(27 novembre 1790.] 81 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. trict, comme rebelles à la loi, et punis par la privation de leur traitement, et en outre, déclarés déchus des droits de citoyens actifs, incapables d’aucune fonction publique: en conséquence, il sera pourvu à leur remplacement à la formedudit décret du 12 juillet dernier, sauf plus grandes peines, s’il y échet, suivant l’exigence et la gravité des cas. Art. 7. Ceux desdits évêques, ci-devant archevêques, curés et autres ecclésiastiques fonctionnaires publics conservés en fonction, et refusant de prêter leur serment respectif, ainsi que ceux qui ont été supprimés, ensemble les membres des corps ecclésiastiques séculiers également supprimés, qui s’immisceraientdansaucunede leurs fonctions publiques, ou dans celles qu'ils exerçaient en corps, seront poursuivis comme perturbateurs de l’ordre public, et punis des mêmes peines que ci-dessus. Art. 8. Seront de même poursuivis comme perturbateurs de l’ordre public, et punis suivant la rigueur des lois, toutes personnes ecclésiastiques ou laïques qui se coaliseraient pour combiner un refus d’obéir aux décrets de l’Assemblée nationale, acceptés ou sanctionnés par le roi, ou pour former ou pour exciter des oppositions à leur exécution. M. la President lève la séance à dix heures et demie. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 27 NOVEMBRE 1790. Opinion de M. l’abbé Manry sur la constitution civile du clergé , prononcée à la séance du soir. (Nota. — • Nous avons inséré plus haut la version mouvementée du Moniteur, mais nous avons pensé néanmoins qu’il y avait lieu de reproduire ici in-extenso le discours de M. l’abbé Maury.) Messieurs, le calme profond avec lequel nous avons entendu hier le rapport et la discussion d’une cause, dans laquelle le clergé de France vous est dénoncé avec tant de rigueur, nous donne droit d’espérer que vous voudrez bien écouter aujourd’hui, avec la même attention et la même impartialité, les faits et les principes que uous venons invoquer dans ce moment pour notre légitime défense. Nous avons besoin que votre neutralité la plus manifeste nous réponde ici de votre justice. Ou nous dit, de toute part, que nous venons mettre en question un parti pris irrévocablement; que notre sort est fixé par les conclusions de vos comités; que le décret est proclamé d’avance; que nous nous élevons inutilement contre une détermination invariablement adoptée et que la majorité de l’Assembléenationale est impatiente de prononcer le fatal arrêt de suprématie qui doit reléguer tous les ecclésiastiques du royaume, entre l’apostasie et la proscription, entre !’ indigence et le parjure. La solennité de cette discussion nous place déjà devant vous, dans une situation d’autant plus périlleuse, qu’à l’infériorité ordinaire du lre Série. T. XXI. nombre, ce combat vient encore ajouter l’inégalité particulière des armes. Nos adversaires nous attaquent avec des principes philosophiques ; et ils nous invitent à leur opposer les moyens que la théologie nous fournit. Hélas ! Messieurs, cette science divine aurait dù être toujours étrangère, sans doute, à cette tribune; mais, puisqu’elle y est interrogée aujourd’hui, vous pardonnerez dû moins à la nécessité qui uous obligera de vous parler son langage pour éclairer votre justice. Remontons d’abord à l’origine de cette contestation. Cette chaîne de faits doit nous conduire à l’époque où vos délibérations ont excédé vos pouvoirs, et ont signalé votre incompétence. Au moment où l’on nous dit, pour la première fois dans cette Assemblée, que la constitution du clergé allait devenir l’objet de vos travaux, nous prévîmes que cette prétendue organisation civile serait, pour les ministres de l’Eglise, un véritable code spirituel, et nos crainte-n’ont été que trop justifiées. M. l’évêque de Clermont que uous choisîmes, dès lors, pour organe, vous renouvela l’hommage de notre respectueuse déférence pour vos décrets purement temporels; mais après avoir ainsi acquitté notre dette comme citoyens, nous vous déclarâmes, par sa bouche, que la juridiction ecclésiastique vous étant absolument étrangère, il nous serait impossible d’adhérer et même de participer à aucune délibération relative aux droits et à la discipline de l’Eglise. Nous avons été fidèles à cet engagement solennel ; et nous nous sommes imposé le silence le plus absolu, durant le cours de ces discussions, qui blessaient tous nos droits en attaquant tous les principes. Le même prélat, qui vous notifia si loyalement nos motifs et nos moyens de récusation, ajouta que si la nation nous demandait de salutaires réformes, le clergé de France s’y prêterait avec zèle, pourvu qu’il lui tût permis d’y procéder, suivant les formes canoniques. Pour y parvenir, il vous offrit aussitôt, en notre nom, la convocation d’un concile national; et cette proposition si régulière, que vous ne daignâtes pourtant pas discuter, fut repoussée par l’improbation la plus so daine et la [dus éclatante. Il ne nous restait plus alors qu’une seule route canonique à suivre. Nous y entrâmes aussitôt en invoquant le recours ordinaire au chef visible de l'Eglise; à ce pontife si exact et si modéré que le trône a montré encore plus grand, tandis qu’il rabaisse toujours les hommes vulgaires; à cet illustre émule de Renoit XIV, que l’éminence de ses vertus, l’intégrité éclairée de ses principes, et la haute réputation de sagesse et de prévoyance dont il jouit dans toute l’Europe rendent également digue de votre confiance et de la noire dans une cause dont la discipline de l’Eglise lui défère ladécision. Le pape est en effet le chef suprême et l’organe de l’Eglise universelle, le défenseur ordinaire des saints canons, et le réformateur légitime des abus qui s’introduisent dans le gouvernement ecclésiastique. Vous ne vous expliquâtes point alors, Messieurs, sur cette forme légale que nous avions solennellement réclamée; et sans nous déclarer si votre intention était de procéder d’uue manière définitive, ou purement préparatoire, à la nouvelle constitution du cierge, vous la réglâtes promptement sans être arrêtés par aucune opposition, ni même par aucune représentation qui eût été dans notre bouche un dangereux aveu de votre compétence. La voix publique uous apprit ensuite que le roi avait sanctionné vos décrets vers la lia du mois d’août, mais qu’il les avait 6 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |27 novembre 1790.) 82 adressés au souverain pontife, dont l’intervention était nécessaire pour les rendre exécutoires en les munissant du sceau de l’autorité pontificale. Nous avons attendu avec la plus religieuse résignation la décision du vicaire de Jésus-Christ, dont nous avions invoqué nous-mêmes la juridiction, conformément aux règles invariablement suivies dans l’Eglise de France depuis plusieurs siècles. La réponse du Saint-Père Pie VI, que la France aurait dû choisir pour arbitre, si la Providence ne nous l’avait désigné pour juge, n’est point encore parvenue au roi, et ce délai ne doit point nous surprendre. Le souverain pontife n’a reçu la lettre de Sa Majesté que dans le mois de septembre. Or, les congrégations de la cour de Rome vaquent toujours durant les mois de septembre et d’octobre', et ce n’est par conséquent que depuis la Toussaint que les conseils ordinaires du Saint-Siège ont pu reprendre leur activité. L’important examen d’une constitution qui détruit et renouvelle toute l’organisation du clergé de France, exige évidemment un intervalle dilatoire, dans une cour surtout qui ne précipite jamais ses déterminations et dont la lente et profonde sagesse est toujours soumise aux délais qu’exige nécessairement une discussion vaste et approfondie. Personne n’ignore que Sa Sainteté a déjà formé, d’après les instances du roi, une congrégation extraordinaire de cardinaux. Chacun de ces commissaires apostoliques, profondément versé dans l’étude de l’histoire de l’Eglise et du droit canon, s’environne de plusieurs théologiens qui forment son conseil particulier; et il apporte ensuite le résultat de ces conférences, en tribut an sénat auguste présidé par le souverain pontife, qui compose sa décision suprême de toutes ces opinions savantes destinées à répandre la lumière sur les questions soumises à son jugement. Telle est la marche ordinaire que le chef visible de l’Eglise suit dans toutes ses délibérations lorsqu’elles intéressent la société chrétienne. Ce ne sera pas sans coule duos une occasion si importante et dans une matière si compliquée et si diificile, que le successeur de saint Pierre s'affranchira des précautions ordinaires de sa sagesse. Il ne faut donc pas que l’impatience naturelle nue l’on reproche à notre nation refus'' au Saint-Siège le temps nécessaire à la maturité de cet examen. Ou ne va pas si vite quand on ne doit jamais revenir sur ses pas. Mais pour rassurer les esprits inquiets, qui, n’ayant jamais réfléchi, ne pardonnent pas, et peut-être même ne conçoivent pas la réflexion, j’observerai, Messieurs, que le pape, à qui le divin auteur de la religion chrétienne a déféré une prééminence d’honneur et de juridiction dans toute l’Eglise, ne peut prendre que trois différents partis dans cette circonstance. Voici, en effet, les expédients exclusifs auxquels sa sagesse est réduite. Ou Sa Sainteté ne répondra point ; ou elle acceptera purement et simplement la proposition du roi; ou enliii (die ne croira fias devoir consacrer vos décrets du sceau de son autorité. _ ü est impossible de supposer que le pape ne réponde rien. Les égards qu’il doit à une si grande nation, à une portion si précieuse de l’Eglise catholique dont il est le chef, nous sont un sur garant de l’extrême intérêt avec lequel il examine, dans ce moment même, tous les moyens de concilier, autant qu’il est en son pouvoir, le vœu de la majorité de cette Assemblée, avec sa conscience, son honneur et ses principes. Sa Sainteté éludera d’autant moins une explication, en réduisant son éminente dignité à un ministère purement passif qui nous laisserait en butte aux plus grands dangers, que son silence serait, aux yeux de l’Europe, une approbation. 11 paraîtrait bien extraordinaire, et sans doute bien indécent, que le roi, ayant consulté et requis le Saint-Siège, on n’attendît pas une réponse, qui, dans les formes ordinaires, n’a pas encore pu lui parvenir. Si le chef de l'Eglise devait accepter purement et simplement la demande qui lui est adressée relativement au clergé de France, ce moyen doux, légal, pacifique, religieux, ne serait-il pas préférable aux voies de rigueur que l’on vous propose? Quelle étrange manière d’opérer une réforme, que de la commencer par une persécution! Ces convulsions tyranniques, ces remèdes violents et extrêmes, qui sont aux yeux de tous les partis le plus grand des malheurs, ne doi-vent-il pas être, au jugement même de nos adversaires, la dernière des ressources? Quels justes et éternels reproches n'auriez-vous pas à faire si, par je ne sais quelle misérable ostentation d’autorité, vous préfériez un bouleversement, qui ne ferait que des victimes, à de sages tempéraments qui termineraient tous les débats, en conciliant tous les espriis? Ah! Messieurs, qu’un homme dont le pouvoir est toujours précaire et passager, doute de sa force, et qu’il se hâte de mettre sa volonté à la place de sa raison, je le conçois; mais qu’une nation, dont la puissance est permanente et éternelle, craigne d’associer le temps, ce grand conseiller des hommes, à l’exécution de ses desseins, pour les accomplir sans secousse et sans obstacle, c’est une pusillanime précipitation, une honteuse méfiance indigne des représentants d’un grand peuple, qui doivent toujours ménager l’opinion, même en opérant le bien ; parce que, pour des législateurs, la patience est le courage, et la sagesse le génie. Enfin, si le pape refuse d’approuver vos projets, vous pèserez ses raisons dans votre justice; et il sera temps alors de délibérer sur une résolution définitive, qui, clans tes règles communes de la prudence, ne doit jamais être un expédient provisoire. Quant à nous, Messieurs, qui vous avons solennellement déclaré, depuis plus de cinq mois, par l’organe de M. l’évêque de Clermont, non seulement que nos principes ne permettraient pas, eu matière spirituelle, d’adhérer à nos nouveaux décrets relatifs au clergé, mais que nous n’y prendrions même aucune" part, et que nous nous interdirions jusqu’à la discussion de votre plan, vous ne devez pas être surpris, sans doute, que nous ne puissions pas, sans l’intervention de l’Eglise, concourir aujourd’hui à son exécution. Notre commune résolution vous a été notifiée dans cette tribune, et vous ne l’avez point désapprouvée. Vous avez donc pu prévoir notre réponse, depuis que vous avez connu nos réserves légales. Il serait bien étrange, sans doute, que les mômes orateurs, qui n’ont pas osé combattre nos moyens de récusation dans le mois de juin, fussent assez inconséquents et assez injustes, pour nous eu faire un crime dans le mois de novembre. S’il faut en croire nos adversaires (car nôtis en avons et beaucoup parmi nos juges), ce refus de notre adhésion est purement arbitraire. C’est une aveugle jalousie de puissance qui nous égare, et nous compromettons, sans aucun véritable intérêt, la tranquillité publique dans tout [27 novembre 1790.] [Assemblée nationale ] le royaume. Il nous importe donc, Messieurs, d’écarter d’abord cette objection tantrebattue dans le rapport amical et conciliatoire de M. Voidel, renforcé de toute la théologie de M. de Mirabeau. Nous sommes impatients de vous révéler cet intérêt vraiment noble, puisqu'il est fondé sur le devoir, cet intérêt national, cet intérêt religieux, qui commande aujourd’hui notre résistance. Si les murmures, qui m’interrompent dans ce moment, me décèlent d’avance votre opinion, où est donc votre impartialité judiciaire? S’ils m’avertissent au contraire de prouver ce que j’avance, ils sont prématurés; car il faut bien que j'énonce ina proposition, avant d’en fournir la preuve. La justice et l’humanité vous prescrivent cette patience de discussion, que le seul ordre naturel des idées me donnerait le droit d’attendre de vous, si la bienséance ne suffisait pas pour vous forcer d’écouter les victimes que l’on veut vous faire immoler, sans leur montrer une colère qui pénètre d’horreur, quand elle est jointe à l’autorité suprême. Je vais donc prouver que nous ne sommes pas sans intérêt, dans l’opposition légale et suspensive que nous avons manifestée. Eh! Messieurs, vous renverserez d’un souffle tous ces obstacles, qui vous irritent. La toute puissance que vous avez usurpée ne doit donc pas nous emnêcher d’élever devant vous les barrières de la raison, puisque vous avez d'avance la certitude de les franchir. Oui, Messieurs, il est un intérêt noble, que nous pouvons avouer hautement, un intérêt que la loi sacrée du dépôt met pour nous au rang des devoirs, un intérêt qui se lie à la perpétuité de la foi dans cet Empire, l’intérêt de la stabilité de nos places, et de l’inamovibilité de nos titres. C’est une dette que nous avons contractée envers nos successeurs, lorsque nous avons reçu notre institution canonique. Je le répète donc, avec toute l’intrépidité de la conviction la plus intime, et eu portant à tous mes adversaires le déli de me répondre, je ne dis point par des murmures insignifiants, mais par des raisons plausibles: il est de l’intérêt de la religion, il est de l’intérêt des peuples eux-mêtnes, que les ecclésiastiques n’obtempèrent point, sans le corn ours de la puissance spirituelle, à vos nouveaux décrets relatifs au clergé. L’intérêt de la religion est, sans doute, que la chaîne apostolique des pasteurs se perpétue dans ce royaume, auquel sa primogéniture, dans l’ordre de la loi, donne un rang si éminent parmi les autres empires chrétiens. Or, comment s’y perpétuerait-elle, si le ministère pastoral était amovible; s’il reposait sur des bases toujours vacillantes; si les liens sacrés des familles spirituelles, entre le pasteur et le troupeau, étaient dissolubles au gré des puissances temporelles ; si l’on pouvait exclure arbitrairement des églises les évêques et les curés, qu’une institution canonique et régulière y a placés? Que deviendrait enün la discipline de l’église chrétienne, si vous pouviez, sans consulter aucune de ses règles, renverser un siège épiscopal, que votre seule autorité n’a point établi, et destituer ainsi des ministres de la religion, que vous n’avez jamais institués? ~ Ici, Messieurs, pour mieux découvrir ces contradictions qui démontrent votre incompétence, remontons à l’origine de la puissance législative qui appartient à l’Eglise. Le divin fondateur de la société chrétienne a nécessairement conféré à ses apôtres et à leurs successeurs l’autorité nécessaire à sa perpétuité; le pouvoir de prêcher la doctrine qu’il avait enseignée; d’administrer les ] 83 sacrements qu’il avait établis ; d’instituer les ministres qu’il avait chargés de cas fonctions sacrées, et par conséquent, le droit de déterminer le territoire de leur juridiction, puisque cette mission est la mesure de leurs devoirs; enfin la faculté de faire des lois et des règlements indispensables pour développer le véritable esprit de la religion. De là naissent et la nécessité de la discipline, et la compétence exclusive de l’Eglise qui peut seule en rédiger le code sacré. Ce serait une hérésie en théologie, et une absurdité en droit public, que de méconnaître en ce genre son autorité législative, puisque, sans cette prérogative incontestable, il lui serait impossible de gouverner la société des fidèles. L’abbé Fleury a démontré, dans son septième discours sur l’histoire ecclésiastique, que le droit d’établir des canons, ou des règles de discipline, était un droit essentiel, ou plutôt inhérent à l’Eglise, qui en a joui sous les empereurs païens; et ce droit ne peut lui être ôté par aucune puissance. Quand on a argumenté, dans cette tribune, contre l’autorité de la discipline ecclésiastique, en prouvant qu’elle n’était point invariable, on n’a point abordé le véritable état de la question, on ne l’a pas même bien compris. Il faut distinguer en effet les principes de la discipline, des points particuliers de discipline. Par exemple, il est des points fondamentaux de discipline établis par Jésus-Christ lui-même, tels que la primauté d’honneur et de juridiction qui appartient, au pape, dans toute l’Eglise, la supériorité des évêques sur les prêtres et sur les autres ministres inférieurs du culte. Ces points de discipline ne peuvent jamais être changés dans ce qui leur est essentiel ; et aucun canon ne saurait briser légitimement ces grands ressorts de la hiérarchie ecclésiastique. Mais la manière dont la juridiction du souverain pontife et i’autorilé des évêques doivent être exercées, peut être déterminée par l’Eglise, relativement aux temps, aux lieux et aux personnes; et l’Eglise a toujours usé de ce droit qu’elle a reçu de Jésus-Christ, dans les conciles où elle a déployé la plénitude de sa puissance; d’où il résulte que les peins particuliers de discipline peuvent varier, ou du moins être différemment modifiés, au lieu que ses principes généraux sont invariables. La tradition seule conserva d’abord ces premières régies de discipline qui furent ensuite écrites, sous le nom de canons des apôtres et de constitutions apostoliques. L’un des objets les plus importants do coite administration sacrée a toujours été, pour l’ordre pastoral, la détermination et le partage des juridictions et des territoires. Ne remontons pas, pour nous en convaincre, àcette premièreanti juitéoù nous verrions des évêques qui, après avoir éclairé du flambeau de la révélation, les peuples plongés dans les ténèbres de l’idolâtrie, établissaient avec l'applaudissement do toutes les églises, des chaires épiscopales dans toutes les contrées qu’ils avaient conquises à la foi. Ce n’est point à l’époque de ces grandes conquêtes spirituelles, ce n’est qu’après la propagation de la religion chrétienne, dans le quatrième siècle, que l’ordre commun du gouvernement de l’Eglise a pu être détermine. A peine les successeurs des apôtres ont-ils ainsi étendu l’empire de leur divin maître, qu’ils se hâtent d’en régler l’administration par l’autorité | des lots; et aussitôt nous voyons dans les con-I ciles les canons qni désignent les villes épisco-| pales et les cités métropolitaines et patriarchales. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 84 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTA 1RES [27 novembre 1790.] Ces mêmes canons défendent dès lors aux évêques d’exercer leurs fonctions hors du territoire dans lequel leur juridiction est circonscrite. Il serait aisé de composer un volume entier, de la citation littérale de ces anciens canons. Nous y trouverions que l’Eglise a souvent refusé de changer îa distribution des métropoles ecclésiastiques, lorsque la puissance temporelle déplaçait les métropoles civiles. Ainsi, dans le cinquième siècle, le pape Innocent Ier décida que, l’empereur ayant divisé l’une de ses provinces en deux métropoles, on n'y établirait cependant point deux sièges métropolitains, parce que l’Eglise ne devait pas suivre la perpétuellemobilité des choses humaines, et qu’elle n’admettait point dans sa police, les dignités qui résultent uniquement de l’administration civile des territoires (1). L’Eglise seule a donc érigé toutes tes chaires épiscopales de l’univers ; et la puissance civile n’a jamais partagé avec elle cette organisation et cette distribution de la puissance ecclésiastique. M. Bossuet observe que, dès le premier de tous les conciles, Rassemblée des apôtres à Jérusalem, Saint-Paul et Saint-Barnabé furent chargés, par le collège apostolique, de porter ses décisions à toutes les églises. Celte forme régulière de déterminer la juridiction par la seule mission, n’a jamais été interrompue dans la discipline ecclésiastique. Les commissaires impériaux qui assistèrent au concile de Ctialcédoine , reconnurent eux-mêmes que c’était aux évêques seuls, à prononcer sur les prérogatives du métropolitain de Tyr. Le même esprit et les mêmes principes fixèrent, dès la première race de nos rois, le droit commun de l’Église gallicane. Lorsque Ghildebert écrivit à Léon, archevêque de Sens, pour lui proposer l’érection d’un nouvel évêché à Melun, ce prélat s’y opposa, en appuyant son refus sur les lois de l’Eglise qui ne permettaient pas, disait-il, de retrancher malgré lui de sa juridiction, une partie de son diocèse. Les princes ont souvent concouru par leur protection, plus encore que par une influence directe, à rétablissement des évêchés et des métropoles; mais l’autorité de l’Eglise a toujours prédominé dans ces institutions; et les papes y ont si constamment participé, que l’institution des évêchés leur est aujourd’hui spécialement réservée, parce que le droit demeure dévolu au Saint-Siège, dit l’abbé Fleury, depuis que le concours persévérant de la volonté des évêques et des peuples, lui en a abandonné les soins et les charges. Ainsi, Messieurs, nous ne reconnaissons point d’autre mission légitime, point d’autre autorité spirituelle dans l’Eglise, que celle qui va prendre sa source dans le centre de l’unité catholique. Le corps des pasteurs forme, en quelque sorte, un grand arbre dont le Saint-Siège est pour ainsi dire le tronc. Toutes les nouvelles branches, qui dans l’usage actuel ne partiraient pas de ce tronc sacré, seraient stériles et frappées de mort. Vouloir suppléer à cette mission apostolique, par la délégation de la puissance civile, c’est renouveler dans l’Eglise l’ancienne querelle des investi) Quod seisci taris utrùrn divisis, imperiali judicio provinciis et duo métropoles liant, si duo métropolitain episcopi debeant nominan Y Aon verè visum est ad mobi-litatem nccessilatum mundanarum, l)ei ecclesiam com-mulari, honoresque aut divisiones imperii perpeli quas pro suis cousis laciendas duxerit imperator. Ergô sccun-dùm pristinum provinciarum moivm metropolilauos opis-copos convenu nominan [Collection des conciles du père Lunhe, t. il, col, 1.209) , titures par la crosse et par l’anneau, prétention à jamais insoutenable dans laquelle les empereurs ont succombé depuis plusieurs siècles. Or tous vos décrets relatifs aux nouvelles organisations diocésaines, nous rappellent cette cause déjà solennellement jugée en faveur de l’Eglise, qui a l’oçu de Jésus-Christ, sans partage, le privilège de dispenser le trésor des grâces spirituelles, et le droit de se gouverner seule et par elle-même. Il est des évêchés que vous voulez supprimer; mais comment dépouillerez-vous ces prélats réformés, sans l’aveu de l’Egiise, d’une juridiction qu’ils n’ont pas reçue de vous? Il est des diocèses dont vous étendez les limites; mais comment investirez-vous les premiers pasteurs d’une autorité spirituelle qui ne vous appartient pas à vous-mêmes? Enfin il est de nouveaux sièges que vous prétendez ériger, comme s’il s’agissait simplement d’établir quelques tribunaux de district; mais de quel droit élèverez-vous, par une violation manifeste de territoire, des chaires épiscopales dans l’Eglise, sans l’intervention, ni d’un concile, ni de son chef suprême qui peut seul, dans l’ordre actuel, en asseoir le fondement sur la pierre augulaire? De quelle puissance ces nouveaux évêques recevront-ils la mission sacrée, sans laquelle rien ne saurait effacer la tache originelle de l’intrusion ? Usurper ainsi, Messieurs, la haute juridiction de l’Eglise, ce ne serait pas seulement porter la main à l’encensoir : ce serait l’arracher avec violence des mains des légitimes pasteurs, pour vous en emparer vous-mêmes, en vous précipitant dans le schisme. Cette compétence exclusive de l’Eglise, en matière de discipline, ou d’administration ecclésiastique, a été revendiquée solennellement par M. Bossuet, dans le septième livre de l’histoire des variations. Il semble que ce grand homme veuille s’attacher uniquement aux irrégularités et aux nullités qui résultent des usurpations de la puissance civile sur la juridiction ecclésiastique, lorsqu’il raconte les causes de la défection de la foi catholique parmi les Anglais. « L’Eglise « d’Angleterre, dit-il, se glorilie, plus que toutes « les autres églises protestantes, de s’êire réfor-« mée selon l’ordre, et par des assemblées légiti-« mes. Mais pour y garder cet ordre dont on se « vante, le premier principe qu’il fallait poser, « était que les ecclésiastiques tinssent du moins le « premier rang dans les affaires de la religion. On « fit tout le contraire, et dès le temps de Henri VIII, « ils n'eurent plus le pouvoir de sen mêler sans « son ordre. Toute la plainte qu’ils en firent, fut « qu’on les faisait déchoir de leurs privilèges ; « comme si se mêler de la religion était senle-« ment un privilège, et non pas le fond et i’es-« sence de l'ordre ecclésiastique. Maison pensera « peut-être qu’on les traita mieux sous Edouard, « lorsqu’on entreprit la réformation, d’une manière « que M. Bnrnet croit bien plus solide? Tout au « contraire�lsfurent obligés de demander, comme « une grâce au parlement, du moins que les af-« faires de la religion ne fussent point réglées , « sans que Von eût pris leur avis, et écouté leurs « raisons. Quelle misère de se réduire à être écou-« tés, eux dont Jésus-Christ a dit, qui vous écoute, « m'écoute ! Mais cette condescendance même, dit « notre historien, ne leur réussit pas... Il ne fau-« drait plus rien dire après avoir rapporté de si « grands excès. » C’est aiusi, Messieurs, que Bossuet explique la décadence de l’Eglise d’Ào-gleierre. C’est ainsi qu’il raconte l’oppression qu’éprouvèrent les évêques, en subissant la loi [Assemblée nationale.] AilCHlYES PARLEMENTAIRES. [27 novembre 1790.] 85 dans une matière dont ils étaient les juges nécessaires. Rapprochez, dans ce moment, le souvenir de ces déplorables entreprises de la puissance temporelle, rapprochez-le, dis-je, de l’influence que vous avez donnée à la puissance ecclésiastique, en décrétant, sans nous et malgré nous, le bouleversement de la discipline de l’Eglise, sous le précieux prétexte de donner une constitution civile au clergé. Comparez, jugez! et plaise au ciel que la fatale issue d’un système qui a éteint la foi en Angleterre, ne soit pas l’exemple et le présagé des malheurs qui menacent aujourd’hui la religion dans le royaume! Si la puissance civile est autorisée à prononcer ainsi arbitrairement, et sans la participation de l’Eglise, la suppression des cures et des évêchés, toutes ces magistratures sacrées deviennent amovibles. Les pasteurs ne sont plus unis à leurs troupeaux par cette sainte alliance qui les attachait les uns aux autres, comme un père à ses enfants; leurs titres ne sont plus que des commissions révocables à volonté. Je ne vois plus dans l’ordre pastoral que des cosmopolites sans parti, sans domicile fixe, sans famille spirituelle; et je demande si les peuples doivent bénir une innovation, qui, en rendant l’existence légale des ministres du culte, toujours précaire et incertaine, les prive des secours, des conseils, des exemples d’un pasteur qui ne peut plus se dévouer à son ministère, lorsqu’il est incertain de son état? Il est évident, Messieurs, que si vous pouvez abolir aujourd’hui cinquante-trois évêchés dans le royaume, sans aucune forme légale, et par un acte absolu de votre volonté toute puissante, vous aurez la faculté de supprimer arbitrairement, en un instant et sans contradiction, tous les titres de bénéfices que vous conservez encore dans l’Empire. Vous expulserez donc à votre gré tous les pasteurs qui auront le malheur de vous déplaire, et vous n’aurez pas même besoin de les accuser pour les proscrire? Me vous êtes-vous donc proposé que de déplacer le despotisme en France, et de vous l’approprier au lieu de l’anéantir? Eh! par quelle inconcevable contradiction voudriez-vous nous soumettre à ces dépositions arbitraires, après avoir mis la stabilité de tous les autres états, sous la garantie tutélaire de la loi? Quoi ! vous avez décrété qu’un sous-lieutenant d’infanterie ne pourrait pas être destitué de son emploi, sans le jugement préalable d’un conseil de guerre : et vous prétendez refuser la même inamovibilité et les mêmes garanties judiciaires à vos pasteurs! Par où ont-ils doue mérité cette exhérédation de la loi? On ne cesse d’abuser ici contre nous des principes d’une liberté qui nous sera toujours précieuse, pourvu qu’elle ne dégénère point en licence. Eli bien! c’est cette liberté1 légale que nous invoquons. C’est la conséquence immédiate de la parité de vos décrets, que nous réclamons dans cette Assemblée, eu demandant que Pou ne puisse pas ériger ou supprimer no. titres, sans recourir aux formes canoniques. Les formes de la loi sont la protection, ou plutôt la propriété commune de tous les citoyens. Comment voulez-vous que nous renoncions au seul bouclier qui puisse nous défendre; et que nous reconnaissions la légitimité de ces despotiques dépositions qui feraient de tous vos pasteurs, des mercenaires livrés, de leur propre aveu, à la merci de toutes les haines, de tous les caprices, de tous les changements administratifs, qui compromettraient chaque jour leur existence légale? Remarquez, Messieurs, que je suis loin de contester le droit de supprimer un titre de bénéfice, lorsque le bien public l’exige. Une pareille prétention, je le sais, serait insoutenable; mais je dis qu’il est impossible d’attaquer mes principes avec quelque pudeur, lorsque je me réduis à demander que vous ne soyez point affranchis des formes légales dans vos suppressions. Ce jugement préalable est un droit de citoyen, dont vous ne pouvez pas nous dépouiller. Vous reconnaissez que tous les évêques de l’Eglise de France ont été légalement institués; les croyez-vous légalement destitués, lorsque, sans leur imputer le moindre délit, sans les traduire en cause, sans autre sentence qu’une réforme de -propre mouvement , vous les sacrifiez, en un instant, à un nouveau mode d’administration temporelle? Est-ce ainsi que s’opère la vacance d’un siège épiscopal? Les pasteurs qui abandonneraient ainsi leurs troupeaux, déserteraient leur église, mais ils n’anéantiraient pas leur titre. Les lois ont sagement établi que la démission volontaire elle-même, ne fait pas vaquer un bénéfice, jusqu’à ce qu’elfe ait été légalement acceptée. Or, si le concours du collateur est nécessaire pour ouvrir une simple vacance, même par voie de démission, une suppression pourra-t-elle s’effectuer sans le concours ni du titulaire, ni du supérieur ecclésiastique? Procéder ainsi, Messieurs, c’est laisser une église vide, ce n’est pas prononcer l’extinction d’un titre, qui subsistera toujours jusqu’à ce qu’un juge compétent l’ait supprimé. Vous n’exigerez pas sans doute sérieusement, que nous nous arrêtions à la misérable diffleu lté dont on a osé se prévaloir dans cette tribune, pour écarter l’invincible ascendant de ces principes de droit public, quand on a dit que le corps constituant était affranchi de toutes les règles. Si les règles n’existent plus, lorsque cette prétendue autorité que vous vous arrogez sans titre et sans mission, se déploie dans un Etat, comment avez-vous pu être constitués vous-mêmes? Si vous nous ramenez à l’origine de la société; si vous supposez que nous sortons des forêts de la Germanie, où est donc l’acte de cette convention qui vous a constitués corps constituant? Non ce n’est pas de la nation française, c’est de vous seuls que vous tenez cette prétendue et extravagante mission. Ne voyez-vous pas qu’à force d'étendre votre autorité, vous la frappez par ses fondements? Nous vous déclarons que nous ne reconnaissons pas, que nous ne reconnaîtrons jamais cette autorité constituante, dans la réunion, des députés des bailliages, que le roi seul a convoqués, sans prétendre abdiquer sa couronne, pour la recevoir de vos mains. Nous vous répétons, surtout, que si vous étiez un corps constituant, vous auriez le droit de définir, de diviser et de déléguer tous les pouvoirs, mais que vous ne pourriez en retenir aucun, parce que la réunion des pouvoirs est l’essence du despotisme, et que.ee despotisme n’a jamais pu être institué légalement. Vous ue serez plus dangereux, Messieurs, le jour où vous déclarerez à la nation que cette autorité despotique vous est dévolue. Il nous suffira que vous manifestiez franchement vos prétentions, pour établir invinciblement la nullité radicale de tous vos décrets. Pardonnez, Messieurs, si ma raison ne fléchit pas ici devant la logique des murmures. Je u'entends pas la langue que vous me parlez eu tumulte, lorsque vous n’articulez aucun mot. C’est ainsi qu’on arrête un opinant, je le sais bien ; ce n’est pas ainsi qu’on le réfute. Si vous voulez me té-I pondre, voici les assertious que je vous somme gg [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, de combattre. Vous n’êtes point un corps constituant. Si vous prétendez l’être, vous n’êtes plus un corps constitué ; si vous l’étiez en effet, votre mission se bornerait à décréter une Constitution, sans vous autoriser à exercer aucun pouvoir politique, sous peine de vous dénoncer aussitôt à vous-mêmes, à la nation, comme une assemblée de tyrans. Je vous avertis que la conséquence naturelle de vos bruyante? et indécentes clameurs, c’est que vous êtes réduits à la nécessité de m’interrompre continuellement, parce que vous sentez l’impossibilité de me répondre. Examinonsà présent si vous avez, commecorps législatif, le droit de vous affranchir, à notrepré-judice, de ces formes légales que vous ne pouvez méconnaître en votre prétendue qualité de corps constituant. Tout ce qui protège les droits des citoyens ne peut leur être refusé par des législateurs. On ne peut eu effet nous dépouiller, au nom de la loi, d’une prérogative q e la loi nous avait accordée pour assurer son propre empire. Or, les formes légales sont les garants de nos droits. Vous ne pouvez donc pas nous en contester le recours. C’est à vous à décréter les lois, mais ce n’est point à vous à les appliquer, à les faire exécuter, et encore moins àvous soustraire vous-mêmes à leur joug honorable et à nous apprendre à les fouler aux pieds. Tout homme qui sait calculer les conséquences des principes politiques, doit abjurer une patrie, où les législateurs sont magistrats et où les mêmes représentants du peuple qui ont fixé la législation, prétendent influer sur l’administration de la justice. Mais, que dis-je, Messieurs, ce n’est pas seulement à cette monstrueuse confusion de pouvoirs que l’on vous invite. On veut que vous exerciez, avec le ministère judiciaire, tous les pouvoirs publics : le pouvoir ecclésiastique, le pouvoir exécutif et je dirais le pouvoir judiciaire, si cette autorité était au nombre des pouvoirs politiques, mais il est de i’essence des pouvoirs politiques ; d’être indépendants les uns des autres, et l’autorité judiciaire dépend essentiellement du pouvoir légi-iatif qui dirige ses décisions, et du pouvoir exécutif qui les fait observer : d’où il résulte qu’elle n’est point un troisième pouvoirpolitique, mais une simple partie intégrante du pouvoir exécutif. Je dénoncé dans ce moment à la nation tout entière cette scandaleuse coalition de tous les pouvoirs que vous prétendez exercer ; je vous la dénonce à vous mêmes comme la violation la plus manifeste de vos décrets. S’il est vrai que vous puissiez supprimer de plein droit les cures et les évêchés du royaume, et qu’une loi générale opère ces extinctions particulières, vous agissez à la fois en législateurs, eu pontifes, en juges, et il ne manque pius à votre magistrature universelle que le ministère des huissiers. Ah! si l’on disait, à cinq cents lieues de Paris, qu’il existe dans le monde une puissance à laquelle sont dévolues les fonctions depontifes, de législateurs et de juges, ce ne serait pas sans doute dans cette capitale, ce serait dans le divan de Constantinople ou d’Ispahan que l’on croirait devoir en chercher le modèle. C’est dans ces malheureuses contrées, où le sceptre de fer du despotisme tient la raison, la justice, la liberté honteusement asservies, que l’on voit d’imbéciles sultans, s’ériger tour à tour parle lait, en législateurs ou plutôt en lois vivantes, en califes et en cadis ; mais ce ne sera pas dans une nation qui parle de liberté, que les principes constitutifs du despotisme seront opposes avec succès à une , [27 novembre 1790,] classe entière de citoyens, qui réclament la protection ordinaire des lois. Admettez-nous donc, Messieurs, à l’ancien droit commun du royaume, aux prérogatives de cette nouvelle Constitution qui n’a pas pu légitimer contre nous seuls le despotisme. Le dernier des citoyens, retiré dans son humble cabane, ne doit pas en être chassé sans un jugement légal. Telle est la forme sacrée des voies de droit, auxquelles on ne peut substituer par des voies de fait ; et ce sont aussi des voies de fait que vous prenez pour écarter, par la force, des titulaires qui n’ont pas encore été jugés. Si l’on supprime aujourd’hui un seul évêché sans suivre les formes reçues dans l’Eglise il n’y aura pas dans le royaume un seul prélat qu’une nouvelle loi ne puisse déposer demain; et il est de principe qu’une loi ne saurait jamais être légitimement dirigée contre un seul individu. Vous prétendez dans ce moment, vous M. de Menou, en votre qualité de théologien de notre comité militaire, qu’en avançant ces principes que vous ne connaissez pas, dites-vous, je fais l’apologie du comité ecclésiastique, et que je sers ainsi la chose publique sans le vouloir? Sans le vouloir ! J’ignore si votre théologie vous a appris à mieux deviner mes intentions, que votre logique ne vous a enseigné l’art de réfuter mes raisonnements. Eh b i e n 1 je continue donc à servir la chose publique à votre gré ; j’arrive avec vous à l’article de notre comité ecclésiastique, dont votre indiscrète citation semble me recommander la gloire, et qui ne doit pas être étranger en effet à cette discussion. Lorsque l’Assemblée nationale a rendu ses� décrets, sur quelque matière que ce puisse être, elle les présente à la sanction du roi qui est chargé de leur exécution; et notre ministère législatif est dès lors consommé. Si notre comité ecclésiastique s’était contentéde nous communiquer ses projets incendiaires, nous les aurions jugés, sans pouvoir lui faire un crime des hérésies ou même des persécutions qu’il nous proposait d’adopter; mais ses entreprises ont été la source principale des troubles qui agitent la France; et je ne saurais m’élever avec assez de force contre cette bureaucratie de nos comités, pins redoutable, plus despotique mille fois que la bureaucratie des ministres. Nos comités sont établis pour nous seuls. Ce sont des sections particulières de cette Assemblée, que la nation ne connaît point. Nos comités ne devraient jamais correspondre avec les provinces; et cependant ce sont eux, qui souvent, à notre insu, gouvernent le royaume, et eu règlent les destinées. Votre comité ecclésiastique, où je ne vois pas un seul évêque, et où l’on trouve à peine un petit nombre de curés, connus par la haine qu’il ont vouée au clergé, exerce tous les jours une prérogative qui n’appartient pas à l’Assemblée nationale elle-même. Non, Messieurs, vos prétentions ne sont pas plus des droits, que vos murmures ne sont des raisons. Non, vous n’ètes pas autorisés à correspondre individuellement et législativement avec les citoyens. C’est à la nation tout entière que vous devez parier, si vous ne voulez pas que vos relations extérieures soient, aux yeux de toute l’Europe, des certificats authentiques de tyrannie. Votre comité ecclésiastique ne cesse pourtant d’exciter la fermentation la plus dangereuse, dans toutes les parties de l’Empire, en correspondant sans mission avec les bénéficiers, avec des corps ecclésiastiques, avec les municipalités et les départements. C’est lui qut osa leur transmettre les ordres que vous n’avez pas le [Assemblée nationale. | ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (27 novembre 1 790. j 87 droit de donner. C’est lui qui, par l’organe d’un chef de bureau, qu’il appelle fastueusement son président, a écrit aux corps administratifs : Osez tout contre le clergé, vous serez soute?ius. Vous avez beau m’interrompre: vous ne perdrez pas un mot de ma censure. Vous demandez à répondre? Vous avez en effet grand besoin d’une apologie. Attendez donc que l’accusation soit entière; car je n’ai pas encore tout dit, et il faut tout dire aujourd’hui pour n’y plus revenir. Je veux tirer enfin de vous la justice que me promet l’opinion publique, en révélant à cette Assemblée l’esprit dont vous êtes animés. C’est votre comité ecclésiastique, Messieurs, qui a usurpé le pouvoir exécutif, et qui s’est fait modestement roi de France, en préjugeant à son profit la vacance du trône, pour toute la partie des décrets qui nous concernent. G est lui qui a écrit dans toutes nos provinces des lettres aussi flatteuses que barbares, dans lesquelles, manquant aux lois les plus communes de la décence, il a adopté les formules les plus hautaines des chancelleries allemandes. C’est lui qui s’est érigé en mandataire de l’Assemblée nationale; qui s’est chargé de faire exécuter vos décrets sans vos ordres ; qui a prévenu la réponse du Saint-Siège que vous sembliez attendre avec. tant de modération; lui qui a provoqué les persécutions et les soulèvements populaires qui vous sont dénoncés ; lui qui s’est emparé de toutes les autorités, qui a aggravé la rigueur de vos décrets, en enjoignant aux municipalités de fermer les églises des chapitres, d’interdire aux chanoines l’habit canonial, l’entrée du chœur et les fonctions de la prière publique. Qu’il parle donc maintenant ce comité et qu’il nous dise en vertu de quel droit il adonné de pareils ordres; qu’il nous dise quel est le décret qui l’a institué pouvoir exécutif, et qui l’a autorisé à renouveler les horreurs de Huns, des Visigolhs et des Vandales, en condamnant, à la solitude d’un vaste désert, ces sanctuaires d’où les Lévites sont bannis comme des criminels d’Etat, et autour desquels les peuples consternés viennent observer, avec une religieuse terreur, les ravages qui attestent votre terrible puissance: comme on va voir, après un orage, les débris d’une enceinte abandonnée qui vient d’être frappée de la foudre! Je bénirai à jamais, Messieurs, le jour où il m’a été enfin permis de soulager mon âme, du poids d’une si accablante douleur, en vous dénonçant ces entreprises, ces abus d’autorité, ces excès de rigueur, ajoutés à tant d’autres rigueurs, ce luxe de persécution, qui a dicté ces paroles par lesquelles la haine, fatiguée de la multitude de ses victimes, et après avoir épuisé toutes les vengeances, semble encore implorer au loin contre nous de nouveaux oppresseurs, en promettant impunité et protection à tous ses complices : Osez tout contre le clergé, vous serez soutenus! Il me semble, dans ce moment, Messieurs, qu’on n’est plus si pressé de me répondre? Je continue donc, faute d’interlocuteurs, à servir seul la chose publique, et je laisse là votre comité, pour discuter les moyens de l’un de ses principaux oracles. M. de Mirabeau, en nous lisant une dissertation théologique, dans la cause dn clergé, a solennellement abjuré les principes qu’il professait, il y a trois ans, dans sonouvrage très peu lu, sur la monarchie prussienne . « C'est à l’Eglise , disait-il alors, c'est à l’Eglise dont la hiérarchie est de droit divin , à régler la manière de juger ses causes, et en qui réside la puissance d'ordonner sur chacune; car vouloir régler les droits de la hiérarchie chrétienne , établie par Dieu meme, comme dit le concile de Trente, c'est assurément le plus grand attentat de la puissance politique, contre la puissance religieuse. Voilà qu’elle était alors l’opinion de ce même adversaire, qui dénonce aujourd’hui au peuple, comme des ennemis de la nation, tous les ministres du culte qui professent encore la même doctrine. On dirait qu’il n’affecte de louer la religion, que pour s’autoriser à flétrir le clergé. A Lieu ne plaise, cependant, que je veuille rapprocher ici les principes édifiants, que M. de Mirabeau a posés en faveur du christianisme, des conséquences qu’il en a tirées. Il ne nous est permis de scruter les intentions de personne; et sans examiner les motifs de tant de ligures de rhétorique, nous nous emparons, au nom de la religion, de tous les hommages qui lui ont été rendus dans cette tribune. Nous pourrions peut-être observer, en résumant tout ce que nous avons entendu, qu’il est des hommes qui ont perdu le droit de louer publiquement la vertu, et de s’ériger en censeurs du vice; mais écartons les personnalités, et discutons la doctrine de M. de Mirabeau. Cet orateur a parfaitement saisi le grand principe nécessaire à sa cause, quand il a dit que chaque évêque, exerçant son autorité de droit divin, jouissait de la même juridiction dans toutes les églises; et qu’il était ainsi l’évêque universel, partout où il remplissait les fonctions épiscopales. Mon intention est de rapporter fidèlement la pensée, et même les expressions de M. de Mirabeau. Si je me trompe dans une citation si importante, il est présent : je le supplie de me redresser. M. de Mirabeau se lève pour répondre à cette interpellation , et je poursuis ainsi : Puisque vous voulez bien, Monsieur, répondre à ma (question, je vous supplie de déclarer, si vous n’avez pas dit que edaque évêque, jouissant d’une juridiction illimitée, était, en vertu de son ordination, évêque universel de toutes les églises ; et que cette proposition était la citation textuelle du premier des quatre fameux articles du clergé de France en 1682. Voilà, Monsieur, ce que j’ai cru entendre : je vous prie de me dire si ma mémoire ne m’a point trompé? « Non, Monsieur, me répond alors M. de Mira-« beau, ce n’est point là ce que j’ai dit. Ces ridi— « cules paroles ne sont jamais sorties que de « votre bouche. Voici ce que j’ai déjà dit. J’ai « avancé que chaque évêque tenait sa juridiction « de son ordination; que l’essence d’un caractère « divin était de n’être circonscrit par aucunes « limites, et par conséquent d’être universel, sui-« vaut le premier article de la déclaration du « clergé, en 1682. Voilà, Monsieur, ce que j’ai u dit; mais je n’ai jamais prétendu que l’ordina-« tion fît d’un évêque un évêque universel. » Eh bien ! nous sommes d’accord. C’est bien à ces mêmes assertions, Monsieur de Mirabeau, que je vais répondre; et j’espère qu’il me sera facile de vous faire expier, dans un instant, les applaudissements dont les tribunes viennent de couvrir voire naïve explication. Voici d’abord le premier article de la déclaration du clergé de 1682, que vous invoquez : « L’Eglise n’a aucun droit direct, ni indirect sur « le temporel des rois. « Voulez-vous entendre le second ? « L'autorité de l’Eglise est supérieure (' à celle du pape, non seulement dans les temps « de schisme, mais encore dans l’ordre commun, « conformément à la décision du concile de Cons-« tance. « Voici le troisième : « Le pape est sou-« mis aux canons; et c’est dans la charge émi-ii nente qu’il a reçue de veiller à leur exécution, 88 lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]27 novembre 1790.] « qu’il trouve le principe et l’exercice de la préé-« minence du siège apostolique. » Le quatrième, enfin, prononce que « les décrets du souverain « pontife ne sont irréformables que lorsqu’ils sont « acceptés par le consentement de l’Eglise uni-« verselle. » Vous voyez qu'il n’y a rien de commun entre votre proposition et ces quatre fameux articles. Il n’est pas même question de la juridiction épiscopale dans les quatre propositions de l’Eglise gallicane. Vous avez donc cité à faux pour en imposer à cette Assemblée; et la vérité a le droit de vous donner à vous, ou plutôt à votre écrivain, le démenti le plus authentique. Mais c’est à vous que je reviens; et j'e vais vous prouver : 1° que vous avez réellement dit ce que je vous ai attribué, et que les matières ecclésiastiques vous sont si peu familières, qu’en croyant se désavouer, vous venez de le confirmer de la manière la plus incontestable; 2° que ce que vous avez dit est absolument insoutenable en principes, et que vous n’entreprendrez pas même de me répliquer, sans vous engager plus avant dans le piège où vous êtes pris. 11 ne s’agit plus ici d’une erreur de mémoire ou d’un défaut de bonne foi. Raisonnons, et voyons si votre logique est plus sûre et plus fermé que votre érudition. Vous reconnaissez formellement nous avoir dit que chaque évêque tenait sa juridiction spirituelle de son ordination, et que ce pouvoir divin n’était circonscrit par les limites d’aucun diocèse. Or, si la juridiction d’un évêque, si sa puissance spirituelle n’est limitée par aucune circonscription diocésaine, chaque évêque a donc partout la même autorité ; chaque évêque a le droit d’exercer partout une juridiction commune à tous les territoires, et égale sur tous les territoires; chaque évêque est donc, dans l’Eglise, un évêque universel. Je ne vous ai donc pas cité à faux, puisque vous venez de répéter avec la plus édifiante simplicité ce que vous aviez dit d’abord, et ce que je vous avais fait dire. La seule différence qu’il y ait entre votre nouvelle version, et la première, c’est que vous venez, je ne sais pourquoi, de délayer dans une longue phrase, ce que, d’après vos maîtres, vous aviez d’abord exprimé dans un seul mot, évêque universel. Il est donc vrai, que vous avez réellement dit ce que je vous ai attribué; et si votre phrase signifie autre chose, elle ne peut plus avoir aucun sens. Je ne dirai point alors, en discutant votre réponse, que ces ridicules paroles ne sont sorties que de votre bouche; mais je dirai, et cette Assemblée dira comme moi, que votre proposition n’a pu sortir que d’une tête absurde. Remerciez à présent les tribunes, des applaudissements batteurs qu’elles vous ont prodigués, lorsque vous avez eu lu charité de me dénoncer à leur savante improbation, par votre désaveu. Si vous êtes tenté de répliquer, parlez : je vous cède la parole : — Vous ne dites rien ? — Cherchez tranquillement quelque subtilité, dont je puisse faire aussitôt une justice exemplaire. — Vous ne dites plus rien? Je poursuis donc, et après vous avoir restitué ces mêmes paroles que vous avez trouvées si concluantes dans votre bouche, et si ridicules dans la mienne, j’attaque directement votre argument. Je vais vous mettre en état de juger vous-même, des principes théologiques qui vous ont fait tant d’honneur dans les tribunes. Le caractère épiscopal est d’institution divine. C’est la puissance de l’ordre que l’évêque reçoit par sa consécration; mais la juridiction épiscopale émane de la mission de l’Eglise. C’est l’Eglise qui indique, à chaque pasteur, la portion du troupeau qu’elle lui confie. Un évêque, in partibus, à qui l’Eglise n’a pu donner aucune juridiction actuelle, n’en a réellement aucune, quoiqu’il ait la plénitude du caractère épiscopal ; et cependant, il résulterait de votre système qui n’admet aucune circonstance diocésaine, qu’un évêque, in partibus , aurait la même autorité spirituelle dans cette capitale, queM. l’archevêque de Paris. Jugez du principe par sa conséquence. Mais je vais vous parler un autre langage; et par une comparaison à votre portée théologique, je veux éclaircir cette doctrine que vous avez si mal comprise, lorsque vous l’avez professée avec tant de confiance dans cette tribune. Un juge est investi du droit déjuger qu’il reçoit du Corps législatif et du roi. S’il prétendait juger les différents étrangers à son ressort, et choisir à son gré ses justiciables, tous ses jugements seraient nuis, parce qu’ils excéderaient les burnes de sa juridiction. Il en est de môme dans le gouvernement ecclésiastique. Le pouvoir de l’ordre est de droit divin; mais l’exercice de ce pouvoir, c’est-à-dire la juridiction, est déterminé par l’Eglise qui assigne, à tous les pasteurs du premier et du second ordre, leur territoire et leur troupeau. C’est l’Eglise seule qui a fait ce partage. C’est l’Eglise seule qui délègue la juridiction à chaque évêque, après qu’il a reçu le pouvoir radical de l’ordination. Chaque diocèse a ainsi un pasteur : s’il en avait plusieurs, il n’en aurait aucun. Il est donc faux que chaque évêque soit un évêque universel. Voilà cependant le principe qu’il faut admettre, pour autoriser la puissance temporelle à créer, à supprimer, à réunir arbitrairement des diocèses, sans l’intervention de l’Eglise, comme l’Assemblée nationale prétend en exercer le droit. Je demande maintenant à M. de Mirabeau, si je n’ai pas élé exact dans ma citation, et si je ne suis pas à l’abri de toute réplique dans mes raisonnements? Puisqu’il s’obstine à se taire devant vous, je prends acte de son silence, comme d’un témoignage non équivoque de son adhesion forcée à mes principes. Jamais cette dénomination d 'évêque universel n’a souillé les canons de la discipline ecclésiastique. Lorsqu’à la fin du vi® siècle, Jean le Jeûneur, patriarche de Constantinople, prit le titre de patriarche œcuménique , nous voyous dans le huitième volume de i’iustoire de l’abbé Fleury, que l’Eglise entière se souleva contre cette prétention flatteuse. « Vous vous déclarez indigne du « nom d’évêque , lui écrivait saint Grégoire, si « vous voulez seul en porter le titre. Ne savi-z-« vous pas que le concile de Ghaleédome offrit « cet honneur aux évêques de Roim-, en les appe-« lant évêques universels ? Mais aucun d’eux n’a « voulu le recevoir, de peur qu’il ne parût s’at-« tribuer seul i’épiscopat, au préjudice de tous « ses frères. Ce serait une hérésie que de ne re-« connaître dans l’Eglise, qu’un seul évêque dont « les autres ne fussent que les vicaires, ajoute « l'abbé Fleury; et les suites funestes de cette « ambition des évêques de Constantinople n’ont « que trop éclaté dans les siècles suivants. » Lorsque Cyriuque, successeur de Jean le Jeûneur, s’arrogea ie même titre, saint Grégoire lui écrivit aussitôt de renoncer à ce nom profane et superbe. « Je vous exhorte , disait-il aux évêques « qui se rendaient au concile général de Constance tinople, de ne consentir jamais à cotte dénotni-« nation, de ne recevoir aucun écrit où elle se « trouve, et de ne l’autoriser jamais par votre « signature; car si un évêque est universel, il en « résulte que vous n’êtes plus évêques. Je vous 89 [Assamblée uationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 novembre 1790.| « conjure de ne céder ni aux caresses ni aux « persuasions, ni aux promesses ni aux mena-« ces, et de résister avec une fermeté pastorale « à quiconque voudrait dominer 1 Balise pour la x diviser. » Le même saint Grégoire refusa ce titre qui lui était donné par saint Euloge. Je ne tiens pas à honneur, dit-il, ce qui déshonore mes frères. La primauté de juridiction dont le souverain pontife jouit, de droit divin, dans toutes les églises, ne lui donne pas, selon les libertés de l’Eglise de France, le droit d'ordinaire , en ce sens qu'il puisse circonscrire, limiter et étendre à son gré la juridiction des évêques dans leurs diocèses. Or, si l’Eglise gallicane n’a jamais reconnu dans le pape le titre proprement dit et l’autorité d’ordinaire, à plus forte raison, ce titre et celte autorbé n’appartiennent à aucun évêque particulier. Eiever une pareille prétention, 'c’est fouler aux pieds toutes les règles, tous les canons de l’Eglise, qui consacrent l’autorité juridictionnelle de chaque évêque ; c’est renverser de fond en comble toute la discipline ecclésiastique qui était en vigueur, avant le concile même de Nicée, dont le célèbre Vanespën, le plus savant de tous les canonistes, a cité le témoignage en ces termes : après la mort des apôtres, l’Eglise, voulant prévenir la confusion et les troubles dans le gouvernement ecclésiastique, circonscrivit pour tous les évêques la portion du troupeau qu ils devaient gouverner. Post mortern apostolorum , ca-nones ecclesiœ, n'e ex lidgioso regimine non raro orirentur confusiones et perturbationes in eccle-sia t voluerunt ut singulis pastoribus , portio gre-gis sü adscripta , quam regat unus quisque ac gu-bernet. C’est donc le besoin d’une cause insoutenable et desespérée qui oblige aujourd'hui nos adversaires de rajeunir cette doctrine proscrite, en vertu de laquelle chaque prélat aurait partout l’autorité d’un évêque universel; doctrine trop solennellement réprouvée dans l’Eglise, pour qu’elle puisse jamais y devenir un principe de droit commun. M. de Mirabeau n’a pas soupçonné l’écueil où l’entraînait le système de votre comité ecclésiastique; mais j’avoue qu’il a été du moins de bonne foi, lorsqu’il en a accepté les conséquences nécessaires; et c’e.-t précisément parce que vos déen-ts aboulissentà ce résultat, qu’il faut, je crois, en examiner de nouveau toutes les bases : comme eu géométrie ou remonte aux premières données d’un problème, dès qu’on est averti de s’en méfier, par l’absurdité des conséquences auxquelles on est réduit. Le nouveau système que l’on nous propose, s’écroule en effet de tome part, Messieurs, parce que nos adversaires, ne trouvant aucun anneau, pour le lier à la chaîne de notre tradition législative, ne peuvent lui donner d’autre base que le sable mouvant de l’opmion. Il est impossible qu’un décret du Corps législatif puisse confér r la juridiction spirituelle, aux nouveaux évêques, dont un érige les sièges, et aux a miens prélats dont on agrandit le territoire. C’est le pape seul qui, depuis plusieurs siècles, exerce les pouvoirs de l’Eglise universelle, pour établir, ou pour supprimer les évêchés et les métropoles, et les parties intéressées doivent toujours être entendues, dans ces causes majeures qui exigent le concert des deux puissances. Les iiberlés de l’Eglise gallicane ont expressément consacré cette réserve dans notre droit public. J’en appelle à la décision de tous les jurisconsultes du royaume, à l’opinion et aux écrits de plusieurs membres de cette Assemblée qui vous attribuent aujourd’hui cette plénitude, ou plutôt cette confusion de pouvoir, et qui soutenaient avec la plus grande force, il y a peu d’années, la nécessité de l’intervention du pane pour procéder à la réunion des évêchés de Digne et de Sénez. C’e-t en particulier M. Camus, ci-devant avocat du clergé, qu’il a défendu dans cette Àssemtdée, jusqu’au jour du décret mémorable destiné à nous dépouiller de la propriété de nos biens, et qui, depuis cette époque, ne comptant plus sur cette utile clientèle, est devenu subitement le plus ardent et le (dus infatigable persécuteur du cli-rgé; c’est lui que j’accuse ha dement de cette double o iniou qui le rend si remarquab e eu sa qualité de jurisconsulte des circonstances. Je l’attaquerai bientôt d’une manière plus directe. Je ne me bornerai peint à lui démontrer qu’il a soutenu le pour et le contre, et que puisqu’il a deux avis, il ne lui en reste aucun; mais en attendant que je traduise devant nous sa nouvelle doctrine, je le place ici au milieu des principes contradictoires qu’il a défendus tour à tour, et je le livre au jugement des deux partis dont l’un lui a valu, et dont l’autre lui a donné l’emploi d’archiviste de la nat on. Il ne s’agissait que de la réunion d’un seul évêché, lorsqu’il soutenait avec tant de force la nécessité du recours au pape, lorsqu’il invitad M. î’éve iue de Diane à excommunier M. l’évêq îede Sénez, si celui-ci s’emparait provisoirement de sa juridiction. Il est question aujourd’hui de la suppression de cinquante-trois évêchés, et le même M. Camus ose dire que l’intervention du souverain pontife n’est pas nécessaire! Il faut être bien étrangement encouragé par le désir de nuire, pour se montrer si v rsatile dans ses opinions. Pour nous, Messieurs, qui, au lieu de nous faire des principes, au besoin, dans chaque cause, sommes persévéramment fidèles à la doctrine de nos pères, nous vous avons déclaré, dès que vos projets nous ont été connus, que les suppressions et les unions des diocèses ne pouvaient pas s’opérer, sans l’aiitorisatiou formelle du vicaire de Jésus-Christ. Nous ne pensons pas néanmoins, que le pape pût, sans heurter, de front, nos libertés, bouleverser de sou propre mouvement tous les diocèses du royaume, et les étendre ou les circonscrire à son gré. Ges changements arbitraires ne seraient pas tolérés dans les pays les plus ultramontains; et le pape serait tenu, dans tonte la catholicité, d’agir de concert avec les Eglises, dont il voudrait changer les circonscriptions diocésaines. Mais nous soutenons que s’il ne peut rien faire seul en ce genre, on ne peut rien faire de légal sans lui, et que ledouole concours de l’autnrité du Saint-Siège et du consentement des églises de France, est absolument indispensable, pour légitimer l’exécution de vos décrets. Quan I nous professons cette doctrine, nous n’innovons rien, no m nous conformons aux principes qui nous ont été transmis par l’antiquité; aux principes que nos adveisaires eux-mêmes ont constamment réclamés jusqu’à nos jours; aux principes qui ont toujours été et qui sont encore en vigueur dans la discipline de l’église universelle; aux principes qui ont servi de base au contrat d’union entre l’Eglise et l’Etat; et vous aurez beau, Messieurs, vous déclarer corps constituant, vous aurez beau vous arroger tous les pouvoirs : il eu est un qui ne dépend ni de vos commettants, ni de vos systèmes, ni de vus invasions, c’est le po (voir divin de l’Eglise. Voilà la borne où votre puissance doit s’arrêter! Voilà la borne que vous ne pou- 90 [Assemblée nationale.! vez franchir, sans nous ouvrir aussitôt toutes les voies de recours, que nous présentent votre incompétence, vos usurpations d’autorité et la nullité radicale de vos décrets. Est il un théologien, est-il un canoniste, qui ait jamais enseigné, que l’on pouvait supprimer légalement, je ne dis pas un évêché, mais Je moindre titre ecclésiastique, sans l’intervention de l’autorité spirituelle? Nous défions nos adversaires de nous en citer un seul exemple dans toute l’histoire de l’Eglise. C’est donc la cause de la discipline que nous défendons, en réclamant ces formes légales, auxquelles nous ne renoncerons jamais. Le tumulte de cette Assemblée pourra bien étouffer ma voix, mais elle n’étouffera point la vérité. La vérité, ainsi repoussée et méconnue, reste toute vivante dans le fond de mon cœur, et la nation m’entend quand je me tais! Cette nation, au nom de laquelle vous prétendez m’interrompre et me contredire, vous a envoyés ici pour faire d» s lois, et non pas pomme dicter mes opinions. De que! côté sont, dans ce moment, les innovations de principes? Est-ce nous qui imaginons des systèmes contraires à tontes les règles? Est-ce nous qui mettons sans cesse l'autorité à la place de la raison? Est-ce nous enfin que vous osez accuser d’être des novateurs, tandis que, pour atteindre notre doctrine dans vos broyantes discussions, vous êtes obligés de fouler aux pieds les principes de tons les écrivains estimés, de tous les Etats catholiques, de toutes les églises et de tous les siècles? Ah ! vous marchez avec tant de rapidité dans vos voies de destruction, que vous devez du moins permettre à vos victimes de tendre les chaînes de la loi, devant vous, quand vous vous élancez, armés de toute votre puissance, pour noos anéantir. Vous voulez marquer, dites-vous, tous vos nouveaux départements du signe auguste delà foi des chrétiens? Eh! Messieurs, ne sauriez-vous donc ériger ces monuments de votre piété, sans y attacher, pour trophées, les signaux de votre révolte contre la religion? Cette sacrilège usurpation de pouvoir n’inti-timide point les conquêtes législatives de M. Camus. À ses yeux, l’accord si désirable du sacerdoce et de l’Empire, dévoue l’Eglise à un état habituel de dépendance , et sa résistance à la puissance civile est toujours une révolte . Peu s’en est fallu que son érudition et sa logique ne l’aient conduit à une hérésie formelle dans cette tribune ; mais s’il ne 1 a pas articulée nettement, je défie du moins que l’on trouve un sens orthodoxe, à l’explication qu’il nous a donnée de 1 autorité du pape. « Il reconnaît, » dit-il, dans le successeur de saint Pierre, « outre ces deux « titres d’évêque et de métropolitain dans la pro-« vmee de Ruine, un titre particulier, celui de « centre de l’unité ; » et il confond ainsi l’une clés prérogatives du Saint-Siège , avec ce qu’il appelle un titre du pape. Il ajoute aussitôt, que « saint Pierre avait reçu une mission spéciale de « surveillance et d’exhortation ; mais que de là « il y a loin à une juridiction proprement dite.» L’induction que veut tirer M. Camus n’est pas énoncée; mais elle est évidente : or, il e>t de foi, que le souverain pontife qui n’a point d’aulte puissance que saint Pierre, jouit, de droit divin, d’une primauté d’honneur et de juridiction dans toute l'Eglise ; et par conséquent ce que dit M. Camus est inexact, et ce qu’il fait entendre est hérétique. « La nation, » dit-il, « ne doit pas être arrêtée « par des décisions particulières, rendues sur [21 novembre 179Û.j « d’autres vues que les siennes. A-t-on oublié « ce que c’est que la souveraineté? La France a « détruit toutes les anciennes formes, comme « aulant de masures dispersées sur sa surface, « pour y élever un grand palais. » Certes nous n’examinons pas toutes ces questions métaphysiques de souveraineté qui sont fort étrangères à cette discussion. Nous nous arrêtons, et nous vous arrêtons à un seul point de fait: c’est que vous ri’êtes point les souverains de la religion, et qu’el'e n’est sujette que de Dieu seul. Non vous n’êtes pas les législateurs spirituels de l’Eglise ; vous ne pouvez donc pas anéantir ses lois, pour leur substituer les vôtres, et la seule volonté du souverain temporel ne fera jamais cesser la loi des circonscriptions diocésaines. Nos formes légales sont une portion de notre droit public; elles sont étrangères à votre autorité : comme les deux puissances dont le ressort ne doit jamais se confondre, sont, dans leur objet propre, absolument indépendantes l’une de l’autre. Nous ne vous avons pas chargés de détruire ces formes que vous appelez d* s mesures. Changez-les tant qu’il vous plaira dans l’administration de vos lois ; mais laissez-nous-en l’usage dans la discipline de l’Eglise, qui a toujours prospéré sous son empire. Vous les avez défendues, dites-vous, quand elles servaient de rempart-contre le despotisme ?_ Eh bien! c’est précisément pour nous garantir du despotisme que nous les réclamons ; et vous nous rendez aujourd’hui leur protection trop nécessaire pour espérer que nous renoncions jamais à ces vieilles masures, dans lesquelles nous sommes à l’abri de toutes les tyrannies, pour vous suivre dans ce nouveau palais, où vous n’admettriez l’Eglise que pour la dominer, et peut-être pour l’opprimer. Ne nous lassons pas, Messieurs, de discuter les étranges raisonnements de M. Camus. 11 nous dit que lorsque le missionnaire Augustin, apôlre de l’Angleterre, eut multiplié dans cette île lenombre de ses prosélytes, le roi de la province de Kent, Ethelbert, lui donna dans la ville de Gantorbéry, sa capitale, un lieu convenable pour établir un siège épiscopal qu’il dota magnifiquement; et il en conclut que la puissance civile a le droit d’instituer les évêchés. Mais de bonne foi, ces arguments d’avocats devraient-ils profaner cette tribune? Est-il surprenant qu’un missionnaire, qui vient prêcher la foi dans une contrée idolâtre, entre dans les vues d’un roi, quand ce prince demande un siège épiscopal dans sa capitale? Ce vœu très légitime sans doute est-il un ordre absolu, est-il une institution canonique? L’Eglise, qui s’y conforme, se dépouille-t-elle de sa juridiction spirituelle? Un roi qui obtient une si juste déférence, au moment où il autorise l’exercice de la religion dans ses Etats, acquiert-il ce droit de supprimer ensuite les chaires épiscopales que l’Eglise a établies en se concertant sagement avec le souverain ? Quelle induction 1 quelle logique ! M. Camus continue à montrer la même justesse d’esprit, lorsqu’il ajoute, pour prouver en ce genre la compétence de la puissance temporelle, que saint Grégoire avait d’abord voulu établir trois métropoles en Angleterre, à Gantorbéry, à Yorck et à Londres, mais qu’il n’érigea qu’un évêché dans cette dernière ville; comme si un simple projet était une institution légale ! comme si son inexécution prouvait l’incompétence du pape qui l’avait conçu I Quand on raisonne ainsi, quand on ose citer des laits si peu concluants, ou ne convient pas sans doute, mais du moins on prouve, sans le vou-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 91 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 novembre I7i)û.j loir, qu’on est authentiquement réduit à l’absurde. S’il faut en croire M. Camus, la puissance de l’Assemblée nationale, en matière de religion, s’étend jusqu’au droit de la proscrire, « pouvoir « malheureux, » dit-il, « triste pouvoir qui nYst « pas celui d’être coupable, mais pouvoir qui « n’était pas moins réel dans l’Assemblée et dans « la nation. » D’abord ne confondez pas ici, Messieurs, l’Assemblée avrc la nation; et ne supposez noinl que leurs pouvoirs soient jamais égaux. Vous êtes les représentants de la nation; mais vous n’êtes point la nation. Des mandataires, qui commentent à leur gré la procuration qu’ils ont reçue, ne sauraient rien ajouter à leur autorité purement commissaire. La nation vous a liés par des mandats auxquels vous avez fait le serment solennel d’être fidèles : la nation a donc limité votre puissance. Vous auriez besoin de l’autorisation la plus spéciale pour changer la religion de l’Etat. Cette mission ne nous a jamais été donnée. Non, le royaume n’a point mis sa croyance à votre merci. Vous n’avez pas le pouvoir de proscrire le culte do vos pères et de vos concitoyens ; et le funeste essai de votre puissance, sous ce rapport, en serait bientôt le dernier terme : que dis-je ? non seulement la nation ne vous a jamais conféré ce pouvoir idéal, dont vous vous prévalez néanmoins, pour agrandir arbitrairement votre autorité et votre compétence; mais elle vous a intimé des ordres absolument contraires dans vos cahiers. Vous ni’maginez donc une hypothèse purement illusoire," que pour vous attribuer ensuite, par des inductions sophistiques, un pouvoir beaucoup trop réel. Vous reconnaissez vous-même, Monsieur Camus, que nous ne pourrions détruire la religion chrétienne en France, sans nous rendre coupables d’un très grand crime. Quelle conséquence pou-vez-vous donc tirer d’un droit que vous n’avez pus, et que vous ne saunez exercer, si vous en étiez investis, sans commettre un crime public de lèse-nation? Est-ce ainsi que des législateurs doivent fonder et étendre leur puissance ? c’est un axiome de droit, que l’on ne peut jamais faire ce que la justice condamne et réprouve. Non potest justus quoi non potest juste. On ne peut donc rien conclure de cette prétendue puissance qui ne vous appartient pas, et dont l’usage serait essentiellement criminel (1), si vous osiez jamais l’usurper. (1) Celte proposition de M. Camus, qui a osé attribuer à l’Assemblée le pouvoir do rejeter la religion catholique, eu reconnaissant lui-même, que ce triste pouvoir ne serait que celui d'être coupable, m’avait infiniment scandalisé, lorsque je l'entendis dans la tribune ; mais ma surprise est bien augmentée depuis que j’ai vu l’écrit de M. Camus, dans lequel colle insoutenable assertion est déposée, muni do la signature de de plusieurs curés, d’un bénédictin et d’un prêtre do l’Oratoire, lesquels reconnaissent , disent-ils, dans les principes qu’il a établis pour base de soit opinion , ainsi que dans les conséquences qu’il en a déduites , des vérités exactes, conformes à la foi catholique et à la discipline reçue dans la primitive Eglise. Comment dos membres du clergé ont-ils pu adhérer à une parodie doctrine ! Eux dont tous les cahiers leur prescrivent de faire reconnaître la religion catholique la seule religion de l’Etat; eux qui auraient dû sortir avec indignation do l’Asscinblec, si on y cul jamais délibéré sur le prétendu pouvoir, que lui attribue M. Camus, do proscrire la religion, list-ce donc ce principe qu’ils regardent comme une vérité exacte ? J’avoue qu’il sert de base à l’opinion de M. Camus ; et c’est précisément parce que cette opinion n’a point d’aulro base réelle, Quand vous répétez la fameuse maxime, que l'Eglise est dans l'Etat , vous abusez encore d’une équivoque pour envahir, par un sophisme, une juridiction législative qui ne saurait jamais vous appartenir. Si par le mot Eglise vous entendez, les temples, il est évident qu’ils sont dans le territoire de l’Etat. Si vous entendez par l’Eglise, les ministres de la religion considérés comme citoyens, il est manifeste encore que, sous ce rapport, ils sont dans l’Etat, et par conséquent soumis à la puissance civile dans toutes les matières temporelles. Mais si par l’Eglise vous entendez les fidèles il est incontestable que tous les membres de l’Etat sont aussi dans l’Eglise, puisqu’ils y sont entrés par le baptême qui les a rendus membres, et qu’ils sont obligés d’obéir à ses lois. Les souverains sont pareillement dans l’Eglise dans le même sens. Àin-i il est tout aussi vrai de dire que l’Etat est dans l’Eglise, sous ce rapport, qu’il est exact d’affirmer" que l’Eglise est dans l’Etat. Que faut-il donc conclure de cet axiome, que l’on ne cesse de nous opposer, et qu’il est si facile de rétorquer avec un égal avantage contre nos adversaires? Ce qu’il faut en conclure? le voici : c’est que de même que les souverains en entrant dans l’Eglise ne sont point soumis à l’autorité ecclésiastique pour le temporel, l’Eglise en entrant dans i’Eiat n’a point assujetti, à la puissance civile, l’autorité spirituelle qu’elle a reçue de Jésus-Christ. Ou abuse également d’une autre misérable équivoque, lorsqu’on dit que, le territoire étant purement temporel, il appartient à la puissance civile de régler l’étendue des évêchés et des paroisses. M. Camus (tarait regarder cet argument comme insoluble; et moi, Messieurs, je ne conçois pas que cette difficulté puisse vous arrêter un instant, comme une objection séreuse. Si par le mot territoire, vous voulez désigner le sol et le terrain, il appartient incontestablement à la la seule puissance civile; mais ce n’est point là sans doute l’acceptation véritable du mot terri - Loire, en matière de juridiction ; on ne l’applique point alors à la surface de la terre, mais aux hommes qui l’habitent; et c’est manifestement à l’Eglise à en fixer le dénombrement, relativement aux objets spirituels. Les évêchés ne comprennent réellement que la quantité numérique des fidèles rassemblés dans leur conclave. L'Eglise a déterminé, dans l’origine, l’étendue des diocèses, en la proportionnant aux facultés des pasteurs chargés de les gouverner. Ce n’est point à la puissance civile à régler le ressort des fonctions spirituelles. L’Eglise seule doit donc fixer à chacun de ses ministres les bornes de la juridiction qu’elle lui confie. Lorsque M. Camus, après avoir épuisé tous les sophismes de la chicane, de la fausse érudition et de l’esprit de parti, prétend que les évêques étant les successeurs des apôtres, ils ont hérité de toute leur puissance spirituelle, et que les apôtres ît’oni jamais connu, en matière de juridiction, aucune circonscription de territoire, M. Camus prouve qu’il n’a jamais iu l’histoire de la religion ; ou du moins il suppose un peu trop légèrement, que nous l'avons tonsoubliée. D’abord il n’est pas vrai que les évêques aient le droit que des ecclésiastiques doivent la rejeter parle premier rridolafoi. Je m’arrête, de peur d’exprimer trop énergiquement les réflexions qui se présentent en foule à mon esprit. Voilà donc où conduit, en matière do religion, la dangereuse témérité do se séparer du corps des premiers pasteurs! 9 °2 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]27 novembre 1790.] d'exercer une juridiction aussi illimitée que celle des apôtres. La mission extraordinaire que ces premiers disciples de Jésus-Christ reçurent de leur divin maître, au moment de * rétablissement de la religion chrétienne, ne doit point être assimilée aux pouvoirs ordinaires de l’épis-conat, depuis que la discipline de l'Eglise en a fixé les limites. Mais, sans nous engager dans cette discussion de droit, les faits suffisent ici p< ur nous défendre contre M. Camus. Il est démontré, par le témoignage de l’Ecriture sainte, que les apôtres allèrent dans différentes contrées pour y exercer leur divin ministère. Eusèbe nous conduit, en quelque sorte, dans son histoire, sur les traces de ces conquérants spirituels. André parcourut l’Achaïe, Philippe prêcha dans la Phry-gie. Jacques le majeur et Mathieu s'arrêtèrent dans la Judée. Barthélemi exerça son apostolat dans l’Orient, peut-être même dans les Indes. Thomas évangélisa les Parthes, les Perses et les Mèdes. Simon se renferma dans l’Egypte. Judes fut envoyé dans l’Arabie et dans la Syrie. Le prince des apôtres fixa son premier siège à Antioche. Saint Jacques le mineur fut solennellement installé évêque de Jérusalem, il assista au premier concile des apôtres dans cette ville; et nous voyons qu’il y parla le dernier, en sa qualité d’évêque diocésain, dont l’Assemblée attend les conclusions. L’apôtre saint Jean fonda et gouverna plusieurs églises; il établit en Asie s> -pt évêques et sept diocèses distincts. Le territoire de chacun de ces diocèses était différent : de manière qu’aucun évêque ne pouvait le gouverner, quant au spirituel, au préjudice de l’évêque propre. Dès les temps apostoliques, saint Marc, disciple et compagnon de saint Pierre, est établi premier évêque d’Alexandrie. Saint Paul donne saint Timothée pour évêque à la ville d’Eplièse, et Ti te à l’île de Crète. Saint Paul déclare lui-même qu’il ne doit point se mêler du gouvernement des églises fondées par les autres apôtres, et il refuse d’v aller exercer son ministère. 11 est donc, de la oernière évidence, quoi qu’en ait pu dire M. Camus, et son maître en théologie, M. de Mirabeau, que les apôtres ont établi des diocèses différents, et qu’ils en ont circonscrit les territoires, sans le concours de la puissance civile. Si nous descendons ensuite dans les annales de l’histoire de l’Eglise, nous y verrons, à chaque page, que des paroisses innombrables ont été fondées et limitées par les seuls évêques diocésains, longtemps avant que les empereurs eussent embrassé le christianisme, au commencement du iv® siècle. Après avoir ainsi justifié la discipline actuelle de l’Eglise par les monuments de la plus haute antiquité ecclesiastique, faut-il prouver encore contre M. Camus, qu’en renouvelant parmi nous la forme des élections, vous ne pouvez pas ôter à l’Eglise Je droit de conférer la juridiction aux évêques élus? Dans les premiers siècles, et dans tous les temps, les curés ont toujours été nommés, de droit commuu, par les seuls évêques qui en répondaient à la société. L’élection des évêques, au contraire, se faisait pur le clergé et par le peuple, suivant la fameuse maxime de saint Cyprnm : tous doivent élire celui à qui tous doivent obéir. Cette maxime s’appliquait encore plus au clergé qu’au peuple, parce que les ecclésiastiques sont plus immédiatement soumis à la juridiction épiscopale. Mais alors ou n avait pas imaginé, comme dans votre sauvage constitution du clergé, d’attribuer le choix des évêques aux juifs, aux protestants, aux comédiens, et même au bourreau, eu réservant ce droit à la simple qualité de citoyen actif. On procédait à l’élection en présence du métropolitain, des évêques de la province, et d’un évêque visiteur qui était député pour y assister. Ce n’était point l’élection, c’était la seule confirmation donnée par les évêques de la province, et ensuite par le métropolitain, qui investissait le nouvel élu de la juridiction spirituelle. Les évêques étaient les juges de l’élection, et on ne procédait jamais à la consécration, que lorsque les prélats de la province, ou le métropolitain, avaient confirmé le choix du peuple. L’élection des évêques fut ensuite réservée aux églises cathédrales; et c’est cette dernière forme d’élection qui a été adoptée par le concile de Bâle, et ensuite par la pragmatique sanction ; mais de quelque manière que les évêques soient élus, il est constant qu’une puis-sauce civile n’a jamais conféré et ne peut jamais conférer la juridiction spirituelle. Ce pouvoir toujours restreint à un territoire particulier, serait nul de plein droit, s’il n’émanait pas des apôtres, parce que leur mission en est l’unique source légitime dans l’Eglise. Je demande maintenant, Messieurs, si nous sommes des hommes à système, quand nous professons cette doctrine? Je demande si on a le droit de censurer nos principes, lorsque nous démontrons ainsi quels sont les véritables perturbateurs de l’ordre public, dans la querelle que l’on suscite aujourd’hui à l’Eglise de France? Eh! à quels agresseurs nous livre-t-on pour engager devant nous un pareil combat? C’est au nom d’un comité des recherches, c’est-à-dire d’un comité qui s’est humblement institué lui-même le légataire universel de l’inquisition et du despotisme; d’un comité qui ne nous a jamais donné que du fausses alarmes, qui ne nous a jamais parlé qu’avec le délire de la peur, et la partialité de la calomnie, que Fou ose dévouer aujourd’hui tout le clergé de France aux préventions de cette Assemblée, ou plutôt aux fureurs du peuple! Ah ! ce comité des recherches, si digne d’être un jour recherché lui-même, ne pourrait nous humilier que par ses éloges; et toutes ces dénonciations sont à nos yeux des titres de gloire. Les accusations vagues, les injures en épithètes, que le rapporteur s’est permises dans cette tribune, ne méritent pas l’honneur d’ètre confondues en détail. Il nous suffit d’en prendre acte et de les dénoncer à la nation, qui tôt ou tard en fera justice. Le diffamateur qui s’est flatté, sans doute, d’échapper par son obscurité à l’opinion publique, mérite d’être cité dès ce moment à son tribunal, quand il honore tous les évêques dn royaume de ses outrages; et je lui rends grâces, en* leur nom, d’une dénonciation dont il doit seul rougir. Ce que M. Yoidel nous a dit, que M. de La Lau-rencie, évêque de Nantes, déjà poursuivi à la barre, au nom de son département, était revenu dans son diocèse après six mois d’absence ; qu’on l’avait sommé d’exécuter les décrets relatifs à la nouvelle constitution du clergé; qu’il avait refusé d’y concourir, sans l’intervention de ses supérieurs dans la hiérarchie ; qu’il n’avait pas cru pouvoir reconnaître la nouvelle démarcation de son diocèse, en vertu de votre seule autorité, ou de la sienne propre ; que le peuple, irrité contre le prélat, voulait attenter à sa vie; que M. l’évêque de Nantes aurait été infailliblement j la victime de celle insurrection populaire, si, ! après avoir été défendu par le corps adminis- [27 novembre 1790.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. tratif, il ne s’était pas évadé à neuf heures du ' soir ; et que pour expier cette coupable évasion, réprouvée par tous nos comités, qui ont rigoureusement prescrit la résidence aux évêques, il devait être rappelé à Nantes, mis eu état d’arrestation et solennellement déposé par la simple élection de son successeur. Je raconte ou plutôt je répète, Messieurs, ce qu’on nous a dit. La postérité ne le croira pas sans doute, je m’y atten 1s ; mais vous le croirez, vous qui l’avez entendu. A Dieu ne plaise que je croie avoir besoin , dans ce moment, d’exciter votre intérêt, en faveur de M. l’évêque de Nantes, par les justes hommages que je me plairais, en toute autre circonstance, à rendre devant vous, à un prélat honoré jusqu’à ce jour de l’amour et de l’estime de ses diocésains. On ne loue pas l’innocence accusée, on la venge; mais comment la venger de l’adresse scandaleuse qui vous a été présentée? Les applaudissements incroyables qui ont si souvent interrompu cette lecture, qu’il eût fallu arrêter d’une autre manière, me ferment la bouche dans ce moment. Non, je ne dirai rien de cette pièce étrange : vous l’avez jugée; mais je dirai à votre rapporteur : Est-cë bien sérieusement que vous faites un crime à M. l’évêque de Nantes, de s’être éloigné d’une ville, où le peuple égaré demandait sa tête ? Est-ce au prix de sa vie, que nos casuistes du comité des recherches, prétendent l’obliger à la résidence? Faut-il que son sang coule, au milieu d’un peuple bourreau qui semble en être altéré? Ah! ne vous plaignez pas de ceux qui épargnent un grand crime à la multitude trompée. Tremblez plutôt, au moment où vos victimes ne fuiront plus devant le fer des assassins, au moment où vos principes de liberté vous condamneront à faire des martyrs ; car je vous prédis que vous n’en ferez pas longtemps. Le même réformateur du clergé, rapporteur ordinaire de votre comité des recherches, a découvert que M. l’arctievêque de Paris, membre de cette Assemblée, était absent depuis plus d’un an de cette capitale, et qu’il gouvernait tranquillement son diocèse du haut des montagnes de la Savoie. Puisque c’est encore le devoir sacré de la résidence qui réveille le zèle apostolique du dénonciateur, M. Yoidel, j’observerai que l’on a quelquefois reproché aux évêques de quitter leurs diocèses, pour séjourner dans cette capitale, mais que l'on n’aurait pas soupçonné, qu’un archevêque de Paris se retirât par goût à Chambéry, pour s’affranchir de la résidence. Ce reproche remarquable à tant d’autres égards, l’est surtout par sa nouveauté. Ici, Messieurs, je pourrais être impunément généreux envers M. Voidel. Il n’est personne parmi vous, qui ne suppléât dans ce moment, aux tristes réflexions que suggère cet épisode de son rapport. Quoi! M. l’archevêque de Paris, ce prélat si régulier, si doux, si exact à tous ses devoirs, et dont les ennemis du bien public n’ont que trop bien calculé le caractère pacifique, et la trop facile résignation ; ce bienfaiteur du peuple, que ses pieuses largesses ont encore plus appauvri que vos décrets; ce représentant de la nation qui, dès le mois de juin 1789, a été lapidé impunément, en plein jour, au milieu de Versailles, à l’issue de l’une de nos séances, entre l’Assemblée nationale et le trône, sans qu’il se soit permis de faire entendre aucune plain te con tre ses bourreaux, sans qu’aucu ri procès-verbal ait dénoncé cette proscription effrayante qui a donné à l’Europe entière de si terribles doutes sur la liberté de nos opinions; ce 93 prélat qui, durant trois mois entiers, a pris part à nos délibérations, après une pareille catastrophe, et qui ne trouvant plus de protection suffisante dans les tribunaux, s’est vu ob igé, malgré son inviolabilité, (le demander à cette Assemblée un congé qu’il à obtenu, et d’aller chercher sa sûreté dans une terre étrangère ; c’est ce même homme que vous osez accuser, de s’être éloigné de son diocèse! C’est cette retraite, c’est cet exil involontaire qui lui a fait verser tant de pleurs, que vous lui reprochez ! et sans respect pour ses vertus, pour ses malheurs, pour son silence, du moins, qui devrait vous être si précieux, vous le traduisez devant nous, comme le prévaricateur des lois de la résidence? Ah! Messieurs, qu’il nous soit permis de nous environner, aux yeux des peuples, de ces inculpations glorieuses, auxquelles sont réduits les dénonciateurs des ministres de la religion. Non, nous ne leur répondrons plus, nous répéterons seulement les accusations qu’ils intentent, et le clergé de France sera vengé ! Certes, il faut pourtant l’avouer, et le tableau de cette séance en fournit la preuve, nos adversaires ont ici de grands avantages sur nous; ils préparent de loin, et en silence, le rapprochement des griefs qu’ils veulent nous imputer. Quand ils ont ramassé dans les ténèbres les armes que la calomnie leur présente dans toutes les parties de cet Empire, plusieurs comités, qui ne sont jamais gênés dans leurs opinions par la présence de nos partisans, se réunissent à notre insu, pour tracer le plan du combat qu’ils doivent nous livrer. Un rapporteur est choisi pour servir d’organe à ces conseils clandestins, où chacun apporte en tribut ses moyens de nuire. L’orateur, ainsi renforcé par cette conspiration mystérieuse, se renferme alors pour nous travailler en constitution. Il donne l’ordre à ses coopérateurs qui se disposent à soutenir l’attaque. Dès que les agresseurs sont prêts, le jour du combat est choisi; on nous annonce tout à coup une séance extraordinaire dont l’objet üous est inconnu. La foudre nous frappe avant l’éclair. La délibération s’ouvre par un long et perfide rapport, renforcé à chaque page par ces violentes déclamations qui commandent aux tribunes la manœuvre législative des applaudissements. Les orateurs, préparés en faveur du décret, s’emparent alors de la parole, et nous lisent avec toute la véhémence d’une inspiration soudaine leurs discours composés à loisir. Si nous demandons l’ajournement qu’on ne refuse jamais dans les tribunaux ordinaires, pour les plus légers intérêts, un délai de deux jours nous est refusé. Nous n’avons pas même le temps de la réflexion, seule puissance qu’il nous reste à invoquer eu défendant nos droits : Que dis-je? Si nous paraissons sur l’arène, nous ne pouvons le plus souvent être entendus. Il faut recevoir comme une grâce la liberté d’improviser à la tribune, comme je le fais dès à présent, après une foule de lecteurs qui ont écrit leurs plaidoyers dans la tranquille solitude du cabinet. Inspirés par nos premiers mouvements, nous nous élançons au combat; nous nous livrons à une discussion cent fois interromnue. Mais, je m’arrête, Messieurs, vous savez comment on nous écoute, et l’Europe sait comment on nous juge. Ainsi forcés de répliquer dans ce moment même à un rapport et à des discours dont nous avons à peine entendu une lecture rapide, nous ne pouvons combattre aujourd’hui que l’esprit général du décret qui vous est présenté. Nous nous contentons de prouver que votre refus d’autoriser la 04 jAsfemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (27 novembre 1790.] convocation d'un concile national, a légitimé ou plutôt a nécessité noire recours immédiat au souverain pontife. L’exécution de la nouvelle constitution du clergé doit donc manifestement être suspendue jusqu’à ce que le Saint-Siège ait concouru, par l’intervention de son autorité et des formes canoniques, aux suppressions et aux érections des évêchés. Rien ne peut être statué provisoirement en ce genre contre le clergé, parce que la provision appartient incontestablement au titre et à la possession légale; et nous n’avons à redouter que votre puissance lorsque nous vous opposons la nécessité d’attendre la décision que vous n’avez pas le droit de prononcer. Nous nous bornons à ce moyen suspensif de plein droit, parce qu’il ne s’agit dans ce moment que de l’organisation préalable du clergé. Quand tous les articles constitutionnels seront discutés devant un juge compétent, il sera temps d’examiner s’ils sont véritablement conformes aux principes de la foi et de la discipline de l’Eglise. C’est un examen que le clergé s’est réservé par la déclaration de M. l’évêque de Clermont. Nous l’avons encore formellement réclamé, lorsque vous nous avez improvisé la loi du serment civique : serment, qui, en nous liant à la nouvelle Constitution, avant qu’elle fût rédigée, et avec la distinction expresse que nous avons faite de tous les objets qui sont du ressort de la puissance spirituelle, n’a pu s’étendre à des lois qui n’étaient pas encore décrétées, le quatre du mois de février dernier, et qui, sous ce rapport, a été prononcé en partie, cumme on l'a fort bien observé sur un cahier de papier blanc. Si le nouveau serment qu’on nous demande aujourd’hui n’ajoute rien au premier, il est inutile : s’il en étend les obligations, il est vexa-toire; et nous vous déclarons avec douleur, mais avec fermeté, que nous braverons l’indigence et la mort, plutôt que de déroger aux premiers serments dont l’exécution serait incompatible avec les nouveaux engagements que votre comité des recherches préteud nous faire contracter. Remarquez, Messieurs, que les serments semblent se multiplier parmi nous, à mesure que l’esprit de la religion s’éteint dans le royaume; comme on ne parle jamais tant de fanatisme, que lorsqu’il n’y a plus de foi et de despotisme, que lorsqu’il n’v a plus d’autorité. Il semble, en effet, que l’on veuille faire dans la nation une cérémonie purement verbale de cet acte religieux qui est le plus ferme lien des sociétés humaines. Une inquiétude vague exige tyranniquement que la liberté s’établisse dans le royaume par les mêmes précautions que l’on prendrait pour y naturaliser le despotisme. Quoi ! cette Constitution qui devait assurer le bonheur de tous les Français, Cette Constitution, qui, en remplissant tous les Vœux des peuples, ne semblait appeler dans ce sanctuaire que des bénédictions et des actions de grâces, a-t-elle donc besoin que chacun de vos décrets, soutenu par des coups d’autorité, aille chercher dans le ciel un garant qu'il ne saurait trouver dans la reconnaissance de la nation? Pourquoi n’osez-vous donc plus vous fier à l'opinion de vos concitoyens? Pourquoi tant de serments pour nous lier à nos intérêts ? Craignez-vous que nous ne puissions pas être heureux par Vos nouvelles lois, sans en avoir fait à Dieu la promesse la plus solennelle? Louis XI exigeait Sans cesse des serments de ses sujets. Henri IV ne leur en demandait point; il ne tourmentait pas la conscience de ses peuples : il était juste et bon, il se confiait à ia sienne. Ah ! laissez, laissez aux tyrans ces ombrageuses inquiétudes du remords qui voudrait à force de serments s’associer la religion même pour complice ! Le serment est superflu quand on fait des heureux : le serment est insuffisant quand on ne fait que des victimes. Les ininistres de la religion sont d’autant plus autorisés à juger, je ne dis pas seulement vos lois, mais encore vos intentions, avec la plus légitime méfiance, qu’il ne resterait plus de morale publique dans le royaume, s’ils donnaient jamais aux peuples l’exem-le du parjure. Nous confronterons donc vos décrets et vos consciences. Ou veut nous faire opter ici, entre les lois de l’Eglise que nous ne pouvons pas enfreindre, et les modiques restes de nos fortunes, tristes débris qui ont échappé à votre avidité, lorsque vous nous avez fait si indécemment notre part, en confisquant nos biens, et que vous regardez peut-être à présent comme des dons de votre munificence. Mais nous nous souviendrons, Messieurs, qu’au moment même, où l’on veut vous placer dans cette alternative, on vous a proposé de suspendre par un décret toutes les ordinations dans ie royaume. Nous ne scruterons pas, dans celte tribune, des motifs qui ne sauraient échapper ni à nos amis, ni à nos ennemis. Nous nous abstiendrons de caractériser une persécution, qui renouvellerait pour l’Eglise, cette époque, de désastre et de gloire, où les pontifes de la religion, dévoués au ministère du martyre, étaient obligés d’aller se cacher au fond des cavernes, pour imposeras mains à leurs successeurs. Ces tableaux, malheureusement trop prophétiques, paraîtraient peut-être de calomnieuses exagérations, aux yeux de ceux de nos adversaires qui ne sont pas dans le secret du parti, auquel ils servent d’instruments. Mais si l’avenir ne peut pas être appelé en témoignage, nous reporterons nos regards sur le passé qui éclaircira tous vos doutes. J’observe, Messieurs, qu’ou ne vous a jamais demandé directement aucune destruction. Legrand art delà majorité de cette Assemblée consista toujours à apprivoiser les esprits, par des décrets préparatoires qui n’annonçaient rien de sinistre, mais qui n’en conduisaient que plus sûrement au terme caché où l’on voulait arriver. L’histoire dos délibérations relatives à nos biens nous fournirait des exemples mémorables de ce système, dont jevous révèle ici ia savante perfidie. On voulait d’abord consacrer simplement le principe pour déclarer que les possessions ecclésiastiques étaient à la disposition de la nation. C’était une simple reconnaissance métaphysique, de cette souveraineté nationale.il n’était question ni de la propriété de nos biens, ni encore moins de leur aliénation ; mats, après vous avoir arraché ce décret vague qui ne signifiait rien, on l’a commenté pendant six mois, avec toutes les subtilités de l’esprit d’invasion et de conquête ; et ensuite on a mis tous les domaines de 1 Eglise à l’encan. Voulez-vous d’autres exemples de ces dispositions provisoires qui ont été le prélude des subversions les plus étonnantes et les plus imprévues? Eh bien! écoutez. On vous invita, dans le mois de septembre 1789, à suspendre la nomination des benétiees consistoriaux : et au bout de trois mois tous les bénéfices lurent supprimés. On vous proposa, dans le mois d’octobre, do suspendre la rentrée des cours souveraines: et bientôt toutes les cours souveraines furent anéanties. On vous demanda, dans le mois de novembie, de suspendre provisoirement l’émission des vœux religieux ; et ce décret provisoire a été suivi d’une loi consti- |27 novembre 1790. 95 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale. J tutionnelle qui abroge et proscrit à jamais tous les I vœux solennels. Telle est la marche qae vous avez suivie dans cette session. Il ne m’ajipartbmt pas de juger maintenant des motifs de M. de Mirabeau ; mais j’ose lui demander confidemment, si si je les ai bien devinés ? Ést-ce encore une autre préparation législative pour vous conduire à la proscription de la religion catholique dans ce royaume, est-ce (meure le même artifice que l’on a voulu employer dans cette partie du rapport, où, après vous avoir proposé de suspendre, c’est-à-dire de défendre les ordinalions, on s’est permis de flétrir, du ton le plus auguste, tout le corps épisconal ? Quels que soient vos principes religieux, Messieurs, le Corps législatif doit sentir la nécessité d’environner les premiers pasteurs de la considération publique. Législateurs d’un jour, législateurs de quelques journaux serviles, vous regardez comme de bons Français tous ceux que la Révolution a enrichis, tandis que vous dénoncez comme de mauvais patriotes tous les citoyens qu’elle a ruinés ? Vous aurez beau m’interrompre, en répondant par des murmures à mes raisons, comme si mes raisons étaient des injures. Eh ! que craignez-vous, pour vous abaisser aux menaces ! Le règne de la justice n’est pas encore arrivé; mais le moment de la vérité est venu, et vous allez l’entendre. Nous dirons donc, lorsque vous vîntes inviter le clergé, au nom d’un Dieu de paix, à prendre place dans cette Assemblée parmi les représentants delà nation, il ne devait pas s’attendre à s’y voir livré, du haut de cette tribune, au mépris et à la rage des peuples. Nous dirons qu’il y a autant de lâcheté que d’injustice à attaquer des hommes qui ne peuvent opposer aux outrages que la patience, et a la fureur que la résignation. Nous dirons à nos détracteurs que, si le tombeau, dans lequel ils croient nous avoir ensevelis, ne leur paraît pas encore assez profond, pour leur répondre de notre anéantissement, ce seront leurs injures, ce seront leurs persécutions qui nous en ferons sortir avec gloire, pour reconquérir l’estime et l’intérêt de la nation, et que la pitié publique nous vengera bientôt du mal que nous a fait l’envie. Vous demandez qu’on me rappelle à l’ordre? Eh ! à quel ordre me rappellerez vous ? Je rie m’écarte ni de la question, ni de la justice, ni de la décence, ni de la vérité. Les orateurs qui m’ont précédé dans cette tribune n’ont pas été rappelés à l’ordre, quand ils ont insulté sans pudeur et sans ménagement nos supérieurs dans la hiérarchie; je ne dois donc pas être appelé à l’ordre quand je viens décerner au corps épiscopal une juste et solennelle réparation. Tous les vertueux ecclésiastiques du royaume s’empresseront de ratifier cet hommage public de respect, d’attache-illent et de confiance, que nous devons à nos évêques. Nous avons vécu sous leur gouvernement paternel, que l’on ose vous dénoncer comme un gouvernement despotique; et nous vous déclarons que nous avons toujours chéri leur autorité douce et bienfaisante, qu’il est bien plus facile de calomnier que d’imiter. Nous désavouons hautement les éloges insultants que l’on a prodigués au second ordre du clergé, en déprimant le premier. Le piège est trop grossier pour nous tromper. Nous ne nous séparerons jamais de nos chefs et de nos guides. Nous nous ferons gloire de partager tous leurs malheurs; et on ne parviendra plus à nous diviser par des manœuvres, dont une expérience trop récente nous a révélé tous les dangers. Nous souhaitons, Messieurs, que vos prétendus décrets régénérateurs de l’église de France, ne fassent pas déchoir vos pasteurs de la gloire qui leur appartient, depuis trois siècles, d’être par leur science et leur régularité le premier clergé de l’univers. L’Europe et la postérité confirmeront ce témoignage incontesta-b'e, que je leur rends en votre présence. Que dis-je? Leur conduite, dans ce moment de crise et de terreur, va vous apprendre à les connaître. L’intérêt n’a pu les émouvoir : mais la foi est en péril; l’honneur parle : il suffît, tout danger personnel dis parait. Vous verrez, par l’exécution même du fatal décret que vous êtes prêts à prononcer, si vous ne devez pas regarder comme des ennemis de la patrie, les fanatiques persécuteurs qui oppriment et tourmentent, sans intérêt, de faibles pasteurs accoutumés à prier pour ceux qui les insultent et dont la patience a dû vous apprendre, dans la séance d’hier au soir, ce qu’ils savent souffrir et endurer en silence quand ils défendent les intérêts de la religion. Nous imiierons avec enthousiasme le bel exemple de fermeté sacerdotale que vient de donner, à toute la France, le brave et bon clergé de Qjimper. La religion a dû infiniment gagner à tous ces débats, qui ont achevé d’en démontrer, politiquement, la nécessité. Qu’on ose donc nous vexer, en nous demandant des serments contraires à nos principes! Nous retrouverons cette énergie de courage qui ne compte plus pour rien le sacrifice de la fortune et de la vie, quand il faut s’/mmoler au devoir. Prenez-v garde, Messieurs, il est dangereux de faire des martyrs. Il est dangereux de pousser à bout des hommes qui sont disposés à rendre à César ce qui apnartient à César mais qui veulent aussi rendre à Dieu ce qu’ils doivent à Dieu; et qui, en préférant la mort au parjure, vous prouveront, par l’effusion de leur sang, que s’ils n’ont pas été assez heureux pour se concilier votre bienveillance, ils savent, du moins, mériter et forcer votre estime ! Je conclus donc à l’ajournement de la motion qui vous a été adressée au nom de quatre de vos comités, jusqu’à ce que le roi ait reçu et nous ait fait transmettre officiellement la réponse du souverain pontife : seul juge compétent que nous puissions reconnaître, en matière de discipline ecclésiastique, spécialement lorsqu’il s’agit d’ériger ou de supprimer des sièges épiscopaux dans l’église de France, sans l’intervention d’un concile national. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 27 NOVEMBRE 1790. Opinion de M. Canins sur l'exécution des lois concernant la constitution du clergé , prononcée à la séance du soir. (Nota. Nous avons inséré plus haut la version mouvementée du Moniteur, mais nous avons pensé, néanmoins, qu’il y avait lieu dé reproduire ici, in extenso le discours de M. Camus, ainsi que l’adhésion donnée par plusieurs curés et prêtres députés, aux principes qu’il contient.) L'amour de la religion, un attachement sans partage à la foi de mes pères ; i’amour de la patrie, une appréhension vive qu’on n’égare mes con-