222 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIR ES [16 janvier 1790. décret où il ne s’agit Di du peuple de Toulon, ni des magistrats représentants du peuple. La priorité est refusée au décret de M. de Champagny. Elle est accordée à l’un des décrets nouvellement proposés. Il est conçu en ces termes : « L’Assemblée nationale, présumant favorablement des motifs qui ont animé M. d’Albert, les autres officiers de marine impliqués dans cette affaire, la garde nationale et les officiers municipaux de la ville de Toulon, déclare qu’il D.’y a lieu à aucune inculpation. » M. le marquis de Blacons demande qu’on mette le mot jugeant, au lieu du mot présumant. ' M. Guillaume veut que ce même mot soit remplacé par celui-ci, convaincue, et qu’on ajoute à la fin du décret l’expression respective. M. Charles de Lameth. L’intention de l’Assemblée est sans doute d’approuver la conduite des officiers municipaux de la ville de Toulon, mais aussi de saisir l’occasion de témoigner à M. d'Albert et aux autres officiers de la marine sa satisfaction de leurs services militaires. M. Malouet. J’observe que l’esprit du décret auquel on a accordé la priorité est de n’inculper personne et de ne pas donner de suite à cette affaire. Je propose, en me conformant à cet esprit, un amendement qui, suivant moi, ne peut être rejeté, puisqu'il a pour objet d’appliquer la déclaration des droits. Il consiste à dire que l’Assemblée improuve les excès commis envers le commandant et les officiers de la marine de Toulon. M. Glezen. II y a une légère inexactitude dans le décret proposé. Tout le monde doit être convaincu de la sagesse de la conduite des officiers municipaux dé Toulon. L’Assemblée ne peut donc manquer de leur témoigner sa satisfaction. Dans cette vue, je crois qu’il faut rédiger le décret ainsi qu’il suit, avec un léger changement : L’Assemblée nationale, présumant favorablement des motifs qui ont animé M. d’Albert, les autres officiers de marine et la garde nationale, et applaudissant au zèle des officiers municipaux, déclare, etc. » M. l’abbé de Bonneval insiste sur la nécessité de substituer le mot convaincue à celui d présumant; il demande que tous les officiere soient nominativement indiqués dans le décret, avec une mention honorable de leurs services. On ferme toute discussion de proposition d’a mendement. L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur tous les amendements ; elle adopte le décret tel qu’il était rédigé lorsqu’il a obtenu la priorité. M. le Président ayant annoncé que les membres de l’ancienne chambre des vacations du parlement de Rennes étaient prêts à comparaître a la barre, conformément aux ordres de l’Assemblée, et l’Assemblée ayant désiré qu’ils fussent admis, ils ont été introduits, et M. le Président leur a dit : « L’Assemblée nationale a pris, le 11 de ce mois, un décret dont je vais vous faire lecture. » M. lè Président a lu le décret, et les membres de l’ancienne chambre des vacations du parlement de Rennes se sont retirés. M. le Président a invité les membres de l’Assemblée à se retirer dans les bureaux pour y nommer un président et trois secrétaires, et il à levé ensuite la séance. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DÉMEUNIER, EX-PRÉSIDENT. Séance du samedi 16 janvier 1790, au soir (1). M. Démeunier, ex-président, occupe le fau-teil et annonce que la santé de M. l’abbé deMon-tesquiou ne lui permet pas de tenir la séance. M. le Président fait part du don patriotique de 48 marcs 12 onces d’argenterie offerts par l’abbesse et les religieuses d’Origny-Saint-Benoît. M. 1 floudet, député du bailliage de Meaux, dit qu’il a été chargé d’offrir, et qu’il offrait à la caisse patriotique une somme de 800 livres, à lui adressée, savoir 578 livres par la communauté des marchands drapiers, épiciers et merciers de la ville de Meaux ; 1 50 livres par la communauté des limonadiers, cabaretiers, cafetiers et aubergistes ; 24 livres par la communauté des marchands chapeliers, pelletiers et foureurs ; et 48 livres par la communauté des marchands bouchers et charcutiers; Qu’il est aussi chargé par MM. les chanoines réguliers de Notre-Dame de Châge de la ville de Meaux, et par MM. les marguilliers fabriciens de ladite église d’offrir, et qu’il offrait à la patrie vingt -deux marcs six onces d’argent en effets mobiliers, qu’il remettait à M. le trésorier. Qu’enfin, une très grande partie des habitants de la même ville de Meaux, s’estimant heureux de pouvoir donner quelques preuves de leur amour pour la patrie, l’avaient chargé d’offrir 25 marcs 6 onces d’argent, provenant de leurs boucles et de quelques autres effets que leur zèle les avait portés à rassembler. Le même député a dit qu’il laissait sur le bureau une délibération des habitants de Mareuil-lès-Meaux, du 31 décembre dernier, par laquelle ils déclaraient faire don à la patrie de la somme qui pourrait leur revenir dans l’imposition des ci-devant privilégiés pour les six derniers mois de 1789. Enfin, le même député a remis sur le bureau une autre délibération des habitants de Neuf-Moutiers, près de Meaux, du 3 de ce mois, par laquelle ils font la même déclaration. M. le comte de Chastenayde Lanty, dépu de la Montagne, demande la permission de s’ab _ senter pendant quelques jours pour des affaires' urgentes et indispensables. Cette permission est accordée. M. le Président. J’ai reçu de M. le garde des sceaux un mémoire dont je* donne lecture : (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. j . ' \ ;v • (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 janvier 1790.] 223 MÉMOIRE ADRESSÉ A M-LE PRÉSIDENT DE L’ ASSEMBLÉE NATIONALE PAR M. LE GARDE DES SCEAUX (1). Les désordres qui se renouvellent dans plusieurs provinces et qui menacent les propriétés et la vie même des citoyens, sont pour Sa Majesté, le sujet d’une profonde affliction. Des brigands armés commettent impunément les plus grands excès; et toutes les propriétés en seraient bientôt la proie si l’on ne pouvait parvenir à rétablir enfin l’ordre et l’empire des lois. Ce soin est le premier des devoirs du monarqiie, et Sa Majesté n’a négligé, pour le remplir, aucun des moyens qui dépendent d’Elle. L’Assemblée nationale, informée d’une partie de ces maux, a fait supplier le Roi de donner de nouveaux ordres pour l’exécution du décret du 10 août dernier, sanctionné par Sa Majesté. Le Roi, pour répondre à cette juste invitation, a voulu faire connaître à l’Assemblée les difficultés qu’il faut vaincre et qu’on ne peut surmonter que par le concours de tous les pouvoirs. Sa Majesté, en sanctionnant le décret du 10 août dernier, était dans la confiance que les officiers civils ou municipaux n’hésiteraient pas à invoquer le secours des troupes, pour réprimer les insurrections que leur influence et les milices nationales ne pourraient calmer. Mais un nombre infini d’exemptes constate que les officiers civils ou municipaux sont empêchés, par la crainte même qu’inspirent ces insurrections, de requérir l’assistance militaire. L’Assemblée nationale, frappée de cet inconvénient, a cru devoir modifier son décret, pour assurer davantage la liberté du transport des subsistances ; et par celui du 5 octobre dernier, sanctionné par le Roi, il a été prescrit : « que toutes personnes seront autorisées à réclamer le secours du pouvoir exécutif et la force militaire, pour faciliter le transport des blés, à la charge de faire préalablement constater les refus et contraventions par le premier officier public sur ce requis. » Le même inconvénient compromet aujourd’hui les propriétés et la vie des citoyens. Un exemple récent mérite, sous ce rapport, de fixer l’attention de l’Assemblée. La ville de Béziers vient d’être le théâtre d’une sédition dont les suites ont été bien tragiques. Elle avait pour cause une saisie de faux-sel sur des contrebandiers armés. Trente-deux ou trente-trois commis avaient déposé leur prise dans l’Hôtel de Ville, et crurent devoir y passer la nuit. M. de Baudre, lieutenant-colonel du régiment de Médoc, en garnison à Béziers, avait fait approcher sa troupe pour garantir l’Hôtel de Ville et pour soutenir la patrouille. Il fit plus, et, prévoyant les dangers du lendemain, il tenta vainement d’engager les officiers municipaux à profiter de la nuit pour faire évader les commis, et même le sieur Bernard, commandant de la patrouille, à qui la portion du peuple qui s’était soulevée ne pardonnait pas, sans doute, la protection qu’il avait accordée contre les contrebandiers. Le lendemain, le danger croissant, M. de Baudre offrit de nouveau, mais inutilement, tous les secours qu’il avait en main pour contenir le peuple. Il ne craignit pas alors d’annoncer aux officiers municipaux que leur inaction serait bientôt suivie de l’attaque de l’Hôtel de Ville et des plus grands excès; il insista du moins pour qu’un consul restât à l’Hôtel de Ville. Mais son zèle fut infructueux, et les consuls ne tardèrent pas à disparaître, sans donner aucun ordre, sans faire aucune réquisition. Peu de temps après, le peuple échauffé et sentant sa force, demande à grands cris que M. de Baudre leur livre le sieur Bernard et les commis. Cet officier qui, dans cette occurence, a donné des preuves distinguées de capacité, de courage et de prudence, trouve le moyen de gagner du temps, en profite pour aller chercher les commis réfugiés dans une salle de l’Hôtel de Ville avec les femmes de plusieurs d’entre eux, les prévient du danger où ils sont, les presse de sauver leur vie par la plus prompte retraite et leur annonce qu’il se flatte d’empêcher l’entrée du peuple pendant une heure. Cependant cette multitude furieuse assaillit la garde à coups de pierres, et l’officier persévère dans la défense de tirer sur le peuple. Une seule ressource lui restait pour ralentir l’action des séditieux; il fait fermer les premières portes et les fait barricader avec des madriers. Elles sont bientôt enfoncées à coups de pierres et de hache, et M. de Baudre recommence la même manœuvre pour fermer la seconde cour. Le temps, qui fut employé pour forcer ces deux entrées, paraissait à M. de Baudre devoir suffire pour l’évasion des commis. Il rejoignit sa troupe, et après l’avoir tenue rangée en bataille sur la place pendant un gros quart-d’heure, il la fit rentrer en son quartier. Les séditieux, de leur côté, poursuivirent leur proie et parvinrent à saisir plusieurs commis ; ils se portèrent envers eux et leurs femmes aux plus horribles excès. Ces malheureux ont été mutilés d’une manière qui fait frémir ; cinq ont été pendus. Les séditieux, encouragés par leur succès, requièrent le commandement de leur fournir des armes. Celui-ci les leur refusent avec fermeté, et par bonheur la multitude n’insiste pas. Une telle anarchie faisant appréhender les plus grands maux, les habitants s’assemblent dans une église, et là un homme du peuple, dont le nom mériterait d'être connu, ouvre l’avis d’aller prier le commandant de rétablir la paix et de se charger de la police de la ville. Cet avis est unanimement adopté et suivi, et M. de Baudre ne cède à la confiance des habitants, qu’il avait si bien méritée, que pour remédier, autant qu’il est en lui, à l’inaction et à la retraite des consuls, dont une simple réquisition eût prévenu tout excès. On pourrait citer une infinité d’autres exemples, qui prouvent que de grands désordres auraient pu être prévenus par le recours aux forces militaires. Mais quelque nécessaire que soit, dans des cas semblables, l’assistance efficace des troupes, le Roi croit devoir à ses sujets l’exemple du respect pour la loi. Sa Majesté a jugé nécessaire de faire mettre ces faits et ces considérations sous les yeux de l’Assemblée en la pressant de la manière la plus forte et la plus instante, de chercher les moyens efficacement propres à concilier la liberté avec la sûreté des citoyens, la conservation des propriétés et le maintien général de l’ordre public. Sa Majesté ne peut supporter qu’aucun de ses sujets qui doivent tous se reposer avec confiance sur sa vigilance et son autorité, soient exposés à des violences et des traitements barbares, contre lesquels l’intérêt social et tous les sentiments de justice et d’humanité s’élèvent également. Et l’Assemblée nationale apercevra sans doute que le progrès ou la continuité de pareils désor-(1) Ce mémoire n’a pas été inséré au Moniteur. 224 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 janvier 1190.] dres pourrait affaiblir l’attachement des peuples au succès de ses importants travaux, et retarder le bienfait d’une Constitution qui doit être l’objet des vœux de tous ceux qui aiment la patrie. Paris, le seize janvier mil sept cent quatre-vingt-dix. Signé : CHAMPION DE ClCÉ, archevêque de Bordeaux. Ce mémoire est renvoyé au comité des rappotrs. M.i Fleury, député de Sedan, demande la parole pour exposer que les religieux de Belval avaient en réserve une somme dont ils proposaient de prêter une partie à la communauté de Mouzon, et de verser l’autre dans la caisse publique de Sedan. Quelques personnes ont observé que toutes les demandes des municipalités, à l’effet d’être autorisées à faire des emprunts, avaient été renvoyées au comité des finances, et que dans la circonstance particulière on ne voyait aucune délibération prise par la communauté de Mouzon. L’Assemblée nationale frenvoie cette proposition au comité des finances. Un membre du comité de vérification rend compte de la nomination de M. Dufau à la place de M. Perès d’Artassan, député du bailliage du Mont-de-Marsan. L’Assemblée nationale décrété que M. Dufau sera admis à la place de M. Perès d’Artassan. M. le marquis de Foucault de Lardima-lie, après avoir exposé les difficultés qui s’élèvent dans plusieurs provinces au sujet de la perception des cens, rentes et redevances qui n’ont pas été supprimés, propose de décréter que, par le décret du 6 août dernier, l’Assemblée nationale n’avait pas entendu empêcher ni différer le paiement desdits droits ; qu’ils devaient être acquittés jusqu’à ce que le rachat en fût effectué, et qu’il fût enjoint aux municipalités de tenir la main à ce qu’il ne fût exercé aucune vexation contre les percepteurs de ces redevances, ni contre ceux qui veulent les acquitter. Sur l’observation qui a été faite , que le comité féodal préparait un décret sur cette matière, l’auteur de la motion a déclaré qu’il ne s’opposait pas à ce qu’elle fût renvoyée à ce comité, et qu’il se bornait à demander que le rapport fût fait incessamment. L’Assemblée nationale a décrété le renvoi au comité féodal, qui sera tenu de faire son rapport mardi prochain, à deux heures. M. Payen expose que le prix du grain est excessif dans sa province; il demande que l’Assemblée prenne un parti déjà employé avec succès dans quelques occasions, et que les censitaires soient autorisés à se rédimer des cens et rentes à raison de 10 livres pour le sac de blé pesant 100 livres. La question préalable demandée sur cette proposition, l'Assemblée nationale décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. Bouttevillc-Dumetz propose ensuite de décréter qu’il soit nommé un comité chargé d’appliquer à la classe indigente les principes de la déclaration des droits, et de déterminer l’organisation du régime le plus propre à assurer les secours dus à cette classe, et l’établissement des ateliers de charité. Il est observé que cette proposition déjà faite à l'Assemblée par M. de Virieux, avait été ren? voyée au comité de commerce et d’agriculture, et qu’il convenait par conséquent de l’ajourner jusqu’après le rapport de ce comité. L’Assemblé nationale ajourne cette proposition jusqu’après le rapport du comité d’agriculture et de commerce. Quelques personnes proposent, comme un moyen efficace de soulager la classe indigente, de faire fabriquer une certaine quantité de monnaie de billon. M. Anson, membre du comité des finances, ayant assuré que cette question avait été agitée dans ce comité, et que le rapport en était prêt, elle a été ajournée à lundi prochain, à une heure. M. Duport a saisi cette circonstance pour démontrer la nécessité d’organiser promptement les municipalités dont le premier devoir serait de s’occuper de la mendicité. S’il y a tant de pauvres aujourd’hui, a-t-il ajouté, cette misère est peut-être causée par la rareté des pièces de billon ou de monnaie grise. Telle personne qui donnerait une pièce de 6 liards ou 2 sous aux pauvres ne peut leur en donner une de 6 ou de 12. S’il y avait plus de monnaie grise, il y aurait plus d’aumônes. Une preuve de la rareté de cette monnaie, c’est que nous en avons beaucoup d’étrangères; je demande que l’Assemblée prenne ces observations en considération. M. d’AIlly. Je suis certain que les étrangers attirent chez eux notre monnaie grise, nos gros sous et nos pièces de 2 liards ; heureusement, il est aisé d’en fabriquer d’autres. M. Malouet propose l’établissement de bureaux de secours où seraient portées toutes les contributions volontaires. Ces bureaux correspondraient avec un bureau principal. Celui-ci répartirait les secours aux indigents et aux ouvriers sans travail. Il demande, en outre, l’établissement d’un comité de correspondance avec les pays de commerce pour en apprendre les moyens de rétablir le commerce languissant et abandonné. 11 trouve que la fabrication d’une monnaie de billon est insuffisante pour secourir les pauvres. M. de Donnai, évêque de Clermont, expose que les ecclésiastiques du royaume n’avaient pas eu un délai suffisant pour faire la déclaration de leurs biens, ordonnée par décret du 13 novembre dernier, et qu’il était juste d’accorder une prorogation. M. l’abbé Maury. J’aurai l’honneur de représenter à l’Assemblée que l’exécution du décret du 13 novembre, est absolument impossible. Les fondés de pouvoirs n’ont pas pu encore recevoir les procurations nécessaires. J’ai huit cents fermes et huit cents fermiers; il me faut plus de trois mois pour faire faire les déclarations. ( Ces exprès sions excitent d'abord le rire, puis les applaudissements sur la munificence du clergé, à l'égard de l'orateur ) (1). (1) Nous empruntons cette parenthèse au journal l’Assemblée nationale et commune de Paris, p. 6 du n° 165.