135 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juillet 1790.] compenser tous ceux qui ont bien mérité de la patrie. Pour mieux faire connaître si ceux qui réclament ont de justes motifs de le faire, nous ne croyons pas qu’il existe de meilleur moyen que d’ordonner nmpression des mémoires. Il y en a beaucoup qui rougiront de leurs demandes, et dans ce moment où notre sévérité est presque passée en proverbe, c’est le meilleur moyen de prouver qu’elle est légitime. M. d’Estourmel. Il est impossible de connaître positivement quelle est la somme nécessaire à ceux qui ont bien mérité de la patrie ; en conséquence, je demande l’ajournement de l’article. M . Populus . Le comité des pensions doit avoir certainement consulté l’état actuel des finances et la possibilité où l’État se trouve de se livrer à la munificence. M. Palasne, rapporteur. Le comité, pour établir le total qu’il vous propose n’a rien fait sans l’avis des comités militaire et de la marine. On demande la question préalable. Elle est adoptée. L’article 14 est ensuite décrété avec la rédaction ci-dessous : « Art. 14. Il sera destiné à l’avenir une somme de 12 millions de livres, à laquelle demeurent fixés les fonds des pensions, dons et gratifications, savoir: 10 millions pour les pensions et 2 millions pour les dons et gratifications, dans le cas où le remplacement des pensionnaires décédés ne laisserait pas une somme suffisante pour accorder des pensions à tous ceux qui pourraient y prétendre ; les plus anciens d’âge et de service auront la préférence; les autres, l’expectative, avec assurance d’être les premiers employés successivement. :> M. le Président. Je dois informer l’Assemblée que M. de Toulouse-Lautrec, revenu à l’Assemblée nationale, demande à être entendu sur l’objet de la procédure dirigée contre lui à Toulouse. ( Voy . l’information faite par lamunicipalité de Toulouse , aux Annexes de la séance de ce jour, p. 161.) (L’Assemblée décide que M.de Toulouse-Lautrec sera entendu sur-le-champ.) . M. de Toulouse-Lautrec. Il est affligeant pour moi d’avoir à me justifier d’inculpations si atroces et si dépourvues de fondement. Sans doute, l’Assemblée n’a vu que comme, des calomniateurs les deux hommes qui ont déposé contre moi ; je n’ai parlé à T’un et à l’autre que de choses indifférentes, et cependant ils ont dénoncé le fait le plus faux et le plus incroyable. J’aurais pu confier à deux hommes, dont l’un m’est inconnu, le projet d’empêcher, avec 800 hommes, la fédération qui devait avoir lieu à Toulouse ! Une pareille invraisemblance doit détruire toute espèce de soupçon ; il y avait à Toulouse 30,000 hommes pour la fédération. Celui qui aurait voulu l’empêcher, avec 800 hommes, ne serait-il pas digne des Petites-Maisons? Je dois être à l’abri du soupçon d’exercer le métier de suborneur : si j’avais été un homme à causer des troubles, la ville de Castres m’en fournissait le moyen ; elle a été agitée, et il fallait peu de chose pour occasionner les plus grands malheurs. Mais, au contraire, j’y ai recommandé la paix, le respect et l’obéissance aux décrets de l’Assemblée nationale. Je prie d’interroger là-dessus nos députés à la fédération, qui sont dans les tribunes : ils pourront dire la vérité. Je trouve dans mon cœur une assurance si certaine de ma conduite, que je me crois à l’abri du soupçon ; mais j’ai encore besoin de l’aoprobation de l’Assemblée pour être content; et afin qu’elle puisse juger si je l’ai méritée, je la prie de vouloir bien entendre la lecture des certificats des municipalités dans lesquelles j’ai passé. Je suis tellement affecté de tout ce qui peut porter atteinte à mon honneur, que j’en suis tout tremblant. (Plusieurs fois M. de Lautrec est interrompu par les applaudissements de V Assemblée). On fait lecture des certificats délivrés à M. de Toulouse-Lautrec, par les municipalités de Saint-Sulpice en Languedoc, de Castres, de Blagnac et Saint-Geniez. 11 résulte de ces différents certificats, que M. de Toulouse-Lautrec s’est partout comporté comme un bon citoyen, et que plusieurs fois il a donné des marques de patriotisme et d’humanité. M. Goupil. Vous ne voyez sûrement pas sans émotion trembler devant vous un brave homme, qui ne trembla jamais devant l’ennemi. Je demande qu’il soit décrété sur-le-champ que M. de Toulouse-Lautrec est exempt de toute inculpation. M. Regnaud ( député de Saint-Jean-d' Angely). Quoique l’Assemblée soit sûrement convaincue de l’innocence de M.de Lautrec, pour son propre intérêt il faut se défendre d’une opinion précipitée; il faut continuer l’information ; elle sera un creuset duquel l'innocence de l’accusé sortira plus éclatante et plus pure. L’Assemblée doit non seulement la justification des innocents, elle doit aussi chercher quels sont les calomniateurs, et les faire punir. Je demande que l’information de l’affaire soit continuée, pour qu’après la clôture et son rapport, l’Assemblée puisse statuer ce qu’il appartiendra. M. Bouche appuie cette proposition. M. de Toulouse-Lautrec. J’avais oublié de rendre compte de la conduite de la garde nationale et de la municipalité à mon égard ;iiest impossible d’avoir de meilleurs procédés; je leur dois la vie, et je supplie l’Assemblée de vouloir bien leur témoigner sa reconnaissance pour la conduite qu’elles ont tenue envers un de ses membres. ( Les applaudissements recommencent). — La proposition de M. Regnaud est adoptée. (Sur la proposition de M.le Président, l’Assemblée accorde aux députés fédérés qui n’ont pu trouver place dans les tribunes, et qui sont aux portes de l’Assemblée, la permission de s’asseoir sur les bancs de l’intérieur de la salle, au-delà des colonnes.) M. de Causans ( ci-devant le marquis), député d'Orange, demande, pour cause de santé, une prolongation de congé qui lui est accordée. M. le Président. L’Assemblée revient à la discussion du projet de décret sur les pensions. Les articles 15, 16, 17, 18, 19, 20 et 21 sont décrétés sans discussion ainsi qu’il suit : « Art. 15. Au delà de celte somme, il ne pourra être payé ni accordé, pour quelque cause, sous quelque prétexte ou dénomination que ce puisse être, aucunes pensions, dons et gratifications, à peine contre ceux qui les auraient accordées ou payées, d’en répondre en leur propre et privé nom. » 136 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. « Art. 16. Ne sont compris dans la somme de 10 millions affectée aux pensions, les fonds destinés aux Invalides, aux soldes et demi-soldes, tant de terre que de mer, sur la fixation et distribution desquels fonds l'Assemblée se réserve de statuer, ni les pensions des ecclésiastiques, qui continueront d’être payées sur les fonds qui y seront affectés. » « Art. 17. Aucun citoyen, hors le cas de blessures reçues ou d’infîrmités contractées dans l’exercice* de fonctions publiques, et qui le mette hors d’état de les continuer, ne pourra obtenir de pensions qu’il n’ait 30 ans de service effectif, et ne soit âgé de 50 ans, le tout sans préjudice de ce qui sera statué sur les décrets particuliers relatifs aux pensions de la marine et de la guerre. « « Art. 18. Il ne sera jamais accordé de pension au delà de ce dont on jouissait à titre de traitement ou appointements, dans le grade qu’on occupait. Pour obtenir la retraite d’un grade, il faudra y avoir passé le temps qui sera déterminé parles décrets relatifs à chaque nature de service. Mais quel que fût le montant de ces traitements et appointements, la pension, dans aucun cas, sous aucun prétexte, et quels que puissent être le grade où les fonctions du pensionné, ne pourrajamais excéderla sommede 10,000 livres. » « Art. 19. La pension accordée à 30 ans de service sera du quart du traitement, sans toutefois qu’elle puisse être moindre de 150 livres. » « Art. 20. Chaque année de service, ajoutée à ces 30 ans, produira une augmentation progressive du vingtième des trois quarts restants de ses appointements et traitements; de manière qu’après 50 ans de service, le montant de la pension sera de la totalité des appointements et traitements, sans que néanmoins, comme on l’a dit ci-devant, celte pension puisse jamais excéder la somme de 10,000 livres. *» « Art. 21. Le fonctionnaire public, ou tout autre citoyen au service de l’Etat, que ses blessures ou ses infirmités obligeront de quitter son service ou ses fonctions avant les 30 années expliquées ci-dessus, recevra une pension déterminée par la nature et la durée de ses services, le genre de ses blessures et l’état de ses infirmités. » M. Palasne, rapporteur. L’article 22 est ainsi conçu : « Art. 22. Les pensions ne seront accordées que sur la recommandation et l’aitestation des directoires de �départements et de districts, des officiers généraux et autres agents des pouvoirs exécutif, administratif et judiciaire. M. Regnaud (de Saint-Jean-d’ Angely) . Je demande que le mot recommandation soit retranché de l’article et qu’on y substitue celui d'avis. M. de Flrien. Il serait peut-être mieux de mettre le mot demande à la place de ceux de recommandation et d'attestation. M. Barnave. Je crois qu’il y â lieu de supprimer tous ces termes et de laisser le Corps législatif libre d’accorder des pensions, sans la permission des corps administratifs et autres agents rappelés dans l’article. M. Prieur. J’appuie les observations du préopinant. D’après les règles fondamentales sur la résidence et sur la limite des pouvoirs, l'instruc-[16 juillet 1790.] tion faite par les assemblées administratives suffit pour fixer l’Assemblée. L’article 22 est décrété en ces termes : «Art. 22. Les pensions ne seront accordées que d’après les instructions fournies par les directoires de département et de district, et sur l’attestation des officiers généraux et autres agents du pouvoir exécutif et judiciaire, chacun dans la partie qui les concerne. » M. Palasne, rapporteur , lit l’article 23 ainsi conçu : « Art. 23. A chaque législature, le roi formera la liste des pensions à accorder aux différentes personnes qui, d’après les règles ci-dessus, seront dans le cas d’y prétendre. A cette liste sera jointe celle des pensionnaires décédés et des pensionnaires existants. Ces deux listes seront, par Sa Majesté, remises à la législature, qui rendra un décret approbalif des pensions qu’elle croira devoir être accordées et conservées. Le roi sanctionnera le décret, et les pensions, accordées dans cette forme, seront les seules exigibles et les seules payables par le Trésor public. » M. de Folleville. Cet article me paraît rendre l’état des pensionnaires très précaire puisqu’il les soumet à une révision bisannuelle du titre sur lequel leur pension a été concédée, tandis que l’Assemblée a toujours entendu créer un état stable sur cette matière. M. Camus. L’intention du comité a été de s’assurer, tous les ans, si le même pensionnaire ne se trouve pas dans un des cas qui ont déterminé la suppression de la pension. Plusieurs membres demandent la question préalable sur l’article. M. Robespierre. Une pension n’est que le prix d’un service rendu à la nation ; par conséquent, il ne peut être accordé que par la volonté nationale. Or, la disposition de la volonté nationale appartient aux représentants de la nation ; donc l’Assemblée nationale doit revoir sans cesse si elle n’a point commis d’erreur dans les dons qu’elle a faits M. Fréteau propose une nouvelle rédaction de l’article 23. Elle est adoptée en ces termes : « Art. 23. A chaque session du Corps législatif, le roi lui fera remettre la liste des pensions à accorder aux différentes personnes qui, d’après les règles ci-dessus, sont dans le cas d’y prétendre. A cette liste sera jointe celle des pensionnaires décédés et des pensionnaires existants. Sur ces deux listes envoyées par le roi à la législature, elle rendra un décret approbatif des nouvelles pensions qu’elle croira devoir être accordées ; et lorsque le roi aura sanctionné le décret, les pensions accordées dans cette forme seront les seules exigibles et les seules payables par le Trésor public. » Les articles 24, 25, 26 et 27 sont ensuite décrétés sans discussion dans les termes ci-dessous rapportés. « Art. 24. Les gratifications seront accordées d’après les mêmes instructions et attestations portées dans l’article 22: chaque gratification ne sera donnée que pour une fois seulement; et s’il en est accordé une seconde à la même personne, elle ne pourra l’être que par une nouvelle décision et pour cause de nouveaux services.