526 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. la carrière des honneurs militaires, et à leur assurer, après de longs services, une retraite honorable. Enfin, Messieurs, dans tout ce qui peut intéresser l’organisation de l’armée, vous ne perdrez jamais de vue tout ce que doit une grande nation à cette classe généreuse de citoyens, qui dévoue pour elle sa vie et une partie de son indépendance. Mais combien ce sentiment naturel ne sera-t-il pas fortifié par le souvenir de tout Ce qu’ont fait dans ces derniers temps ces militaires citoyens ,dont nous allons régler la destinée ! Combien n’avons-nous pas dû à leur patriotisme, et combien tout ce que nous aurons fait pour eux, ne nous sera-t-il pas rendu en actions de grâces, par cette nation qu’ils ont si bien servie! Ah ! sans doute, elle s’est montrée digne de sa destinée, quand on a vu les peuples s’armer de toutes parts pour la défense de ses représentants, et pour ainsi dire des bataillons sortir de la terre, aux premières alarmes de la liberté. Mais il est aussi digne d’elle de reconnaître les services de ceux qui l’ont si bien secondée, et de leur accorder cet espoir, ce bien-être et cette dignité qui doivent distinguer les guerriers d’une nation libre des satellites des despotes. Voici, Messieurs, la suite du décret, que j’ai l’honneur de vous présenter : « L’Assemblée nationale charge son comité de constitution de conférer avec le comité militaire pour lui présenter ses vues: c 1° Sur les règles qui doivent être établies relativement à l’emploi des forces militaires daus l’in-térieUr du royaume, et les rapports de l’armée, soit avec le pouvoir civil, soit avec les gardes nationales ; « 2° Sur l’organisation des tribunaux et les formes des jugements mililaires ; « 3° Sur les moyens de recruter et d’augmenter l’armée en temps de guerre, en supprimant le tirage de la milice : « Décrète dès à présent, comme articles constitutionnels : « 1° Que le Roi des Français est le chef suprême î de l’armée; « 2° Qu’aucun militaire ne pourra être cassé ni destitué de son emploi sans un jugement préalable; « 3° Qu’il ne pourra être établi, sous quelque prétexte que ce soit, aucune loi, règlements ni ordonnance tendant à exclure aucun citoyen d’un grade militaire quelconque; « 4° Que tout militaire retiré après seize années de services, jouira des droits de citoyen actif. « Décrète également, comme points constitutionnels, qu’il appartient au pouvoir législatif de statuer : 1° sur la somme à affecter annuellement aux dépenses militaires ; 2° sur le nombre d’hommes destiné à composer l’armée ; 3° sur la solde de chaque grade ; 4° sur les règles d’admission au service et d’avancement pour tous les grades; 5» sur les formes des enrôlements ; 6° sur l’admission des troupes étrangères au service de l’Etat ; 7° sur les lois relatives aux délits et peines mili-taires* « Décrète, en outre, que le Roi sera supplié de faire incessamment présenter à l’Assemblée nationale ses vues sur l’organisation de l’armée, pour être ensuite délibéré par elle sur les divers objets qui concernent le pouvoir législatif. » Plusieurs membres demandent l’impression du discours de M. Alexandre de Lameth. 19 février 1790.] M. le Président prend le vœu de l’Assemblée qui prononce l’impression. M. le duc de Liancourt, dëpute’de Clermont en Beauvoisis (1). Messieurs, votre comité militaire a successivement soumis à votre délibération deux rapports différents, Par le premier, il vous a présenté des vues sur quatre des plus importantes questions de la constitution de l’armée, la combinaison des différentes armes, le nombre d’officiers, et les dépenses de l’administration générale du département de la guerre, dans lesquelles sont comprises les sommes affectées à chaque /détail, et particulièrement la solde et le traitement des soldats et officiers. Par le second rapport, votre comité embrasse les rapports des milices nationales et des troupes réglées, et vous présente des vues sur l’avancement des officiers et soldats, en conservant le titre de citoyen actif à tout militaire au service qui peut en remplir les conditions, et en le donnant, par l’effet seul de ses anciens services, à celui qui se retirerait sans les pouvoir remplir. Il est impossible de ne pas applaudir aux principes sages et patriotiques, aux vues saines et éclairées dont sont remplis ces différents rapports; de ne pas approuver le travail immense dont ils sont le résultat ; mais il me semble que, par l’immensité et la nature des détails qu’ils renferment, ils ne peuvent pas être délibérés par l’Assemblée nationale, dans la forme dans laquelle ils vous sont présentés. L’Assemblée nationale, revêtue du pouvoir constituant, a, sans doute, le droit d’entrer dans les détails de toutes les différentes parties de l’administration de l’empire ; mais si elle en a le droit, il ne lui est pas moins nécessaire d’examiner quels moyens elle peut employer pour l’exercer. Il est, relativement à la constitution militaire, des parties sur lesquelles il faut absolument qu’elle prononce; des parties qui ne peuvent recevoir un ordre certain et fixe que par elle ; des parties auxquelles il convient qu’elle appose le sceau de sa puissance; mais il en e3t sur lesquelles elle ne peut pas être assez profondément instruite pour prononcer sans inconvénients; il en est qu’elle ne peut pas prétendre fixer par des lois ou des règlements positifs, parce que leur perfection est encore un problème; il en est sur lesquelles, par prudence, elle ne devra pas prononcer, pour ne pas préparer ; par des décisions précises, des embarras ultérieurs au pouvoir exécutif. D’ailleurs comme Assemblée nationale considérée en elle-même, ne se pourrait-il pas qu’elle ne comptât parmi ses membres aucun militaire? Dans les motifs divers qui ont déterminé le choix de nos commettants, les connaissances réfléchies sur l’armée et sur l’art de la guerre ontdûtêtre comptées pour rien : cependant pour prétendre statuer en détail sur les combinaisons les plus parfaites de la formation de l’armée, il faut connaître les différentes parties de cette science; etcette science tient nécessairement à la connaissance des plus grands principes militaires, à la connaissance de tout ce qu’il y a de plus parfait en ce genre chez nos voisins, à leur comparaison avec nos mœurs, nos besoins, notre population Les armées de Prusse et de l’empereur, généralement reconnues supérieures à la nôtre par leur Le Moniteur se borne à mentionner le discours de Mi le doc de Liancourt. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 février 1790.] 527 formation.ont cependant entre elles des différences auxquelles elles tiennent en les croyant préférables. De quelle autorité l’Assemblée oserait-elle s’appuyer pour statuer au milieu de ces différences qui partagent les sentiments des peuples les plus instruits, les mieux exercés dans l’art de la guerre? Si les progrès de votre armée pour la combinaison et la division des forces différentes, pour l'artillerie, pour l’armement, etc., ne suivent pas celles des armées contre lesquelles vous pouvez avoir à combattre, le succès de vos armes, et par conséquent celui de votre empire, de votre constitution, peut être en danger. La science de la guerre se perfectionne chaque jour. Il n’est peut-être aucune partie du système énéral de l’administration, où le mieux possible épende autant que dans le systè“me militaire, de l’exemple des autres et de la réflexion, car le mieux absolu n’y est pas encore trouvé. Trop d’éléments mobiles entrent dans la composition des armées, pour que l’Assemblée nationale puisseoser entreprendre de fixer par un décret quelle doit être la meilleure formation de l’armée française. Vouloir fixer, en assemblée, la proportion précise de la cavalerie, de l’infanterie, des troupes légères, la quantité et l’espèce des armes, la question des places fortes, le système des fortifications, celui de l’artillerie, et les nombreux et importants détails qui en dépendent, c’est vouloir s’exposer, avec une grande vraisemblance, à décréter des erreurs. La formation d’une armée n’est qu’un détail d’administration, qu’il ne faut pas confondre avec la législation de l’armée, qui appartient essentiellement à l’Assemblée nationale : elle ne doit, si j’ose le dire, s’occuper que delà partie morale de l’armée. C’e&t sur ces lois fondamentales qu’elle doit prononcer, sur celles qui attachent la force militaire à la constitution : c’est à elle à poser les bases sur lesquelles doit s’élever cet édifice protecteur de nos libertés, et imposant pour qui voudrait les attaquer. 11 serait bien à désirer, Messieurs, que chacun de vos comités n’eût à présenter à vos délibéra-rations que des objets sur lesquels vous auriez arrêté de délibérer, et dans l’ordre que vous auriez prescrit. Cette marche qui, dès le premier jour de votre travail, vous en ferait voir l’ensemble, plus sûre et plus prompte pour tous, est encore plus nécessaire pour le comité militaire ; car il est, par plus d’une considération, instant de fixer, d’une manière positive, le sort et l’état de l’armée. Il serait difficile à qui n’aurait connu jusqu’ici l’armée française que par l’état de ses dépenses, de croire que, coûtant de 105 à 106 millions, le nombre des combattants était moins fort qu’il ne devait être, quand la nation était sans milices, nationales sur pied, que l’état du soldat y était inférieur à ce qu’il est dans aucun pays du monde, enfin, que l’épargne la plus forte, la plus nuisible pour les parties esentielles de cette grande machine, se trouvait à côté des dépenses excessives pour des parties qui présentent beaucoup moins d’utilité. Il faut donc, par esprit de justice, augmenter la paye du soldat, rendre son sort plus heureux, et il faut le fixer promptement. L’incertitude de l’armée sur son sort, après une commotion aussi forte, aussi générale que celle qu’a éprouvée la France entière, achèverait de détruire toute espoir de rétablissement dans la discipline que les circonstances ont considérablement relâchée, mais que beaucoup de régiments encore ont cependant maintenue avec une constance digne d’éloge. 11 faut se hâter de faire disparaître cette incertitude par laquelle l’armée eût pu être susceptible de recevoir toutes les impressions funestes contre la liberté des citoyens, si l’esprit de patriotisme n’eût pas prévalu en elle sur toutes instigations contraires. A ces conditions de tranquillité intérieure qui rendent nécessaire la prompte organisation de l’armée, il convient d’ajouter les considérations politiques. La tranquillité d’une partie de l’Europe est troublée ; toutes les grandes puissances semblent s’agiter; bien d’autres intérêts se joignent peut-être encore à ceux qui se montrent avec plus d’évidence : le choc de ces grandes masses pourrait avoir sur nous une réaction qu’il faut prévoir, et qui pourrait devenir dangereuse, si nous ne nous hâtions, par l’établissement de nos forces militaires, d’assurer notre indépendance politique, sans laquelle il n’y a point de véritable liberté civile. Si la France est dans l’heureuse position de ne pas désirer l’accroissement de ses possessions, elle doit au moins prétendre à les conserver dans l’intégrité et l’ensemble, qui font de ce vaste royaume le plus bel empire du monde. Je n’entreprendrai pas de discuter ici les motifs sur lesquels le comité militaire établit que votre armée doit être forte, en temps de paix, de 142,000 hommes, et portée à 240,000 hommes en temps de guerre. D’accord avec lui sur les considérations qui résultent de l’état militaire de nos voisins, de notre position politique à leur égard, de la garde de nos frontières, je me permettrai seulement de dire que l’armée qui, en temps de paix, approche le plus de la force qu’elle doit avoir en temps de guerre, qui est préparée pour agir et entrer en campagne dans ud plus court délai, est celle dont l’empire doit se promettre de plus grands avantages. Pour se croire parfaitement en état de défense, il faut être en état d’attaquer, et de repousser sur ses ennemis le mal de la guerre ; il faut même pouvoir le prévenir quand il en est temps, et surtout ne pas souffrir, s’il est possible, que son pays devienne le théâtre de la guerre; car le succès le plus complet coûte encore bien cher, quand on a l’ennemi dans ses foyers. Les moyens politiques d’équilibre pour un Etat tel que la France sont tous dans le poids de ses forces : c’est aux Etats faibles encore, auxquels l’ambition peut être nécessaire pour acquérir une existence, à chercher à s’accroître par ces complots dont le partage de quelques grandes dépouilles est le gage. Mais la France, riche, pardessus toutes ses autres richesses, d’une constitution heureuse et libre, n’ayant rien à envier à qui que ce soit, ne doit voir que des amis dans les nations qui peuplent le monde. Il est de sa dignité et de sa force, de n’avoir aucun secret politique : son intérêt n’étant que l’intérêt général, elle peut et doit annoncer hautement ses desseins. Ne rien entreprendre et ne rien souffrir, voilà quelle doit être et quelle sera bientôt, sans doute, sa politique. Mais ce maintien auguste ne convient qu’à la force, parce que la seule présence d’une grande force, dirigée par la sagesse, obtient le respect des nations, et assure la paix qui, premier bien et première richesse d’un Etat vraiment puissant, doit être le seul objet qu’il se promette dans l’entretien d’une grande armée. D’après cette incontestable vérité, l’armée qui, 528 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 février 1790.] à la facilité de rassembler le plus promptement le nombre le plus grand d’hommes équipés et exercés, réunirait la condition d’une moindre dépense, est celle dont la formation est préférable quand surtout, et avant toute autre condition, elle aura celle, plus précieuse encore, de ne pouvoir, par sa composition et son système, porter aucun effroi à la liberté nationale. Car il faut, en assurant la constitution de l’armée de manière à pouvoir puissamment écarter les menaces d’une guerre étrangère, placer dans sa constitution même des moyens de sûreté pour la conservation de notre liberté, des moyens qui ne laissent aucune inquiétude aux esprits les plus méfiants. Je trouve ces moyens dans l’impossibilité pour le Roi d’augmenter, sans un décret de l’Assemblée, le nombre de ses troupes étrangères ; d’augmenter même, à un certain point, la force de l’armée, dans l’impossibilité d’employer les troupes dans l’intérieur du royaume, autrement que par les formes ordonnées par la constitution. Ces moyens acquerraient une nouvelle force encore, en y ajoutant celui de la responsabilité des ministres et des agents militaires. Cette précieuse responsabilité, puissant régulateur de l’autorité, est une indispensable précaution contre le pouvoir militaire. Cependant, pour le salut de l’armée, et par conséquent pour celui de l’Etat, elle doit être employée avec mesure. La responsabilité des agents militaires ne peut concerner aucun de ceux qui agissent comme subalternes; la subordination si nécessaire aux armées se trouverait détruite si chacun, en vertu de sa responsabilité particulière, avait Je droit de discuter les motifs de son obéissance. Les subalternes ne peuvent répondre que de l’exécution arbitraire qu’ils auraient donnée aux ordres dont l’exécution leur est confiée; mais la responsabilité doit être bornée à celui qui donne des ordres, à celui qui agit en chef, de quelque grade qu’il soit, à celui qui agit sans ordre. Où l’ordre peut être montré, la responsabilité n’attaque que celui dont il émane; là, si elle attaque les lois, elle doit s’exercer avec la plus grande rigueur. Le caractère de cette responsabilité est simple, ne peut causer d’erreurs, et elle réunit le double avantage de protéger la liberté civile, sans donner prétexte à l’indépendance militaire. Qu’il me soit permis d’ajouter encore quelques mots sur les précautions prises dans la constitution de l’Angleterre, pour la conservation de sa liberté contre l’existence d’une armée, pour répondre à ceux qui voudraient les introduire, en France, dans leur entier. Les Anglais ayant, ainsi que nous, recouvré leur liberté, et voulant, ainsi que nous, conserver aussi le gouvernement monarchique, comme le plus propre à unir la force publique et à défendre les intérêts d’un grand Etat, reconnurent la nécessité de conserver à la prérogative royale la levée, la disposition et le gouvernement entier des forces de terre et de mer; mais pour prévenir le danger dont la liberté constitutionnelle pouvait être menacée par la présence d’une armés constamment sur pied, ils eurent recours à deux actes préservateurs. Le premier, dont l’objet est de punir la désertion et la révolte, et d’assurer le paiement des troupes, n’a de force que pour un an : s’il n'est pas renouvelé, l’armée est, dès l’instant, licenciée et dégagée de tous les liens de la discipline militaire. Le second acte de sûreté est celui des droits , dans lequel il est déclaré que, lever ou tenir sur pied une armée régulière dans l’intérieur du royaume en temps de paix, sans le consentement du parlement, est acte illégal. De ces deux actes garants de la liberté anglaise, le dernier nous est commun , il ne doit y avoir de troupes dans le royaume que celles que vous aurez consenti de payer ; quant au premier, convenable pour des insulaires, mais peu propre à notre position géographique, il est heureusement remplacé en France par l’organisation de nos municipalités et de nos milices nationales, qui fournissent à la conservation de la liberté une force bien plus réelle que l’inutile possibilité de licencier une armée qu’il faut nécessairement conserver; et la constitution de votre armée peut encore accroître vos motifs de confiance, sans diminuer vos moyens de force. Ces lois fondamentales posées, préservatrices de la constitution du royaume, il en est encore qui tiennent à la constitution de l’armée, et sur lesquelles il convient à l’Assemblée nationale de prononcer, soit qu’elle les présente dans leur complet à l’acceptation du Roi, soit qu’elle se borne aies présenter au pouvoir exécutif, comme bases des ordonnances qu’elle doit rendre. Votre comité militaire vous a présenté des vues sur les rapports des milices nationales et de l’armée, de la force militaire et de la force civile; il vous a parlé de la nécessité d’établir des tribunaux permanents auxquels serait attribuée la révision des grands jugements militaires; enfin, il vous a entretenus de la nécessité de pourvoir à l’augmentation de l’armée, quand la nécessité obligerait de la porter au pied de guerre. Le préopinant a développé ces vues avec plus d’étendue encore. Je pense avec lui, et avec le comité militaire, que ces lois doivent sortir dans leur perfection de votre prévoyance et de votre sagesse. C’est à votre comité de constitution à s’entendre avec votre comité militaire pour nous les présenter; et bien pénétrés de l’esprit de justice et de liberté qui vous a fait rejeter avec unanimité l’idée de la conscription militaire pour le service de l’armée, ils vous soumettront des moyens qui porteront l’armée à la force que les circonstances rendront nécessaire, par la volonté libre de ceux qui composeront cette augmentation. Il est encore du devoir de l’assemblée nationale de prononcer positivement et promptement l’augmentation de solde pour le soldat. On ne peut trop souvent répéter que la paye est évidemment insuffisante. Le malaise, qui ôte à l’homme une partie de ses forces, lui ôte encore l’énergie si nécessaire pour faire un métier honorable qui ne peut être bien fait -par celui que la comparaison de son état avec l’état des autres citoyens peut faire souffrir : il faut au soldat une bonne paye tant qu’il sert, et une expectative assurée pour le temps où la diminution de ses forces ne lui permettra plus de continuer ses services. Vous croirez donc, sans doute, Messieurs, absolument nécessaire de décréter promptement une augmentation à la paye du soldat. Votre comité militaire vous propose, en l’augmentant de 20 deniers, de la porter à 9 sols. Cette augmentation, forte en apparence, ne portera pas dans son entier, ainsi qu’il vous a été dit, sur la subsistance du soldat. Une partie ajoutée avec nécessité à la masse aujourd’hui insuffisante, destinée à son entretien , réduira à un sol l’augmentation véritable de bien-être qu’il re- 529 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 février 1790.] cevrait. Vous délibérerez donc, sans doute, Mes sieurs, d’ajouter encore à la proposition de votre comité, et vous aurez facilement le moyen d’élever à 9 sols 6 deniers la totalité de la paye, c’est-à-dire d’augmenter de 26 deniers chaque solde actuelle. Le préopinant a proposé de porter à un sol ce surcroit d’augmentation : je n’avais osé le proposer que de 6 deniers ; mais j’adhère de toute ma volonté sans doute à cette plus grande amélioration. Le plus grand bien-être des défenseurs de l’Etat est toujours le vœu d’un bon citoyen. Quel que soit le système que vous croyiez devoir adopter, dans l’ensemble de l’armée et dans la combinaison des différentes armes qui la composent, quelle que soit la somme générale que vous attribueiez au département, cet accroissement de dépenses, qui ne s’élève pas à 1,200,000 livres pour 6 deniers, et à 2,400,000 livrés pour un sol, est trop peu considérable pour qu’il ne vous soit pas facile d’y suffire. Il vaudrait mieux d’ailleurs ne pas avoir d’armée que d’en avoir une dont les individus, mal payés et mécontents, ne rendraient à l’Etat que des services incomplets, les rendraient à contre-cœur, et soupireraient sans cesse après la possibilité de quitter un état où le besoin les aurait poussés, et qu’il faut aimer pour en remplir honorablement les devoirs. L’économie à faire relativement aux forces militaires d'un grand empire, ne consiste qu’à éviter toutes dépenses inutiles, à ne rien payer au delà de sa valeur, à n’employer que le nombre d’officiers et de soldats nécessaires, enfin, qu’à bien administrer toutes choses; car celle qui porterait sur le nombre indispensable, comme celle qui aurait lieu sur le traitement convenable à faire à chaque individu de l’armée pour l’attacher à son état, serait une épargne destructive des résultats heureux qu’une nation doit se promettre de l’entretien d’une armée. 11 faut aussi, sans doute, que l’Assemblée s’occupe d’assurer à l’officier un bien-être Certain pour le présent, et pour l’avenir, il faut une augmentation à son traitement, dans presque tous les grades ; mais bien persuadé de cette indispensable nécessité, je ne penserais pas, cependant, que vous puissiez dans ce moment décréter positivement l’augmentation précise que vous propose le comité militaire. Pour connaître quelle augmentation vous pouvez faire au sort de l’officier, il vous faut connaître quel nombre dans chaque grade vous en devez employer dans l’armée. Cette connaissance ne peut être" que le résultat du système qui sera adopté, et pour le nombre des régiments qui composeront l’armée, et pour le nombre de compagnies dans chaque régiment, d’officiers dans chaque compagnie, et pour plusieurs autres parties encore du régime militaire. Il est temps de reconnaître que le nombre d’officiers, dans tous les grades, ne doit être qu’en raison des véritables besoins de l’armée. Cette juste proportion n'est pas universellement jugée la même. L’armée de Prusse a, comme vous l’a dit votre comité, plus d’officiers dans la même proportion de troupes, que l’armée autrichienne, et bien moins que l'armée française. L’usage ancien qui en a attaché un nombre plus grand à nos armées, est-il fondé sur des raisons que l’on ne puisse contredire? ou ce nombre pourrait-il être diminué? Cette question doit être examinée soigneusement avant sa décision ; mais de quelque manière qu’elle le soit, toujours est-il vrai que les l*e Série. T. XI. officiers employés doivent être assez bien traités. pour qu’ils désirent conserver leur état, et craignent de le perdre. Le métier des armes ne sera plus à l’avenir un métier nécessaire ; et bien que les sentiments d’honneur, de devoir et de patriotisme, portent, avec nécessité, l’officier français à faire exactement, et de toutes ses facultés, le métier qu’il a volontairement embrassé, et qu’il peut quitter à chaque instant de sa vie, toujours est-il vrai que si les considérations de l’intérêt présent et d'un sort assuré pour l’avenir, ne présentent pas quelque attrait, la profession des armes sera moins sollicitée, et, ce qui est peut-être pis encore pour le bien du service, elle ne sera qu’un état de passage, et nous ne devons pas oublier que cette continuelle mutation d’officiers est, dans le militaire français, un des plus grands vices, un de ceux auxquels il est le plus nécessaire et le plus instant de porter remède. Cette dernière considération, si importante, vous fera sans doute désirer, Messieurs, de trouver, dans le système des retraites à accorder aux officiers, un nouveau moyen de les attacher avec plus de constance au service. Peut-être, en examinant différents projets, croirez-vous utile d’adopter celui qui, plaçant la ressource des retraites dans une retenue annuellement faite sur les appointements, donnerait à l’officier, dans chaque grade, pour le temps de son service, un traitement plus fort que celui dont il jouit actuellement, et lui en assurerait encore, à l’époque où il voudrait le cesser, un beaucoup plus considérable que celui auquel, à présent, il peut prétendre. Ce système, en soustrayant l’ancien officier à l’arbitraire de ses supérieurs et du ministre, pour la certitude, l’époque et la somme de son traitement, aurait encore le précieux avantage de diminuer, dans un certain temps, les charges du Trésor public de presque toutes les sommes affectées à présent aux pensions des militaires. Ces pensions s’élèvent aujourd’hui à 18 millions qui, avec beaucoup d’économie, ne peuvent, dans le régime nouveau, s’élever à moins de neuf à dix; et ce projet, facile à réaliser, n’exigerait, après un certain nombre d’années, qu’une somme affectée tout au plus d’un million ; parce que les seules pensions destinées, ou à quelques officiers blessés à la guerre, ou à quelques officiers généraux, dont la masse ne serait pas assez considérable, seraient payés sur ce fonds. Le même principe d’équité vous portera sans doute à chercher les moyens de pourvoir au sort du soldat après l’expiration de son engagement, de manière qu’une somme dont il aurait alors la disposition, et qui ne diminuerait, par aucune retenue, sa solde pendant le temps de son service, lui donnerait la possibilité de quitter son état s’il ne désirait pas le continuer, de faire un établissement, d’embrasser avec quelques ressources une profession nouvelle, ou de ne continuer le métier de soldat, qu’autant que son goût et son intérêt l’y détermineraient; et ces moyens se trouveraient peut-être sans difficulté. Parmi les différents objets sur lesquels vous croirez devoir arrêter quelques principes, vous compterez sans doute les engagements : vous avez dû déterminer le mode de recrutement de l’armée, parce que l’obligation générale du service militaire attaquait directement la liberté des citoyens, et que vous ne deviez pas mutiler cette liberté sous le spécieux prétexte d’assurer des défenseurs à l’Etat, quand vous pouviez pourvoir 34 [9 février 4790.} 530 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. à la défense commune, en respectant les droits de chacun. Si les enrôlements à prix d’argent ont pu donner lieu à de grands abus, les plaintes multipliées les ont fait connaître : cette connaissance vous suffit pour exiger des lois propres à les détruire et à les empêcher de reparaître. L’Assemblée doit prendre dans toute sa sollicitude le rétablissement et le maintien de la discipline. Sans discipline, vous aurez des soldats, mais vous n’aurez jamais d’armée. Ce que vous croirez dépenser pour votre sûreté, pourrait tourner contre vous-mêmes. On supposerait, sans fondement, que la subor-dination militaire pourrait porter atteinte à la liberté publique, et comprendre des devoirs contraires aux droits du citoyen. La discipline n’est que le maintien de l’ordre jugé nécessaire. L’imperfection du commandement, qui ordonnerait ce que le soldat aurait droit de ne pas faire, ne peut être regardée comme faisant partie de la subordination militaire; mais les objets sur lesquels elle s’élève sont sacrés ; le salut de la République en dépend, et, dès lors, ils deviennent les premiers devoirs du citoyen. Le rétablissement de la discipline dans l’armée, si essentiel pour le salut de tous, doit être une loi de l’Etat, émanée de l’Assemblée nationale, et sanctionnée par le roi. Revêtue de ce grand caractère, elle fera, sur tous les individus de l’armée, une impression profonde qui ne pourra laisser douter du succès. Ainsi les fautes contre la discipline et la subordination deviendront un délit national; la subordination et la discipline, des vertus vraiment patriotiques ; et Farinée, attachée à l’observation de ses devoirs par les sentiments de citoyen, les remplira dans tous ses détails avec plus de dévouement et de patriotisme. Pour écarter tout arbitraire dans la punition des crimes et délits militaires, l’Assemblée nationale croira sans doute devoir établir les points essentiels d’un code pénal bien précis, où les peines proportionnées aux fautes ne seraient point arbitrairement ordonnées, où tout moyen de justification serait donné à l’accusé, et tout moyen d’équitable application de la loi, au juge. Ainsi, vous compléterez, par la certitude de la justice, le bonheur du soldat. L’Assemblée doit encore indiquer ses vues sur les règles à établir pour l’avancement. Il est temps, sans doute, de détruire les barrières insurmontables que la classe la plus nombreuse voyait opposer à son avancement, soit par les ordonnances qui lui interdisaient l’accès de certains grades, soit par la faveur qui l’en repoussait. Mais en voulant reconnaître et servir les droits de l’ancienneté, on ne saurait perdre de vue qu’une armée n’est pas seulement instituée pour assurer le bien-être de ceux qui la composent, qu’elle l’est plus particulièrement encore pour futilité de l’empire. Cet important objet serait mal rempli, si les lois militaires assuraient les mêmes avantages à l’homme incapable, à l’homme inappliqué, inassidu à ses devoirs, et à l’homme que ses talents, sa conduite et son intelligence feraient distinguer par l’opinion publique. Ainsi, si vous croyez devoir adopter, pour règle générale de l’avancement, le système de Fancienneté, vous croirez sans doute aussi devoir laisser place à des exceptions pour le mérite distingué et l’incapacité reconnue; et comme aucune loi précise ne peut fixer ni l’étendue, ni l’occasion de ces exceptions nécessaires; comme le mérite d’un chacun, toujours considérable à son propre sens, ne peut être justement apprécié par des règles constantes, vous laisserez l’exercice de ces exceptions au roi, à qui la conduite, la direction, la disposition de rarmée doivent être confiées sans réserve, sous la condition des lois constitutionnelles du royaume et du militaire. Tels sont, Messieurs, les points sur lesquels il semble essentiel que l’Assemblée nationale pose des bases, parce que ces points, intéressant essentiellement la constitution de l’armée, ne peuvent pas être laissés à l’arbitraire. Tels sont aussi les points sur lesquels elle doit se borner à prononcer, parce qu’elle n’a pas en elle les moyens d!entrer, ainsi qu’il a déjà été dit, dans tous les détails multipliés fde l’organisation de l’armée, et que cette organisation, cette direction appartiennent sans aucun doute au roi, chef suprême de toutes les forces militaires. Ces bases posées, et l’Assemblée ayant décrété, sur la demande du roi, quelle somme doit être affectée à l’entretien de l’armée et de combien d’hommes elle doit être composée, le soin du reste doit être entièrement abandonné au pouvoir exécutif. C’est au ministre à bien mériter de la nation, en proposant la formation d’armée qui réunisse au plus grand nombre d’avantages l’économie la plus sage; c’est à lui à calculer dans la plus grande perfection possible la combinaison et la division des armes, la formation des corps, l’équipement et l’armure, toutes les ordonnances auxquelles vos principes connus serviront de bases, enfin, tous les détails de l’armée. Il considérera que la France a besoin d’une nombreuse cavalerie, pour agir au delà du Rhin, ou pour défendre les pays ouverts qui nous servent de frontières depuis Dunkerque jusqu’à Bâle; que les armées, dont nous avons à craindre l’approche de ces côtés, sont fortes d’une cavalerie considérable, et mènent à leur suite une formidable artillerie de campagne. 11 examinera si le projet d’entretenir sous les armes un moins grand nombre de troupes pendant un long temps de l’année, pour en réunir un nombre plus considérable pendant un temps suffisant, et pour augmenter ainsi la force de l’armée prête à marcher au premier signal, ne pourrait pas présenter des vues utiles à la force, à la bonne composition de l’armée et au maintien de la constitution. Sa science et son habileté s’exerceront à former une armée qui rassemble dans une bonne proportion tous les moyens de défense que notre position nous rend nécessaires; et s’il résout ce grand problème en se renfermant exactement pour les dépenses dans la somme assignée au département, peut-être, malgré l’augmentation de paye du soldat, inférieure encore à celle indiquée par le comité militaire. il aura rempli le but qu’il doit se proposer. Alors l’Assemblée donnera par son décret une existence constitutionnelle à l’armée; et la réunion de tous ces moyens assurant la liberté des citoyens, la jouissance naturelle de leurs droits et le maintien de la constitution, assurant sous tous les rapports le bien-être de tous les individus de l’armée, assurant enfin, par l’existence d’une force formidable bien organisée, la liberté politique de la France, remplira toutes les conditions que la nation a droit d’attendre de la sagesse de ses représentants. PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale décrète, comme loi constitutionnelle du royaume: