600 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 octobre 1789.] M. Robespierre. Faire une exception en faveur des fils de famille, c’est une exception sans motif; car les fils qui, en pays de droit écrit, ne possèdent rien, sont dans le même cas que les citoyens sans propriété. Dès lors que vous avez confirmé votre décret, cette exception serait odieuse et injurieuse à une grande partie des habitants du royaume. M. Pison dn Graland. Les fils de famille peuvent, selon la loi romaine, acquérir dans certains cas, et alors ils deviendront éligibles. Si un père, payant 50 livres d’impositions, pouvait donner cette qualité à cinq enfants, il s’ensuivrait qu’une somme de 10 livres rendrait un fils de famille éligible, tandis que la loi refuserait cette qualité à un citoyen imposé à 48 livres. M. Mue chevalier de Roufflers. Je propose cet amendement : « Un père de famille pourra rendre éligibles autant d’enfants que son imposition comprendra de fois la valeur d'un marc d’argent. » On demande encore la question préalable sur l’objet de la discussion. M. de Lachèze. Il n’est pas de la dignité et de l’honneur de l’Assemblée de dire qu’il n’y a pas à délibérer quand, après l’avoir dit, elle a rouvert la discussion. M. Ramel Nogaret. On doit ou exclure ou admettre les fils de famille. M. le comte de Mirabeau. Il n’y a de véritable dignité que dans la justice, d’honneur qu’à être juste. Quand on dit qu’il faut exclure ou admettre, on dit une grande vérité. Des législateurs doivent répondre à une importante question, et accorder ou refuser un droit réclamé. Ils ne peuvent pas ne point délibérer sur ce droit, sans donner lieu à une infinité de contestations dans les assemblées électives ; les fils de famille diraient : c Les législateurs n’ont pas prononcé, à cause de l’évidence de notre droit. » Leur répondrait-on : « Ils n’ont pas délibéré, donc ils ont rejeté votre droit. » M. de Mirabeau fait ensuite des observations sur les clameurs qui se sont élevées dans l’Assemblée, et sur leur résultat insignifiant. M. le comte Charles de Lameth. C’est en réclamant contre l’aristocratie que vous avez préparé la régénération, et votre décret consacre l’aristocratie de l’argent : vous n’avez pas pu mettre la richesse au-dessus de la justice : on ne peut capituler avec le principe, quand de ce principe il doit naître des hommes. Je demande l’ajournement d’une délibération nouvelle sur les décrets, parce que le désordre de la discussion présente donne lieu à celui de la délibération. M. Garat aîné. Vous avez dans le tumulte rendu un décret qui établit l’aristocratie des riches; on demande que vous épuriez ce décret dans le calme, et je citerai dans la présente session vingt exemples de cette pratique salutaire. L’Assemblée décide que « toutes choses restant en état sont remises à lundi prochain. » M. le Président rend compte à l’Assemblée qu’en exécution de son décret du jour d’hier, il a écrit à la commune de Vernon, et qu’il s’est transporté auprès du Roi; que le Roi a déjà fait marcher des troupes pour rétablir la tranquillité à Vernon; qu’un détachement de gardes nationales de Paris est parti pour la même ville; que les décrets sur les subsistances et sur la loi martiale, ainsi que le décret d’hier, relatif aux troubles de Vernon, vont y être envoyés; que, suivant une lettre arrivée ce matin, le sieur Planter a échappé aux fureurs du peuple; que les ordres sont donnés pour la punition des coupables; que les arrêtés des 4 août et jours suivants vont être adressés aux tribunaux, et s’impriment d’ailleurs à l’imprimerie royale; qu’enfin, le Roi va prendre en considération le décret du 28 octobre, relatif aux vœux monastiques, et fera parvenir incessamment sa réponse à l’Assemblée nationale. M. le président a rendu compte ensuite de la demande que faisaient deux membres de l’Assemblée, de passe-ports pour des voyages momentanés, et les passe-ports leur ont été accordés. MM. Colinet, curé de Ville-sur-Iron ; Varelles, curé de Marolles; Dutillei, évêque d’Orange, donnent leur démission de députés. — L’Assemblée reçoit ces démissions, à la condition, toutefois, que les députés démissionnaires se feront remplacer par des suppléants. M. le Président indique pour l’ordre du jour de demain la suite de la discussion des motions relatives aux biens du clergé. Trois représentants de la commune de Paris sont admis dans l’Assemblée : l’un d’eux rend compte de l’état où se trouve l’affaire de Vernon. Leur récit confirme ce qui a déjà été annoncé parM. le président. Us ajoutent que la commune de Vernon a déclaré désapprouver formellement les violences faites au sieur Planter ; qu’elle a réclamé un secours de la garde nationale parisienne et promis d’employer tous ses soins pour le rétablissement de l’ordre et pour l’exécution des décrets de l’Assemblée nationale; qu’elle a annoncé enfin un convoi de farines pour Paris. M. le Président répond en ces termes : L’Assemblée nationale est satisfaite de la vigi-lence de la commune de Paris ; ce sont des titres qu’elle ne cesse d’acquérir à la reconnaissance de tous les bons citoyens. L’Assemblée prendra en considération les objets que vous lui proposez. Il ne paraît pas que pour le moment il y ait rien à changer aux mesures qui ont été arrêtées. Quelques citoyennes du district de Saint-Mar-tin-des-Champs ont demandé à être introduites dans l’Assemblée, pour y présenter, au nom de toutes les autres, une offrande patriotique de bijoux. Elles ont été admises, et ont déposé cette offrande sur le bureau. Le sieur Jbssier, président du district, a porté la parole pour elles, et déclaré, au non du district, qu*J tous les citoyens qui le composent sont pénétrés de respect pour les décrets de l’Assemblée nationale, et en particuliers pour celui qui établit la loi martiale. Il a promis de leur part une ponctuelle obéissance. M. le Président a répondu : Vos concitoyennes ont les premières donné l’exemple, mesdames, d’une contribution patriotique qui pouvait seule sauver le royaume. Vos noms méritent d’être inscrits à la suite des leurs. L’Assemblée nationale ne peut douter du patriotisme de citoyens qui ont pour femmes et pour mères celles qui sacrifient à l’Etat leurs possessions les plus agréables. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 octobre 1789.] 601 Les citoyennes qui ont présenté cette offrande ont été admises à l’honneur d’assister à la séance de l’Assemblée, et il a été arrêté que leurs noms seraient inscrits dans le procès-verbal ; les voici : Ce sont les dames Girardin, Macosse, Jacob, Glavée, Ghéron et Bordeaux. L’un des trésoriers des dons patriotiques a déclaré à l’Assemblée que les huissiers à cheval du Châtelet de Paris offrent à la patrie 51 marcs d’argenterie et 5,400 livres en billets sur le gouvernement ; que les huissiers à verge offrent un contrat de 50 livres de rente, une somme de 1,150 liv. 6 d., une écritoire et une sonnette d’argent, et qu’ils proposent en outre leurs services à l’Assemblée. L’Assemblée a arrêté qu’ils seraient remerciés. M. de Virieu a annoncé le don d’un contrat tontine de 300 livres par un vieillard qui n’est pas nommé. M. le Président lève la séance après avoir indiqué celle de demain pour neuf heures du matin. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CAMUS. Séance du vendredi 30 octobre 1789 (1). La séance a été ouverte par la lecture du procès-verbal de la séance de la veille, et de diverses adresses de villes et communautés, portant adhésion aux différents décrets de l’Assemblée nationale, et dont la teneur suit: D’une délibération et adresse de la ville de Saint-Sever en Guyenne, où, en faisant de nouveaux remerciements à l’Assemblée nationale de ses glorieux travaux, elle adhère à tous ses décrets, et notamment à celui du 6 du présent mois, concernant la contribution pati iotique du quart dés revenus de chaque citoyen; D’une délibération et adresse, du même genre, des représentants de la commune de Besançon ; D’une adresse de félicitations, remerciements et adhésion de la ville de Duras en Agénois. Le comité permanent et le régiment national s’engagent à travailler sans relâche et de concert à maintenir le bon ordre, et à assurer la tranquillité publique et la perception des impôts; D’une délibération des officiers municipaux et habitants de la ville de Saint-Claude en Franche-Comté, par laquelle ils adhèrent de la manière la plus formelle au décret concernant la contribution patriotique du quart des revenus de chaque citoyen, et réclament la sanction pure et simple, et ia promulgation des arrêtés des 4 août etj jours suivants, notamment de celui qui abolit sans indemnité les mainmortes, tant réelles que personnelles; D’une délibération de la communauté de Bali-ros en Béarn, contenant l’adhésion la plus entière aux arrêtés des 4 août et jours suivants, notamment à celui qui abolit les privilèges particuliers des provinces, et plusieurs observations sur la justice criminelle ; D’une adresse des officiers municipaux et conseil permanent de la ville de Lamballe en Bretagne. Ils présentent à l’Assemblée Phommage de leur respectueuse reconnaissance sur ce que, environnée d’obstacles et de dangers, elle est parvenue à rétablir l’homme dans sa dignité. Ils rassurent qu’il n’est point de véritables Français qui puissent résister aux sollicitations touchantes qu’elle leur a adressées pour faire des sacrifices dont le prix doit être le salut de tous, la gloire et la prospérité d’une nation puissante. Ils la conjurent de poursuivre la glorieuse entreprise dont l’exécution lui réserve le bonheur d’un peuple innombrable, et de rappeler ceux que de vaines alarmes ont dispersés dans leurs demeures; que séante dans une cité superbe, dont l’heureuse influence assure aujourd’hui la liberté française, elfe ne peut que mépriser les coups de l’envie qui s’élèvent contre son ouvrage; mais que si, par les plus terribles coups, ses ennemis portaient jusque dans son sein l’abattement et le désespoir, elle daigne tourner ses regards sur tous le braves citoyens, sur une jeunesse vaillante et nombreuse, prêts à verser leur sang pour sa défense et l’exécution de ses décrets. Pour mettre le comble à tous leurs vœux, ils la supplient encore de créer dès à présent, ou du moins; après l’établissement de la Constitution, un comité de législation civile, qui dorme à la loi cette uniformité, cette simplicité qui lui impriment son véritable caractère. Et enfin, d’une adresse de quatre religieux bénédictins de la communauté du prieuré de Saint-Nicolas d’Acy, proche Senlis, qui, à l’exemple de leurs confrères de Saint-Martin-des-Champs, offrent à l’Etat les biens et revenus dont ils jouissent, pleins de confiance que l’Assemblée leur adjugera la pension viagère demandée par ces derniers. Le procès-verbal portait que la question agitée dans la dernière séance avait été renvoyée à la séance de mardi. Un membre de l’Assemblée a représenté que, quoique le lundi fût un jour de fête, il était possible de s’assembler après le service divin, et que la nécessité d’achever promptement la Constitution ne permettait pas de perdre un jour. L’Assemblée a décidé que la discussion de la veille serait reprise lundi, M. Barbou, curé d’Isle-les-Villenoy, député de Meaux, et M. Moyon, recteur de Saint-André-des-Eaux, député de Nantes, ayant donné leur démission, M. de Ruallem, abbé de Saint-Faron, et M. Binot, principal du collège d’Ancenis, leurs suppléants, dontles [pouvoirs avaient été précédemment vérifiés, sont admis à les remplacer. M. le comte de Tracy, député de la noblesse de Moulins, dit que M. le comte deDouzon, député nommé par la noblesse de ce bailliage, a donné sa démission pour cause de maladie ; il propose, de concert avec ses co-députés, qu’il soit remplacé par M. Regnard, premier suppléant nommé parles communes. L’Assemblée agrée cette proposition et l’applaudit vivement. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur les motions relatives à la propriété des biens du clergé. Plusieurs membres parlent successivement sur cette question dans l’ordre suivant : (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.