul Lejeune; Pestaille ; Toussaint ; Bailli ; Mounera ; Meunier. CAHIER De la paroisse de Neuilly-sur-Marne , dans lequel on traite de la meilleure constitution qu'on puisse donner à la France et des moyens de combler le déficit des finances , remis par les habitants à M. Girard DE BüSSO, seigneur de la paroisse , et à M. MERCENü, syndic municipal (1). Les habitants de la paroisse de Neuilly-sur-Marne, dûment convoqués, demandent que tous les privilèges pécuniaires dont jouissent les nobles, les ecclésiastiques et les autres privilégiés, soient abolis; qu’en conséquence, on fasse une masse de toutes les impositions assises sur chaque paroisse; que cette masse soit composée du mentant de la taille, dont le nom ignominieux dCit être proscrit; plus, de toutes les impositions qui y sont accessoires, ainsi que l’impôt mis pour le remplacement de la corvée ; plus, de la totalité des vingtièmes que paye la paroisse; plus, de la capitation des nobles “et des privilégiés qui y habitent, ainsi que celle de leurs domestiques; et enfin, des décimes que payent les ecclésiastiques pour les terres qu’ils “y possèdent, ou les dîmes qu’ils y perçoivent; et que faisant un total de ces impositions réunies, on le répartisse solidairement entre tous les contribuables, comme il est d'usage de répartir le montant d’une adjudication pour la reconstruction d’un presbytère. Selon cette forme de répartition, tous les ecclésiastiques jouissant de terres ou percevant des dîmes, tous les privilégiés de toute espèce, et tous roturiers propriétaires de biens-fonds, dans chaque paroisse, seraient assujettis au payement de cet impôt par les mêmes répartiteurs, dans la môme forme et sur le même rôle, selon la proportion de la valeur de leurs biens et de leurs dîmes, et l’on devrait y assujettir également les terres tlobles, dans les provinces où ce privilège est admis, aussi bien que les propriétaires dés maisons situées dans les villages, selon la valeur de ces maisons, comparée à celle des autres propriétés foncières. Les susdits habitants observent que, comme cet impôt serait pavé directement par les propriétaires, il serait juste d’obliger leurs fermiers à leur tenir compte, jusqu’à la lin de leurs baux, de la même somme à laquelle ils auraient été imposés l’année précédente; et ils observent, de plus, que si cette méthode donnait lieu à quelques (i) Nous publions ce document d’après un imprimé de la Bibliothèque du Sénat. disproportions entre les impositions des différentes paroisses, les Etats provinciaux, qu’ils espèrent que les Etats généraux établiront dans toutes les provinces, s’occuperont à faire disparaître ces disproportions, comme des Etats généraux s’occuperont, sans doute, à faire cesser celles qui existent entre les provinces. Les susdits habitants demandent que la diminution ou exemption absolue de certains droits des aides, dont jouissent en quelques endroits les ecclésiastiques, les nobles ou les privilégiés, soit à la vente en gros de leurs vins, soit à la vente en détail, soit à l’entrée des villes ou aux inventaires, soit de même entièrement supprimée. Ils demandent que l’exemption des droits d’entrée de Paris, dont jouissent les propriétaires qui y font entrer leurs denrées, soit abolie, parce qu’elle leur semble injuste et sujette à beaucoup d’abus. Ils demandent que les droits de contrôle sur les actes suivent toujours la proportion des sommes comprises dans les actes, et ne diminuent point, passé quelque somme que ce soit, afin que les riches payent proportionnellement aulant que les pauvresse! pour cette raison ils demandent que l’exemption du droit de contrôle dont jouissent les notaires de Paris soit supprimée. Ils demandent que le droit humiliant de franc-fief, qui ne porte que sur les personnes du tiers-état, qui est un reste de l’absurde régime des fiefs et qui est nuisible à la noblesse elle-même, en diminuant la concurrence des acheteurs pour les biens nobles qu’elle veut vendre, soit entièrement aboli, et que le produit que rend maintenant ce droit soit ajouté à l’impôt territorial ci-dessus spécifié. Ils demandent que la milice, qui, telle qu’elle existe, est une véritable imposition pécuniaire, et est d’ailleurs une servitude odieuse et désastreuse pour les campagnes, soit remplacée par des enrôlements volontaires, et que ce qu’il en coûtera de plus que les frais qu’elle occasionne aujourd’hui soit encore ajouté à l’impôt territorial, si on ne trouve pas dans les économies et les retranchements des abus des fonds capables de suffire à cetie dépense. Ils demandent que, dans les criminels, la justice ne distingue point les personnes, et que, pour les mêmes crimes, les supplices soient semblables pour les hommes de tous les ordres. Comme, à la honte de l’humanité, et surtout du nom français, il existe encore, dans quelques provinces de la France, quelques hommes serfs ou mainmortables, ils demandent que les dernières traces d’une semblable barbarie soient à jamais effacées par une loi générale. Ils demandent que le droit de chasser avec des fusils soit réservé aux seuls seigneurs; mais qu’en défendant le port d’armes à feu aux autres propriétaires, il leur soit permis de détruire le gibier sur leurs héritages de toute autre manière. Ils demandent que personne ne puisse avoir que les pigeons qu’il nourrit, ou qu’au moins les colombiers de pigeons fuyards, qui consomment tant de grains aux propriétaires qui n’ont point le droit d’avoir des colombiers, soient fermés pendant le temps de semailles de printemps et d’automne, et pendant celui de la maturité des grains ou des légumes farineux. Ils regardent ces deux droits comme la servitude la "plus décidée pour les personnes sur lesquelles ils sont exercés, tout droit illimité rendant absolument esclave celui qui y est soumis ; or, 759 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les mars.] la quantité de gibier et de pigeons dont les seigneurs peuvent infester les terres de leurs vassaux, n’étant point et ne pouvant être déterminée, ils ont, en quelque sorte, droit de vie et de mort sur eux, puisqu’ils peuvent les priver de nourriture en faisant dévorer leurs récoltes par un nombre indéterminé de ces animaux, et l’on ne trouverait que trop d'exemples pour prouver que bien des malheureux ont ainsi vu détruire la moisson qui devait nourrir leurs familles. Ils demandent que le tiers-état soit admis dans tous les emplois militaires, conformément à l’ancien usage, et à une loi solennelle de Louis XV qui, en établissant une noblesse militaire, acquise par les grades, supposait évidemment que les personnes du tiers-état pouvaient prétendre aux grades supérieurs; et regardant la loi qui en exclut le tiers-état comme une injure nouvelle et gratuite faite à cet ordre, si respectable par son nombre et par son utilité, ils insistent sur ce que cette ordonnance soit révoquée. Ils demandent que les personnes capables du tiers-état puissent également posséder toutes les places de magistrature supérieure, parce que la justice devant être égale pour tous les hommes de tous les ordres, ils ne peuvent voir sans alarmes toutes ces places remplies par des personnes de l’ordre de la noblesse, au mépris des anciens usages et de l’esprit de la loi, qui, en accordant la noblesse à un long exercice de ces charges, suppose que les personnes qui en sont revêtues ont besoin de l’acquérir. Ils demandent que, pour que la noblesse puisse trouver d’autres moyens de s’occuper utilement, il soit statué par une loi qu’elle pourra, à l’avenir, exercer toutes sortes de professions, et faire toute espèce de commerce sans déroger. Ils demanderaient enfin d’être délivrés de toutes les vexations et de. toutes les pertes que leur cause la capitainerie, s’ils n’avaient, appris que Mgr le duc d’Orléans a ordonné lui-même à ses fondés de pouvoirs d’en solliciter la suppression; mais, par l’intérêt qu’ils prennent à tous leurs concitoyens, ils ne peuvent s’empêcher de demander que l’exemple de Mgr le duc d’Orléans soit suivi pour tous les cantons de la France où une semblable tyrannie est exercée. Toutes ces demandes si justes et si raisonnables ayant été accordées, ils espèrent que les deux premiers ordres se joindront à eux pour s’occuper du bien général du royaume, et pour obtenir une constitution équitable et solide, qui assure à tous les Français tous les droits dont doivent jouir des hommes libres, et qui empêche que personne ne puisse désormais y porter impunément atteinte. Ils pensent que, conformément aux instructions données par Mgr le duc d’Orléans à ses fondés de procuration, les principaux de ces droits sont : La liberté individuelle qui comprend celle de vivre où l’on veut, d’aller, venir où il plaît, sans aucun empêchement, soit dedans, soit dehors du royaume, et sans qu’il soit besoin de permission, passe-port, certificat ou autres formalités tendantes à gêner la liberté des citoyens. Que dans le cas où les Etats" généraux jugeraient que l’emprisonnement provisoire peut être quelquefois nécessaire, il soit ordonné que toute personne ainsi arrêtée soit remise dans les vingt-quatre heures entre les mains des juges naturels, avec l’ordre en vertu duquel elle aura été constituée prisonnière; que nul geôlier ne puisse se charger d’aucun prisonnier, sans qu’on lui remette cet ordre ainsi motivé, afin qu’il le produise aux juges, et qu’ils puissent ainsi statuer dans le plus court délai sur ledit emprisonnement, et qu’enfin, l’élargissement provisoire soit toujours accordé en fournissant caution pour une somme raisonnable et non excessive, toutes les fois que le détenu ne sera pas dans le cas d’être prévenu avec vraisemblance d’un délit qui entraîne une peine corporelle. Que toute personne qui aura sollicité, signé, exécuté ou favorisé un ordre injuste d’emprisonnement, ou non revêtu des formalités ci-dessus prescrites, puisse être prise à partie par-devant les juges ordinaires, et punie exemplairement. Que la liberté de publier ses opinions faisant partie de la liberté individuelle, puisque l’homme ne peut être libre quand sa pensée est esclave, la liberté de la presse soit accordée indéfiniment, sauf les réserves qui peuvent être faites par les Etats généraux. ' Que la propriété de la pensée étant la plus sacrée de toutes, le respect le plus absolu pour toute lettre confiée à la poste soit inviolabiement gardé. Que tout droit de propriété soit pareillement inviolable, et que nul ne puisse en être privé, même à raison de l’intérêt public, qu’il n’en soit entièrement dédommagé. Que nul impôt ne soit légal, et ne puisse être perçu, qu’autant, etqu’aussi longtemps qu’il aura été voté par les Etats généraux, et que lesdits Etats ne puissent en consentir aucun que pour un temps très-limité, et jusqu’à leur prochaine assemblée; en sorte que cette prochaine assemblée venant à avoir lieu, tout impôt cesserait. Que dans le cas d’un changement de règne ou d’une régence, le chancelier soit tenu de convoquer les Etats généraux dans le plus court délai. Que les ministres soient comptables aux Etats généraux de l’emploi des fonds qui leur auront été confiés, et responsables auxdits Etats de leur conduite en tout ce .qui est relatif aux lois du royaume. Que la législation et la procédure civile soient réformées, et quant à la procédure criminelle, que chacun soit jugé par ses pairs, ainsi que c’était l’usage ancien de la France, ou par des jurés, comme cela se pratique en Angleterre ; et qu’à la réserve de la nécessité de l’unanimité absolue des jurés, on suive en tout la forme de procéder, en matière criminelle, de cette nation, cette procédure étant la plus simple et la plus parfaite que les hommes aient encore imaginée. C’est pour obtenir et assurer à jamais ces droits, que les susdits habitants jugent nécessaire d’établir une constitution qui les fixe et les rende inviolables ; et voici celle qu’ils pensent être la plus propre à produire cet effet, et la plus convenable, soit à, l’étendue du royaume, soit aux coutumes et aux opinions qui y ont le plus de force et d’autorité : Ils pensent qu’il serait désirable qu’on pût diviser la France en vingt-quatre grandes généralités, qui payeraient chacune la vingt-quatrième partie des vingtièmes, et qu’on établît dans chacune des Etats provinciaux composés de cent quatre-vingts membres. Ils estiment que si cette division souffre trop de difficultés, et qu’on préfère laisser subsister In division et le nombre actuel des généralités, alors il faut les diviser en trois classes, et donner à chacune des Etats provinciaux dont le nombre des membres soit proportionné à la somme des vingtièmes à laquelle elle est imposée ; que les grandes aient, par exemple, cent quatre-vingts 760 [États gén. 1789. Cahiers.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. IParis hors les mars. membres dans leurs Etats provinciaux, les moyennes cent quarante-quatre, et les petites cent huit. Que les grandes soient divisées en quinze cantons, dont chacun payerait à peu près la quinzième partie des vingnèmes de la généralité, et qui nommeraient chacun douze députés, dont trois ecclésiastiques, trois nobles et six du tiers-état; que les généralités moyennes soient divisées en douze cantons, et les petites en neuf, qui nommeraient aussi chacun douze députés pour compléter leur nombre respectif. Cette division de cantons suppose que les députés de chaque ordre ne seraient élus que par les personnes du même ordre, et pourrait même subsister quand tous les ordres ncunmeraient des députés ensemble. Cependant, si l’on craignait, dans quelque généralité, surtout dans les premières années de cette institution, des assemblées trop nombreuses, on pourrait multiplier par trois le nombre des cantons, et chacun d’eux ne nommerait alors qu’u i faisceau de députés, composé d’un ecclésiastique, d’un noble et de deux hommes du tiers-état; mais dans la suite, quand on se se-serait familiarisé avec ces formes, on ne devrait plus craindre de rassembler un nombre considérable d’hommes, qui seraient tous d’un état honnête, et l’on pourrait détripler les cantons. Au reste, quelque méthode qu’on suive à cet égard, il est important de fixer les qualifications des électeurs et des personnes éligibles, et ces qualifications doivent rester les mêmes, soit qu’on adopte l’une ou l’autre méthode. Lesdits habitants pensent que la voix d’un électeur doit pouvoir être supposée donnée, non-seulement avec intérêt à la chose publique, mais encore avec intelligence et indépendance; qu’en assemblant indistinctement tous les habitants d’un village, on ne peut se flatter de recueillir des voix de personnes qui aient un véritable intérêt à la fortune de l’Etat, qui entendent les grandes questions qu’on doit traiter aux Etats généraux, qui connaissent quels sont les hommes les plus capables de les traiter, ni qui aient un état indépendant, et qu’on donne, au contraire, un grand avantage dans l’émission du vœu des villages aux hommes les moins intéressés au bonheur général, les plus incapables d’en connaître les véritables intérêts, et que leur pauvreté rend les plus dépendants et les plus raeiles à corrompre, puisque ce sont toujours de tels hommes qui sont les plus nombreux dans tous les villages. D’après ces réflexions , les susdits habitants pensent qu’on doit sentir qu’en n’admettant pour électeurs que les propriétaires un peu aisés, les hommes sans propriété sont cependant virtuellement représentés, et beaucoup mieux même qu’ils ne pourraient l’être, d’après leur propre vœu, puisque, de cette manière, ils le sont par des personnes de leur ordre qui ont le même intérêt qu’eux, et qui en même temps qu’elles sont moins corruptibles, sont plus instruites et plus intelligentes. Ils pensent, au reste, que les propriétaires sont les seuls qui aient un intérêt réel et permanent à la prospérité durable de l’Etat, puisque les autres habitants sont à peu près dans le cas des étrangers qui y séjournent un plus grand ou un moindre nombre d’années ; qu’ainsi, jusqu’à ce que le nouvel impôt territorial soit établi, on devrait employer le vingtième pour base du droit d’élire ou d’être élu, parce que c’est à présent le seul impôt qui porte sur tous les propriétaires laïques, nobles ou non nobles, et qui habitent les villes ou les campagnes. Quant aux ecclésiastiques, ils croient qu’on devrait se servir des décimes, en observant qu’aussitôt qu’un nouvel impôt territorial sera fixé, on devra rendre la cote de cet impôt, nécessaire pour élire ou être élu, d’autant plus forte, que cet impôt surpassera les vingtièmes. Ils pensent encore que quand les impôts personnels ne seraient pas arbitraires, et par conséquent injustes, et ne devraient pas, par ces raisons, être abolis, ils ne peuvent cependant pas donner aux personnes qui les payent le droit d’élire les représentants de la nation, ni celui de la représenter, quelque fortes que soient les cotes qu’elles en supportent, et qu’il n’y a que les impôts qui portent sur la propriété, qui doivent conférer ces droits. Ils se fondent sur ces deux raisons : Premièrement, parce que ces impôts sont maintenant supportés par des personnes dont les intérêts, loin d’être toujours conformes à l’intérêt général, peuvent quelquefois y être opposés ; tels sont les capitalistes, les personnes employées par l’administration, les pensionnaires, les négociants et les rentiers; et secondement, enfin, parce que, si les Etats généraux n’étaient composés en totalité ou en grande partie, que d'hommes qui ne payeraient que des impôts personnels, il serait absurde de penser que de tels Etats généraux pussent voter des impôts sur les terres, au lieu que des Etats généraux, composés de seuls propriétaires, peuvent voter toutes sortes d’impositions, puisqu’il n’en est aucune dont ils soient exempts. ils demandent donc qu’on ne puisse jouir du droit d’élire, qu’en rapportant la quittance de la dernière année, des vinglièmes et 4 sous pour livre, qui soit au moins de 24 livres pour un bien, dont la majeure partie suit dans le cardon où l’on vote, soit que ce bien soit situé en campagne, soit qu’il consiste en maisons situées dans une ville ; que, de cette manière, si chaque ordre choisit ses députés, il soit ordonné que tous les propriétaires nobles, soit qu’ils possèdent des fiefs et des rotures, mais qui payent 24 livres de vingtièmes, se rendront, à un jour marqué, dans une ville ou un bourg indiqué du canton, pour y élire la première fois trois députés de leur ordre; que, le même jour, tous les ecclésiastiques payant 24 livres de décimes, se rendront dans une autre ville ou bourg du canton, pour y élire de même trois députés, et qu’enfin tous les propriétaires du tiers-état, payant aussi 24 livres de vingtièmes, pour quelque nature de bien que ce soit, se rendront aussi le même jour dans un autre ville ou bourg du canton, et ils éliront six députés, et cette identité de jour devrait s’étendre à toutes les élections du royaume. Si tous les ordres nommaient en commun leurs députés respectifs, alors les électeurs de tous les ordres se rassembleraient aux jour et lieu indiqués, et éliraient douze députés ; et si, pour éviter des assemblées trop nombreuses, on avait triplé le nombre des cantons, les électeurs nommeraient seulement quatre membres de l’assemblée provinciale, dont un ecclésiastique, un noble et deux du tiers-état. Toutes ces élections devraient être faites parla voie du scrutin ; et, comme on renouvellerait tous les ans le tiers des membres des assemblées provinciales, si le nombre des cantons n’avait point été triplé, chaque canton, au lieu de douze députés, n’en nommerait que quatre; et si le [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs.) 761 nombre des cantons avait été triplé, il n’y aurait alors que le tiers des cantons qui procéderait aux élections de quatre députés par canton. Les susdits habitants pensent, au reste, que les frai-* d’assignation sont inutiles, et qu’une simple roclamation au prône ou à l’audience, et des af-ches à la porte des églises, suffiraient pour indiquer le jour et le lieu de l’assemblée. Ils croient qu’elles ne devraient point être présidées pardes juges, parce que cette forme engage souvent à les nommer pour députés (1), quoiqu’ils soient ordinairement peu propres à cette fonction; et que les trois plus anciens d’âge pourraient d’abord présider au scrutin dans lequel on élirait le président et les scrutateurs ; qu’enfin la confection et la réduction des cahiers est très-nuisible, en cequ’elles occasionnent unegrande perte de temps et une grande dépense aux députés des v Iles et des campagnes; et ils jugent que quelques motions sommaires, faites dans l’assemblée pendant un jour ou deux au plus, suffiraient pour instruire des désirs de ses commettants le député qui ne doit être gêné, dans l’exercice de ses fonctions, par aucune limitation de pouvoir. Ils observent que l’abus des procurations ayant été manifesté dans cette convocation, on doit en interdire l’usage; et qu’outre tous les autres défauts de la forme de cette convocation, il n’y a point de vœu direct des premiers électeurs , et que ce vœu se perd par tous les degrés d’électeurs, et par toutes les réductions par lesquelles on le fait passer. Ils observent, en outre, que, pour conserver au gouvernement la forme qu’on lui donne, et avoir toujours à peu près le même nombre d’électeurs ou de personnes éligibles, et d’une fortune semblable à celle qu’on leur demande maintenant, on doit énoncer la cote de vingtième, non par la valeur numéraire de l’argent, mais par la quantité de boisseaux de blé-froment que cette valeur représente; qu’il faut, de plus, déterminer, tous les dix ans, cette quantité d’après le prix moyen de ces dix dernières années, suivant les mercuriales de Paris, et faire connaître ce prix moyen avant le temps des élections, afin que, d’après la fixation de ce prix, chacun puisse savoir d’avance s’il a ou s’il n’a pas le droit d’élire ou d’être élu. A l’égard de la faculté d’être élu, ils pensent qu’il n’y a non plus que les propriétaires qui soient dignes de cet honneur, et qu’il est même juste qu’ils fassent, par leurs cotes du vingtième, reuve d’une propriété beaucoup plus considéra-le que les simples électeurs, surtout si c’est parmi eux qu’on choisit, ainsi qu’il va être proposé, les représentants de la nation aux Etats généraux. Il leur paraît nécessaire que leur fortune fasse présumer qu’ils ontune éducation distinguée, et qu’on leur connaisse un intérêt majeur à la chose publique; et puisque c’est sous les meilleurs rois qu’on doit prendre des précautions contre leurs successeurs qui seraient tentés d’abuser de leur pouvoir, et qu’il est même permis de l’avouer, ils ajouteront aux raisons précédentes, qu’il est important que les représentants de la nation aient au .moins une fortune qui les mette au-dessus des petites tentations, et qui leur donne un caractère à conserver, afin que les moyens de corruption soient moins faciles, et que, pour avoir une majorité dans une assemblée ainsi (1) Le shériff qui préside en Angleterre aux élections d’une comté, n’est point éligible dans cette comté, et ne peut être élu que dans une autre, si d’ailleurs il a les qualifications requises. composée, il en coûtât des sommes difficiles à rassembler. Il croient que les habitants des villes, payant comme ceux des campagnes les vingtièmes de leurs propriétés, soit en terres, soit en maisons, il faut bien se garder de faire une convocation distincte pour les villes, d’autant que la populace des villes qui éliraient des députés, étant encore plus corrompue que celle des campagnes, ferait de plus mauvais choix ; et ce qui les confirme dans l’opinion qu’il faut que les députés aient une fortune un peu considérable , et ne soient choisis que par de vrais propriétaires, c’est qu’en Angleterre, où on exige des députés des villes et des bourgs une moindre propriété que de ceux des comtés, et où ces députés sont choisis, non par des propriétaires comme ceux des comtés, mais par tous les habitants des villes et des bourgs, ces députés soient en général regardés, par tous les Anglais, comme la partie honteuse, et, comme ils le disent expressivement, comme la partie pourrie de leur constitution. Ces députés ainsi choisis formeraient, dans chaque province des Etats provinciaux qui seraient chargés de larépartition des impôts, de l’inspection sur la manière de les percevoir et de les verser au trésor de l’Etat, de la confection des chemins qui auraient été votés par les Etats généraux, ainsi que de tous les travaux publics, et enfin de toutes les parties de l’administration attribuées maintenant aux intendants, qui deviendraient alors à peu près inutiles. Ils pensent encore que les assemblées, soit de district, soit de département, loin d’être utiles, sont une complication embarrassante à admettre dans la constitution, et qu’elles pourraient même être nuisibles, en ce qu’elles pourraient quelquefois vouloir retarder, interpréter ou refuser d’exécuter le� ordres des Etats provinciaux ou de leur commission intermédiare, et qu’elles doivent, par conséquent, être abolies dans les endroits où on en a formé. Mais, pour que les Etats provinciaux eux-mêmes ne causent pas, relativement aux lois portées dans les Etats généraux, les mêmes embarras qu’on peut redouter des assemblées de département, relativement aux Etats provinciaux, et qu’ils ne s’ingèrent pas à agir sans ou contre leurs ordres, il semble qu’il est" nécessaire de prendre les précautions suivantes : Il faudrait, avant d’admettre un député dans les Etats provinciaux, lui faire prêter le serment de ne jamais consentir à faire, au nom de la province, aucun emprunt, soit pour le gouvernement, soit pour la défense de la province elle-même, ni à consentir aucun impôt ou faire aucune levée de deniers, pour aucun sujet ni sous aucun prétexte, que quand ils auraient été votés par les Etats généraux et que dans la forme qu’ils auront prescrite, et de ne jamais apporter aucun retard ni aucun obstacle à l’exécution d’aucuns de leurs ordres, mais, au contraire, de les exécuter ponctuellement, et de lever incontinent sur la province toutes les sommes que les Etats généraux auraient ordonné d’y être levées, et dans la forme par eux prescrite. Pour être sur qu’un pareil serment ne fût jamais violé, les susdits habitauts pensent qu’il serait à propos de statuer que les Etats provinciaux de chaque province ne tinssent que deux séances par année: l’une immédiatement avant la tenue des Etats généraux, pour faire rendre compte de son travail à la commission intermédiaire, et préparer les demandes qu’ils auraient 762 [Étals gén. 1789. Cahiers.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs.] à faire aux Etats généraux ; et l’autre de quinze jours seulement après la tenue des Etats gêné' raux, pour, d’après ce qu’ils auraient décidé relativement a leur province, indiquer à l’assemblée intermédiaire les moyens d’exécuter ce qui y aurait été résolu. Les susdits habitants pensent que les Etats provinciaux ainsi constitués devraient, ainsi que les Etats généraux, voter toujours par tète, puis-qu’en votant par ordre, et en accordant le veto à chacun d’eux, toute décision pourrait devenir impossible, et qu’on formerait ainsijun gouvernement au moins ainsi absurde que celui de la Pologne. Quant à la manière de nommer les députés aux Etats généraux, les susdits habitants proposent, pour première méthode de former celte assemblée, qu’à la lin de leur première tenue, chacun des Etats provinciaux choisît au scrutin, et d’entre leurs membres, un nombre de députés qui serait tel, qu’étant proportionné aux nombres respectifs des membres de chacun des Etats provinciaux, ces députés fussent eu tout à peu près neuf cenis. Ces représentants de la nation devraient être composés d’un nombre égal de nobles et d’ecclésiastiques, et d’un nombre de membres du tiers égal aux deux autres ordres réunis, et devraient se rendre à Paris ou siégeraient d’ordinaire les Etats généraux, immédiatement après leur nomination. Les susdits habitants pensent encore qu’il serait à propos que les personnes ainsi députées aux Etats généraux y siégeassent trois années consécutives, et qu’ensuite les Etats provinciaux, ainsi que les Etats généraux, fussent renouvelés par tiers tous les ans; mais il leur semble qu’il serait convenable de permettre aux propriétaires électeurs d’élire de nouveau, et sans interruption, les mêmes personnes pour les Etats provinciaux, et d’accorder de même aux Ecrits provinciaux la faculté d’envoyer de nouw; 1 ; mêmes de leurs membres aux" Etats généraux, ali n d’animer le zèle de ces membres, et de ne point priver ces assemblées des lumières de personnes qui, dans certaines matières, leur seraient absolument nécessaires, par les connaissances rares qu’elles auraient des affaires qui seraient alors agitées. Les susdits habitants estiment qu’il serait nécessaire, si l’on suivait cette méthode, que les premiers électeurs donnassent à leurs députés aux Etats provinciaux des pouvoirs suffisants pour choisir entre eux les députés aux Etats généraux, et pour les munir des pouvoirs les plus illimités pour les Etats généraux; puisque, si chaque Etat provincial pouvait limiter les pouvoirs de ses députés, les contrariétés qui se rencontreraient entre ces limitations rendraient toute assemblée des Etats généraux inutile, et livreraient la nation au despotisme, ou la plongeraient dans l’anarchie et la confusion. Ils pensent qu’on pourrait difficilement soupçonner ‘des Etats provinciaux, aussi nombreux, et composés des plus riches propriétaires, d’étre soumis à aucune influence illégale; que leurs choix ne pourraient, par conséquent, être suspects de corruption, et que, comme tous les Etats provinciaux enverraient certainement à l’envi leurs membres les plus considérables et les plus éclairés, on aurait ainsi aux Etats généraux une masse de propriétés et de lumières, qui serait on ne peut pas plus imposante. Si cependant on pouvait encore craindre que les ministres ne pussent acquérir dans la suite une influeuse dangereuse sur la nomination des députés aux Etats généraux, faite de cette manière, ils pensent que, pour dissiper toute crainte à cet � égard, on pourrait suivre la méthode adoptée par la province du Dauphiné, et doubler par un nouveau choix de la province le nombre des membres des Etats provinciaux, pour procéder à cette nomination. Mais les susdits habitants observent qu’on n’aurait point encore, par ctjs deux méthodes, un vœu direct des premiers électeurs; qu’elles ne présentent. au contraire, qu’un choix ou une délégation f par des personnes déjà déléguées par elles-mêmes, et qu’une méthode, par laquelle on pourrait faire nommer les députés aux Etals généraux par les premiers électeurs eux-mêmes, serait de beaucoup préférable; mais ils observent encore que le nombre des députés que chaque généralité enverrait aux Etats généraux, étant beaucoup moindre que celui des membres de ses Etats provinciaux, il faudrait, ou rassembler les électeurs de plusieurs ! cantons pour nommer un faisceau de députés, ou * que chaque canton nommât à tour de rôle quatre � députés, et que le sort décidât quels seraient les (i cantons qui nommeraient les premiers, et dans ] quel ordre les autres leur succéderaient, quand on renouvellerait, chaque année, le tiers des membres des Etats généraux. Les susdits habitants croient que si l’on préférait cette méthode, et que les membres des Etals provinciaux ne fussent pas ainsi nécessairement destinés à être représentants de la nation, leurs fonctions devenant alors moins importantes, on pourrait réduire de moitié la cote ! des vingtièmes, fixée précédemment pour être admis dans ces assemblées, et ne l’exiger que pour les députés aux Etats généraux. Au reste, si l’on préférait cette dernière méthode, les susdits habitants pensent qu’on pourrait diminuer le nombre des membres de chacun des Etats provinciaux, les rendre ainsi moins dangereux et moins capables de résister aux ordres des Etats généraux; et comme de cette manière on diviserait les généralités en un moindre nombre de cantons, tandis, que celui des membres des Etats généraux resterait le même, le tour de chaque canton de nommer quatre députés aux 1 Etats généraux reviendrait d’autant plus souvent, 4 que leur nombre aurait été plus diminué, et on pourrait encore rendre ce retour plus fréquent, en ne faisant élire par chaque canton qu’un député, qui serait alternativement ecclésiastique, du tiers-état, noble, et encore du tiers-état. Les susdits habitants pensent que les tenues des Etats généraux devraient nécessairement être annuelles, et que rien ne serait plus dangereux que de les remettre à des époques plus. éloignées. La nécessité de suivre de près l’exécution des résolutions qui y seraient prises, et les réformes des différents a6us qui y auraient été prescrites, la crainte que de nouveaux abus ne s’introduisent très-promptement, et l’exemple présent du peu de temps qu’ont mis à produire un déficit, aussi énorme deux ministres dissipateurs ou ignorants, qui en sont quittes pour quitter la France, après l’avoir réduite à de telles extrémités; tout leur prouve que ces assemblées ne peuvent être assez fréquentes. Ils réfléchissent qu’il n’y a que la grande habitude des affaires qui y rende les hommes habiles, et que les représentants de la nation ont besoin d’un exercice continuel, pour pouvoir entrer dans le détail de tous les abus, et pour trouver les moyens de les détruire et d’en prévenir le retour ; qu’il n’y a que la succession annuelle de ces assemblées qui puisse inspirer aux mauvais ministres une crainte capable de les [Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. jParis hors les mars.] 763 contenir, et aux bons une confiance assez grande pour les soutenir contre les intrigues que des courtisans corrompus leur opposent, et qu’enfin toutes les parties de la finance, de la justice, de la police et de l’administration exigent un examen si scrupuleux et si suivi, pour y mettre un ordre essentiel au bonheur de la nation, que quand, coutre toute vraisemblance, il serait possible de différer quelquefois, dans la suite, sur la tenue régulière de ces assemblées, il est de toute nécessité que leur tenue annuelle ne soit point interrompue d’ici a un grand nombre d’années. Les susdits habitants ne pensent pas que la dépense qu’occasionneraient ces assemblées dût être un motif suffisant pour les rendre moins fréquentes, et ils croient même qu’on doit se méfier des personnes qui voudraient se servir de ce prétexte pour les éloigner. Il leur paraît qu’une simple députation de chacun des Etats provinciaux, ou qu’une élection faite dans une seule journée et débarrassée de toute les formalités dont cette convocation, quoique moins compliquée que celle de 1614, a été cependant surchargée, ne saurait être très-coûteuse et se réduirait aux honoraires des députés, qui pourraient être très-modérés; ils* pensent qu’au désir extrême d’être élus, qu’ont témoigné tant de Français de tous les ordres, loin d’avoir à craindre que les députés n’exigeassent des salaires trop forts, on devrait bien plutôt appréhender que, comme en Angleterre, on ne s’accoutumât bientôt à faire peut-être beaucoup de dépense pour obtenir des voix et remporter sur ses rivaux dans les élections. Les susdits habitants sont persuadés que si on laissait, dans la suite, tous les députés ne former u'une seule assemblée, et siéger tous ensemble ans la même chambre, il serait à craindre que des résolutions importantes-ne fussent quelquefois prises avec précipitation, et qu’un orateur éloquent et véhément ne communiquât une chaleur indiscrète à une grande assemblée; ils pensent que, pour éviter les malheurs qui pourraient être la suite d’un enthousiasme subit qui saisirait ainsi une seule assemblée, il serait prudent de partager les Etats généraux en deux chambres, à l’exemple de tous les peuples chez lesquels une forme analogue de gouvernement a été ou est encore en usage, Ils ont appris que, pour faire cette division, on a proposé deux manières, dont l’une consiste à composer la première chambre des princes, des airs, de quelques grands officiers, de quelques vêques et de deux ou trois cents nouveaux pairs que le Roi créerait d’entre les familles les plus illustres, tandis que l’autre chambre serait formée du reste des députés de la noblesse', de ceux du clergé du second ordre, et des représentants du tiers-état, et que l’autre manière proposée consiste à mettre tous les députés du clergé et de ,1a noblesse dans une chambre, et tous les représentants du tiers-état, dans l’autre, et que, dans l’une et l’autre méthode. de division, on exigeait le concours des deux chambres, avec le consentement du Roi, pour donner force de loià une résolution. Ils savent que les personnes qui proposent ces deux manières de séparer les Etats généraux en deux chambres, s’appuient sur l’exemple de l’Angleterre, et attribuent à la chambre des pairs le triple avantage de faire subir aux lois un double examen, d’être une cour suprême de judicature, et d’opposer uue barrière à la partie .démocratique de la constitution, en soutenant la prérogative royale. Mais les susdits habitants observent qu’il est très-douteux que la noblesse de France, qui ne serait point choisie pour entrer dans la chambre haute, voulût consentir à voir élever au-dessus d’elle un certain nombre de familles privilégiées, qu’elle regarde maintenant comme leurs égales, et à être ainsi rejetée dans la foule des communes] que jamais les Anglais ne se sont trouvés, ainsi que nous, dans le cas de former une constitution nouvelle, sans en avoir eu précédemment aucune; qu’au contraire les communes ont trouvé les pairs en possession de formera eux seuls le Parlement, qu’elles y furent appelées, et que, si les Anglais eussent été dans la situation où nous sommes, il est peu vraisemblable qu’ils eussent préférer de former une chambre de, pairs et une chambre basse à toute autre manière de partager leur Parlement en deux chambres ; que cette méthode de composer une cour suprême de judicature déjugés héréditaires paraît conlraire à la raison, qui nous crie que les juges doivent être choisis d’après leur honnêteté et leur capacité reconnues, et non d’après le hasard delà naissance; que si ou suppose que les intérêts de ses pairs sont toujours conformes à ceux de la nation, il est inutile de les en séparer et d’en faire uneclasse distincte, et que, si ces intérêts peuvent être quelquefois différents de l’intérêt général, il faut bien se garder de leur donner un appui tel que celui d’une des deux chambres de l’assemblée nationale, laquelle chambre pourrait, en bien des circonstances, être encore secondée de la protection de la couronne; et qu’enfin, si une pareille institution peut avoir quelque utilité pour défendre la prérogative royale en Angleterre, où les rois ont adonner beaucoup moins de places, soit dans l’Eglise, soit dans la robe, les finances ou le service militaire, elle ne pourrait qu’être nuisible en France, où la quantité bien plus grande de grâces que nos rois auront toujours à leur disposition, et où le nombre nécessairement beaucoup plus considérable de troupes qu’il faudra toujours entretenir, leur donneront indispensablement des moyens de séduction et de contrainte tout autrement puissants que ceux que peuvent employer les rois d’Angleterre, dont la prérogative et l’iuiluence augmentent cependant chaque jour dans une proportion alarmante pour cette nation. Les susdits habitants observent que la manière de partager l’assemblée nationnaleen deux chambres, en composant l’une de tous les députés du clergé et de la noblesse, et l’autre de ceux du tiers-état, est sujette à des objections analogues et aussi fortes ; qu’une semblable séparation ne pourrait que rendre plus marquée la distance entre le tiers-état et le deux premiers ordres, qu’inspirer à ceux-ci plus d’orgueil et plus de mépris envers la partie la plus nombreuse de la nation, ou plutôt envers la nation elle-même, et à mettre enfin plus de désunion entre les membres du même corps ; que quand même le tiers-état aurait obtenu la libre entrée dans les places militaires, cependant , comme la noblesse sentirait qu’elle aurait la préférence pour ces places, et que d’ici à longtemps elle serait infiniment plus nombreuse dans le service, elle s’opposerait à toutes les réformes économiques sur celte partie, et les empêcherait par son opposition ; que comme, eu général, le clergé et lanoblesseontuneplusgrande part aux dépenses de l’Etat, ces deux ordres voteraient pour les augmenter ou les continuer plus fortes qu’elles ne devraient être ; que cette forme de gouvernement serait, par conséquent, très-peu ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs.] 764 [États gén. 1789. Cahiers.] économe ; que les deux premiers ordres étant ceux qui profitent de tous les abus qui subsistent maintenant, soit dans la distribution de la justice, soit dans l’administration, et espérant encore de profiler de ceux qui pourraient s’introduire, il serait presque impossible, de cette manière, de composer rassemblée nationale , ou de corriger les abus existants, ou d’empêcher qu’il ne s’en introduisît de nouveaux ; qu’ainsi cette formation a au moins autant de vices que la première, et qu’on peut d’ailleurs juger, d’après ce qui se passe maintenant en Suède, combien les rois doivent peu compter sur la noblesse pour le maintien de leur autorité. D’après ces considérations, les susdits habitants pensent qu’on devrait séparer la grande assemblée en deux chambres, dont l’une serait composée d’environ six cents membres, et l’autre troiscents,dans chacunedesquelleson conserverait la même proportion, entre les députés de tous les ordres, que dans la grande assemblée, et qui ne différeraient entre elles que par le nombre et l'âge de leurs membres, de façon que l’une fût composée des soixante-quinze’ plus vieux ecclésiastiques, des soixante-quinze plus vieux gentilshommes, et des cent cinquante plus vieux députésdu tiers-état; et l’autre, des six cents membres les moins âgés des trois ordres. Cette composition, sans avoir aucun des défauts qu’on vient de reconnaître dans les deux méthodes précédentes, leur semble réunir tous les avantages qu’on peut attendre d’une bonne forme de gouvernement, dans les circonstances où nous sommes. Loin de séparer les trois ordres, et de les accoutumer à se regarder comme étrangers entre eux, ou même comme rivaux, elle les habitue, en les rassemblant dans la même chambre, à penser que leurs véritables intérêts sont communs, à les confondre, et à ne plus faire des intérêts des trois ordres que l’intérêt général de la nation. Les susdits habitants pensent encore qu’en réunissant ainsi tous les ordres dans chaque chambre des Etats généraux, comme ils seront réunis dans les Etats provinciaux, cette analogie entre la composition de l’assemblée dominante et celle des assemblées secondaires, en mettant plus d’uniformité entre les parties du gouvernement, doit y produire plus d’accord et d’harmonie, et rendre les décisions de l’assemblée supérieure plus conformes aux vœux des assemblées qui seront chargées de leur exécution. Cette méthode a, comme les autres, le mérite de s’opposer à la précipitation des délibérations, et de soumettre toutes les lois à deux assemblées différentes; mais au lieu que dans les autres méthodes, chaque chambre considère une loi, non-seulement dans le rapport qu’elle peut avoir avec l’intérêt général, mais encore dans celui qu’elle a avec les droits ouïes prérogatives de son corps ou de son ordre, les deux chambres, dans la méthode ici proposée, ne peuvent avoir des vues différentes ; le bien général de la nation est seul considéré dans les deux, et ce n’est que par la manière diverse de le vouloir, qu’elle peuvent différer d’opinion entre elles. Cette manière de partager la grande assemblée en deux chambres, doit encore produire un gouvernement économe et même pacifique, puisque toute loi devant recevoir la sanction de la chambre des vieillards, et la plupart des hommes, même de ceux qui ont été prodigues dans leur jeunesse, devenant économes en vieillissant, il est d’autant plus vraisemblable que cette chambre ne votera que des dépenses nécessaires, que les hommes qui y siégeront auront, à cause de leur grand âge, i peu d’espérance de profiter des dépenses superflues qu’ils auraient eu la faiblesse d’accorder. Il est encore à présumer que l’effervescence des passions ayant fait place à la sagesse et à la prudence, dans la plupart des membres de cette chambre, elle retiendrait, dans bien des occasions importantes, la vivacité de l’autre chambre; et que les rois, ayant le droit de faire la guerre ou la paix, pourraient écouter des conseils modérés qui les détourneraient de la guerre, toutes les fois que l’honneur de la nation n’y serait pas véritablement intéressé. Les susdits habitants pensent que les avis de cette chambre de vieillards auraient une grande influence sur l’opinion publique et sur les résolutions de la puissance exécutrice, non-seulement à cause de la maturité de leurs conseils, mais encore parce que, la balance de la propriété étant > une des choses qui donne le plus de poids à une ’ assemblée, il est très-probable qu’elle serait au 4 moins égale entre les deux chambres, les vieil-\ lards étant ordinairement plus riches que les jeunes. Au reste, les susdits habitants se croient d’autant plus autorisés à proposer cette forme de gouvernement, que dans toute la terre tous les peuples sauvages, barbares ou policés, qui ont eu des assemblées nationales, ont toujours eu un conseil de sénateurs ou d’hommes respectables par leur âge, et que le mot même qui exprime un sénat dérive, dans toutes les langues, de celui qui signifie un vieillard. Ils pensent, enfin, que ce serait de cettechambre composée, non de juges donnés par le hasard seul de la naissance, tirés d’un seul ordre, et qui garderaient toute leur vie leurs places, mais de personnes choisies pour leur âge parmi des hommes de tous les ordres, dont Ta natiun aurait déjà fait choix, et qui seraient renouvelés tous les trois ans, qu’il serait convenable de former une ' cour suprême de judicature : on attribuerait à cette cour, non les appels des différents tribu-j naux, qui seraient trop multipliés pour qu’elle j pût s’en occuper; mais elle jugerait, sur l’accusation de l’autre chambre, les ministres prévaricateurs qui auraient abusé de leur pouvoir pour enfreindre les lois, divertir les fonds qui leur auraient été confiés, ou violer les droits des citoyens; et ils pourraient encore juger les juges dont on croirait avoir des sujets graves de se plaindre, et qu’on prendrait à partie; celte crainte d’être ainsi jugés eux-mêmes, forcerait les juges à suivre exactement les lois dans leurs jugements, et conserverait dans les tribunaux la justice et la pureté qui font la sûreté de la société; mais pour conserver en même temps aux magistrats le respect dont il est essentiel qu’ils jouissent, on pourrait ordonner que celui qui aurait pris à tort un juge à partie, subirait une condamnation rigoureuse, serait taxé à une amende considérable, ou à de forts dommages et intérêts. Après avoir ainsi exposé comment ils estiment que l’assemblée de la nation devrait être constituée, les susdits habitants pensent que cette constitution, ou une meilleure ayant été accordée et consentie par Sa Majesté, il convient de constater les droits qui devaient appartenir à un roi de France ; et d’abord ils pensent qu’aucune résolution des deux chambres ne doit avoir force de loi, ni ne doit être exécutée qu’après avoir été confirmée par le consentement du Roi ; Que le Roi doit avoir le droit de traiter avec ARCHIVES PARLEMENTAIRES* (Paris hors les murs.] [États gén. 1789. Cahiers 765 les puissances étrangères, et de conclure tous les traités qu’il croira avantageux à la nation; . Que le Roi doit avoir le commandement de toutes les troupes et de toutes les forces, soit de terre, soit de mer; Qu’il doit avoir la puissance la plus absolue et la plus irrésistible pour faire exécuter toutes les lois qui auront été votées par les deux chambres, et auxquelles il aura donné son consentement; Et qu’entin, c’est au Roi qu’il doit apparlenirde fixer le jour où les Etats généraux s’assembleront chaque année; et les susdits habitants observeront cependant que, comme les impôts doivent être accordés pour un temps très-court, cette précaution prévient l'inconvenient qui résulterait du dégoût qu’un Roi pourrait prendre de ces assemblées, et du désir qu’il pourrait avoir d’en différer la tenue. Gomme les susdits habitants savent que c’est l’embarras dans les finances qui oblige à assembler la nation, pour la consulter sur les moyens d’y remédier, ils croient qu’après avoir exposé quelle est la constitution qu’ils jugent la meilleure. qu’on puisse donner à l’Etat dans cet instant, ils peuvent aussi expliquer quels moyens ils pensent devoir être employés pour combler un déficit aussi énorme que celui que la publication des comptes rendus au Roi a offert aux yeux du public. El d’abord, ils observent que les remboursements pour l’année 1788, suivant les éclaircissements sur le nouveau compte rendu à la page 157, se montent à 65,364,867 livres ; et suivant le compte du gouvernement , à la page 188 , à 76,502,367 livres; qu’en suspendant ces remboursements, et en les convertissant en contrats, on épargnerait un article de dépense de beaucoup plus de 60 millious de livres ; mais qu’ils ne porteront qu’à cette somme, pour que leurs estimations soient toujours plutôt trop faibles que trop fortes; et ils pensent que, quand la nation aura une fois consolidé la dette de l’Etat, cette conversion en contrats doit être indifférente aux porteurs de ces effets, puisqu’alors ils trouveront facilement à les vendre au pair. Ils remarquent que M. de Galonné porte dans son compte les rentes viagères à 92,745,400 livres ; que dans le compte du gouvernement, y compris les tontines, elles montent à 91,472,000 livres; et que dans ces comptes, les intérêts du dernier emprunt de 120 millions de livres n’étant pas compris, on ne peut les évaluer maintenant à moins de 100 millions de livres par année : or, ils pensent que la durée moyenne de ces rentes étant estimée maintenant à quarante années, l’intérêt en devient excessif par leur durée, puisque par le calcul des intérêts composés, on trouve que pour que quelqu’un, auquel on rembourserait son capital au bout de quarante ans, et dont ce capital devrait, par conséquent, être regardé comme placé d’abord en perpétuel, eût à cette époque, y compris ce remboursement, la même somme que le rentier viager aurait acquise à sa mort en plaçant à 5 p. 0/0 par an, tous les six mois pendant quarante ans, les 5 p. 0/0 qu’il recevrait d’un capital égal au premier, il faudrait qu’on eût payé à ce premier quatre un douzième tous les six mois, et qu’il les eût placés ainsi que le rentier; ce qui prouve qu’un emprunt viager sur toute tête à 10 p. 0/0, est égala un emprunt perpétuel à neuf un sixième. Les susdits habitants pensent donc qu’il faudrait se hâter de rembourser toutes les rentes viagères qui ne portent pas sur des têtes très-âgées, en commençant par celles qui sont placées sur les trente têtes génevoises, et qui sont, de toutes, les plus onéreuses, et en continuant par celles qui sont placées sur les tètes les plus jeunes, jusqu’à celles qui portent sur des têtes de quarante-cinq à cinquante ans. En ne réduisant rien sur le capital pour les intérêts trop forts que ces rentiers auront reçus, les susdits habitants pensent qu’un tel remboursement est parfaitement légitime, et que l’honneur de la nation serait parfaitement en sûreté, quoiqu’elle gagnât beaucoup à cette opération. La seule difficulté qu’elle présente, regarde les sur-vivanciers qui ont fourni, depuis plusieurs années, de l’argent au Roi sans en avoir reçu l’intérêt ; mais, en leur payant le prix de la survivance porté au trésor royal, avec les intérêts du jour de la quittance, ils seraient absolument indemnisés, et le gain que ferait l’Etat serait encore considérable. Il paraît donc aux susdits habitants que si l’on suppose, comme il est très-vraisemblable, que sur les 100 millions de rentes viagères, il y en ait au plus 20 millions qui soient sur des têtes âgées de plus de cinquante ans, on devrait épargner tous les ans 40 millions, en remboursant les 80 millions restant : mais à cause du remboursement à faire aux survivanciers, et pour que leurs estimations soient incontestables, ils rédui-! sent la diminution des sommes à payer annuel-! lement, à celle de 30 millions ; iis croient être ainsi plutôt en deçà qu’au delà de la vérité, et qu’après la consolidation de la dette et l’affermissement. de la constitution, on pourrait trouver à emprunter peut-être même au dessous de 5 p. 0/0 le capital nécessaire pour ce remboursement, et qu’une partie des rentiers viagers consentirait à convertir les rentes viagères en des contrats perpétuels. Puisque les grands officiers delà maison du Roi et une partie des moindres servent par quartier, tandis que d’autres servent par semestre , il est évident que les trois quarts des uns et la moitié des autres sont inutiles à la décoration de la cour, et ne peuvent servir qu’à orner un almanach. Ges officiers inutiles obtiennent cependant journellement des grâces, et sont des occasions fréquentes de beaucoup d’abus; de façon qu’en les réformant, et en supprimant encore dans ce qui resterait tout ce qui n’est pas véritablement utile à l’ornement de la cour, dont les Français désirent que l’éclat réponde à la grandeur'du prince et de la nation, on ne peut estimer l’économie produite par ces diverses suppressions, ainsi que par quelques autres retranchements, à moins de 5 millions par an. Depuis plusieurs années, les fonds versés au département de la guerre ont beaucoup augmenté, quoiqu’il soit très-vraisemblable qu’il y a maintenant moins de troupes que lorsque les fonds de ce département étaient moins considérables; cette observation fait penser à tuut le monde qu’on pourrait faire beaucoup de retranchements sur cette dépense. Le nombre ridicule des officiers généraux, la multiplicité des emplois doubles et triples, des places et des officiers inutiles, des états-majors conservés dans des places en seconde et en troisième ligne, sont des abus qui frappent tous les yeux; et qui pourrait et voudrait entrer dans le détail de tous les retranchements dont la dépense de ce département est susceptible, sans nuire au service, et peut-être même en le perfectionnant, entreprendrait certainement une grande tâche : mais en écartant des détails con- 1 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les mars.) 766 [États gén. 1789. Cahiers.] testés et compliqués, il est un seul article qui lient non-seulement à l’économie, mais encore à ia gloire et à la sûreté de la nation. On a imprimé depuis peu, dans un livre fort connu, et qui a fait même sensation, et cette assertion n’a point été contredite, qu’il y avait en France quarante mille hommes de troupes étrangères, qui coûtaient autant que cent mille hommes de troupes françaises. Il est d’abord inconcevable qu’une nation aussi nombreuse et aussi brave que la nation française puisse avoir besoin de prendre des troupes étrangères à son service ; et il est honteux et humiliant poqr la nation, qu’elles soient payées plus cher que les nationales. En rendant toute justice à la bravoure et à la fidélité de ces troupes, il est constant que plusieurs d’entre elles ne sont point aussi utiles que le seraient les troupes françaises, puisque leurs diverses capitulations ne permettent pas de les envoyer ni en Amérique ni aux Indes orientales, comme on y transporte des troupes nationales. Une nation, jalouse de conserver sa liberté, doit encore voir avec inquiétude un aussi grand nombre de troupes étrangères répandues dans son sein; elle doit sentir que ces troupes ne peuvent jamais être susceptibles de l’esprit de patriotisme qui anime quelquefois les troupes nationales, surtout quand leurs officiers sont, ainsi qu’il convient de le faire, admis comme propriétaires dans les assemblées de la nation ; et l’histoire nous apprend en effet, que les nations qui ont connu le prix de la liberté ont toujours redouté et interdit à leurs chefs l’usage des troupes étrangères. En vain voudrait-on nous faire craindre que si l’on congédiait ce que nous avons de ces troupes, quelque autre autre puissance ne les prît à son service. (le ne sont point les hommes qui manquent aux autres puissances, mais l’argent nécessaire pour les payer ; et il n’en est aucune qui connaisse assez peu ses intérêts pour vouloir prendre à son service des troupes qu’elle payerait plus cher, et dont elle pourrait moins disposer que de celles qu’elle entretient à meilleur marché. D'après toutes ces raisons, les susdits habitants estiment qu’il serait de la dernière importance de congédier toutes ces troupes étrangères, en les payant très-généreusement; et que, quand on les remplacerait par un nombre égal de troupes nationales, on gagnerait encore ce que coûtent soixante mille hommes de troupes françaises. Ils estiment que cette nouvelle création de troupes donnerait même lieu de placer et de dédoubler beaucoup d’officiers français, et de gagner ainsi une partie de la pave de *ces troupes ; mais les susdits habitants pensent qu’il serait encore mieux et plus économique de ne recréer en troupes régulières que le même nombre de cavalerie qu’on aurait réformée, et de remplacer l’infanterie par ia milice volontaire, qu’on assemblerait et qu’on exercerait tous les ans pendant un mois ou six semaines, comme cela se pratique en Prusse pour une grande partie des troupes de ce royaume. Quand, outre cette économie, on réfléchit d’ailleurs à toutes les dépenses inutiles de ce département, à tous les abus qui s’y sont glissés; quand on pense que le roi de Prusse, qu’on dit n’avoir que 110 millions de revenu, a cependant deux çent mille hommes des meilleures troupes de l’Europe; et que l’Empereur, qu’on estimait n’avoir que 160 millions à dépenser, a pourtant trois cent quatre-vingt-quatorze mille hommes de troupes effectives; les susdits habitants ne croient pas qu’on puisse les taxer d’exagération, quand ils estiment qu’on peut, en ayant le même nombre d’aussi bonnes troupes, épargner cependant 22 millions sur la dépense du département de la guerre. Dans le Courrier de l'Europe , du 7 du présent mois d’avril, on lit que la dépense de la marine anglaise, a monté l’année dernière à 2,236.000 livres sterling, ce qui, à 23 livres 10 sous la livre sterling, le change étant même contre nous , ne fait , en livres de France , que la somme de 52,546,000 livres. L’Angleterre a eu dans cette année cent trente-huit vaisseaux de ligne, et nous en avions à peine soixante, et et elle avait un nombre de batiments légers, proportionnellement encore beaucoup plus grand que nous. D’après cet exposé seul, on doit être étonné de trouver dans le compte du gouvernement, que notre marine nous a coûté dans cette même année, la somme de 47 millions; et si l’on réfléchit que dans cette même année, l’Angleterre a fait beaucoup plus de constructions et de réparations que nous n’en avons faites, qu’elle a eu beaucoup plus de vaisseaux en commission dans toutes les parties du monde, qu’elle a payé beaucoup plus de matelots, que la main-d’œuvre, que les gages des officiers et des matelots sont beaucoup plus chers en Angleterre qu’en France, et que le gouvernement anglais n’est d’ailleurs nullement vanté par son économie, on aura de la peine à comprendre comment, avec des sommes aussi peu différentes, dépensées par les deux nations, on fait autant de choses chez lune, tandis qu’on en peut faire aussi peu chez l’autre. Ou aurait beau objecter que dans le compte du gouvernement, il est dit que la dépense des colonies est comprise dans les 47 millions; cette observation n’explique point la difficulté. L’Angleterre a beaucoup plus de colonies que la France, et en a même de nouvellement établies, tandis que toutes les nôtres sont anciennes; des colonies, et surtout des colonies anciennes, doivent payer les frais de leurs gouvernements ; et si, pour la sûreté de 1 Ile-de-France, il faut y laisser quelques troupes, dont l’entretien coûte plus cher qu’en France, cette augmentation de dépense ne peut rendre raison de la différence énorme qu’on remarque entre ce que coûtent comparativement l’une et l’autre marine, et ces observations engagent les susdits habitants à penser qu’en imitant l’administration anglaise dans les détails d’approvisionnement, de construction et d’armement des vaisseaux, etc., on peut facilement épargner 10 millions, sur la dépense de ce département, en avant au moins le même nombre de vaisseaux que nous en avons, et également bien armés et approvisionnés. Dans le compte du gouvernement, on trouve qu’en 1788 les affaires étrangères ont coûté 11,300,000 livres, d’une part; plus 830,000 livres pour les lignes suisses ; plus 2,260,000 livres pour un à-compte sur un subside, en tout 14,390,000 livres. Il est d’abord difficile de concevoir pourquoi la France se croit obligée de payer ainsi annuellement un tribut aux lignes suisses, ni comment, en ne voulant faire que des guerres défensives, elle peut jamais avoir besoin de payer des subsides à quelque puissance que ce soit sur la terre; mais en mettant, si l’on veut, pour un moment, ces deux derniers articles à l’écart, on observera que l’Angleterre conduit en général ses affaires au dehors aussi bien que la France, et qu’il faut pourtant qu’elles lui coûtent beaucoup moins, puisque c’est le Roi qui, sur la liste civile, est chargé de toute cette dépense. On observera, pour expliquer cette différence, que l’Angleterre ne paye que deux ambassadeurs, savoir, celui qu’ell® 767 [États gén. 1789. Cahiers.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs.) entretient en France et celui qu’elle a en Espagne, et qu’elle ne se soumet probablement. à celle dépense, que parce que ces deux puis-' sances veulent en avoir un en Angleterre; qu’à la vérité elle en a encore un autre en Turquie, mais que celui-ci est en grande partie payé par le commerce. 11 est facile de sentir qu’en supprimant tous les ambassadeurs, et en employant en leur place de simples ministres, il y aurait d’abord une grande économie; que d’ailleurs on pourrait choisir entre un bien plus grand nombre de personnes, et en avoir par conséquent de plus instruites; que les démarches d’nn simple ministre sont moins éclatantes et moins observées que celles d’un ambassadeur ; que l’état d’un ministre le met également à portée de voir les grands du pays, et ne le soumet pas à une trop grande distance des personnes d’une moindre condition pour l’empêcher de les fréquenter; qu’ainsi il peut et doit être mieux instruit; et qu’avec beaucoup moins de dépense, on serait par conséquent mieux servi en général par des ministres que par des ambassadeurs. Dans les cours où l’on n’entretient maintenant que des ministres, on pourrait les remplacer par des chargés d’affaires, et être tout aussi bien instruit; et dans celles où l’on n’envoie que des chargés d’affaires, les consuls qu’on y entretient s’acquitteraient facilement des deux fonctions, et l’on épargnerait ainsi ce double emploi. Les susdits habitants pensent donc que ces réflexions les autorisent à assurer qu’en étant souvent mieux servi, on pourrait cependant retrancher beaucoup plus de la moitié de la dépense du département des affaires étrangères; et ce n’est que pour être au-dessous de la possibilité, qu'ils réduisent à 6 millions l’évaluation des retranchements dont cette partie est susceptible sans inconvénient. Si l’on prend le parti, ainsi qu’on l’a proposé, de supprimer l’exemption des entrées de Paris, ainsi que celles dont jouissent les nobles ou les ecclésiastiques sur les droits d’aides de toute espèce, et de faire suivre aux droits de contrôle la proportion des sommes portées dans les actes, sans aucune diminution de ces droits, passé quel-. que somme que ce soit, il est clair qu’outre que les revenus de l’Etat seront augmentés, il sera nécessaire de changer les conventions faites avec toutes les grandes compagnies de finances, et d’en faire de nouvelles, ou d’en mettre toutes les parties en régie. Gomme les conventions faites à cet égard par le ministre alors en place, sont probablement beaucoup trop avantageuses aux financiers, il doit être facile en en faisant de nouvelles d’augmenter considérablement les produits, en diminuant le nombre ou les profits de ces messieurs, et en faisant aussi une recherche exacte dans toutes les parties de la finance, recherche dont le ministre actuel a déjà montré qu’il était assurément bien capable. Les susdits habitants croient que le gain qu’on peut faire sur tous les détails de cet objet immense n'est évalué que bien faiblement en ne l’estimant que de 7 millions. L’abus des pensions a été porté à un excès qui a partout réveillé l’attention de la nation; et quoiqu’on y ait fait l’année dernière quelques retranchements, cependant, comme ces retranchements ont porlé. sur toutes indistinctement, et que, par conséquent, les plus abusives n’ont pas été plus réduites que celles qui étaient mieux méritées, les susdits habitants pensent qu’il est de la dignité des Etats généraux de demander l’état de ces grâces, et de nommer des commis� saires qui seraient chargés, sans s’arrêter aux petits objets, d’examiner seulement les titres des [tensions au-dessus de 3,000 livres; et ils sont persuadés que, d’après cet examen, la réduction que les Etats généraux prieraient le Roi d’ordonner pourrait avec justice monter encore à 5 millions. Ils estiment, au reste, pour que de tels abus ne puissent plus se renouveler, qu’il faudrait statuer que l’état des pensions serait imprimé chaque année, et que cet état contint le nom des personnes qui les auraient obtenues, la somme qu’on aurait accordée à chacune, et les titres par lesquels elle l’aurait méritée. On a substitué en France un impôt de 20 millions à la corvée en nature. Get impôt est injuste, en ce qu’il n’est assis que sur les taillables, et qu’il fait ainsi payer l’entretien des chemins à des hommes dont ia plupart ne s’en servent jamais; et c’est pourquoi les susdits habitants ont demandé qu’il fût joint à tous les autres impôts directs, et assis sur toutes les terres. Mais cet impôt est insuffisant ; et quoique les chemins soient moins mauvais que quand ils étaient faits à la corvée, ils ne sout point encore bons; et quelque soin que puissent prendre de cette partie les Etats provinciaux qu’on établira, tant qu’une semblable méthode de fournir à la dépense de l’entretien des chemins aura lieu, jamais on ne doit espérer rien de satisfaisant dans ce genre. L’Angleterre est un pays plus humide que la France; les hivers y sont pins longs ; les chemins, plus étroits, y sont bordés de baies fort épaisses qui s’opposent à leur dessèchement; et cependant les chemins y sont infiniment meilleurs qu’en France : cette supériorité des chemins de l’Angleterre sur les nôtres vient de ce que les Anglais ont pris, pour payer leur entretien, le seul moyen propre à faire exécuter les lois faites pour leur conservation, et capables de produire cet effet. On a fait en France, à plusieurs reprises, des défenses de mettre plus de trois chevaux sur les voitures, et on a ordonné depuis peu aux voituriers sur les charrettes desquels il y aurait plus de trois chevaux, d’avoir des roues larges; mais comme personne n’est intéressé à tenir la main à l’exécution de ces lois, elles n’ont jamais été suivies; et l’eussent-elles été, elles n’auraient pas produit l’effet désiré. Au lieu de toutes ces lois inefficaces, on a mis en Angleterre des barrières sur les chemins, et l’on y fait payer de plus en plus toutes les voitures à mesure qu’elles sont plus pesantes et que leurs roues sont plus étroites. De cette manière, la taxe pour les chemins est de la plus grande justice, puisque chacun ne paye que l’entretien des chemins dont il se sert, et ne paye qu’en proportion qu’il les use. Gomme il est de l’intérêt des voituriers d’avoir des roues fort larges, les chemins sont plutôt raccommodés que gâtés par la plupart des voitures qui y passent. La ioi s’exécute ainsi d’elle-mème; et l’on ne voit aussi aucune ornière sur les grandes routes d’Angleterre, tandis que les nôtres en sont remplies. En suivant, donc la méthode pratiquée en Angleterre pour l’entretien des chemins, à peu près telle qu’elle est expliquée dans le livre de Déféré, nous aurons, ainsi que les Anglais, de bons chemins; ainsi que chez eux, nos chemins ne seront payés que par les personnes qui en feront usage, et dans la proportion dans laquelle elle les useront; et si l’on veut laisser subsister les 20 millions déjà imposés, et les répartir sur tous les propriétaires, les susdits habitants font remar- [Paris hors les murs.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 768 [États gén. 1789. Cahiers.] quer que ce sont encore 20 millions, qui, n’étant plus employés aux chemins, sont une nouvelle res.'Ource pour combler le déficit-. Puisqu’il est juste que les ecclésiastiques, les nobles et tous les privilégiés payent, ainsi que les autres Français, toutes les impositions dans la proportion de leurs propriétés, et qu’ils ont même déjà renoncé, dans presque tous les bailliages, à l’injuste exemption dont ils jouissaient, il est clair qu’on peut augmenter le montant de tous les impôts qui portent sur les propriétés foncières de la partie de ces i:npôts qui doit et va être à la charge des privilégiés, sans que les non privilégiés soient plus chargés qu’auparavant : mais, comme pour abolir toute taxe arbitraire, il serait à propos de supprimer dans les campagnes la taille d’industrie qui n’est pas un objet considérable, pour ne rien ajouter à la charge des non privilégiés qui est déjà assez pesante, on ne devrait augmenter la somme des impôts directs que de ce qui en tomberait à la charge des personnes précédemment exemptes ou trop ménagées, moins le montant de ce qui portait auparavant sur l’industrie dans les campagnes; et si l’on fait maintenant réflexion à la cessation des exemptions dont jouissaient tant de nobles et de privilégiés, aux faveurs accordées aux princes et aux grands seigneurs, surtout à l’immensité des biens, tant des différents ordres militaires que du clergé, et à la disproportion énorme qui existait entre la grandeur de leurs propriétés et la modicité de leurs impositions, les habitants de la susdite paroisse estiment qu’en retranchant la taxe sur l’industrie dans les campagnes, on peut augmenter de 20 millions la somme de tous les impôts directs, saus que la part qu’en payent maintenant les personnes non privilégiées doive en être augmentée. Mais les susdits habitants craignant , malgré toute vraisemblance de leurs évaluations, qu’il ne s’ j soit glissé quelques erreurs, et pensant que si elles sont exactes, il serait très-utile de mettre la recette au-dessus de la dépense, pour former un fonds d’amortissement, et considérant que toutes les augmentations d’impositions ci-devant détaillées portent en entier sur les campagnes, et qu’on peuftrouver juste que les villes y participent pour leur part, les susdits habitants croient qu'on pourrait établir un léger droit de timbre, débarrassé de toutes les entraves dont celui qui avait été proposé était surchargé. Ils pensent qu’on pourrait le calculer, pour qu’il rapportât environ 15 millions; qu’il devrait porter principalment sur les lettres de change, les billets à ordre au porteur, et tous autres effets commerçablcs ; et qu’en se servant avec intelligence de ce moyen, on pourrait, saus beaucoup d’inconvénients, parvenir à faire payer aux capitalistes quelques légères impositions pour prix de la protection que leur accorde le gouvernement. En rassemblant maintenant, ainsi qu’ils vont le faire, toutes les économies, tous les retranchements et toutes les nouvelles impositions ci-dessus indiquées, les susdits habitants pensent que le déficit énorme des linances se trouverait comblé, saus une trop grande surcharge pour aucun des membres de la société, et qu’il ne s’agirait plus que de prendre les précautions les plus extrêmes pour qu’un nouveau déficit ne put jamais se reproduire, et pour assurer un ordre constant dans les finances, sans lequel aucune nation ne peut être ni heureuse ni en sûreté. Tableau des moyens de combler le déficit. Suspension des remboursements, ci .......................... 60,000,030 liv. Remboursement d’une partie des rentes viagères, ci ........... 30,000,000 Economie sur la maison du Roi, ci .......................... 3,000,000 Economie sur le département de la guerre, ci ................. 22,000,000 Economie sur le département de la marine, ci ................ 10,000,000 Economie sur celui des affaires étrangères, ci ....... • ....... . 6,000,000 Augmentation du produit des finances, ci ................... 7,000,000 Retranchements sur les pensions abusives, ci ................. 3,000,000 Application de l’impôt représentatif de la corvée au comblement du déficit, ci ........... 20,000,000 Augmentation de l’impôt territorial, ci ...................... 20,000,000 Création d’un droit de timbre, ci. 13,000,000 Total ....... '... 200,000,000 liv. En présentant ce tableau, les habitants de la susdite paroisse sont bien éloignés de penser qu’ils aient épuisé tous les moyens de la régénération des finances, ni toutes les économies praticables dans aucune des parties dont ils ont parlé, ou dans celles qu’ils ont omises; la suppression des capitaineries, par exemple, aussi bien que celle des intendants, ou au moins de la plus grande partie de leurs bureaux, qui deviendraient inutiles; tant d’autres commis superflus, qu’on pourrait retrancher dans presque tous les départements, sont encore des sources précieuses d’économie; les places sans nombre d’ecclésiastiques que le Roi soudoie sans nécessité, les aumônes qu’il fait à tant d’autres, les frais des assemblées du clergé, qui sont à sa charge, toutes dépenses qu’on pourrait épargner, et qui font que le Roi paye à peu près autant au clergé qu’il eu retire. Le gain que l’Etat ferjit sur les frais énormes des procédures criminelles, en adoptant celle d’Angleterre; tous ces objets réunis feraient de nouvelles ressources pour combler le défirit, et suffiraient presque pour se passer de mettre un droit nouveau, et il existe d’ailleurs tant et tant d’autres dépenses inutiles, dont on trouve et dont on ne trouve pas tant de détails dans le compte du gouvernement, que, pour les rassembler et en former le tableau, les susdits habitants pensent qu’il faudrait des moyens qui ne sont qu’à la disposition de l’administrateur des finances, et y joindre encore des talents et une capacité que lui seul, peut-être, possède. Signé Marlan; Bonnarde; Blaize La Chavre; Merceur; Courtier; P. Ferret; Guérin; Joudu-mont; G. Bourgeois; Pichenot ; J.-B. Bonnard; Etienne deNelle; A. -F. Bourgeois; Claude Guérin; Desrenee; Cochard; Pierre Anglerot; Louis-Fraa-çois Lanulle; Monseardel jeune. CAHIER Des plaintes , doléances et remontrances des habitants composant le tiers-état du bailliage de Nogent-sur-Marne (1). Au Roi et à la nation assemblée en Etats généraux, tenus le jeudi 16 avril 1789. Art. 1er. La paroisse de Nogent-sur Marne, con-(1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de /’ Empire.