(4 septembre 1790.J [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. dépense renfermés sous le titre : d’entretien, réparations et constructions de bâtiments sont nécessairement variables ; une partie cessera, dès 1791, d’être à la charge du Trésor public; d’autres peuvent être réduits; d’autres enfin ne seront que passagers. Les palais de justice, les prisons, les murailles des villes seront désormais entretenus, réparés ou construits aux dépens des départements ou des municipalités. Les manufactures ne doivent recevoir que des encouragements de la nation, si les encouragements leur sont nécessaires. Les intendances, désormais inutiles, seront ou affectées à des usages publics, et dès lors à la charge des départements ou des villes, ou vendues; et, dans ce dernier cas, quoiqu’elles aient été construites la plupart aux dépensées généralités, le prix devra en être versé dans le Trésor public, et employé à l’extinction de la dette. Par là tous les départements y participeront et y contribueront également. Les bâtiments des domaines, ou appartiendront à la liste civile, ou seront destinés à des usages nationaux, ou à des usages municipaux, ou de département, ou seront aliénés. Il n’y a que ceux qui seront affectés à des usages nationaux qui puissent être à la charge de la nation. Tels sont les salines et bâtiments consacrés aux fermes ou régies, occupées par les ministres, par des établissements publics. Les hôtels des monnaies doivent être à la charge de la nation pour les constructions et les grosses réparations. Mais les laboratoires, les fourneaux, les ustensiles doivent être entretenus par les directeurs. S’ils travaillent, le bénéfice les dédommage; s’ils ne travaillent pas, il n’y a point de dépérissement. Voici le projet de décret : « Art. 1er. Les palais dejustice et prisons seront désormais entretenus aux dépensées justiciables. « Art. 2. Les manufactures ne recevront du Trésor public que des encouragements, si l’Assemblée nationale juge les encouragements nécessaires. » (Les articles 1 et 2 sont adoptés.) M. Lebrun lit l’article 3 ainsi conçu : « Art. 3. Les intendances seront ou affectées à des établissements publics, ou vendues, suivant qu’il sera réglé par les informations des assemblées de département; si elles sont vendues, le prix en sera versé dans la caisse de l’extraordinaire pour être employé à l’extinction de la dette publique ; si elles sont employées à des établissements publics, elles seront à la charge des municipalités ou des départements auxquels ces établissements appartiennent. » Plusieurs membres demandent l’ajournement de cet article. L’article 3 est ajourné. M. Lebrun lit l’article 4 qui est décrété en ces termes : « Art. 4. Les directeurs des monnaies seront tenus d’entretenir les laboratoires, les fourneaux et les ustensiles servant à la fabrication, et seront chargés des réparations locatives ». M. deGouy d’Arsy, député de Saint-Domin-aue% demande et obtient la parole pour donner lecture d’une adresse de l'assemblée provinciale de la partie du nord de Saint-Domingue , relative à la situation actuelle de la colonie (1). (1) Le Moniteur ne donne qu’un extrait de cette adresse. 1* SÉRIE. T. XVIII. 561 Cette adresse est ainsi conçue : Messieurs, l’aa-semblée provinciale de la partie du nord de Saint-Domingue s’empresse de soumettre à votre sagesse ce qui se passe dans la colonie, et les suites funestes qui peuvent en résulter. Elle avait formé une assemblée générale, lorsque les premières nouvelles de votre décret du 8 mars nous parvinrent. La colonie entière était en proie aux alarmes ; ses enfants entouraient l’Assemblée nationale, et s’étaient glissés jusque dans son sein ; mais votre décret porta le calme dans nos cœurs. Vous promettiez sûreté et protection aux colons; vous reconnaissiez la colonie comme partie constituante de l’empire, vous l’admettiez à entrer dans le Corps législatif; vous l’autorisiez à préparer elle-même sa Constitution; vous vous borniez à indiquer pour bases les liaisons nécessaires entre la colonie et la métropole. On s’attendait que l’Assemblée générale accepterait ces faveurs avec reconnaissance, et ces conditions si justes avec satisfaction. L’assemblée provinciale se hâta de lui faire parvenir votre décret du 8 mars. Son premier mouvement fut celui de la confiance et de la joie; mais une plus longue réflexion, ou plutôt des suggestions malheureuses altérèrent ces sentiments. Les anciennes terreurs reprirent leur empire ; et l’assemblée générale crut devoir s’entourer de précautions. Elle s’est malheureusement égarée dans des formes inconstitutionnelles, inadmissibles, et par conséquent nuisibles, que nous croyons devoir vous exposer pour vous faire connaître la nécessité de rapprocher tous les partis, en les rassurant tous . Bientôt après, l’assemblée provinciale reçut un décret du 14 mai, sur l’ordre judiciaire, dont l’assemblée générale ordonnait l’exécution immédiate, sans que l’objet fût urgent, sans qu’il fût approuvé par le gouverneur général, sans réserver votre décision, ni la sanction royale. L’assemblée provinciale, sans se laisser éblouir par le mérite du fond, fut épouvantée des formes qui lui parurent affecter un pouvoir législatif particulier à une partie de l’empire et indépendant de la nation et du roi. Elle se hâta de condamner ces formes, déposer ses propres principes et de s’opposer à la promulgation d'un acte qui lui parut inconstitutionnel et nul, par son arrêté du 17 mai. Or, ces principes sont : qu’il ne peut y avoir qu’un Gorps législatif en France, composé de tous les représentants de la nation et du roi ; Que la colonie seule ne peut pas faire un Gorps législatif à part ; Que l’assemblée générale n’a que les pouvoirs que le Corps législatif lui a donnés, et qui la constituent, savoir: de proposer ses lois et de les faire exécuter provisoirement avec la sanction du gouverneur ; Que si elle rejette ou transgresse ces pouvoirs, elle a perdu dès lors son existence légale. L’assemblée provinciale fit passer cet arrêté à l’assemblée générale, avec une adresse conforme. L’assemblée générale crut devoir faire une profession expresse et explicite de ses principes, par un décret du 28 mai. Elle y consigne quV/e est le Corps législatif en ce qui concerne le régime intérieur , sous la seule sanction du roi; et dès lors, si elle consent que ses décrets passent par les mains de l’Assemblée nationale, c’est sans lui accorder le droit à' examiner \ mais seulement pour les présenter 36 {$62 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 septembre 1790.] à sa sanction, comme agentpassif et subordonné. Forcée de convenir que dans les rapports extérieurs elle doit reconnaître l’Assemblée nationale our arbitre, elle se croit en droit d’éluder ses écisions;et, par une fâcheuse contradiction, elle je réserve celui d’y consentir ou de les refuser. Par une autre contradiction, elle admet la sanction du roi pour son régime intérieur, et elle la rejette pour ses rapports extérieurs, en soumettant à son propre consentement vos décrets, qui cependant seront sanctionnés par le roi. Nous croyons qu’un tel système mène la colonie à ne jamais avoir de Constitution, parce que l’Assemblée nationale ne peut pas l’approuver, et que le roi lui-même n’a pas le droit de le consacrer sans elle. Cependant l’anarchie la plus fatale règne ici. L’assemblée générale est tombée dans une erreur bien plus dangereuse encore. En se rendant indépendante de l’Assemblée nationale, elle accorde au roi la sanction libre et indéfinie pour son régime intérieur, et par conséquent le veto absolu ; tandis qu’en se soumettant au pouvoir législatif de la nation, elle n’était soumise qu’au veto suspensif. Or, comme sous un autre prince que le nôtre, le pouvoir du roi peut n’être que le pouvoir des ministres , il est évident qu’elle s’expose à remettre la colonie sous le régime ministériel. C’est après cette époque, Messieurs, que l’assemblée générale paraît avoir reçu officiellement les décrets et l’instruction de l’Assemblée nationale ; et cependant, par un décret du 1er juin, elle n’accepte votre décret, du 8 mars, que sauf les droits de la colonie , consacrés en partie dans son décret du 28 mai. Quant à l’instruction, elle ne l’adopte, quant à présent, que pour inviter les paroisses à s'assembler , et à déclarer si elles entendent continuer l'assemblée générale , ou en former une nouvelle. Cependant, Messieurs, tous les districts du Cap et presque toutes les paroisses de la dépendance du Nord avaient adhéré à vos décrets et à notre arrêté du 17 mai. Plusieurs avaient même prononcé le rappel de leurs députés. Dans les paroisses de l’Ouest et du Sud, il y a eu moins d’unanimité. Quelques-unes seulement ont suivi nos principes; et partout on en voit qui, en confirmant l’Assemblée actuelle, la chargent expressément d'adopter vos décrets et de s’y conformer. D’autres paroisses ont confirmé purement et simplement l’assemblée générale. L'assemblée générale a envoyé au Cap une députation solennelle pour porter des paroles de paix; mais ses commissaires n’ont pas rempli cette mission respectable, pour laquelle ils étaient envoyés. Après deux conférences, après trois jours de séjour, de ces commissaires, nous avons reconnu qu’ils éludaient les questions principales, qu’ils fomentaient un parti dans le peuple, qu’ils intriguaient auprès de la municipalité. Enfin nous avons su qu’ils sollicitaient une assemblée énérale de la commune à l’église ou à la salle u spectacle, qu’ils se flattaient de subjuguer par une éloquence dont nous avions déjà vu les effets. Nous avions ci-devant fait l’épreuve malheureuse du danger de ces assemblées tumultueuses. Déjà, dans notre salle même, l’orateur de la députation avait enflammé les esprits contre ceux qui avaient le plus ouvertement combattu les erreurs de l'assemblée générale, au point qu’au milieu d’une rumeur violente de la galerie, on avait osé proférer ces mots : Il faut les pendre , il faut les pendre ! Nous avons frémi des risques que courait la tranquillité publique ; et après nous être entourés des chefs de la municipalité, des dépositaires du pouvoir exécutif, des officiers supérieurs des milices patriotiques et militaires, nous avons enjoint aux députés qui abusaient d’une mission sage et pacifique, de sortir de la ville dans le jour, et de la dépendance dans quarante huit heures. Dès lors l’orage naissant a été dissipé. Bientôt nous avons eu à nous féliciter de cette précaution rigoureuse, mais nécessaire. Le courrier du Port-au-Prince nous a appris que dans une assemblée générale du peuple à l’église, on en était venu aux mains ; que les bâtons avaient été levés, des épées tirées, de3 pistolets présentés; que des citoyens avaient été blessés; qu’on avait renvoyé à délibérer dans les districts; que l’assemblée générale avait été maintenue ; et que le lendemain, cent cinquante citoyens notables avaient protesté, chez un notaire, contre la violence et contre la fausse rédaction des procès-verbaux. Nous apprenons qu’un député de la Marmelade, et un autre de Plaisance, dépendance du Nord, se sont rendus de Saint-Marc à leur paroisse; qu’ils ont influé sur l’assemblée; qu’ils ont fait prendre une délibération qui adhère à l’assemblée générale, et qui annule celle plus nombreuse des propriétaires, confirmative de notre arrêté du 17 mai. Les citoyens notables ont été forcés de se retirer et réclament contre cet arrêté. On nous annonce aujourd’hui que la paroisse du Fort-Dauphin embrasse encore le parti de l'assemblée générale. Nous avons voulu, Messieurs, arrêter la division qui se répand. Nous avons déclaré, par un arrêté du 16 du mois de juin dernier, que nous cessions toute correspondance avec l’assemblée générale; et parune autre, endatedu21 suivant, nous avons déclaré que nous ne la reconnaîtrons plus, et nous avons fait défense à tous corps et particuliers du ressort, d’exécuter ni faire exécuter aucun décret qui ne porterait pas sur des bases, et qui ne serait pas revêtu des formes indiquées par l’instruction décrétée par l’Assemblée nationale. Cependant nous avons pensé que le seul moyen d’arrêter le mal était de réunir promptement le vœu des paroisses sur le sort de rassemblée générale actuelle. Nous les avons invitées à s’assembler conformément à votre instruction, et à adresser à M. le gouverneur général l’état de leurs citoyens actifs, et leur vœu sur cette question précise : L’assemblée générale subsistera-t-elle ou en sera-t-il formé une nouvelle ? Nous avons cru ne pas violer la liberté que vous avez entendu, Messieurs, laisser aux représentants de la colonie, en engageant les paroisses à leur donner des instructions, portant défenses de ne consentir aucun décret, que sous la sanction provisoire du gouverneur général, la décision définitive de l’Assemblée nationale, et l’acceptation ou sanction aussi définitive du roi. Nous avons nous-mêmes soumis cet arrêté à ces trois formalités essentielles. Sur ces entrefaites, Messieurs, nous avons vu, par les dernières dépêches de l’assemblée générale, qu’elle a révoqué les députés de la colonie à l’Assemblée nationale, qu’elle les réduit à la simple qualité de commissaires. Cela nous paraît une violation des pouvoirs de l’assemblée générale et des droits de la colonie. Mais nous voyons encore qu’elle enjoint à ses commissaires de ne vous présenter que ses décrets des 28 mai et 1er juin, de vous cacher le [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 septembre 1790-j 663 surplus, et qu’elle leur interdit toute discussion sur ceux-là. Cette conduite nous alarme. Enfin, nous voyons dans la gazette de la colonie une lettre de l’assemblée générale au roi, et une de son président à l’Assemblée nationale, il nous semble qu’elles ne sont satisfaisantes sous aucun rapport; mais nous nous renfermons dans un simple exposé, et nous ne nous permettrons aucune discussion critique. Nous vous observerons uniquement que les dépositaires du pouvoir exécutif n’ont mis aucun obstacle aux décrets de l’Assemblée et qufiis ont gardé, comme les corps judiciaires, le silence et la nullité absolue qu’elle leur imposait, en ne leur soumettant rien. Voilà, Messieurs, l'état actuel des choses. Nous allons vous rendre compte du plan que nous nous proposons. Nous attendrons que M. le gouverneur général ait recueilli le vœu des paroisses, l’ait publié et ait ainsi constaté la pluralité à laquelle vous avez soumis le sort de l’assemblée générale actuelle. Qu'elle soit formée de nouveau, ou qu’elle soit maintenue, nous la regarderons alors comme légale dans sa forme constitutive et de cela seul nous concourrons de toute notre influence pour qu’elle procède1 paisiblement, et qu’il n’arrive aucun trouble dans la colonie, s’il y a encore diversité d’opinions sur ses opérations. Mais nous ne pensons pas pouvoir nous dispenser de persister, dans notre ressort, dans notre arrêté du 21, parce que nous ne croyons devoir admettre aucun acte qui ne soit conforme aux bases et aux formes que vous avez indiquées, jusqu’à ce que vous y ayez prononcé. Nous attendrons dans cet état la décision que vous porterez, et nous déposerons ici le serment de nous y soumettre. Qu’est-ce donc quia pu déterminer l’assemblée coloniale à adopter des formes que nous croyons inconstitutionnelles et impraticables? L’assemblée générale a évité de vous le dire, c’est donc à nous de vous parler avec franchise, quelque pénible que soit la vérité. C’est une malheureuse défiance de l’Assemblée nationale même, et vous en voyez la preuve dans les décrets des 28 mai et 1er juin, dans les principes qui y sont établis, dans les précautions dont l’assemblée générale s’arme contre l’Assemblée nationale, dans sa conduite avec les députés de la colonie, dans le silence qu’elle a prescrit à ses commissaires, dans l’ordre de ne montrer que ses deux principaux décrets. Cette défiance est due d’abord aux amis des noirs, et à l’oninion que plusieurs d’entre eux sont membres ae l’Assemblée nationale, y forment un grand parti; qu’eux et l’effrayant antagoniste de la traite ne se tiennent pas pour battus, et nous poursuivront toujours; Ensuite à l’accueil que les gens de couleur ont reçu à l’Assemblée nationale, au mauvais livre de M. l’abbé Grégoire, à sa motion en leur faveur, à la séance du 28 mars, et à quelques journaux indiscrets qui ont annoncé qu’on n’avait rejeté celte motion que parce que l’article 4 des instructions les jugeait pleinement citoyens actifs; Enfin à l’influence excessive que le commerce pourrait avoir à l’Assemblée nationale pour les lois prohibitives. Ceux qui ont fomenté cette défiance se sont prévalus du long silence de l’Assemblée nationale sur les colonies, de3 circonstances où elle a prononcé la nouvelle d’une insurrection à la Martinique et à Saint-Domingue, la crainte d’une scission absolue en faveur de quelque puissance rivale, les terreurs et la réclamation puissante des villes maritimes et des manufactures, les murmures violents du peuple de Paris ; ils ont abusé même de l’empressement avec lequel le décret du 8 mars a été rendu, et du refus de toute discussion : ils l’ont appelé un décret de force, de peur et d'astuce. Ils ont fait remarquer la réticence du décret et de l’instruction sur nos propriétés mobilières , malgré les instances des députés de la colonie ; ces expressions génériques de citoyens à l’article 11 du décret, et de toutes personnes à l’article 4 des instructions, dont les gens de couleur peuvent se prévaloir en effet ; enfin, pour assurer leur succès, ils ont prononcé le nom effrayant d’un ministre qui a fait tous les maux de la colonie, et qu’un roi abusé n’éloigne pas de ses conseils. M. de La Luzerne, ont-ils dit, a influé sur le décret et sur l’instruction ; Marbois, l’ennemi des colons, est auprès de lui, et la colonie doit trembler plus que jamais. Pardonnez, Messieurs, à notre franchise. Jamais elle ne fut plus nécessaire. Le malheur de l’assemblée coloniale est de n’avoir pu bannir, sur ces trois points, les alarmes communes à toute la colonie. Notre seul mérite est d’avoir cru que vos décrets portaient toute garantie à leur égard ; et qu’il était impossible que les représentants augustes de la nation la plus loyale de l’univers pussent tendre un piège à leurs frères. Si nous ne l’avions pas cru, nous n’aurions pas sans doute proposé, comme l’assemblée générale l’a fait, des formes constitutionnelles qui nous paraissent inadmissibles ; mais avant de vous proposer un plan de Constitution, nous vous aurions demandé franchement une garantie plus formelle et plus explicite. Il n’est plus temps de le dissimuler ; ces trois points seront toujours le destin de la colonie. Elle a besoin de nouveaux adoucissements au régime prohibitif du commerce. Mais surtout elle ne sacrifiera jamais un préjugé indispensable à l’égard des gens de couleur. Elle les protégera, elle adoucira leur état ; elle leur en donne tous les jours des preuves. Le temps offrira sans doute des moyens plus étendus, mais elle veut, elle doit être l’unique juge, la maîtresse absolue des moyens et du temps. Ce qui s’est passé à Saint-Domingue depuis peu, ce qui se passe actuellement à la Martinique, en prouve plus que jamais l’absolue nécessité ; et peut-être n’esl-il que trop vrai que la trop grande latitude donnée à l’article 4 de votre instruction, et l’accueil qu’ils ont reçu de vous, ont enflé leurs prétendons, et ont mis les deux colonies en péril. Il faut qu’ils sachent que ce n’est que de nous qu’ils peuvent attendre des bienfaits, et qu’ils doivent les obtenir par leur sagesse et leur respect. Quant aux nègres, notre intérêt répond de leur bonheur ; mais la colonie ne souffrira jamais que ce genre de propriété qu’elle tient de la loi, et qui assure toutes les autres, soit compromis, ni qu’il puisse l’être à l’avenir. La colonie n’aura pas de peine à se concilier avec le commerce ; il doit sentir qu’il est de son intérêt de faire prospérer la culture, pour multiplier les produits commerçables, et nous sentons que nous devons concourir à la prospérité de l’Etat, en donnant la plus grande extension possible à son commerce. Mais tant que la colonie pourra conserver des inquiétudes sur les deux autres objets qui, dans £04 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [4 septembre 1790.] le fait, sont de son régime intérieur, et n’intéressent guère la France, jamais la colonie ne jouira de la tranquillité si nécessaire à la prospérité du royaume et à l’union réciproque. Il est un autre article important. Vous avez, Messieurs, prescrit la sanction du gouverneur dans les lois urgentes et provisoires, nous avouons que c’est une nécessité constitutionnelle ; mais la colonie s’alarme de la possibilité que le gouverneur refuse sa sanction pour les subsistances. Sa responsabilité ne la rassure pas, parce qu’elle peut périr par la disette avant qu’il soit jugé et puni. C’est un malheur contre lequel il faut la prémunir, en donnant à cet égard à l'assemblée coloniale une étendue particulière et extraordinaire de pouvoirs, avec des précautions sages. A présent, Messieurs, vous avez lu dans les cœurs des deux partis. Vous voyez en quoi consiste la divisioo qui règne dans la colonie ; vous sentirez combien la diversité d’opinions peut devenir funeste. La plus grande partie des colons a mal interprété vos intentions. Il est donc de la dernière importance que vous leviez promptement tous les doutes, parce qu’un long retard ourrait donner l’idée d’une scission avec la rance. Prévenez ces dangers par un nouvel acte de sagesse, de conduite et de justice. Daignez faire ce que nous aurions vu avec transport l’assemblée générale vous demander, et ce que nous payerions de tout notre sang. Nous avons toute confiance en vous ; mais qui nous répond de l’avenir ? Mettez les législatures suivantes dans l’heureuse Impuissance d’écouter les ennemisde notre repos. Accordez d’avance à la colonie, comme un article immuable de la Constitution française, qu’aucune loi concernant le régime intérieur, et notamment sur l’état des différentes classes qui la composent, ne pourra être décrétée que sur la demande précise de la colonie ; que quant aux rapports communs, aucune loi ne sera décrétée sans avoir été discutée par la colonie, si elle est proposée par le commerce de France ; comme aucune ne le sera sans avoir été discutée par le commerce, si elle est proposée par la colonie. Quant aux subsistances de nécessité urgente, mettez-vous à l’abri du caprice ou de la séduction d’un gouverneur. Alors la colonie est tranquille à jamais; alors ceux qui ont une défiance malheureuse n’auront plus de motif ; alors les malintentionnés seront sans prétexte; alors, mais alors seulement , nos liaisons seront immuables. Et daignez réfléchir, Messieurs, que nous ne demandons qu’une conséquence juste et inévitable de votre décret du 8 mars, parce que si l’Assemblée nationale a une fois posé en principe, qu'elle ne devait pas assujettir les colonie 9 à des lois qui pourraient être incompatibles avec leurs convenances locales; qu’elles devaient proposer leur vœu sur la Constitution , la législation , l'administration qui leur conviennent , et que leurs plans ne devaient être qu’examinés et décrétés par l'Assemblée nationale , les mêmes motifs et la même règle doivent avoir lieu pour les lois subséquentes qui pourront être nécessaires par la suite et à jamais ; que pour les rapports de commerce, s’il est juste de ne prononcer sur les demandes de la colonie qu'après que le commerce français aura fait ses représentations, il est également juste de ne jamais prononcer sur les demandes du commerce, qu’après que les assemblées de la colonie auront été entendues ; que pour les subsistances, le besoin est au-dessus de toutes les règles ordinaires. Daignez, Messieurs, en croire ceux qui se sont ralliés sous votre bannière; ceux donl les intentions ne peuvent pas vous être suspectes; ceux qui, partageant les alarmes de leurs frères, se sont rassurés sur votre parole, et se sont presque séparés d’eux, pour ne pas se séparer de vous. Considérez que cette adresse franche, loyale, patriotique, ne peut pas échapper à la publicité dans la colonie; qu’elle peut, comme nous l’espérons, être un moyen de rapprochement général; que tous les cœurs vont s’ouvrir à l’espérance, sur des défiances dont personne n’est entièrement exempt; que tous attendront votre décision comme leur arrêt définitif ; qu’un refus, qui confirmerait les craintes qui subsistent, ferait renaître celles que votre décret a bannies, et qu’alors il ne resterait peut-être plus aux colons qu’à se réunir pour le désespoir, qui ne produit que des résolutions funestes. Dans cet état et par ces motifs, nous osons vous proposer le décret suivant: « L’Assemblée nationale, délibérant sur l’adresse de l’assemblée provinciale du nord de Saint-Dominique, en date du 13 juillet, sur les arrêtés de l’assemblée générale de ladite colonie, des 14 et 28 mai, et 1er juin ; sur ceux de ladite assemblée provinciale, des 17 mai, 16 et 21 juin derniers, etc. (Ici l'Assemblée nationale prononcera dans sa sagesse sur les décrets et arrêtés respectifs). « Renvoie la colonie à l’exécution pleine et entière des décret et instruction de l’Assemblée nationale, des 8 et 28 mars dernier; en conséquence, ordonne qu’il sera procédé, tant par les paroisses, que par le gouverneur général, et par l'assemblée coloniale, conformément auxdits décret et instruction, si fait n’a été. « Et cependant, expliquant, en tant que de besoin, lesdits décret et instruction, décrète comme article constitutionnel, immuable, et comme base essentielle et inaltérable de l’organisation coloniale et l’union éternelle de la colonie avec la France : « 1° Qu’aucun décret ne sera jamais rendu que sur la demande expresse, directe et précise des assemblées coloniales, en tout ce qui concerne le régime intérieur, et notamment en ce qui touche l’état des personnes et des différentes classes qui composent la colonie ; « 2° Qu’en ce qui touche le régime intérieur et les rapports communs entre elle et la métropole, de même que les demandes de la colonie ne doivent être décrétées que sur les représentations du commerce français, les demandes du commerce ne seront jamais décrétées qu’après avoir été communiquées auxdites assemblées coloniales, et sur leurs représentations; « 3° Autorise les assemblées coloniales ou administratives à pourvoir à l’introduction des subsistances étrangères dans les cas de nécessité urgente et suffisamment constatée dans les trois ports d’entrepôt (1), à la pluralité des trois quarts (1) L’assemblée provinciale du Nord, en restreignant l’introduction des subsistances dans les trois ports d’entrepôt, et dans les cas seulement de nécessité urgente, sacrifie les intérêts les plus chers de sa province, pour se rendre, sans doute, les commerçants favorables, et obtenir le décret des deux articles précédents, qui peut seul faire cesser la division et l’anarchie qui régnent à Saint-Domingue; mais elle ne peut stipuler pour les deux provinces de l’Ouest et du Sud, qui étant moins [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 septembre 1790.] 565 des voix, par appel nominal, sous la sanction du gouverneur; décrète qu’en cas de refus du gouverneur, il Bera tenu de le motiver dans les Huit jours de la présentation du décret, et que l’assemblée coloniale pourra passer outre, et ordonner l’exécution dudit décret, à la pluralité des trois quarts des voix, par appel nominal, après avoir délibéré sur les motifs du gouverneur général,- qui, dans ce cas, sera tenu de sanctionner. « Sera le présent décret présenté incessamment à l’acceptation du roi, revêtu de sa proclamation, et par lui adressé à son gouverneur général, pour être promulgué et notifié à qui il appartiendra. » Fait et arrêté la présente adresse, en séance publique de rassemblée provinciale de la partie du nord de Saint-Domingue, pour être adressée aux députés de ladite partie du nord à l’Assemblée nationale, et par eux présentée à la première de ses séances, et, après lecture, déposée sur le bureau. Sera pareillement imprimée et communiquée aux chambres consulaires du royaume, et publiée dans la colonie. Au Cap, le 13 juillet 1790. Les membres de rassemblée provinciale de la partie du nord de Saint-Domingue : Auvray, président. — Chesneau DE la Mégrière, vice président. — Maillard DE Rocheland, Lévesque, secrétaires. Collationné : PaQUOT, secrétaire perpétuel, garde des archives. (La lecture de cette adresse est plusieurs fois interrompue par des murmures). M. Barnave. L’assemblée provinciale du nord de Saint-Domingue obtiendra sans doute la plus haute satisfaction de l’Assemblée nationale, lorsqu’on verra qu’elle n’est pas si éloignée des principes, et que la majeure partie de ses demandes lui sont accordées, d’après les instructions que vous avez envoyées. Je demande le renvoi de ces pièces au comité colonial. (Cette proposition est adoptée.) On fait lecture d’une adresse des députés extraordinaires du commerce et des manufactures de France. Ne pouvant calculer seuls les effets qu’une grande émission d’assignats peut produire sur le commerce, ils supplient l’Assemblée de suspendre sa décision jusqu’à ce qu’ils aient reçu le vœu des places qu’ils représentent. On lit une autre adresse des créanciers étrangers, porteurs des effets suspendus en vertu de l’arrêt du conseil du 16 août 1788 qui, pleins de anciennement établies et moins riches, ne pourraient faire un si grand sacrifice sans nuire à leur prospérité, que la rigueur des lois prohibitives a retardée jusqu’à présent. L’Assemblée nationale ne peut rien statuer, d’après l’article 6 du décret du 8 mars, sur les modifications à apporter au régime prohibitif du commerce entre les colonies et la métropole, que sur leur pétition; et l’Assemblée coloniale de Saint-Domingue n’a point fait connaître son vœu à cet égard. Si l’Assemblée nationale revenait contre son décret, et décrétait l'article 3, conformément au vœu de l’assemblée provinciale du Nord, ce serait un nouveau sujet de division, et rendre le rapprochement impossible ; car les deux autres provinces, n’ayant point été entendues, fieraient en droit de s’y refuser, d’après le décret du 8. confiance dans la justice de l’Assemblée, demandent à être traités comme les autres créanciers de l’Etat. Cette seconde adresse est renvoyée aux comités des finances et de liquidation. M. le Président. L’Assemblée reprend la suite de la discussion sur les divers modes proposés pour la liquidation de la dette publique. M. Auhry du Bochet, député de Villers-Cotterets (l). Messieurs, vous voulez liquider la dette publique: pour y parvenir, le comité vous propose plusieurs plans ; tous n’acquittent que la dette exigible. Je propose de tout acquitter, et vous le pouvez facilement. Les uns adoptent des quittances de finance portant intérêts, ou des assignats forcés avec intérêts, et les autres des assignats également forcés, mais sans intérêts. Ces derniers demandent qu’il y en ait d’un louis. Les quittances de finance et les assignats portant intérêts sont des emprunts ; les autres assignats, de véritables papiers-monnaie. Je rejette les premiers, parce que l’emprunt est, de tous les impôts, le plus à charge, puisqu’il le double; et les autres, parce que n’étant que de véritables billets de banque, ils doivent en avoir tous les inconvénients. Je n’essaverai point de démontrer ni l'une ni l’autre de ces vérités, pour ne point vous répéter ce qu’on n’a cessé de vous dire. J’observerai seulement sur l’emprunt, qu’au-trefois on croyait bonnement qu’il était préférable à l’impôt, et que le peuple élevait alors au plus haut degré de gloire les ministres emprunteurs. Mais que son erreur était grande 1 II le reconnaît aujourd’hui, et 5 milliards de dettes portant un intérêt de plus de 5 0/0 le lui rappellent sans cesse, et l’en feront souvenir encore longtemps. Aussi, Messieurs, excepté ceux qui ne calculent pas et qui ont partagé ou qui espèrent encore partager le bénéfice criminel de l’agiotage, soutiçn du despotisme et de l’aristocratie, il n’est personne qui ne soit convaincu que l’emprunt a occasionné plus des trois quarts de la dette publique. S’il s’agissait d’établir auquel de l’emprunt ou de l’impôt on doit donner la préférence pour subvenir aux besoins de l’Etat, je n’aurais pas de peine à prouver que l’impôt étant la moindre charge des peuples dès qu’il pèse sur tous en proportion de la richesse de chacun, il doit être dorénavant la seule mesure que la nation doive employer pour subvenir à ses besoins. Mais ce n’est ni de l’impôt ni de l’emprunt qu’il s’agit en ce moment; il s’agit des moyens de liquider la dette. Le plan de liquidation que j’ai à vous proposer, Messieurs, est au fond le plan de MM. de Gernon, de Mirabeau, Pétion, etc., puisque je fais usage comme eux d’assignats forcés : cependant je diffère dans deux objets essentiels. J’acquitte la totalité de la dette, parce qu’il est possible de le faire, et qu’il serait impolitique, même injuste de ne pas le faire. Mais je me garde bien de mettre en circulation des assignats d’un louis, même de deux ou trois cents livres ; d’un côté, parce qu’il y a déjà beaucoup trop de petits assignats en circulation pour la masse de nos besoins journaliers, puisqu’ils (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. Aubry.