136 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 janvier 1790.] Et ne fallait-il pas même, avant de montrer un si funeste dévouement à l’antique oppression de tout ce qui, en Bretagne, n’était pas noble ; ne fallait-il pas qu’ils réfléchissent que par le décret du 3 novembre leur tribunal n’était pas encore dérangé, qu’aucun changement à sa constitution n’y était apporté, et que, pour se décharger de l’obligation qui pèse sur leurs consciences de rendre la justice aux peuples, il fallait avoir l’opinion publique et les motifs les plus solides? C’est donc en vain qu'on cherche à créer des prétextes pour colorer leur conduite : elle est, sous tous les rapports, extrêmement condamnable, et les motifs qu’ils donnent sont une raison nouvelle de les trouver coupables. De quelque parti que l’on soit, s’il existe des partis, quelque opinion que l’on ait sur la révolution actuelle, on doit reconnaître qu’une cour judiciaire ne peut plus être une assemblée législative, que la puissance de la nation doit soumettre tous les corps comme tous les individus, qu’il faut qu’il y ait dans un Etat une autorité suprême à laquelle on obéisse, et que l’infraction à ses décrets ne peut être considérée que comme un délit d’autant plus grave qu’il compromet la sûreté publique, et qu’il appelle l’anarchie ou le despotisme. Mais en trouvant la chambre des vacations de Rennes inexcusable, vous proproserai-je contre elle un avis sévère et juste? ÿon, Messieurs; il me semble que, député d’un pays où la révolution s’est opérée sans désordre et sans malheur, où les privilégiés oppresseurs ont été protégés par les citoyens qu’ils avaient pendant si longtemps accablés, où il n’y a eu à se ressentir de l’agitation que donne la conquête de la liberté que ceux qui la reprenaient, ce serait une espèce d’inconvenance que je proposasse ou des peines ou une poursuite judiciaire contre les hommes dont les attentats contre la chose publique, exigent toute votre attention, moins encore par eux-mêmes, que par les circonstances qui vous entourent. Si onze juges, composant la chambre des vacations de Rennes, étaient les seuls qui marquassent les derniers moments de leur existence parla prédication insensée de leurs anciennes maximes, je vous dirais qu’en méconnaissant la puissance publique, et en dédaignant les besoins de leurs justiciables, ils sont égarés par tout ce qui a le plus de prise sur l’esprit des hommes, les préjugés de la naissance et de l’habitude ; ils sont magistrats et nobles ; iis tiennent à une famille qui croit perdre par les institutions nouvelles, parce qu’elle n’a pas encore eu le temps d’apprécier la dignité du titre de citoyen d’une nation libre. J’ajouterais que, dans leur conduite, comme •Sans leurs excuses, il faut voir un fanatisme déplorable, et je vous donnerai pour preuve cet inconcevable délire de celui qui portait la parole, et qui, à la fin de son discours, ne mit d’autre prudence que celle de s’isoler de ses confrères, et de serrer le papier sur lequel il lisait ses dernières phrases; ce délire qui lui fit appeler l’histoire afin qu’elle prit son nom, et qu’elle tînt note de son courage. On est ordinairement plus insensé que coupable, quand on ose s’honorer d’avoir commis un délit public, et quand on le qualifie de vertu. U faudrait donc, sous ces rapports, se borner à plaindre et à censurer. Mais, Messieurs, ce n’est point ici le crime d’un seul où de quelques-uns, c’est la suite d’une conspiration contre la liberté publique. Nos oreilles retentissent de bruits qui annoncent par-| tout des efforts contre la constitution nouvelle. Un gentilhomme breton vient de paraître à une assemblée de paroisse, et y a dicté une protestation contre vos décrets. Deux Parlements ont mis dans l’arrêt qui ordonne la transcription, sur leurs registres, de votre décret du 3 novembre, des expressions très-coupables. Les Parlements de Rouen et de Metz vous ont été dénoncés ; des ecclésiastiques convoquent, en Bourgogne, en Normandie, des assemblées qui ne sont pas des synodes; enfin, de toutes parts on agite les esprits ; et la paix et l’union, qui devaient être le fruit d’une constitution désormais assurée, sont éloignées par ces manœuvres. C’est donc un devoir rigoureux pour nous de prendre un parti qui détruise enfin de si détestables projets, et qui renverse le dernier espoir de leurs auteurs. Je m’arrête à l’instant d’en proposer un : mon devoir était de vous éclairer sur quelques faits qui tiennent à l’histoire de la province dont je suis un des représentants ; je ne provoquerai pas autrement votre décision. Mais, quelque parti que vous preniez, je me crois strictement obligé de vous demander que votre décret porte la réserve expresse du droit naturel, qu’ont ceux dont les procès ont été retardés, et dont les intérêts ont souffert, de poursuivre leurs dédommagements vers les juges qui ont abandonné leur tribunal. Si cette disposition souffre quelques difficultés, je promets d’en prouver la justice, et d’en montrer la nécessité. M. de Cnstîne demande l’impression de ce discours. D’autres membres demandent l’impression de l’opinion de M. le vicomte de Mirabeau. M. Dupont de Nemours. Ces deux opinions doivent être imprimées dans le même cahier, pour éviter l’effet que produirait infailliblement l’envoi de l’une sans l’autre dans quelques provinces. L’Assemblée adopte cette proposition. M. E/ambert de Frondeville (1). Messieurs, les magistrats du Parlement de Bretagne ne viennent point se mettre à la place de leurs concitoyens, qu’ils ne représentent pas. Ils ne viennent point demander à l’Assemblée nationale si les députés de cette province ont pu lui abandonner des droits antiques, et garantis par la foi des traités. Us ne viennent point enfin élever une question que vous ne voulez pas sans doute agiter, et sur laquelle les Bretons seuls, à l’aide du temps et de l’expérience, pourront porter un jugement absolu. Les magistrats de Bretagne obéissent aux ordres du roi; et en vous rendant compte du lien qui unit leurs fonctions au maintien des constitutions de leur province, ils viennent vous dire qu’ils se sont trouvés dans cette position difficile, ou de ne pouvoir enregistrer vos décrets, ou d’être parjures au serment que chacun d’eux a fait à son pays, lorsqu’il a été investi des fonctions de la magistrature. Ils vous ont dit encore, qu’un autre obstacle s’opposait à l’enregistrement que le roi a exigé d’eux : obstacle résultant de leur défaut de carac-(I) Le Moniteur ne donne qu’une courte analyse du discours de M. le président Lambert de Frondeville. 137 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 janvier 1790.] tère pour enregistrer au moment où leur est parvenu le décret des vacances du Parlement. La chambre des vacations est une commissiou établie par lettres-patentes pour juger les criminels et les affaires provisoires, pendant la vacance des cours : ces lettres-patentes sont enre-istrées par le corps entier du Parlement, et elles éterminent la durée de cette commission. Le terme de l’expiration étant arrivé, les magistrats qui la composent cessent leurs fonctions, conformément au titre qui en a déterminé le commencement et la tin, et demeurent sans qualité et sans pouvoir jusqu’à ce qu’à la rentrée du Parlement entier, ils rentrent en exercice avec lui. Les lettres-patentes, qui avaient établi la chambre des vacations de Rennes, avaient fixé la fin de ses fonctions au 17 octobre, et c’est le 23 novembre que Sa Majesté a fait parvenir votre décret à Rennes ; alors les magistrats étaient séparés depuis plus d’un mois, et la chambre des vacations n’existait plus : cependant c’est à elle que votre décret a été adressé, et c’est d’elle qu’on en a exigé l’enregistrement. Mais il est évident que des ordres du roi, transmis aux magistrats par des lettres (1 ) closes, ne pouvaient leur rendre, le 23 novembre, des fonctions dont ils étaient déchus depuis le 17 octobre, aux termes des lettres-patentes qui en avaient déterminé la fin à cet époque; ils n’avaient pas plus de qualité pour enregistrer, que tel autre citoyen qu’on aurait voulu désigner ; déjà les registres du Parlement ne leur appartenaient plus ; et pour rendre cette vérité plus sensible par une comparaison, la chambre des vacations était, le 23, comme un tribunal anéanti par l’autorité publique, et auquel on aurait voulu faire publier des lois, sans le rétablir légalement, et lui attribuer des fonctions nouvelles. Je conçois que l’Assemblée nationale peut se trouver contrariée d’être arrêtée par ces formes ; mais elle sait que ces formes sont la sauvegarde de la liberté, et celles-ci n’étant point encore anéanties par ses décrets, elles ont dû être respectées par des magistrats ; c’est pour cela qu’ils ont cru que vous accueilleriez une défense puisée dans la loi qui gouverne encore le royaume sous votre autorité. Je dois vous parler à présent de la constitution de la Bretagne, et de l’étroite obligation des magistrats envers elle. Vons savez, Messieurs, qu’elle est telle, par le contrat qui a réuni cette province à la France, contrat passé entre François 1er et les Bretons, assemblés à Vannes en 1532, contrat enfin dont l’observation est jurée tous les deux ans par le monarque; vous savez, dis-je que le peuple breton a des droits et des franchises qui ne peuvent être aliénés que de son consentement libre, et exprimé dans ses Etats (2). (1) On ne pourrait pas comprendre comment les dé-putés bretons signalés tant de fois, et surtout dans l’Assemblée nationale, par l’amour de la liberté, voudraient tolérer à Rennes un tribunal établi par lettres de cachet; il est vrai que ces ordres jadis si redoutables quand ils allaient sur leur compte, étaient accompagnés cette fois-ci par un décret du Corps législatif. Mais n’est-il pas vrai aussi que c’est mettre nos décrets en bien mauvaise compagnie? Et des lettres-patentes qui auraient rendu à la chambre des vacations une exisv tenee qu’elle n'avait plus, n’auraient-elles pas accompagné plus convenablement les lois de l’Assemblée nationale? (2) Les députés de la Bretagne paraissent mécontents, Au nombre de ces droits se trouve celui d’avoir des cours souveraines de justice, dans la constitution desquelles, comme dans l’ordre public de la province, il ne peut être rien changé ni innové que du consentement exprès de la Bretagne, et telle est la constitution de ces cours, qu’elles ne peuvent enregistrer et faire publier aucune loi émanée du souverain, qu’elle n’ait été sanctionnée par les Etats de la province. C’est ainsi, Messieurs, que la constitution de la Bretagne, déposée à la garde des magistrats, prononce elle-même les conditions auxquelles ce dépôt leur est confié. Les choses étaient dans cet état, lorsque la nuit du 4 août vint donner à la France, un spectacle digne de toute son attention, et sembla devoir effacer pour jamais, dans le royaume, jusqu’au souvenir d’une législation révérée pendant plusieurs siècles. Les députés de toutes les provinces, eneoura-ragés par un enthousiasme patriotique et inconnu jusqu’à nous, crurent devoir sacrifier à la patrie des droits et des privilèges particuliers qui appartenaient à leurs mandataires. lorsqu’on fait valoir la réclamation de leurs Etats, parce que, disent-ils, ils sont oppressifs dans leur composition : cela peut être, et je crois que le peuple a évidemment manifesté dans ses cahiers le désir d’un changement dans cette composition ; mais il y a loin d’un changement dans la composition des Etats de Bretagne à leur anéantissement, et lorsqu’on les réclame à l’Assemblée nationale, on les réclame au nom des mandats impératifs de tout le peuple breton comme un de ses droits les plus essentiels, parce que c’est dans celui-là que sont compris tous les autres; parce que c’est dans ses Etats que le peuple refuse ou consent la loi et l’impôt ; parce qu’ après leur anéantissement il ne serait plus représenté que dans l’Assemblée nationale dont ses députés ne sont pas la quinzième partie ; parce que là les députés de toutes les provinces feraient la loi à la Bretagne ce qui la priverait de la plus utile et plus belle prérogative, je veux dire celle de faire son sort elle-même ; parce que, si les besoins de l’Etat obligeaient un jour d’établir tel ou tel impôt contraire à ses franchises, elle serait obligée de s’y soumettre ; parce qu’ enfin dans tous les temps et dans tous les pays, les peuples, jaloux de leur liberté, l’ont été de leurs droits, et que le plus sûr garant de la liberté pour ces peuples, est certainement le droit de se gouverner eux-mêmes. Voilà pourquoi le peuple breton, aussi clairvoyant à mon avis sur ses intérêts que ses députés, en manifestant le désir d’un changement dans la composition de ses Etats, a impérativement réclamé sa constitution qui les lui assure, et c’est pourquoi la sénéchaussée de Rennes, et plusieurs autres, qui forment plus des deux tiers de la province, ont formellement exprimé dans leurs mandats qu’ils conservaient notamment le droit de consentir dans leurs Etats la loi , l’impôt , et tout changement dans l’ordre public. Distinguons donc l’énorme différence qui se trouve entre un changement dans la composition des Etats et l’anéantissement des Etats ; cela bien entendu, les députés de Bretagne conviendront qu’encore bien qu’ils aient renoncé pour elle au droit d’avoir des Etats, il n'est pas étonnant qu’on ait fortement insisté à l’Assemblée nationale sur la nécessité indispensable de voir l’adhésion en règle de l’universalité du peuple breton à cette renonciation ; elle importe assez à ses intérêts pour qu’on ne se contente pas des adresses des municipalités de Bretagne, qui n’ont pas sans doute encore la prétention de représenter les peuples. Les députés de la Bretagne conviendront encore que les magistrats de la chambre des vacations sont autant qu’eux les amis du bonheur et de la liberté, si ces considérations, puisées dans le droit public de leurs pays, sont entrées pour quelque chose dans le généreux dévouement qui leur a fait mépriser tous les dangers pour venir recevoir le jugement de l’Assemblée nationale. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 janvier 1790.] L’antique constitution de la Bretagne, l'attachement de son peuple aux lois particulières qui le gouvernent, et le courage si recommandable avec lequel il les a, maintenues jusqu’à nos jours, semblaient faire une exception pour cette province, mais toutcédaau sentiment national qu’inspira cette nuit fameuse, et les députés de la Bretagne, qui avaient le plus à offrir, donnèrent l’exemple des sacrifices. Cette province serait aujourd’hui soumise au régime uniforme de tout le territoire français, et les magistrats seraient déliés de leur serment envers elle, si les mandats de ses députés avaient été conformes à leur renonciation,; mais ils y étaient formellement contraires. L’Assemblée nationale, en recevant au nom de la nation ce que chacun s’empressait de lui offrir, ne s’écarta cependant point des principes d’équité qui doivent la diriger, et jugea en faveur de nos commettants cette question de droit public, celle de savoir si la législation d’un Etat peut se conférer une assez grande autorité pour anéantir les capitulations, les traités et les contrats, qui assurent des droits particuliers aux provinces, surtout lorsque cette législation est composée de députés qui n’en sont membres que sous la condition expresse qu’ils conserveront, et maintiendront ces capitulations, ces traités et ces contrats. L’Assemblée nationale prononça le décret suivant : « Abandon du privilège particulier des provinces et des villes. Déclaration des députés qui ont des mandats impératifs,, qu’ils vont écrire à leurs commettants et solliciter leur adhésion (1). » Ce décret est, comme on le voit, provisoire et conditionnel, et la dernière partie où il est parlé des députés qui ont des mandats impératifs, regarde les députés de la Bretagne plus particulièrement encore que les autres. En effet ils s’y sont soumis et ont fait des démarches pour avoir des adhésions, mais je n’aurais jamais pensé qu’ils eussent voulu donner pour telles les adresses de leurs municipalités à l’Assemblée nationale. Vous savez, Messieurs, qu’il est de principe que celui-là seul qui a donné un mandat peut le modifier ou le changer, et il est difficile de croire que des municipalités, composées de quelques habitants des villes, aient pu changer, par un cérémonial de pure politesse envers l’Assemblée nationale, la nature des pouvoirs donnés par l’universalité des habitants des villes et des campagnes. Mais il est un fait certain entre nous, c’est qu’au mois d’avril 1789, le peuple breton, assemblé par sénéchaussées en vertu d’un arrêt du conseil, donnait des mandats impératifs à ses députés, à la charge de maintenir sa constitution, et ces mandats ne seront pas sans doute accusés d’aristocraties, car on sait qu’ils sont l’ouvrage des communes, et de ce qu’on appelait improprement autrefois le bas-clergé. Il est encore un autre fait qui n’est pas moins constant, c’est qu’un arrêt du conseil, rendu dans le mois de juillet dernier, autorisait les députés qui avaient un mandat impératif à faire assembler leurs commettants pour en avoir de nouveaux pouvoirs; tous s’y sont soumis et, ont rapporté à l’Assemblée nationale une adhésion ou (les ré-(1) Ce décret n’a pas le style des décrets ordinaires ; mais l’on en rendit tant cette nuit-là, que l’on ne pût décréter que le litre et l’objet de chacun, et tous furent renvoyés à un comité pour la rédaction. serves nouvelles ; les seuls députés de Bretagne, par une précaution qu’on ne définit pas, ont évité d’assembler leurs sénéchaussées ;et lorsqu’ils ont dédaigné l’avis du peuple qui les a chargés de retenir ce qu’ils ont abandonné, ils viennent se prévaloir d’un côté des adresses des municipalités de villes, et de l’autre du silence de leur province. Et depuis quand peut-on se prévaloir du silence de ceux que l’on a condamnés à se taire? Et depuis quand des municipalités ont-elles représenté un peuple? et quel peuple encore, celui qui, accoutumé à la force et à la majesté de ses Etats,. les avait toujours opposés avec succès, aux entre-prisesdes ministres puissants, et s’était maintenu, par leur autorité, dans le droit de se gouverner lui-même? C’est ce droit le plus beau de tous pour un peuple, que les députés de Bretagne ont abandonné; et lorsqu’on leur demande le consentement de leurs commettants à cet important abandon, ils présentent les adresses de leurs municipalités. Ils se plaignent de la représentation oppressive des Etats; et lorsqu'ils avaient un titre (1), pour écarter ce qu’ils appellent les oppresseurs (2), et ne consulter que les communes, ils font représenter leurs communes encore par des municipalités; je ne connais qu’un avantage à la nouvelle représentation sur l’ancienne, c’ est que�la première n’était qu’oppressive sans être dérisoire, et que celle-ci est à la fois l’un et l’autre. Et pourquoi donc (peut-on demander aux députés de la Bretagne), pourquoi restreignez-vous de votre autorité l’adhésion de vos commettants à quelques insignifiantes adresses qui ne sont pas même l’adhésion de ceux qui les ont signées ? Manquiez-vous de moyens pour obtenir le suffrage universel? Un arrêt du conseil avait assemblé vos communes, lorsqu’elles vous donnèrent au mois d’avril des mandats impératifs. Un autre arrêt du conseil vous a autorisés à les rassembler jusqu’au mois d’octobre; et vous pouviez alors les consulter sur les abandons faits le 4 août ; pourquoi ne l’avez-vous pas fait? Et vous venez nous vanter vos adresses ! Mais c’est trop discuter une question qui n’est pas douteuse : le décret de l’Assemblée nationale sur l’abandon des privilèges des provinces, ne pouvait être, et n’a été que provisoire, et sous la condition de l’adhésion des commettants. Les députés de la Bretagne n’ont point consulté les leurs, quoiqu’ils en eussent un moyen simple et facile, ils n’ont donc pas leur adhésion; et jusqu’à ce que le peuple de cette province ait délibéré en règle sur l'anéantissement de sa constitution, jusqu’à ce qu’il l’ait consenti, il sera vrai de dire qu’elle existe tout entière. Il me reste à présent à examiner, Messieurs, ce qu’est cette constitution par rapport aux magistrats qui en sont les dépositaires; j’ai déjà dit qu’elle leur imposait des obligations formelles; et c’est la constitution elle-même qui va parler dans les articles 22 et 23, dont je vais vous donner lecture : Art. 22. « Aucuns édits, déclarations, lettres-patenteS, etc., contraires aux privilèges de la (1) L'arrêt du conseil du mois de juillet. (2) Le haut clergé et la noblesse ne se sont point assemblés au mois d’avril dans les sénéchaussées de la Bretagne, parce qu’ils ont prétendu, je crois, députer en corps d’Etats; ils n’auraient donc pu s'assembler au mois de juillet, et les communes seules, si elles avaient été assemblées, auraient encore voté sur les intérêts da la Bretagne. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 janvier 1790.] province, n’auront aucun effet s’ils n’ont été consentis par les Etats, et vérifiés par les cours souveraines, quoiqu’ils soient faits pour le général du royaume.; et en cas que ci-après les cours souveraines eussent vérifié et enregistré aucuns édits, sans le consentement exprès des Etats, ils n’auront aucun effet ni exécution; » Art. 23. « Il ne sera rien changé au nombre, qualités, fonctions et services des officiers de la province; ce faisant, il ne sera créé aucune fonction d’officiers, ni de nouvelles juridictions. » Tel est, Messieurs, le dépôt sacré qui est confié à la garde des magistrats ; et leur serment a pour objet de le garder fidèlement, et de le garantir de toute atteinte : ils ne pouvaient donc, sans être parjures, enfreindre ia Joi qui vous est faite par la constitution même ; et l’on conviendra qu’enregistrer la création d’un nouveau tribunal, et la réduction du Parlement à quelques officiers, lorsqu’il est composé de plus de cent magistrats, consentir ces innovations sans l’agrément de la province, c’eût été enfreindre sa constitution sans excuse. Il semble que les Bretons, en faisant prononcer d’avance à leur constitution la nullité des lois enregistrées seulement par les cours, eussent prévu la circonstance où l’on voudrait introduire, sans leur aveu, des innovations à l’abri des formes de l’enregistrement; et s’il était possible de supposer un seul cas où l’oubli du serment et la faiblesse de l’obéissance fussent excusables, ce ne serait sûrement pas celui où se sont trouvés les magistrats de la Bretagne. Ils voyaient leur constitution abandonnée par eeux-mêmes qui étaient chargés de la conserver ; ils voyaient un décret venir, sûr la foi de cet illégal abandon, l’attaquer dans le dépôt même où elle s’était mise à l’abri du serment de ses dépositaires ; et quand il n'eût pas été rigoureusement de leur devoir d’opposer la religion de leurs engagements, leur résistance encore serait estimable ; car lorsqu’il s’agit de défendre les lois de son pays, il est généreux, sans doute, d’aller au-delà de son devoir. Mais pour rentrer plus directement dans la question, je demande à tous ceux qui m’entendent s’il est une assez grande autorité sur la terre, pour délier la conscience d’un serment à l’insu de ceux auxquels on l’a prêté; s’il est vrai, d’après les principes alloués par la raison, que cette autorité n’existe pas, qu’on me réponde, et qu’on me dise si l’Assemblée nationale pouvait, sans le consentement de la Bretagne, délier ses magistrats d’une obligation qu’ils lui avaient jurée et dans quelles circonstances surtout? Lorsque l’Assemblée nationale elle-même avait reconnu, par un décret solennel, la nécessité de l’adhésion des provinces, pour anéantir leurs constitutions particulières. Est-il donc étonnant que les magistrats de la Bretagne, liés par la plus religieuse des obligations, je veux dire par le serment, soient restés passifs à la vue d’un décret qui anéantissait la constitution de leur pays sans le consentement de ses peuples; et quel est celui de leurs juges qui, en se mettant à leur place un moment, oserait avouer qu’il n’eût pas fait comme eux ? Cependant, Messieurs, l’on a attaqué la conduite de ces vertueux magistrats, en les accusant d’avoir privé leur province de la justice souveraine, par l’abandon de leurs fonctions. Je ne demanderai point à ceux qui les accusent, si l’engagement de rendre la justice est éternel. m Je ne leur demanderai point si la liberté a été prononcée pour tous les citoyens, excepté pour les magistrats. Je ne leur demanderai point si l’on est libre d’abandonner ses fonctions à d’autres, quand le devoir et la conscience le réprouvent. Je ne leur demanderai point, enfin, si les magistrats de Bretagne ont prévariqué, en offrant au roi leurs démissions et leurs charges, et en ne lui demandant pour prix de leurs services que la liberté de vivre tranquillement et dans l’obscurité au sein de leurs familles. Mais je leur observerai, avec raison sans doute, que la constitution de la Bretagne, dont ils sont les dépositaires, porte cette clause formelle : « Il ne sera rien changé au nombre, qualités, fonctions et services des officiers de la province; ce faisant, il ne sera fait aucune création d’officiers ni de nouvelles juridictions. » Que le décret de la vacance du Parlement et la création d’un nouveau tribunal sous le nom de chambres des vacations, enfreignaient directement cette clause ; Que ce décret, qui est bien une loi nouvelle, n’était point consenti par la province ; Et qu’enfin le titre, qui attribuait à dix-huit magistrats les fonctions de tout le Parlement, était précisément celui que leur devoir leur défendait d’accepter. Placés entre la nécessité de laisser, pendant quelques moments, la province sans justice souveraine, et la perspective de manquer à la foi jurée, je le demande, ont-ils dû balancer? Ge n’est pas devant des législateurs qu’il devrait être besoin de plaider la cause du serment; vous faites des lois, Messieurs, et le serment que vous exigez de ceux à qui vous en confiez l’exécution, est la garde la plus sûré à laquelle vous comptez confier votre ouvrage : il est donc vrai que vous croyez au devoir sacré qu’il impose, et pourquoi donc les magistrats de Bretagne n’y auraient-ils pas cru? Ils ne sont pas législateurs, et il y a cette différence entre eux et Vous que, lorsque votre pouvoir vous fait commander aux lois, leur devoir les force d’y obéir; c’est parce qu’ils sont restés pénétrés de ces vérités éternelles qu’ils n’ont pas mêfne songé à les outrager par un doute. Mais de quoi la prévention n’accuse-t-elle pas ceux qu’elle veut trouver coupables ? N’avez-vous pas encore entendu accuser les magistrats de Bretagne d’une correspondance confidentielle avec le roi, qui ne devait avoir d’autre but que de sonder les dispositions du monarque et de ses ministres, afin d’entreprendre ensuite ce qu’on appelle une contre-révolution ? il n?a manqué que des preuves à cette accusation grossière, et l’on n’a pu même donner le moindre indice de ce projet aussi insensé qu’impossible; mais il n’en coûte rien aujourd’hui pour accuser la vertu, et c’est ainsi qu’avec l’ostentation des mots et la dissimulation des choses, on parvient à entourer des horreurs du doute l’honneur et la probité mêmes. Non, Messieurs, des citoyens blanchis dans les fonctions difficiles de la magistrature, des hommes qui ne calculent point le danger pour composer avec leurs engagements, n’ont d’autre projet, que de servir la patrie et de s’acquitter envers l’honneur ; et les magistrats de Bretagne en se présentant devant vous n’ont d’autre défenseur que leur devoir, d’autre complice que leur conscience, et d’autre égide que la religion de leur serment. 140 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 janvier 1790.] Vous avez donc aujourd’hui, Messieurs, à prononcer entre votre autorité et le devoir sacré, commandé par la foi jurée : ceux qui ne sont plus retenus que par la sainteté des serments attendent votre décision avec impatience ; et les lois demandent en ce moment, avec inquiétude, si vous les condamnerez à punir ceux qui les ont si courageusement respectées. Quel que soit votre jugement, Messieurs, ceux-là serent toujours dignes de votre estime, qui viennent, au milieu des orages, se présenter au tribunal puissant qui les fait comparaître, accusés seulement d’un respect religieux pour leurs promesses, et d’une inviolable fidélité à leur pays. Je me résume, Messieurs, et ayant démontré que, la constitution de Bretagne n’étant point anéantie du consentement de son peuple, elle est demeurée tout entière par rapport au Parlement (1) qui en est le dépositaire ; Que cette constitution défend tout changement ou innovation dans l’ordre public, et notamment dans l’ordre judiciaire, sans le consentement exprès de la province ; Que le serment des magistrats a pour objet la garde fidèle et le maintien de cette constitution ; Ayant, dis-je, démontré ces points de fait, j’en tire la conséquence nécessaire que les magistrats de la Bretagne n’ont pu ni dû enregistrer le décret des vacances du Parlement non consenties par la province, et que leur conduite est irréprochable. Je propose donc à l’Assemblée nationale de décréter que, sur le compte rendu par les magistrats de Bretagne, il n'y a pas lieu à délibérer ; Qu’ils sont libres de retourner dans leur pays ; Qu’ils sont mis sous la sauvegarde de la nation et de la loi. M. Barnave. Le député de Bretagne vous a fait connaître les faits; il me reste à caractériser le délit commis par les magistrats de Rennes, à indiquer la peine qui doit leur être infligée et le tribunal qui doit la prononcer. Le peuple breton, en envoyant tel député pour délibérer à l’Assemblée nationale, a reconnu l’union de cette province au royaume de France; il s’est soumis aux décrets de l’Assemblée; il y a concentré sa représentation; son intention a été manifestée de nouveau par ses adhésions. Les décrets de l’Assemblée doivent donc être exécutés en Bretagne, sans qu’il soit besoin du consentement des Etats que cette province désavoue, moins encore du Parlement qui n’a que des fonctions exécutives, et qui, dans tous les cas, ne peut qu’adopter aveuglément les décrets du pouvoir législatif. (1) Je ne me suis point occupé de répondre aux déclamations faites contre le Parlement de Rennes et contre les ci-devant deux premiers ordres. Il est reçu d’accuser sans preuves, de prouver sans témoins, de rappeler les fautes et d’oublier les services. Soit, je me suis borné à justifier ce principe de droit public qui justifiera à jamais les magistrats de Bretagne ; savoir, que les constitutions sont les propriétés des peuples qui les ont consenties ; que, pour leur enlever cette pro-{mété, il faut leur aveu, et que la leur enlever sans eur aveu, sous prétexte qu’elle ne leur convient pas. est une violation de leurs droits mutuels et politiques. Il ne manque aux députés de Bretagne, pour être d’accord avec moi, et pour justifier leurs poursuites contre leurs magistrats, que le consentement du peuple breton, et je pense que, s’il était consulté sur celui qu’il adonné (dit-on), il ne se reconnaîtrait pas lui-même. Cependant le décret qui proroge les vacances du Parlement a été inutilement présenté à la chambre des vacations de Rennes ; elle a désobéi à la nation et au roi, et elle a laissé le peuple breton privé de la justice qu’elle lui devait. Dans votre indulgente sagesse, vous avez voulu examiner encore avant de punir, et vous avez mandé la chambre des vacations pour rendre compte de ses motifs. L’ont-ils justifiée? Non. Ils ont préféré l’aveu de sa faute, et l’ont aggravée : insulter à la majesté nationale, insulter au peuple breton, qu’ils veulent retenir dans l’esclavage, et qu’ils accusent de s’abuser lorsqu’il s’éclaire enfin sur leur oppression ; jeter le gage de la discorde entre la France et la Bretagne ; invoquer des serments après les avoir tous méprisés; demander des lauriers à la nation pour prix de la servitude qu’ils lui imposent; voilà la justification qu’ils ont osé vous offrir. Inconcevable langage, s’il était quelque délire que l’habitude du despotisme et l’ivresse de l’orgueil ne puissent pas expliquer! Ainsi à la désobéissance, au mépris de tous ses devoirs, la chambre des vacations a ajouté une irrévérence séditieuse. Si elle était rigoureusement traitée, aucune peine ne serait trop sévère; mais la plus douce sans doute est d’éloigner de toute fonction publique des hommes réfractaires à la loi et opposés à la constitution de leur pays : c’est aussi celle que je propose. Qui la prononcera? Vous. Nous le pouvons, et il est indispensable de le faire. Je n’ai pas besoin de m’appuyer sur l’universalité du pouvoir constituant que la nation vous a commis, et que vous exercez. Quiconque exerce un pouvoir public a reçu avec les fonctions les moyens de repousser ceux qui les usurpent. Chargés pardessus tout de donner à la France une constitution, vous êtes autorisés à faire tout ce que son établissement exige; à repousser, à punir ceux qui la contrarient ; à plus forte raison, à prononcer contre eux une censure, sévère sans doute, mais bien douce encore en la comparant à leur faute. En les punissant, vous les sauverez; car si vous saisissiez le Châtelet de leur cause, il n’est pas de rigueur à laquelle ce tribunal, étroitement soumis à la loi, ne fût obligé envers eux. Enfin vous remplissez ce que notre situation exige pardessus tout, la promptitude d’un grand exemple. Il est temps de contenir les ennemis de la constitution, et de rendre le courage à ceux qui la défendent. Les Parlements, les défenseurs de l’ancienne aristocratie sont plus que jamais coalisés. De toutes parts on sème les calomnies, on répand des libelles séditieux : une partie du peuple peut se laisser tromper, et nous préparer d’affreuses catastrophes. Ces hommes aveugles et lâches, qui ne savent pas encore préférer le titre de citoyen libre au droit d’humilier leurs semblables, n’ont pas perdu l’espoir de renverser votre ouvrage. Assez insensés pour ne pas voir que le premier signal des combats serait celui de leur destruction, ils méditent des scènes sanglantes, et ils osent envisager les désastres de leur patrie comme une consolation pour eux. C’est donc en leur faveur que j’invoque votre pitié, quand je vous invite à prévenir les effets de leur aveugle rage; vous leur devez votre pitié. Une sévérité modérée peut aujourd’hui prévenir des maux incalculables. Je propose le décret suivant : « L’Assemblée nationale, considérant que les lois ne sauraient être exécutées par ceux qui af-