ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 juin 1791.] §84 (Assemblée nationale.] semblée reconnaissait la souveraineté de la nation, et voulait s'y soumettre, c'est le parti qu’elle a pris de se transporter en France, parti qui éloigne toute idée de rébellion, et qui ne permet pas de supposer que la colonie voulait se rendre iu dépendante ; c’est l'empressement avec lequel la plupart de ses membres se sont rendus aux nombreuses séances de votre comité des colonies, pour y discuter en commun tous les objets relatifs à la constitution des colonies, à leur régime intérieur, à leurs relations extérieures politiques et commerciales avec la mère-patrie pour laquelle ils ont manifesté chaque jour leur aitacbement. Ces sentiments, Messieurs, sont manifestés dans tous les écrits des membres de la ci-devant assemblée coloniale, et surtout dans la pétition qu'ils vous ont présentée le 18 avril dernier. Après avoir reconnu, Messieurs, les craintes qui agitaient les colonies, et particulièrement celle de Saint-Domingue, vos comités ont pensé qu’elles avaient été les causes principales des erreurs de la ci-devant assemblée coloniale; que l’éloignement des lieux, et l’ignorance des formes, avaient également contribué à ces erreurs ; mais qu’après la démarche de l’assemblée coloniale, qui, dans une plénitude de contiance, s’est rendue auprès de vous pour y déposer ses actes, et après toutes ses assurances de fidélité et de soumission, il ne pouvait resier aucun doute sur la pureté de ses intentions. Vous avez aussi ordonné, Messieurs, à vos comités, d’examiner l’adresse des membres de la ci-devant assemblée coloniale, tendant à ce que, prenant en considération la position où ils se trouvent, il leur soit accordé à titre d’indemnité ou de prêt une somme suffisante à leurs besoins pressants ; vos comités ont fait cet examen et ont pensé qu’il était juste d’accorder à chacun de ses membres, ainsi qu’à ceux du comité provincial de l’ouest de la colonie de Saint-Domingue, retenus près de nous par le même décret, la somme de 6,000 livres sur les fonds du département de la marine. Vos comités ont aussi pensé que M. de La Galis-sonnière, commandant le vaisseau le Léopard , ayant donné par écrit l’ordre de ramener ce vaiss au en France, et le commandant de ce vaisseau passant au sieur Santo-Domingo, celui-ci avait dû mettre cet ordre à exécution ; d’où il résultait que cet officier, ainsi que ceux qui lui étaient subordonnés, se sont admirablement acquittés dts devoirs attachés à leurs fonctions, et qu’en conséquence les dispositions de vos décrets des 20 septembre et 12 octobre derniers, à l’égard du sieur Santo-Domingo, des officiers et autres sous ses ordres composant l’équipage, du vaisseau le Léopard , devaient être levées. Les 4 comités réunis proposent à l’Assemblée nationale le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de ses comités des colonies, de marine, de Constitution, et d’agriculture et de commerce, « Considérant que, en prononçant, le 1er juin dernier, la nullité des décrets à la ci-devant assemblée générale de Saint-Domingue, elle s’est réservé de prononcer sur les personnes, « Considérant que les erreurs qui ont dicté les actes de cette assemblée, ont été produites surtout par l’éloignement et par les alarmes répandues dans les colonies sur les dispositions de l’Assemblée nationale; et prenant en considération les adresses des 18 avril et 21 mai derniers; « Déclare qu’elle est convaincue de la pureté des intentions des membres de la ci-devant assemblée de Saint-Domingue, ainsi que de celle des membres de la ci-devant assemblée provinciale de l’Ouest ; qu’il n’y a pas lieu à inculpation contre M. Santo-Domingo; « Décrète qu’elle lève les dispositions de ses décrets des 27 septembre et 12 octobre 1790, par lesquels les membres de la ci-devant assemblée générale de Saint-Domingue, et ceux de rassemblée provinciale de l’Ouest ont été mandés et retenus à la suite de l’Assemblée, ainsi que les dispositions par lesquelles le roi a été prié de renvoyer les officiers et matelots de l’équipage du vaisseau le Léopard , dans leurs quartiers respectifs ; <> Décrète qu’il sera fait à chacun des membres de la ci-devant assemblée générale, actuellement en France, une avance de 6,000 livres sur le département de la marine; « Décrète en outre qu’il sera donné passage sur les vaisseaux qui transporteront les commissaires civils, à ceux des membres de la ci-devant assemblée générale qui le désireront. » M. Martineau. Il me semble que l’Assemblée nationale peut bien déclarer qu’ii n’y a pas lieu à accusation contre M. Santo-Domingo et ccmtre les membres de l’assemblée coloniale; mais je ne crois pas que l’on puisse dire dans un décret : Nous sommes convaincus de la pureté des intentions de ses membres. Je demande qu’on retranche cette partie du décret, et même tout le préambule. M. Garat aîné. Un principe certain en fait d’intentions, c’est qu’il faut tenir pour bonnes celles qu’on ne peut prouver mauvaises. Quelque funestes dans leurs suites, quelque inconstitutionnels qu’aient été les décrets de la ci-devant assemblée de Saint-Marc, ils ont été précédés et accompagnés de circonstances qui prouvent évidemment que des opinions erronées pins que coupables les ont dictés. Les membres qui la composent sont venus se jeter dans le sein de l’Assemblée nationale; toutes les fois qu’ils vous ont parlé par votre bouche, vous n’avez entendu que des témoignages de respect et de fidélité. Cet organe qui vous a parlé en qualité de leur défenseur, cet organe qui n’a jamais su prononcer la vérité, ils l’ont désavoué depuis. Ces députés sont réélus pour la quatrième fois par leurs commettants; des témoignages honorables de votre part seront propres à resserrer les liens des colonies avec la métropole. Ou vous propose de donner à ces députés une avance pour leur voyage; ils vous offrent pour garantie un traitement de 30 livres par jour qui leur est dû depuis un an, et la colonie est créancière sur les fonds de la marine d’une somme de 5 millions. M. de Gouy d’Arsy. Vous devez sans doute des indemnités ou du moins des avances à des hommes que vous avez éloignés pendant un an de leurs foyers et de leurs manufactures. Je ne viens pas pour parler sur le fond de la question ; nous désirons tous la paix. Vous savez qu’un grand nombre des membres de l’assemblée générale sont désignés pour la quatrième fois, par les suffrages de leurs concitoyens, pour former l’assemblée représentative des colonies. J’observe donc que dans le choix des sentiments, vous devez considérer ceux qui ont été exprimés les derniers, et qui sont le plus analogues au désir [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 juin 1791- J 585 que vous avez de porter la paix dans les colonies. Je propose de décréter qu’il n’y a lieu à aucune inculpation contre M, Santo-Domingo, ni contre les 85 membres de l’assemblée de Saint-Marc, et qu’ils sont libres de partir. M. Prieur. Je demande que la rédaction porte : qu’tl n’y a pas lieu à inculpation contre les 85 membres et le sieur Santo-Domingo, et qu’il sera avancé, à titre de prêt à chacun des 85 membres députés, la somme de 6,000 livres, laquelle ils rendront lorsqu’ils seront dans la colonie. M. Delavigne. Daignez remarquer le contraste étranger entre la position dans laquelle on représente les membres de la ci-devant assemblée de Saint-Marc, et la contenance hère de ces colons qui naguères vinrent à votre barre soutenir les prétentions exagérées qu’ils apportèrent à leur arrivée en France. Lorsque les 85 sont arrivés sur le Léopard , s’ils avaient commencé par où ils ont fini, l’affaire aurait été bientôt terminée. Libres de leurs personnes, ils auraient retourné, s’ils avaient voulu, dans leur patrie, annoncer la vérité, c’est-à-dire les intentions de justice de l’Assemblée nationale. Au lieu de cela, qu’ont-ils fait? Ils ont conservé l’esprit de révolte qui caractérisait, je ne dirai pas leurs personnes, je n’en parle pas, mais leurs décrets. Rappelez-vous, Messieurs, que ce n’est qu’en dernier lieu, lors des nouvelles de M. Mauduit, que M. Barnave fut aise de prendre acte, dans l’Assemblée, d’une lettre de soumission qu’il dit avoir depuis trois jours. Ce n’est qu’à cette époque qu’ils ont quitté celle contenance fière qu’ils avaient conservée jusqu’alors. Actuellement ils vous disent : Nous avons fait des dépenses. Sans doute, ils ont fait des dépenses que leur indocilité leur a occasionnées, et qu’ils eussent évité s’ils se fussent bien comportés, s’ils eussent, dès le lendemain de leur arrivée, pris le parti auquel ils se sont enfin décidés. Il est de toute impossibilité de déclarer à leur égard qu’il n’y a pas lieu à inculpation; vous vous êtes réservé de prononcer sur leurs personnes : eh bien! prononcez sur leurs personnes dans l’état où ils se sont mis, dites que leur soumission vous met dans le cas de lever l’espèce d’arrestation prononcée par vos décrets. Voilà la seule manière de prononcer. D’après cela, je propose que l’Assemblée nationale décrète que les 85 membres sont libres de retourner où ils voudront. Ils vous demandent aujourd’hui que vous leur donniez 500,000 livres... M. de Gouy d’Arsy. C’est un prêt. M. Delavigne. Je dis donner, car les personnes de ce pays savent bien emprunter, mais jamais rendre. (Murmures.) M. de Gouy d’Arsy. Je me rends caution pour eux, et j’eu demande acte. M. Arthur Diilon. Ne leur donnez rien, mais rendez-leur le prix des exactions que nos ministres ont exercées sur eux. M. Delavigne. Lorsque tant de citoyens irréprochables que la Révolution a ruinés vous tendent la maiu et que vous gémissez de ne pas pouvoir faire pour eux ce que votre humanité vous suggérerait ; lorsque l’Assemblée nationale reçoit un louis que lui offre un citoyen indigent dans l’ardeur de son zèle pour la défense de la patrie, vous iriez récompenser de 500,000 livres, la révolte, corrigée, il est vrai, par la rétractation, mais qui n’en est pas moins une révolte dans le principe, de 85 habitants d’une colonie? Comment traiteriez-vous donc ceux qui se sont bien conduits si vous récompensez aussi généreusement ceux qui ont tant de reproches à se faire. ( Applaudissements .) N’y a-t-il pas à Paris pour des gens qui ont 80 millions de propriété mille moyens de trouver de l’argent ? Je vous prie encore de faire cette réflexion qui, sans doute, n’a pas échappé à votre perspicacité : on veut que vous récompensiez les 85 colons et l’on ne vous demande que pour M. Santa-Do-mingo qui a tout perdu, que de le déclarer irréprochable. Cependant il n’en est pas moins ruiné. M. Gaultler-Diauzat. Il a même formé une demande au comité. M. Delavigne. Je conclus à ce qu’il soit décrété que les 85 membres venus sur le Léopard et retenus à la suite de l’Assemblée nationale soient libres de leurs personnes ; qu’il n’y a lieu à aucune inculpation coütre le sieur Santo-Do-mingo et qu’il n'y a pas lieu à délibérer sur le surplus des dispositions proposées par le comité. M. Prieur. Je me résume à cet avis-là. Un membre : Il n’est personne dans cette Assemblée qui ne connaisse les services importants de M. Sauto-Uomingo. Je demande donc que le décret porte que l’Assemblée nationale est entiè-ment satisfaite de la conduite du sieur Santo-Domingo et des officiers de son équipage. Un membre : Je propose, de plus, une indemnité en faveur du sieur Santo-ûomingo et le renvoi de cette question à l’examen des comités. M. de Curt. Les colons, ci-devant membres de l’assemblée coloniale de Saint-Do -ningue, sont arrivés en France avec des préventions cruelles contre eux; ils ont été appelés à la barre de l’Assemblée nationale; vous avez dissout leur assemblée et cette nouvelle a parcouru l’Europe, j’ose dire les quatre parties du monde; iis se trouvent donc sous le joug d’une inculpation. Les colons sont gens d’honneur; ifs peuvent, par l’erreur d’un moment ou dans un instant d’humeur, avoir manifesté des sentiments que leurs cœurs rougiraient d’avouer; mais ils sont bons citoveus et ils ont donné dans cent occasions les preuves les plus éclatantes de leur amour pour les Français; je les ai vus, leurs côtes étant menacées par l’ennemi, quitter femmes, enfants, famille, faire la guerre à leurs dépens, et s’imposer tous les sacrifices possibles pour repousser les ennemis de la patrie; si vous ne renvoyez pas dans leur colonie les membres de la ci-devant assemblée générale avec un témoignage de confiance, avec le sentiment parlait de leur innocence, vous les rendrez malheureux. Dans un moment où vous voulez resserrer tous les liens de 1 Empire, il est juste, il est politique de croire en leur patriotisme. Ils vous demandent des avances. Je ne vous rappellerai pas les Sj0g [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 129 Juin 1791.] sacrifices qu’ils ont faits à la patrie ; je ne vous dirai pas que, dans la dernière guerre, la Guadeloupe étant sans troupes, les colons firent le sacrifice de leur fortune, et résolurent de périr, jusqu’au dernier, plutôt que de se rendre aux ennemis de la France. Si l’histoire ne rapporte pas ce fait, il n’est aucun marin qui ne le sache. Croyez que ces mêmes colons sont encore dignes de votre estime et de votre approbation. Je vous prie en grâce de ne pas repousser le décret qui vous est proposé par vos quatre comités. (L’Assemblée ferme la discussion et accorde la priorité au projet de décret de M. Delavigne sur celui des comités.) Un membre propose par amendement d’insérer dans le décret le préambule suivant : « L’Assemblée nationale, ayant égard aux explications et rétractations contenues dans les adresses des 85 membres de la ci-devant assemblée coloniale, déclare qu’il n’y a pas lieu à inculpation, etc... » Un membre propose de délibérer sur les principales dispositions du projet de décret de M. Delavigne et de les renvoyer aux comités pour présenter une nouvelle rédaction. (Cette dernière motion est adoptée.) En conséquence, l’Assemblée consultée décrète : 1° Qu’il sera fait mention dans le nouveau projet de la rétractation des 85 membres de la ci-devant assemblée ; 2° Qu’il n’y a pas lieu à inculpation contre ces membres ; 3° Qu’ils seront libres de retourner dans leur patrie. L’Assemblée décrète en outre qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur le surplus des dispositions. (M. le Président lève la séance à onze heures.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. ALEXANDRE DE BEAUHARNAIS. Séance du mercredi 29 juin 1791 (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. MM. Ganthlcr, Humant et Meunier, adjudants généraux de V armée, sont introduits à la barre et prêtent le serment prescrit par le décret du 22 juin courant. M. le Président donne lecture d’une lettre de M. Berthier , adjudant général , par laquelle il informe l’Assemblée qu’il s’est réuni le 23 juin aux citoyens qui ont été admis à prêter serment dans son sein ; mais qu’ayant été depuis employé dans la 17e division, il s’empresse de renouveler le serment solennellement prêté, et qu’il supplie l’Assemblée de permettre que son nom soit inscrit dans le procès-verbal comme l’engagement sacré que, dans quelque position qu’il puisse se trouver, il est prêt à mourir pour la défense de la patrie et le maintien de la Constitution. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. M. le Président. Voici une lettre des administrateurs du district de Pont-Audemer. Ils annoncent la réception des décrets rendus à l’occasion du départ du roi, et le détail des mesures qu’ils ont prises pour maintenir et assurer la tranquillité publique. Ils rendent compte qu’en conséquence d’un décret de l’Assemblée nationale, qui défend la sortie hors du royaume d’effets ou espèces d’or et d’argent, la municipalité de Quilbeuf a fait arrêter un navire qui, outre plusieurs effets précieux, portait 817 marcs de vaisselle d’argent. L’Assemblée m’autorise sans doute à renvoyer cette lettre aux comités des rapports et des recherches réunis. (Ce renvoi est décrété.) Un membre observe que M. Maurice Lévêque, homme de lettres à Paris, a fait hommage à l’Assemblée, le 22 juin présent mois, d’un ouvrage de sa composition, intitulé : Tableau politique , religieux et moral de Rome et des Etats ecclésiastiques, et qu’on a oublié d’en faire mention dans le procès-verbal. (L’Assemblée ordonne qu’il en sera fait mention dans le procès-verbal de ce jour.) M. Dauchy, au nom du comité des contributions publiques, fait la relue des articles décrétés dans la séance d’hier et relatifs aux contributions (1). Il donne ensuite lecture de deux lettres de M. Tarbé, ministre des contributions publiques : La première est relative à l’exécution de la loi du 1er juin dernier, concernant l’accélération du recouvrement des impositions de 1790 et des années antérieures. La deuxième contient l’assurance qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour que les 83 départements puissent procéder à la répartition des contributions d e 1791. M. le Président fait donner lecture, par un de MM. les secrétaires, d’une lettre du sieur Mer-hel , citoyen de Bordeaux, ainsi conçue : « Augustes représentants de la nation, « Mon sang coulait dans les veines de 11 enfants, dont 9 garçons, et a été versé sur le champ d’honneur. Ce qui me reste, je l’offre à la patrie. Mon cœur brûle encore sous les glaces de l’âge et sous mes cheveux blancs. Exaucez ma prière. Je demande à partir de Paris pour la défense de nos frontières; je ne demande rien que l’honneur du poste le plus dangereux; un de mes enfants, le troisième de mes fils, qui se trouve en ce moment ici, combattra à mes côtés. Ordonnez qu’on nous place au premier rang de la compagnie; je dois éprouver le premier feu, voilà la faveur que je brigue. Si le vieux défenseur de la liberté est tué pour l’exécution de vos décrets, alors, père de la patrie, il laisse à votre providence ses enfants, et un jour ses fils imiteront son exemple, et verseront sur sa tombe, au lieu de pleurs, le sang de nos ennemis. « Pardonnez aux élans de mon ardente sensibilité; mais que dis-je, un vaste pressentiment m’annonce d’avance la gloire du nom français, et ma pensée atteste la victoire. Oui, nous jurons (1) Voy. ci-dessus, séance du 28 juin 1791, p. 567.