SÉANCE DU 12 FRIMAIRE AN III (2 DÉCEMBRE 1794) - Nos 28-30 397 28 Le député Gertoux demande une prorogation de congé jusqu’à ce que sa santé soit rétablie. Cette proposition mise aux voix, la prorogation est accordée (89). [Brice Gertoux, député du département des Hautes-Pyrénées, à la Convention nationale, Cam-pan, le 30 brumaire an III\ (90) Citoyens mes collègues, Le congé que la Convention avoit bien voulu m’accorder expire aujourd’hui, mais ma santé est loin d’être encore rétablie. Je suis a peine refait de la fatigue d’un voyage de plus de deux cent lieues. Je viens vous prier de proroger mon congé jusqu’à ma parfaite guérison. Vous ne devez pas douter de mon empressement à vous rejoindre dès qu’il me sera possible, pour partager vos travaux et votre gloire. Salut et fraternité. Signé, B. Gertoux. 29 Un député de la Haute-Saône donne connoissance à l’Assemblée d’un trait de courage d’une citoyenne, qui lui a été transmis, ainsi qu’à ses collègues, par les habitants de la commune de Scey [-sur-Saône, Haute-Saône], réunis en société populaire. Un loup enragé, qui avait déjà attaqué différentes personnes, entre le 24 vendémiaire dans la demeure de Nicolas Gaucher; il lui fait plusieurs blessures, et l’eût dévoré, si la femme de ce cultivateur, Marie-Anne Bartallon, n’avoit eu le courage de l’attaquer et le bonheur de lui donner la mort. Cette société annonce que Gaucher est déjà mort de ses blessures dans un accès d’hydrophobie; que son infortunée et courageuse compagne n’existera sûrement plus lorsqu’ils recevront sa lettre. Elle demande des secours pour les quatre orphelins sans fortune, dont l’aîné est âgé de cinq ans. Sur la proposition d’un de ses membres, la Convention ordonne la mention honorable de l’intrépidité de la citoyenne Bartallon au procès-verbal, l’insertion au bulletin, le renvoi de la lettre des habitans de la commune de Scey à son comité des Secours. Elle décrète en outre, que les remèdes dont l’expérience a incontestablement démontré l’efficacité contre l’hydrophobie, vulgairement appelée rage, seront insérés au bulletin, et que le comité d’Agriculture (89) P.-V., L, 266. C 327 (1), pl. 1433, p. 38. (90) C 327 (2), pl. 1445, p. 8. F. de la Républ., n° 72. présentera incessamment à la discussion un projet de décret pour la destruction des loups (91). 30 Un membre, [CARNOT] au nom du comité de Salut public, annonce qu’en conformité du décret de la veille, les députés des départements de l’Ouest ont pris, de concert avec ce comité, des mesures propres à terminer la guerre de Vendée. Il fait une seconde lecture de la proclamation qu’il avoit présenté la veille, proclamation adressée à tous ceux qui ont pris part aux révoltes qui ont éclaté dans les arrondissements de l’Armée de l’Ouest, des Côtes-de-Brest et des Côtes-de-Cherbourg. Il donne ensuite communication du projet de décret destiné à seconder l’effet de cette proclamation. Un membre [MASSIEU] observe qu’il seroit convenable de ne point étendre la faveur de ses dispositions aux chefs des révoltés. On réclame vivement l’ordre du jour, qui est bientôt adopté. Un autre membre [Charles DELACROIX] observe encore que l’intention de la Convention étant de ramener le calme dans ces départemens, il faudroit prendre des mesures propres à convaincre ces citoyens qu’ils ne seront jamais poursuivis relativement à la révolte ; il demande qu’il soit donné à ceux qui viendront remettre leurs armes, un certificat qui puisse leur servir, si on vouloit à l’avenir les inquiéter. Plusieurs membres font sentir les incon-véniens de cette mesure; d’autres, en votant contre son adoption, témoignent cependant des craintes que la Vendée ne devienne la voie par laquelle les émigrés rentreront en France; ils demandent que l’amnistie ne s’étende point aux chefs des révoltés, mais seulement aux vrais habitants de la Vendée. On observe qu’il ne faut pas détruire l’effet de cette proclamation, et la rendre inutile en prononçant des exceptions ; qu’il n’y avoit pas lieu de présumer que les émigrés viennent jamais déposer les armes ; qu’il ne s’agissoit d’ailleurs, dans cette proclamation que des hommes égarés et séduits, qu’on cherchoit à détacher de leurs chefs. On a demandé par ces motifs l’ordre du jour sur toutes les propositions; il a été adopté (92). CARNOT: D’après votre décret d’hier, les députés des départements de l’Ouest se sont réu-(91) P.-V., L, 266. C 327 (1), pl. 1433, p. 39. Mess. Soir, n° 836. (92) P.-V., L, 267-268. 398 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE nis au comité de Salut public, et ils ont concerté ensemble les moyens de terminer la guerre de la Vendée. Voici le projet de décret et la proclamation que je suis chargé de vous présenter (93). PROCLAMATION La Convention nationale à tous ceux qui ont pris part aux révoltes qui ont éclaté dans les arrondissemens des armées de VOuest, des Côtes-de-Brest et des Côtes-de-Cherbourg. Depuis deux ans vos contrées sont en proie aux horreurs de la guerre. Ces climats fertiles que la nature sembloit avoir destinés pour être le séjour du bonheur, sont devenus des lieux de proscription et de carnage. Le courage des enfans de la patrie s’est tourné contre elle-même ; la flamme a dévoré les habitations, et la terre, couverte de ruines et de cyprès, refuse à ceux qui survivent les subsistances sont elle étoit prodigue. Telles sont, ô Français! les plaies douloureuses qu’ont faites à la patrie l’orgueil et l’imposture. Des fourbes ont abusé de votre inexpérience : c’est au nom d’un ciel juste qu’ils armoient vos mains du fer parricide ; c’est au nom de l’humanité qu’ils dévouoient à la mort des milliers de victimes ; c’est au nom de la vertu qu’ils attiraient chez vous des scélérats de toutes les parties de la France, qu’ils faisoient de votre pays le réceptacle de tous les monstres vomis du sein des nations étrangères. Oh ! que de sang répandu pour quelques hommes qui vouloient dominer! et vous qu’ils ont entraînés; pourquoi faut-il que vous ayez rejeté la lumière qui vous étoit offerte, pour ne saisir qu’un fantôme cruel? Pourquoi fait-il que vous ayez préféré des maîtres à des frères, et les torches du fanatisme au flambeau de la raison? Que vos yeux se dessillent enfin. N’est-il pas temps de mettre un terme à tant de calamités? Affoiblis par des pertes multipliées, désunis, errans par bandes éparses, sans autre ressource que celle du désespoir, il vous reste encore un asyle dans la générosité nationale. Oui, vos frères, le peuple français tout entier veut vous croire plus égarés que coupables; ses bras vous sont tendus, et la Convention nationale vous pardonne en son nom si vous posez les armes, si le repentir, si l’amitié sincère vous ramènent à lui; sa parole est sacrée, et si d’infidèles délégués ont abusé de sa confiance et de la vôtre, il en sera fait justice. Ainsi la République, terrible envers ses ennemis du dedans comme elle l’est envers ceux du dehors, se plaît à rallier ses enfans (93) Moniteur, XXII, 649. J. Perlet, n° 800; Gazette Fr., n° 1065 ; M.U., n° 1360 ; Ann. R.F., n° 72. égarés. Profitez de sa clémence ; hâtez-vous de rentrer au sein de la patrie. Les auteurs de tous vos maux sont ceux qui vous ont séduits. Il est temps que les ennemis de la France cessent de repaître leurs yeux du spectacle de nos dissensions intestines; eux seuls sourient à vos malheurs; eux seuls en profitent : il faut déjouer leur politique impie; il faut tourner contr’eux ces armes qu’ils ont apportées chez vous pour votre destruction. Français, n’appartenez-vous donc plus à ce peuple sensible et généreux ? Les liens de la nature sont-ils brisés entre nous? Et le sang des Anglais a-t-il passé dans vos veines? Massacrerez-vous les familles de vos frères vainqueurs de l’Europe, plutôt que de vous unir à eux pour partager leur gloire? Non: l’éclair de la vérité a frappé vos regards; déjà plusieurs d’entre vous sont rentrés, et la sécurité à été le prix de leur confiance. Revenez tous ; que les foyers de chacun de vous deviennent sûrs et paisibles; que l’abondance renaisse; que les champs se cultivent; que les communications se rétablissant: ne songeons plus qu’à nous venger ensemble de l’ennemi commun, de cette nation implacable et jalouse, qui a lancé parmi nous les brandons de la discorde; que l’énergie républicaine se dirige toute entière contre ces violateurs des droits de tous les peuples; que tout s’anime dans nos ports; que l’Océan se couvre de corsaires, et qu’une guerre à mort passe enfin avec tous ses fléaux des bords de la Loire aux bords de la Tamise (94). La Convention a adopté cette proclamation, ainsi que le projet de décret suivant. La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de Salut public, décrète : Article premier Toutes les personnes connues dans les arrondissemens des armées de l’Ouest, des Côtes-de-Brest et des Côtes-de-Cherbourg, sous le nom de rebelles de la Vendée et de Chouans, qui déposeront les armes dans le mois qui suivra le jour de la publication du présent décret, ne seront ni inquiétées ni recherchées dans la suite pour le fait de leur révolte. II Les armes seront déposées aux municipalités des communes que les représentants du peuple indiqueront. (94) P.-V., L, 268-270. Moniteur, XXII, 649; Bull., 12 frim; Débats, n° 800, 1030-1031 ; Ann. Pair., n° 701 ; C. Eg., n° 836. SÉANCE DU 12 FRIMAIRE AN III (2 DÉCEMBRE 1794) - N08 31-32 399 III Pour l’exécution du présent décret, les représentans du peuple, Menuau, Delau-nay, Gaudin, Lofficial, Morisson et Chaillon se rendront dans les départemens qui composent l’arrondissement de l’armée de l’Ouest, et les représentans Guezno et Guer-meur dans les départemens qui composent les arrondissemens des armées des Côtes-de-Brest et de Cherbourg. Ces représentans sont investis des mêmes pouvoirs que les autres représentans envoyés près lesdites armées et dans les départemens (95). L’Assemblée adopte le projet de décret et la proclamation au milieu des plus vifs applaudissements (96). MASSIEU : Nous avons tous voté pour le décret, mais ne serait-il pas convenable de ne point étendre cette faveur aux chefs des révoltés. On réclame vivement l’ordre du jour. La Convention passe à l’ordre du jour. Charles DELACROIX: L’intention de la Convention est de ramener le calme dans ces départements ; pour y parvenir, il faut que ces citoyens soient sûrs de ne jamais être poursuivis. Je demande qu’il soit délivré à ceux qui viendront remettre leurs armes un certificat qui leur servira dans le cas où l’on voudrait les inquiéter. BARAILON : Cette mesure me paraît mauvaise ; ces hommes savent qu’ils sont coupables, et ils ont un grand intérêt à ne pas être connus. Vous voulez qu’on ne puisse pas les rechercher, et pour cela il ne fait pas que leurs noms soient connus. Charles DELACROIX : Il faut cependant trouver un moyen de distinguer ceux qui obéiront au décret d’avec ceux qui n’y obéiront pas. BARAILON : Alors je demande que le certificat ne soit délivré qu’à ceux qui le demanderont ; car il ne faut pas forcer ceux qui ne voudraient pas être connus à l’être. TAVEAU : La Convention vient de donner sa confiance à des collègues estimables, qui sauront allier la justice, l’énergie et la prudence. Vous décrétez une amnistie afin d’effacer jusqu’à la trace de la révolte, et la proposition qu’on vous fait tendrait à laisser subsister des preuves parlantes de la rébellion de ceux qui aimaient déposé les armes. GASTON : Il n’est personne qui ne doive applaudir aux sentiments qui animent la (95) P.-V., L, 270. C 327 (1), pl. 1433, p. 14 de la main de Carnot. Moniteur, XXII, 649 ; Bull., 12 frim. ; Débats, n° 800, 1030-1031 ; F. delà Républ., n° 73 ; J. Perlet, n° 800 ; J. Fr., n° 798, 799; Gazette Fr., n° 1065; M.U., n° 1360; Mess. Soir, n° 836. (96) Moniteur, XXII, 649. Convention pour rendre la paix à la République ; mais il n’entre pas dans son intention de faire grâce à ceux qui ne sont pas vraiment de la Vendée, à ceux qui ont été sous les drapeaux blancs. Si nous n’y prenions garde, la Vendée serait la voie par laquelle tous les émigrés de Coblentz, de l’Angleterre et d’ailleurs rentreraient en France. Je demande que l’amnistie ne s’étende qu’aux vrais habitants de la Vendée. ROUX (de la Haute-Marne) : Je demande l’ordre du jour sur toutes les propositions additionnelles. Le décret est senti par la Convention ; tout le monde en désire les effets qu’on s’en promet, et nous devons croire au succès, puisque l’exécution est confiée à des collègues estimables, qui connaissent les localités et la cause du mal, et dont plusieurs ont même été victimes des désastres qui ont ravagé ce malheureux pays ; mais il ne faut pas retirer d’une main ce que l’on donne de l’autre. Ne croyez pas que jamais les émigrés viennent déposer les armes. Il ne s’agit ici que des hommes égarés qu’on a révoltés contre la République; le décret que vous avez rendu contient tout ce qu’il faut pour les détacher de leurs chefs et pour ramener la paix. Je demande l’ordre du jour sur toutes les propositions additionnelles. La Convention passe à l’ordre du jour (97). 31 Le rapporteur [CAMBACÉRÈS] du code civil demande, au nom du comité de Législation, qu’on ouvre la discussion sur cet objet important, ou qu’au moins on fixe un temps précis pour s’en occuper: l’Assemblée ajourne au sextidi de la même décade (98). 32 Un rapporteur, [BIDAULT] au nom du comité de Commerce et approvisionne-mens, présente un projet de décret relativement aux prises maritimes; le projet présenté est adopté en ces termes (99). BIDAULT: Vous avez travaillé utilement à assurer la subsistance du peuple et les besoins de vos armées, rendu au commerce une partie de ses droits et de son activité, et aux manufactures un encouragement bien nécessaire, en rouvrant vos ports aux marchandises étrangères et surtout aux matières premières. Ne doutez pas des efforts que vont faire les vrais amis de la patrie (97) Moniteur, XXII, 649-650. Rép., n° 73 ; J. Perlet, n° 800 ; J. Fr., n° 798 ; M. U., n° 1360 ; Ann. R.F., n° 72. (98) P.-V., L, 271. C 327 (1), pl. 1433, p. 19. Rép., n° 73. Cambacérès rapporteur selon C*II, 21. (99) P.-V, L, 271. C 327 (1), pl. 1433, p. 20.