370 [Assemltîée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 août 1789.] intérêt pour le crédit public, de sanctionner immédiatement le premier article. Et c’est ici, Messieurs, que vous apercevrez la liaison naturelle de ma proposition, avec les circonstances actuelles et les demandes du gouvernement. « L’Assemblée nationale déclare : 1° que tous les biens dits ecclésiastiques, de quelque nature qu’ils soient appartiennent, à la nation ; «2° Qu’à dater de l’année 1790, toutes dîmes ecclésiastiques seront et demeureront supprimées ; «3° Tous les titulaires quelconques garderont pendant leur vie un revenu égal au produit actuel de leurs bénéfices, et cette somme leur sera payée par les Assemblées provinciales, en observant de plus, que la dotation des curés doit être * sensiblement augmentée ; «4° Les Assemblées provinciales régleront pour l’avenir le taux des honoraires des évêques, qui sont, avec les curés, les seuls ministres essentiels du culte divin. Elles fixeront également les fonds destinés au service des cathédrales et aux retraites des anciens pasteurs ; « 5° Elles pourvoiront aussi à pensionner d’une manière équitable les personnes de l’un et l’autre sexe, engagées dans les ordres monastiques, lesquels ordres seront supprimés. » M. le chevalier Alexandre de Lameth. J’appuie cette motion. Il y a une grande différence entre les propriétés des citoyens et celles des cotps. Lorsqu’on a fait une fondation, c’est la nation qu’on a dotée, car la nation se trouve toujours entre l’individu qui donne et le corps politique qui reçoit. Personne ne refusera sans doute à la nation le droit qu’elle a exercé jusqu’à ce jour de supprimer de son sein les corps politiques qu'elle juge inuliles, et de tourner leurs biens à l’usage le [dus utile de la société. (Plusieurs membres du clergé murmurent et interrompent.) Chaque citoyen a des droits sacrés qui existent indépendamment de la société ; mais les corps politiques n’existent quepour la société, et n’existent que par elle ; ce n’est pas àeux que l’on donne, c’est à la société, et c’est pour sa prospérité. Personne ne refusera sans doute à la nation le droit de supprimer les corps politiques ; à plus forte raison de les modifier ; à plus forte raison peut-elle appliquer ses biens à l’utilité générale ; à plus forte raison peut-elle disposer d’une partie de ses biens. Dans ce moment où le régime féodal a été anéanti, il serait offensant de croire qu’une partie du haut clergé pût apporter des obstacles à une délibération aussi instante. Ils savent que les prêtres ne sont que des magistrats spirituels, qui n’ont pas plus de droits que le magistrat de la loi, et que celui qui défend la patrie. Je demande donc qu’on donne aux créanciers de l’Etat les biens ecclésiastiques pour gage de leurs créances. Les murmures violents du clergé couvrent les dernières paroles de l’orateur. M. de Lubersac, évêque de Chartres . Je réfuterai en quatre mots ce système. M. l’abbé de Montesquiou. L’intérêt du clergé demande qu’il écoute patiemment cette discussion. Je remarque que l’esprit de justice dirige et anime l’Assemblée. M. d’André remarque qu’il serait d’abord nécessaire de prouver que les biens de l’église appartiennent à la nation, avant d’établir qu’ils doivent servir d’hypothèque à l’emprunt. M. le vicomte de Mirabeau (1), député de la noblesse du Haut -Limousin, fait la motion suivante : Il n’est pas un de nous, Messieurs, qui n’ait senti, en voyant les ministres du Roi venir solliciter la sanction de l’Assemblée nationale pour un emprunt de trente millions, que ce secours était purement momentané, et, comme l’a dit un des préopinants, insuffisant. Le ministre des finances vous a présenté un aperçu raisonné des maux qui menacent fa patrie : il vous a dit que les moyens de perception étaient presque nuis, et conséquemment la cessation des payements très-prochaine, si l’on ne venait promptement au secours de la chose publique. Quant au premier objet, je suis bien convaincu qu’il faut s'occuper des moyens d’y remédier. Mais tout le monde sait que, lorsque les ressorts d’une machine aussi compliquée sont une fois détraqués, il faut infiniment de temps et de soins pour fa remettre en activité. Mais nous avons des ressources à offrir relativement au second objet ; et il est de notre dignité de les présenter à l’instant même. Je crois qu’il sera démontré qu’en diminuant le nombre des objets à payer, on diminuera d’autant les embarras du ministère, on assurera davantage l’hypothèque des prêteurs ; et c’est sur ce point que je crois devoir soumettre mes idées aux lumières de cette auguste Assemblée. Je n’ai pu refuser un tribut légitime d’admiration à la force d’âme de l’honorable membre (2) qui le premier a donné l’idée et l’exemple du sacrifice des intérêts de ses commettants et des siens, à l’aperçu du bien général dont il a cru voir le germe dans la disposition de l’arrêté qu'il a proposé. Je suis si profondément pénétré de ce même sentiment d’admiration, que je ne doute point que l’auteur de la motion, et ceux qui l’ont appuyée, n’attendent une occasion favorable, pour faire l’abnégation glorieuse de quelques jouissances plus personnelles et plus directement utiles aux besoins urgents de l’Etat : je crois devoir leur rappeler que la voici, cette occasion, et je mets autant d’empressement à la leur offrir, que je suis convaincu qu’ils en mettront à la saisir. Je crois qu’il est nécessaire d’établir, d’abord qu’il est de devoir pour moi d’insister sur cet objet important, et que j’ai un titre pour faire accueillir ma proposition. Je me contenterai, pour le premier objet, de lire un aclicle du cahier qui renferme les vœux de mes commettants, et par conséquent l’énoncé de mes devoirs. L’article 12 du chapitre 6 dit que, « parmi les moyens d’économie nécessaires à placer à côté des projets de dépense ou d’augmentation, les Etats généraux prendront en considération l’abus de l’énorme quantité de grâces et de charges accumulées sur une même tête, qui ne pourraient être bien remplies, si elles étaient actives, et qui ne font qu’augmenter la dépense, si elles ne le sont pas. » Quant à mon titre, le voici : je fais sur le bu-(1) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire du discours de M. le vicomte de Mirabeau. (2) M. le vicomte de Noailles. 371 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ' [8 août 1 780.] reau la remise d’une pension de deux mille livres, seul bienfait que je tienne des bontés du Roi. Je l’ai obtenue après la guerre d’Amérique. Personne ne prise comme moi les grâces de son souverain : mon amour pour sa personne sacrée en est un sûr garant ; mais si j’ai été assez heureux pour les mériter par mes services, j’en suis assez récompensé par l’honneur de les avoir rendus, et par la position où ce monarque bienfaisant m’a mis, en me confiant le commandement d’un de ses corps, de le servir plus efficacement. Je remets donc sur le bureau la renonciation à la seule pension que ma famille possède : je voudrais avoir un sacrifice plus important à faire ; mais, toute proportion gardée, cela pourrait en être un pour moi. Je crois avoir suffisamment établi que j’ai droit et devoir de parler, en cette occasion importante. Je propose donc à l’Assemblée d’énoncer qu’elle va nommer un comité, chargé de recevoir avec reconnaissance l’abandon volontaire que les membres de cette respectable Assemblée pourront faire des grâces exagérées dont eux et leur famille sont comblés, et d'examiner toutes celles dont la proportion n’est point équivalente aux services qui les ont méritées. Si l’Assemblée se détermine à mettre à profit cet élan de patriotisme, qui, sans doute, ne s’affaiblira jamais, mais dont il est quelquefois essentiel de saisir le mouvement instantané, je suis persuadé qu’on verra cesser les abus multipliés qui ont nécessité les plaintes de mes commettants ; Que telle personne, qui a obtenu des secours énormes et perpétuels pour soutenir un grand nom, croira que sa façon de penser et son énergie doivent seules en maintenir la gloire, et fera le sacrifice de ce qu’elle tient du souverain ; Que ceux qui, après avoir réuni sur leur tête toutes les grâces réservées aux courtisans, ont encore obtenu celles dues aux guerriers actifs et utiles, feront à l’Etat et à eux-mêmes la justice de se dépouiller librement des unes ou des autres ; Que celui qui, chargé d’un gouvernement aux portes de Paris, en possède un autre aux frontières les plus éloignées du royaume, s’empressera de ne garder que celui des deux auquel il peut donner une surveillance active ; Que si quelqu’un a trouvé le moyen de faire payer à la nation ses dettes personnelles, il lui offrira le remboursement des avances qu’elle lui a faites, dans un moment où elle a besoin de toutes ses ressources ; Que d’autres demanderont qu’on annulle les échanges onéreux au Roi et à l’Etat, qu’ils ont sollicités ; Que les personnes qui ont bâti, presque sous nos yeux, un palais sur un terrain domanial, se trouveront, par la prompte restitution d’un dépôt amélioré, être les bienfaiteurs de la patrie ; Que ceux qui réunissent sur leur tête des places municipales, domestiques et militaires à la cour, et tiennent encore le premier rang dans nos provinces et dansnosarmées, s’empresseront, par un choix éclairé, de prouver que, loin de vouloir tout envahir, ils ont la générosité de sacrifier leur intérêt personnel à l’intérêt public ; Qu’une seule famille enfin, qui est dénoncée par la clameur publique pour posséder deux millions de revenus en grâces et bienfaits, se fera un devoir de renoncer aux uns, et de justifier au public les services qui ont mérité les autres. Je conviendrai facilement, à cet égard, de la vérité de l’axiome qui établit qu’il ne faut croire que la moitié des ouï-dire ; mais cette moitié est encore beaucoup ; car je crois que nous en sommes au point où l’on peut calculer la valeur d’un million de revenu. J’imagine qu’on ne s’arrêtera point au sacrifice des pensions et des grâces connues, et qu’on renoncera généreusement aussi à ces traitements obscurs sur les régies, les fermes, les postes, les provinces d’Etats, etc., à ces concessions de domaines sans nombre ; car l’insatiabilité est un Protée qui s’enveloppe sous toutes les formes; etil paraîtra bien doux à la nation de la voir entièrement démasquée en ce jour par un dévouement généreux et patriotique. Toutes ces considérations me font insister sur la demande que je viens de faire à l’Assemblée, et sur laquelle je la supplie de délibérer. Je vais relire la rédaction d’arrêté que je propose. « Il sera nommé sur-le-cbamp un comité chargé de recevoir avec reconnaissance l’abandon volontaire qu’on lui fera des grâces qui sont accumulées sur les mêmes têtes ou dans les mêmes familles, et de faire un examen scrupuleux de toutes les pensions et traitements sur les différentes régies et branches d’administration quelconques, qui ne seront pas proportionnés aux services qui les ont mérités. « L’Assemblée nationale espère de l’esprit de patriotisme qui semble animer tous ses membres, qu’elle trouvera dans cette ressource une hypothèque certaine pour l’emprunt proposé, et qu’elle recueillera dans son propre sein les moyens d’en payer les intérêts. » (On applaudit de divers côtés de la salle.) M. le vicomte de Noailles. Je suis chargé par mes commettants de proposer tout ce qui peut être utile au bien de l’Etat. En conséquence, j’ai proposé la suppression des droits féodaux. Quant à la renonciation aux bienfaits du Roi, je ne puis parler que pour moi. J’ai refusé toute récompense au retour delà guerre d’Amérique; et lorsque j’ai été nommé député, j’ai renoncé à la survivance de commandant de la Guyenne, parce que j’ai cru que les survivances étaient un mal. (On applaudit.) M. l’abbé Grégoire annonce qu’il soutiendra à la fois et la proposition de M. Lameth et les droits du clergé. M. de Clermont-Tonnerre. Je ne jugerai pas si les biens ecclésiastiques appartiennent à la nation; mais je juge qu’il est nécessaire de voter l’emprunt. On objecte contre l’emprunt le voeu des commettants. La plupart des cahiers, il est vrai, nous défendent de nous occuper d impôts avant que la constitution soit faite; mais ce qu'on doit appeler constitution est déjà fait; car Sa Majesté a annoncé qu’elle sanctionnerait toutes les décisions de cette Assemblée. Il n’y a donc plus d’obstacles. Mon avis est que l'emprunt soit accordé. On crie de toutes parts : Aux voix! aux voix! M. le Président consulte l’Assemblée, et l’emprunt est décrété unanimement. M. le Président met ensuite aux voix la seconde proposition, et il est décrété que cet emprunt sera de trente millions. Une députation du bailliage de Nemours est in-