[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 novembre 1789.] 269 Morcelez les contrats de vos emprunteurs, faites-en des coupons de 1,000 livres, de 600 livres, etc. Imprimez sur chacun de ces coupons le timbre national. Vous aurez un signe représentatif des valeurs réelles, un signe immédiat, ou plutôt les valeurs elles-mêmes. L’emprunteur paiera 4 0/0 d’intérêt pour ces coupons que vous lui livrerez, et avec ce produit-là, vous liquiderez encore vos billets et la dette de l’emprunteur. Mais il faut trouver 300 millions d’argent comptant pour pouvoir payer ces effets à bureau ouvert. La difficulté, sans doute, est grande, mais elle n’est pas invincible; avec vos boîtes, vos bijoux, votre vaisselle, et l’argenterie des églises, on vous fournira juste 400 millions comptant, et dans quelques mois votre banque sera en activité. Dans la séance de samedi dernier, on vous présenta un autre projet de banque qui ne nous était pas inconnu. On trouvait 300 millions d’argent, vous livriez 600 millions de billets d’Etat, auxquels vous attachez 1/2 0/0 d’intérêt par an. La banque les négociait,. les payait à vue, et puis les rendait à la circulation. Elle recevait pour vous, payait pour vous dans toutes les provinces, comptait avec vous de l’intérêt de toutes les sommes qui séjournaient dans les caisses, et partageait encore avec vous les bénéfices. Je ne vous parlerai pas de quelques projets lus modestes, dont les auteurs ont adopté les ases simples et communes sur lesquelles s’est appuyé le premier ministre des finances. Je ne vous parlerai point de quelques projets de réforme et d’amélioration qui, peut-être, méritent d’être discutés, mais qui ne peuvent l’être que quand vous aurez déterminé et la forme et le mode des impositions. J’ai cru, Messieurs, ne devoir vous offrir qu’un tableau rapide de toutes vos richesses spéculatives-, quiconque a un peu contracté l’habitude des affaires est avare de son temps et doit ménager le vôtre. Vous avez encore été justement impatients de connaître le véritable état des finances, les détails et la forme de la dette. Votre comité, Messieurs, vous avait présenté ce tableau par l’organe de M. le marquis de Mon-tesquiou, et la plupart des états que vous avez demandés sont annexés à son rapport. Des détails plus étendus vous seront offerts à mesure que nous vous présenterons les comptes élémentaires dont se compose la dépense générale. Nous avions pensé, Messieurs, qu’il était inutile d’anticiper ces objets ; nous avions pensé surtout qu’ils n’avaient pas un rapport essentiel avec cette Banque nationale dont le premier ministre des finances vous a développé le projet. Peut-être avions-nous trop compté sur votre indulgence et sur nos motifs; mais qu’il me soit permis de vous observer que sans votre confiance vos comités seraient bientôt découragés, qu’elle est surtout nécessaire pour soutenir ceux qui, voués aux détails obscurs de la finance , ne recueillent souvent de leurs travaux que des dégoûts et des censures. Je passe à un objet plus important. Le comité s’occupait des désordres qui se renouvellent au 1er janvier, dans diverses administrations, lorsqu’il a appris que M. Necker, ayant eu le même soin, avait défendu les dons d’étren-nes dans les différentes parties de son département. Le comité a cru que cette sage disposition devait être générale , il vous propose, en conséquence, un projet de décret qui défend le don des étrennes payées par le gouvernement et les différentes administrations. M. le Président. Je propose à l’Assemblée que, sans s’arrêter à aucun des plans de finances dont on lui a présenté le détail, elle s’occupe uniquement de la motion qui termine le rapport qu’elle vient d’entendre. (Ce mode de procéder est adopté.) M. Lanjiiinais. Je demande que la défense de recevoir à l’avenir quelque présent que ce soit, à titre d’étrennes, ne soit pas bornée aux agents de l’administration, mais qu’elle soit étendue aux juges, et qu’ils ne puissent recevoir, notamment, le présent de cire et de bougies. M. Dupont (de Bigorre) s’écrie : Vous êtes professeur de droit canon, pourquoi ne pas y ajouter les professeurs? (On rit beaucoup.) M. Dusson de Bonnac, évêque d’Agen, présente un amendement relatif à la peine de concussion. M. Target. Je propose d’exprimer dans le décret que la défense s’étend, non-seulement aux agents de l’administration, mais encore à tous ceux qui, en chef ou en sous-ordre, exercent quelque fonction publique. M. d’AIlIy. M. le ministre des finances m’a déclaré que le Roi allait donner des ordres pour faire cesser, au 1er janvier, toutes les étrennes, et notamment celles que les commandants, intendants et autres agents du pouvoir exécutif reçoivent des corps , villes et provinces. La question préalable est réclamée sur tous les amendements et prononcée, sauf sur celui de M. Target. La motion contenue à la suite du rapport de M. Lebrun est lue une seconde fois, l’amendement de M. Target y est inséré et le décret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale, considérant que toute fonction publique est un devoir; que tous les agents de l’administration, salariés par la nation, doivent à la chose publique leurs travaux et leurs soins; que, ministres nécessaires, ils n’ont ni faveur, ni préférence à accorder, par conséquent aucun droit à une reconnaissance particulière ; considérant encore qu’il importe à la régénération des mœurs, autant qu’à l’économie des finances et des revenus particuliers des provinces, villes, communautés et corporations, d’anéantir le trafic de corruption et de vénalité qui se faisait autrefois sous le nom d’étrennes, vins-de-ville, gratifications, etc. , a décrété et décrète qu’à compter du 1er décembre prochain, il ne sera permis à aucun agent de l’administration, ni à aucun de ceux qui, en chef ou en sous-ordre, exercent quelque fonction publique, de rien recevoir à titre d’étrennes, gratifications, vins-de-ville ou sous quelque autre dénomination que ce soit, des compagnies, administrations de provinces, villes, communautés, corporations ou particuliers, sous peine de concussion ; qu’aucune dépense de cette nature ne pourra être allouée dans le compte desdites compagnies, administrations, villes, corporations. 270 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 novembre 1789.] « Et sera, Sa Majesté, suppliée de sanctionner incessamment le présent décret et d’en ordonner la plus prompte exécution. » M. le Président. J’ai reçu du ministre des finances une lettre dont je donne lecture : « Paris, le 25 novembre 1789. « Monsieur, M. le marquis de Bouillé, commandant à Metz, ayant appris qu’on avait cherché à répandre dansl’Assemblée nationale qu’il s’exportait des graiDS par les frontières delà province des Trois-Évêchés, a cru devoir m’adresser les différentes attestations qu’il a reçues des municipalités de toutes les villes, bourgs et villages répandus sur la frontière où il a placé, depuis longtemps, un cordon de troupes destiné à surveiller l'exportation des grains, et il m’a prié d’avoir l’honneur de vous les communiquer. Je le fais d’autant plus volontiers qu’elles vous mettront à portée de juger que le service des détachements qui composent ce cordon paraît se faire avec toute l’exactitude désirable. « Je suis avec respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur, « Signé : NECKER. » « Vous voudrez bien, monsieur, mettre aussi sous les yeux de l’Assemblée nationale les renseignements ci-joints, qui m’ont paru devoir également tranquilliser sur les exportations qu’on avait dit avoir lieu par Dunkerque et par les frontières de la Flandre. » M. Lebrun. Des citoyens ont fait, au bureau des finances, des déclarations à raison des sommes qu’ils disent leur être dues par le gouvernement, et qui pour la plupart ont été examinées par le ministre et par des commissaires du conseil. Ils s’adressent à l’Assemblée pour éviter toute décision ministérielle, et ils demandent à être jugés par elle, ou qu’il leur soit assigné un tribunal ad hoc. Le comité n’entre pas dans l’examen du mérite de ces réclamations; il se rappelle que vous avez reconnu la compétence du conseil des dépêches, qui est ordinairement chargé de juger ces réclamations, et il en propose le renvoi au pouvoir exécutif. M. Duport. Vous auriez en vain rétabli l’ordre dans les finances, s’il restait toujours une masse de dettes inconnues, consistant dans des réclamations qu’il est impossible de prévoir. Je propose, en conséquence, que dans le délai d’un an pour ceux qui habitent en Europe, et de deux ans pour ceux qui demeurent hors d’Europe, toutes les personnes qui ont des réclamations à faire seront tenues de rapporter les titres sur lesquels elles seront fondées, sans quoi elles en seront déchues. M. le comte de Custine. Le préopinant propose une manière très-sûre de multiplier les réclamations, tandis que sans cette invitation il y en aurait beaucoup qui ne seraient jamais faites. Je pense qu'il serait dangereux de délibérer sur cette motion. M. de Lachèze. Il ne convient pas à une nation noble et généreuse de payer ses dettes par des fins de non-recevoir. J’appuie la question préalable. L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la motion de M. Duport. M. Camus. La proposition du comité des finances doit être ajournée et renvoyée au comité que vous avez chargé d’examiner la juridiction du conseil. M. Eréteau de Saint-Just. Cet ajournement doit être attendu jusqu’au moment où le comité des finances aura fini son travail et présenté des plans, dans lesquels entreront nécessairement des dispositions relatives aux réclamations en finances. M. le Président consulte l’Assemblée qui prononce l’ajournement de la motion. M. Rabaud de Saint-Etienne a proposé de faire imprimer les listes des divers comités avec l’indication du lieu de la séance de chacun d’eux. — Cette proposition est adoptée. M. le Président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet présenté par le premier ministre des finances, pour convertir la Caisse d’escompte en Banque nationale . M. Bouchotte (1). Messieurs, je sens combien il est difficile de lutter contre l’opinion d’un ministre porté et rappelé à la direction des finances par la confiance publique; d’un ministre conservé dans ce poste difficile, et pendant des temps orageux, par cette même confiance; d’un ministre que l’estime des citoyens console dans ses revers, que leurs regrets suivent dans ses retraites, et dont la joie annonce le retour à l’administration. Aussi vous avouerai-je que, sije n’étais convaincu que les plans les plus simples sont les meilleurs, que souvent ils échappent à ceux qui les cherchent avec le plus d’ardeur et de moyens, je ne me permettrais pas d’attaquer celui présenté, ni d’en proposer un, et que si je ne regardais pas celui que je soumets à votre considération comme propre à remplir le but que s’est proposé le ministre, j’embrasserais le sien , en regrettant de ne pouvoir l’adopter sans avoir à craindre de très-graves inconvénients; je dis très-graves, parce que ses lumières et son expérience, du moins je le pense, ne pourront trouver de sûrs moyens pour arrêter leurs progrès, et en prévenir les suites. Si ces inconvénients, après avoir été bien démontrés, sont écartés du plan que je vous offre, et que cependant je parvienne aux mêmes résultats, j’aurai rempli mon devoir, votre but, celui du ministre et le mien. Celui du ministre des finances est de trouver au plus tôt les fonds nécessaires pour faire face aux dépenses extraordinaires de l’année 1789 et de la suivante, sans anticiper sur les revenus des années postérieures. Je tends aussi à ce but, et je désire même qu’il soit tellement réalisé, que dans peu de temps les revenus publics de l’année courante puissent être affectés aux dépenses de l’année suivante. Le ministre a besoin, pour venir à bout de ce qu’il propose, d’un crédit qui lui produise : 1° 90 millions pour les besoins de cette année; (1) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire du discours de M. Bouchotte.