224 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE La dernière enfin qu’ils sentirent fut terminée par arrêt du ci-devant parlement de Paris, rendu entre les pétitionnaires d’une part, l’administration des enfants-trouvés et le ci-devant archevêque de Paris d’autre part. Le crédit de ce puissant adversaire n’a pas cette fois contre-balancé les droits des pétitionnaires; ils sont maintenus, par l’arrêt du ci-devant parlement, en leur qualité de pèlerins, « dans la propriété, possession et jouissance, pleine et entière administration des biens appartenant à l’église et hôpital Saint-Jacques, à Paris». Respirant un moment par les actes du ci-devant parlement, dont le mobile était peut-être moins alors la justice que le système de contrarier le ministère dans ses projets de changer la destination des domaines des corporations, projet manifesté à cette époque au sujet des Saintes-Chapelles, les pèlerins ne jouirent pas encore d’un long repos : les colosses qui poursuivaient les pygmées ne furent arrêtés qu’un moment. Croisés par la force parlementaire, ils s’adjoignirent les secours ministériels; l’arrêt du parlement fut cassé par celui rendu au conseil des dépêches le 11 mai 1790. Ici se représente un des milliers d’exemples de ce fatal veto, de cette sanction meurtrière, serpent que l’intrigue était parvenue à réchauffer dans le berceau de la liberté. Les 15 et 20 octobre 1789, l’Assemblée nationale, en autorisant le conseil du tyran à continuer ses fonctions comme par le passé, en avait excepté les arrêts de propre mouvement, évocations, et généralement toute connaissance du fond des affaires. On ne prévoit pas comment, après cela, a pu intervenir l’arrêt du 11 mai 1790, qui non-seulement casse celui du parlement, mais qui en outre, sans renvoyer dans aucun tribunal, juge le fond, accueille les conclusions de Juigné et ses consorts, et condamne les pèlerins aux dépens. La Convention s’en étonnerait sans doute si déjà elle ne s’attendait à apprendre que la promulgation des 2 décrets du mois d’octobre, retardée de 10 mois, n’a été faite que postérieurement à l’arrêt du conseil. Peut-il naître d’autorisation d’excuses légitimes à l’infraction de la loi, fondées sur le retard de promulgation, quand l’infracteur est en même temps le promulgateur ? Quel motif ferait adopter l’indulgence fondée sur le retard envers un simple citoyen? La présomption légale d’ignorance existe-t’elle à l’égard du tyran ? Ce prétexte n’est-il pas plutôt un crime, quand au lieu de l’ignorance il fait découvrir la perfidie ? Maître de donner la publicité à la loi s’il ne voulait pas l’enfreindre, ou de l’enfreindre avant de la publier, l’affectation de l’éluder par une infraction intermédiaire de l’émission à la publication décèle une lâcheté sans innocenter la scélératesse. Au surplus, le prétexte ne suffirait pas pour soutenir l’existence de l’arrêt du conseil. L’article XIX de la constitution de 1789 avait été sanctionné le 5 octobre de la même année. Cette constitution, en enfermant follement dans le bercail l’ennemi féroce de toute liberté, avait essayé de l’assujettir au frein, et l’article XIX défendait au pouvoir exécutif d’envahir jamais le pouvoir judiciaire. Vaine précaution sans doute. Le despotisme, déguisé sous le masque insignifiant de monarchie ne pouvait être réprimé : le peuple français l’a détruit. S’il importe à son salut, s’il appartient à sa justice d’en effacer aussi toutes les traces, l’arrêt du conseil des dépêches du 11 mai 1790 ne peut se soustraire à l’anéantissement. Illégal au fond par l’usurpation des pouvoirs, illégal en la forme parce qu’il ne rappelle aucun moyen de cassation, cet arrêt ne pouvait même assujettir la ci-devant corporation des pèlerins à un nouveau jugement devant les tribunaux. Avant de vous proposer le projet de décret, votre comité de législation ne doit pas vous laisser ignorer que celui de liquidation, à qui originairement les pèlerins de Saint-Jacques ont été renvoyés pour fixer leurs pensions, s’il y avait lieu, nous a renvoyé lui-même l’examen de la question que nous venons de traiter, et dont la solution doit précéder son travail. Nous vous proposons en conséquence de déclarer que l’arrêt du ci-devant conseil des dépêches, rendu le 11 mai 1790, entre les ci-devant pèlerins de Saint-Jacques, le ci-devant archevêque de Paris (Juigné) et les administrateurs des enfants-trouvés, est nul et comme non avenu; en conséquence renvoyer la pétition et les pièces jointes au comité de liquidation, pour vous en faire un rapport incessament (1) . « La Convention nationale, sur le rapport de [BEZARD, au nom de] son comité de législation, déclare nul et comme non-avenu l’arrêté du ci-devant conseil des dépêches, du 11 mai 1790, rendu entre le ci-devant archevêque de Paris et les ci-devant pèlerins de Saint-Jacques; «Et renvoie la pétition de ces derniers au comité de liquidation. «Un membre propose la question préalable contre le projet de décret, attendu qu’il ne produiroit aucun effet, les pèlerins ayant été déchus des droits qu’ils prétendent. «Un autre dit que le comité de législation a été saisi de cette affaire par un décret et un renvoi fait en conséquence par le comité de liquidation; qu’il convient de rapporter le décret, et de passer à l’ordre du jour sur le projet présenté. «Ces 2 dernières propositions sont adoptées» (2). 38 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités des secours publics et de liquidation réunis, sur la pétition de la citoyenne Louise-Charlotte Delaferrière, domiciliée à Paris, dans la section de l’Unité, (1) Mon., XXI, 81. (2) P.V., XL, 229. Minute de la main de Bézard. Décret n° 9702. Reproduit dans M.U., XLI, 171; Mess. Soir, n° 678. Mentionné par J. Mont., n° 62; C. Eg., n° 678; C. univ., n° 909; J. -S. Culottes, n° 498; J. Sablier, n° 1404. 224 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE La dernière enfin qu’ils sentirent fut terminée par arrêt du ci-devant parlement de Paris, rendu entre les pétitionnaires d’une part, l’administration des enfants-trouvés et le ci-devant archevêque de Paris d’autre part. Le crédit de ce puissant adversaire n’a pas cette fois contre-balancé les droits des pétitionnaires; ils sont maintenus, par l’arrêt du ci-devant parlement, en leur qualité de pèlerins, « dans la propriété, possession et jouissance, pleine et entière administration des biens appartenant à l’église et hôpital Saint-Jacques, à Paris». Respirant un moment par les actes du ci-devant parlement, dont le mobile était peut-être moins alors la justice que le système de contrarier le ministère dans ses projets de changer la destination des domaines des corporations, projet manifesté à cette époque au sujet des Saintes-Chapelles, les pèlerins ne jouirent pas encore d’un long repos : les colosses qui poursuivaient les pygmées ne furent arrêtés qu’un moment. Croisés par la force parlementaire, ils s’adjoignirent les secours ministériels; l’arrêt du parlement fut cassé par celui rendu au conseil des dépêches le 11 mai 1790. Ici se représente un des milliers d’exemples de ce fatal veto, de cette sanction meurtrière, serpent que l’intrigue était parvenue à réchauffer dans le berceau de la liberté. Les 15 et 20 octobre 1789, l’Assemblée nationale, en autorisant le conseil du tyran à continuer ses fonctions comme par le passé, en avait excepté les arrêts de propre mouvement, évocations, et généralement toute connaissance du fond des affaires. On ne prévoit pas comment, après cela, a pu intervenir l’arrêt du 11 mai 1790, qui non-seulement casse celui du parlement, mais qui en outre, sans renvoyer dans aucun tribunal, juge le fond, accueille les conclusions de Juigné et ses consorts, et condamne les pèlerins aux dépens. La Convention s’en étonnerait sans doute si déjà elle ne s’attendait à apprendre que la promulgation des 2 décrets du mois d’octobre, retardée de 10 mois, n’a été faite que postérieurement à l’arrêt du conseil. Peut-il naître d’autorisation d’excuses légitimes à l’infraction de la loi, fondées sur le retard de promulgation, quand l’infracteur est en même temps le promulgateur ? Quel motif ferait adopter l’indulgence fondée sur le retard envers un simple citoyen? La présomption légale d’ignorance existe-t’elle à l’égard du tyran ? Ce prétexte n’est-il pas plutôt un crime, quand au lieu de l’ignorance il fait découvrir la perfidie ? Maître de donner la publicité à la loi s’il ne voulait pas l’enfreindre, ou de l’enfreindre avant de la publier, l’affectation de l’éluder par une infraction intermédiaire de l’émission à la publication décèle une lâcheté sans innocenter la scélératesse. Au surplus, le prétexte ne suffirait pas pour soutenir l’existence de l’arrêt du conseil. L’article XIX de la constitution de 1789 avait été sanctionné le 5 octobre de la même année. Cette constitution, en enfermant follement dans le bercail l’ennemi féroce de toute liberté, avait essayé de l’assujettir au frein, et l’article XIX défendait au pouvoir exécutif d’envahir jamais le pouvoir judiciaire. Vaine précaution sans doute. Le despotisme, déguisé sous le masque insignifiant de monarchie ne pouvait être réprimé : le peuple français l’a détruit. S’il importe à son salut, s’il appartient à sa justice d’en effacer aussi toutes les traces, l’arrêt du conseil des dépêches du 11 mai 1790 ne peut se soustraire à l’anéantissement. Illégal au fond par l’usurpation des pouvoirs, illégal en la forme parce qu’il ne rappelle aucun moyen de cassation, cet arrêt ne pouvait même assujettir la ci-devant corporation des pèlerins à un nouveau jugement devant les tribunaux. Avant de vous proposer le projet de décret, votre comité de législation ne doit pas vous laisser ignorer que celui de liquidation, à qui originairement les pèlerins de Saint-Jacques ont été renvoyés pour fixer leurs pensions, s’il y avait lieu, nous a renvoyé lui-même l’examen de la question que nous venons de traiter, et dont la solution doit précéder son travail. Nous vous proposons en conséquence de déclarer que l’arrêt du ci-devant conseil des dépêches, rendu le 11 mai 1790, entre les ci-devant pèlerins de Saint-Jacques, le ci-devant archevêque de Paris (Juigné) et les administrateurs des enfants-trouvés, est nul et comme non avenu; en conséquence renvoyer la pétition et les pièces jointes au comité de liquidation, pour vous en faire un rapport incessament (1) . « La Convention nationale, sur le rapport de [BEZARD, au nom de] son comité de législation, déclare nul et comme non-avenu l’arrêté du ci-devant conseil des dépêches, du 11 mai 1790, rendu entre le ci-devant archevêque de Paris et les ci-devant pèlerins de Saint-Jacques; «Et renvoie la pétition de ces derniers au comité de liquidation. «Un membre propose la question préalable contre le projet de décret, attendu qu’il ne produiroit aucun effet, les pèlerins ayant été déchus des droits qu’ils prétendent. «Un autre dit que le comité de législation a été saisi de cette affaire par un décret et un renvoi fait en conséquence par le comité de liquidation; qu’il convient de rapporter le décret, et de passer à l’ordre du jour sur le projet présenté. «Ces 2 dernières propositions sont adoptées» (2). 38 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités des secours publics et de liquidation réunis, sur la pétition de la citoyenne Louise-Charlotte Delaferrière, domiciliée à Paris, dans la section de l’Unité, (1) Mon., XXI, 81. (2) P.V., XL, 229. Minute de la main de Bézard. Décret n° 9702. Reproduit dans M.U., XLI, 171; Mess. Soir, n° 678. Mentionné par J. Mont., n° 62; C. Eg., n° 678; C. univ., n° 909; J. -S. Culottes, n° 498; J. Sablier, n° 1404.