744 lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]4 juin 1791.] que cet approvisionnement y est inutile, et pourrait former une grande quantité de monnaie. (L’Assemblée renvoie cette adresse à ses comités militaire et des monnaies.) Adresse du sieur Charles Gaillard de Saudray, qui fait hommage à l’Assemblée de la 2me partie d’un plan d’organisation de la force publique intérieure; il demande que les compagnies soient portées de 50 à 212 hommes. (L’Assemblée renvoie cette adresse à son comité militaire.) Adresse des sieurs Labarre, Mortier , Pascal, Èar-ralier et autres, formant la société des amis de la Constitution de Toulon; ils représentent que dans un siècle de lumières, d’égalité, les Français ne doivent pas laisser subsister des lois arbitraires, gui enlèvent aux citoyens les droits imprescriptibles de la nature; qu’il est de la gloire de l'Assemblée d’anéantir toutes celles qui existent sur les successions en ligne directe et collatérale. Ils pensent qu’il est nécessaire de laisser au père une partie disponible de ses biens, mais qu’il faut la restreindre au dixième. Moins les lois, disent-ils, accorderont au despotisme paternel, plus le sentiment et la raison auront de force. (L’Assemblée renvoie cette adresse au comité de Constitution.) Le sieur Castel est admis à la barre. Il fait hommage à l’Assemblée du tableau des progrès de la Révolution et s’exprime ainsi : « Représentants du peuple français, « Peut-on vous faire un hommage plus digne de vous que celui du tableau historique de notre heureuse Révolution et de vos sublimes travaux? Cet ouvrage, présenté en cartes, a l’avantage d’exposer sans cesse aux yeux du peuple qui vous doit sa liberté et sa nouvelle Constitution, ce que le marbre et l’airain consacreront un jour à la postérité. « Daignez accepter mon hommage; c’est la plus précieuse récompense que puisse recevoir un citoyen voué tout entier à la liberté, embrasé de son feu sacré et qui donnerait son sang pour le soutien de la Constitution. » (L’Assemblée agrée l’hommage du sieur Castel.) Un de MM. les secrétaires : Je viens de confier à une personne près de la tribune Y adresse des négociants du Havre ; et cette personne me l’a emportée et l’a donnée à M. de Menonville. ( Mouvement .) M. Bouche. Je vous somme, Monsieur le Président, de donner des ordres pour faire arrêter sur-le-champ M. de Menonville. (Bruit.) M. le Président. Je ne donnerai des ordres aue lorsque l’Assemblée elle-même sera dans rordre. (Un huissier rapporte la pièce.) M. de Folleville. Je demande que cette pièce-là soit paraphée, puisqu’on ne peut pas en avoir l’impression. (Murmures.) M. Menonville de Villiers. Il s’agit de savoir si un membre peut prendre copie d’une adresse. Plusieurs membres : A l’ordre du jour! (L’Assemblée passe à l’ordre du jour.) M. le Président annonce : 1° Que M. Boesnier , ancien maitre particulier des eaux et forêts de Blois , fait hommage à l’Assemblée d’un ouvrage de sa composition, intitulé ; Réflexions sur les bois , et les moyens de procurer au royaume un approvisionnement plus favorable des bois de chauffage et de construction. (L’Assemblée reçoit cet hommage et renvoie l’écrit à son comité d’agriculture et de commerce.) 2° Que M. Br ion, ingénieur-géographe du roi, a l’honneur de présenter à l’Assemblée une carte de sa composition, contenant la division de la France en 83 départements. (L’Assemblée reçoit l’hommage et ordonne qu’il en sera fait mention honorable au procès-verbal.) M. le Président fait donner lecture, par un de MM. les secrétaires d’une adresse de M. Grouber de Groubentall, homme de loi, notable-adjoint de la section de l'hôtel de ville de Paris, qui fait hommage à l’Assemblée des ouvrages qu’il a publiés depuis quinze ans sur l’administration publique et notamment sur celle des finances. (L’Assemblée agrée cet hommage et ordonne que ces ouvrages seront déposés dans ses archives.) Suit la teneur de l’adresse de M. Grouber de Groubentall : « A l’Assemblée nationale. « Messieurs, « Si 33 années de travaux consécutifs sur toutes les parties de l’administration publique, notamment sur celle des finances ; si leur utilité démontrée par le nombre de décrets rendus conformément à ces travaux ; si le sacrifice entier des années les plus précieuses de ma vie et celui de ma fortune; si enfin les risques que j’ai courus depuis le ministère de M. de Silhouette, jusqii’à la retraite de M. l’archevêque de Sens.en dévoilant et contrariant les abus de l’ancien régime, et en livrant à l’impression à mes frais, en 1775 et 1788, la suite des principes que l’Assemblée nationale a canonisés, dans un temps où il n’était permis d’écrire ni de penser ; si, dis-je, la réunion de toutes les preuves du patriotisme le plus pur et le plus désintéressé peuvent paraître de quelque prix aux yeux de la nation, je ne dois pas craindre de me présenter pour participer à ses bienfaits, surtout lorsque je n’ai rien sollicité, rien obtenu sous la précédente administration. « Je suis né à Paris en 1739 ; mon père, natif de Gratz, capitale de la Styrie, était fils de ce u’en France on nommait ci-devant un intendant es finances , toute sa famille remplissait des places distinguées dans l’administration de l’Empire, et tenait un rang dans la noblesse. « Mon père, après avoir fait ses premières armes sous le prince Eugène au siège de Belgrade en 1717, s’est attaché à la partie diplomatique, et est venu en France en qualité de conseiller de légation aux congrès de Cambrai et de Soissons. « Après avoir fait à Paris abjuration des erreurs de Calvin, il s’y est marié ; son abjuration l’a privé de toute sa fortune paternelle ; il n’en a pas vécu moins honorablement; ses enfants, dont je suis l’aîné, ont reçu l’éducation la plus soignée : des pertes successives l’ont fait recourir à l’expédient ruineux du viager; je l’ai perdu en 1765, et n’ai tenu de lui, pour toute fortune, que des recouvrements jusqu’à présent encore incertains. « Elevé sous les yeux d’un père extrêmement instruit dans toutes les parties de l’administration, c’est à lui, sans doute, que j’ai dû le goût 745 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 juin 1791.] qui m’a dominé depuis l’âge de 15 ans et les principes que je n’ai cessé de professer depuis celui de dix-huit. « Livré, depuis ce dernier âge, à l’étude suivie de tout ce qui pouvait intéresser l’admiuistration publique, et pàrticulièrement celle des finances, j’ai, dès mes premiers pas dans cette carrière, reconnu la nécessité de tout renverser et de tout réédifier; je ne me suis jamais départi de ce principe, qui souvent m’a fait regarder comme visionnaire par les gens peu instruits, et cependant toutes mes visions ont fait fortune. « Dès 1759, c’est-à-dire à l’âge de 20 ans, je voulus hasarder mes premiers travaux, j’en donnai l’aperçu à M.de Silhouette, alors contrôleur général, et je* demandai à ce ministre une conférence à cet effet; le 23 avril, il me répondit en propres termes : « Il me paraît, monsieur, par le « seul exposé des projets sur lesquels vous « voudriez m’entretenir, qu’ils vont au renver-“ sement général de tout ce qui existe en ce « moment, et vous devez vous-même en inférer « combien l’exécution en serait impossible; en « conséquence, l’audience que vous me demandez « deviendrait inutile ». Il est évident que M. de Silhouette n’avait pas fait ses études à l’Assemblée nationale, car autrement il n’eût rien trouvé d’impossible. « Cette leçon ne me fit pas changer d’opinion, et j’osai, en 1765, aux risques d’encourir l’indignation de nos seigneurs des cinq grosses fermes, proposer l’abolition et le remplacement de la gabelle ; mais après m’avoir gratifié d’une leçon, il en aura pu prendre une à son tour à l’Assemblée nationale, puisqu’il existe encore, et il aura pu juger plus sainement de l’utilité ou de l’inutilité du plan que je lui soumettais alors. « Malgré ce peu de succès, rien n’a été capable de me décourager; plus j’ai trouvé d’obstacles vis-à-vis des ministres, et plus je me suis attaché à suivre le fil de leur administration pour en démêler les vices. « J’ai remarqué depuis trente ans que la manie favorite des ministres des finances a toujours été de vouloir qu’on les crût fort instruits et surtout infaillibles ; ils ont voulu paraître capables et en état de se suffire à eux-mêmes, lorsque toute leur besogne ne présentait que la bigarure maladroite de tous les plans qu’on avait la sottise de leur confier, et dont, suivant le style d’usage dans les bureaux ministériels, les circonstances ne permettaient pas de faire usage. « Je continuai néanmoins de travailler, dans l’espoir d’un temps plus favorable, que je pressentais, par la disposition des choses, ne devoir pas être fort éloigné ; cependant, l’époque en fut extrêmement rapprochée par le décès de Louis XV. « A peine son successeur fut-il sur le trône qu’il manifesta ce désir constant de faire le bien, dans lequel il a été si mal secondé, mais qu’il n’a jamais démenti depuis le premier moment. « Son avènement à la couronne fut l’aurore d’un beau jour dont nous commençons à peine à voir la première lueur; la liberté de la presse sur les matières d’administration parut prendre faveur sous M. Turgot; je me hâtai d’en profiter, et je fis alors imprimer mon premier essai sur les finances, intitulé : La Finance politique, réduite en principes et en pratique que j’eus l’honneur de présenter au roi et à la famille royale, le 15 février 1775. Le succès qu’éprouva ce premier ouvrage très imparfait, et composé avec tous les ménagements qu’exigeaieut les circonstances, me détermina de faire une seconde édition, dans laquelle je me permis d’ajouter une dissertation sur les causes de la cherté des grains et sur les moyens d’y remédier ; je me permis même, en traitant cette matière délicate, d’attaquer de front le système destructeurdes économistes; et de ce moment je me fis de cette secte dangereuse et du ministre qui la protégeait, des ennemis irréconciliables. Mon ouvrage eut cependant encore les honneurs de la présentation au roi le 1er octobre même année. « Lors de ce premier ouvrage, mon but n’avait été que de préparer les esprits et de les amener par degrés à une -révolution générale, que je regardais comme indispensable ; j’avais ébauché le plan d’une imposition unique, celui des administrations provinciales, et celui de la destruction absolue du colosse monstrueux de la France. « M. Turgot, tout en contrariant sourdement la publicité de mes travaux, fit dans le pays de Gex l’essai d’une partie de mes plans ; j’en fus instruit dans le temps par M. de Voltaire (1) ; M. Nec-ker fut alors un de nos panégyristes (2); M. de Vergennes fut de tous les ministres le seul qui encouragea mon zèle (3); mais de tous les suffrages que je réunis, celui du roi de Prusse fut le plus capable de l’exciter. « Je me disposais, d’après ce premier succès, à donner à nos travaux une suite plus intéressante, mais je rencontrai constamment les obstacles les plus insurmontables à leur publicité; l’insouciant Maurepas fuyait les innovations, le garde des sceaux les craignait, chacun voulait rester dans sa position et s’y trouvait bien; le public seul, et moi le premier, s’en trouvait fort mal. C’est ainsi que j’ai lutté pendant l’espace de 12 années, alternativement victime, et de l’inquisition ministérielle, et de la férule censoriale. « Cependant mes premiers enfants faisaient fortune; d’après mes plans on démolissait la bastille des finances, et l’on élevait l’édifice des administrations provinciales; cette circonstance fut la seule où je me sois permis de solliciter quelque grâce pour moi-même. La division de la ferme générale en 3 compagnies de finances, me fit naître l’idée d’entrer dans l’une des 3 et je demandais avec confiance une place qui pour-vait, en raison de la nature de mes travaux, devenir encore plus utile à l’administration qu’à (1) « Heureusement, M. le contrôleur général vient de faire pour les habitants de mon canton une partie des choses que vous propose?, pour le reste de la France; je souhaite qu’un homme qui pense aussi bien que vous soit connu d’un aussi digne ministre, et que vous soyez employé à faire le bien que vous indiquez. » [Lettre de Voltaire, 31 décembre 1775.) (2) « Ma santé qui est un peu dérangée, Monsieur, ne m’a pas permis de lire encore, avec l’attention que je désire, le livre que vous m’avez fait l’honneur de m’envoyer; le peu que j’ai lu m’inspire beaucoup d’intérêt : je n’ai pas voulu différer plus longtemps de vous en remercier et de vous assurer de la respectueuse considération avec laquelle j’ai l’honneur d’être, etc. » [Lettre de M. Necker, de novembre 1775.) (3) « Je n’ai point été surpris, Monsieur, des éloges honorables que vous avez reçus de la part du roi de Sardaigne et de Sa Majesté Prussienne, sur la satisfaction que leur a causé la lecture de votre ouvrage ; il est bien fait pour inspirer ce sentiment, et je vois avec plaisir que vous êtes dans l’intention de le suivre avec ce zèle qui vous caractérise; je vous en fais mon com-f (liment bien sincère, en vous priant d’être persuadé de a considération distinguée avec laquelle je suis, etc... » [Lettre de M. de Vergennes.) 746 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. U juin 1791.] moi-même. Le directeur général me répondit (1): « Gomme la suite des opérations de finances occasionne la réforme de plusieurs sujets anciens, ui n’ont contre eux que les circonstances, il est e la justice de l’administration de s’occuper de leur remplacement. » La ferme générale étant alors composée de 82 sujets, compris 24 adjoints ; de ce nombre, 6 seulement furent incorporés dans les 2 autres compagnies, et 46 personnages favorisés obtinrent des places au préjudice de 18 fermiers généraux réformés. Ces faits sont positifs, conséquemment l’excuse du directeur-général était une défaite ministérielle. « D’après l’essai d’une administration provinciale établie dans le Berry, par arrêt du 12 juillet 1778, plusieurs provinces estimèrent que ce plan, incohérent dans son ensemble, devait être insuffisant dans ses résultats, et fort éloigné des avantages dont il paraissait susceptible. En conséquence, 2 prix furent proposés par 2 provinces, et je concourus à tous deux, sur les invitations les plus fortes et les plus pressantes. « A l’époque de la proclamation de ce prix, l’Académie de Rouen déclara que les mémoires présentés au concours n’avaient pas rempli l’oiijet proposé; j’avoue qu’à ne juger que d’après mon travail, cette annonce me parut plus que suspecte ; l’Académie de Châlons-sur-Marne fut de meilleure foi; si elle ne décerna pas le prix, du moins elle garda le silence sur les causes qui l’en empêchèrent; mais je crus devoir les éclaircir. « J’écrivis en conséquence et l’on me manda, le 14 septembre 1780, que le ministre de la province (M. de Vergennes) avait demandé au nom du roi à l’académie, qui n’avait pas cru devoir s’y refuser, la communication et l’envoi des mémoires qui avaient concouru pour le prix proposé; qu’ensuite le même ministre, au même nom, avait écrit que, d’après l’examen fait de ces mémoires, l’intention du roi n’était pas qu’ils fussent rendus publics, ni que le prix fût décerné. La lettre finissait ainsi : « L’académie n’a pas cru devoir résister à l’autorité royale et a envoyé les mémoires à M. le comte de Vergennes, à qui elle a marqué que 3 lui avaient paru surtout mériter une attention particulière; le vôtre, Monsieur, est de ce petit nombre... Elle est très fâchée de la circonstance, car votre mémoire contenait d’excellentes choses. « J’étais plus que fondé à croire que cette interversion de choses n’était ni l’ouvrage de M. de Vergennes, ni l’effet de la volonté du roi; j’écrivis en conséquence à ce ministre, en lui envoyant copie de la lettre que j’avais reçue, et le priai de m’éclaircir de la vérité d’un fait qui m’intéressait d’assez près ; il le fit de bonne grâce, et par sa réponse du 26 septembre 1780, il m’apprit n’avoir agi dans cette affaire que comme ministre du département de la Champagne et de l’ordre de M. Necker. Le secret de cet événement, qui n’en était pas un pour moi, me fut confirmé par là même, et je vis que le directeur général n’avait empêché la proclamation du prix et la publicité des mémoires, que parce qu’ils détruisaient de fond en comble l’édifice mai assis de son administration du Berry; j’en fus encore mieux convaincu par le silence obstiné qu’il garda sur les réclamations que je lui adressai à ce sujet. « Il venait de gagner complètement sa partie contre moi, en me privant de l’honneur auquel j’avais concouru, et de l’avantage de pouvoir être utile à mes concitoyens par mon plan d’adminis-(1,) Le 9 février 1780. tration (1), il était juste que je prisse ma revanche, et je ne tardai pas à le faire. Le compte bleu parut en 1781, je le reçus aussitôt de Versailles; dès le même jour je le travaillai et j’en fis Yeæamen critique, tel qu’il se trouve dans l’ouvrage que j’ai publié en 1788; malheureusement ce travail, que j’avais destiné pour le roi, ne fut prêt que le jour de la première retraite de M. Necker, et je me suis vu forcé de le laisser six ans dans l’oubli. « En 1782, je me décidai de faire un abrégé théorique sur l’administration des finances et du royaume, qui fut remis au roi au mois de décembre de la même année. C’est ce même travail, communiqué en 1785 à M. de Calonne, qui fit la base du mémoire qu’il donna au roi en 4786, et d’où résulta la première Assemblée des notables. « Je fis en vain les plus grands efforts pour rendre ce mémoire public, le censeur objecta constamment le renversement général que je proposais, et termina par un refus ; aussi le roi de Prusse, à qui j’avais eu l’honneur d’en adresser copie, faisant suite à mes précédents travaux, m’écrivit en 1783 au sujet de celui-ci : « Selon « son mérite, il aurait été à désirer que son im-« pression n’eut pas rencontré tant d’obstacles..., « et je suis bien charmé de le posséder en ma-« nuscrit, comme un monument de vos talents « et de vos travaux utiles. » « En 1785, étant de loisir à la Bastille (2), je m’occupai des moyens de libération de la dette publique, et je fis mon mémoire sur l’emprunt ublic et la libération (3). Je le fis communiquer M. de Calonne, j’eus le consentement de le rendre public, mais je fus encore arrêté par un censeur à la dévotion du ministre qui me fit prier, en 1786, d’en suspendre la publicité. « J’avais mis en ordre mes différents manuscrits, dans la vue de les communiquer à la première Assemblée des notables ; je n’en pus obtenir l’agrément jusqu’à la retraite de M. de Calonne ; mais trois mois après la clôture de l’Assemblée, je reçus l’ordre de tout rendre public, ce que je ne me fis pas répéter ; l’on me demanda même d’ajouter un travail particulier sur l’impôt territorial, et le ministre qui me l’ordonna, me manda sur l’ensemble que cet ouvrage était fait pour intéresser tous ceux qui prenaient part à la chose publique. « Dès que cet ouvrage parut, il souleva contre moi la noblesse et le clergé de France, parce que je détruisais de fond en comble les privilèges et les prétentions de ces deux ordres ; un mois après qu'il fut rendu public, M. Necker reprit les rênes de l’administration : mon ouvrage devait lui déplaire, ses principes en finance n’étaient pas le3 miens, d’ailleurs je réclamais contre ses plagiats vis-à-vis de moi ; je me plaignais de l’abus qu’il avait fait de son autorité pour empêcher la proclamation du prix des Administrations provin-(1) Ce plan se trouve dans ma Théorie générale de l’administration politique des finances. (2) J’ai eu l’obligation de cette faveur royale â l’un des ci-devant monseigneur, ci-devant duc, et ci-devant évêque, membre actuel de l’Assemblée, pour avoir refusé de consentir à la plus insigne friponnerie et à l’abus de confiance le plus caractérisé. Cette affaire acquerra bientôt la publicité qui lui est due. (3) Cet ouvrage a été imprimé par ordre du ministre des finances en 1788, sous le titre de Moyens comparatifs de libération des dettes nationales de l’Angleterre et de la France, et réimprimé dans ma Théorie générale. 747 lAssemkléfe ûatioûJtle.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 juin 1791.] ciales ; dans tout autre temps, j’eusse été victime : mon ouvrage seul le devint et l’on employa tous les moyens obscurs pour empêcher la propagation de mes idées; je le savais et je me tus; j’étais sûr que l’enthousiasme aurait un terme fatal, sa longueur seule a pu m’étonner... Mais je m’écarte de mon objet. « Malgré les nombreux ennemis de mes travaux, ils ont été connus, jugés, et j’ose dire, généralement applaudis : ce succès échauffa mon zèle, et dès que les Etats généraux furent convoqués, j’osais entreprendre un nouvel ouvrage, contenant méthodiquement tout ce qui devait faire l’objet du travail des Etats, avec tous les plans de réforme et d’amélioration appropriés à la circonstance. « Ce nouveau travail devant former le 3e volume de ma Théorie générale était prêt en février 1789. La prudence me conseilla d’attendre l’ouverture de l’Assemblée ; les divers événements survenus m’empêchèrent de hasarder ce volume; j’attendis jusqu’en septembre pour donner un prospectas et ouvrir une souscription ; j’eus le malheur de le faire paraître au moment de la révolution du 6 octobre et de la transplantation de l’Assemblée à Paris; mon prospectus fut victime des circonstances, et le défaut de souscription dans un moment où le numéraire commençait à se raréfier, m’obligea de suspendre mon édition, que je me suis vu forcé de retarder jusqu’à ce moment, ainsi que la publicité d’autres travaux non moins importants au bien de nos concitoyens, jusqu’à ce que les temps devinssent plus favorables, et que le goût des feuilles éphémères dont Paris est inondé, fut entièrement passé. « Enfin, en mars 1790, j’ai donné, sous le titre de V Anti-Moine, mon mémoire sur les moyens et la nécessité d’abolir les maisons religieuses en France. « Mais, avant l’impression de cet ouvrage, j’avais fait remettre au comité des pensions, le 27 janvier précédent, par l’un des membres de l’Assemblée, mon plan explicatif du régime des pensions, d’après le mémoire que j’avais déjà fait imprimer sur cette matière, et qui se trouve page 149 du second volume de ma Théorie générale des finances ; j’y avais joint un travail sur la première classe imprimée des pensions, intitulé Contrôle général des pensions , article par article. L’honorable membre à qui j’avais adressé le tout, en m’accusant la réception, me manda ce qui suit: « J’ai reçu, Monsieur, la lettre que vous m’avez « fait l’honneur de m’écrire, en date du 22 cou-« rant, avec celle adressée à MM. du comité de « l’examen des pensions, et le mémoire que vous « avez rédigé sur cet objet ; j’en ai pris connais-« sance avec le plus grand intérêt; j’ai été en-« chanté des excellentes vues qu’il renferme sur « la meilleure distribution des grâces pécuniai-« res, et je n’ai pas moins été satisfait des obser-« vations que vous avez faites sur divers favoris « de la Fortune qui ont plus ou moins étrange-« ment joui des abus du temps passé. « J’ai remis sur-le-champ, Monsieur, votre « mémoire et votre lettre au comité, à M. le baron « de Menou, l’un des principaux membres de ce « comité, homme ferme et intègre, et très bon « citoyen : je lui ai recommandé fortement votre « mémoire; il l’a reçu avec beaucoup de plaisir, « se proposant bien d’en faire usage, et hier au « soir à l’Assemblée, il m’a dit en être fort satis-« fait; je lui ai recommandé de ne point l’égarer. s Je désire de tout mon cœur. Monsieur, que « vous continuiez un travail si important, et dont « l’occasion de profiter est enfin venue: car, en « toutes autres circonstances, il n’aurait jamais « fallu songer à leur réforme, tant que l’auto-« rité se trouvait dans les mains de ceux qui en « jouissaient. » « J’aurais bien désiré, sur l’invitation flatteuse de l’honorable membre, pouvoir continuer mon Contrôle , mais j’avoue que je me suis effrayé à la seule idée d’un ouvrage au moins de 4 volumes, sans mission précise pour l’entrepremlre. « De tout ce que je viens d’exposer, il résulte évidemment que, nouveau saint Jean, j’ai été le précurseur, le prophète, et tout au moins l’un des instruments utiles de notre régénération, et si j’avais pu m’abandonner aux écarts de l’amour-propre, il m’eût été pardonnable en quelque sorte de m'y livrer, lorsque j’ai vu couronner nos travaux du plus brillant succès (1). Je ne me disculperai cependant pas du mouvement secret de satisfaction que j’ai ressenti, en voyant que l’opinion des représentants de la nation était sur les objets les plus importants, conforme à la mienne, ou que mes faibles lumières avaient pu accroître celles de l’Assemblée. « Maintenant, et pour justifier ce que j’ai dit dans le cours de ce mémoire, il ne me reste plus qu’à rapprocher de mes travaux et de mes plans les principaux décrets que l’Assemblée a rendus sur les mêmes objets que j’ai discutés dans mes ouvrages. « Or, j’ai proposé dans ma Théorie générale de l'administration des finances, l’égalité d’impositions; la suppression de l’ordre du clergé; l’établissement des administrations provinciales ou de département ; la suppression de la dîme ecclésiastique; la fixation du minimum du traitement des curés à 1,200 livres; l’établissement du culte gratuit; la suppression des droits de péage, hallage, pontonage, et autres de môme nature; celle des corvées et banalités; celle des justices seigneuriales ; l’aliénation à forfait des domaines de la couronne; celle des biens ecclésiastiques, le mode de cesventes ; l’emploi du prix des mêmes ventes à l’acquittement de la dette nationale; la suppression des milices; la réforme des poids et mesures; la suppression delà gabelle; celle des apanages des princes; l’autorisation du prêt à intérêts sans aliénation de capital; la réforme du régime des pensions; la suppression des maisons monastiques ; la création de papier-monnaie pour la vente des biens monastiques et domaniaux; la réforme de la jurisprudence; la (1) La lettre que j’ai reçue, en date du 4 novembre 1790, de lord Stanhope, président de la société des Amis de la Révolution à Londres, confirme ce que je viens de dire : « Monsieur, « J’ai bien des remerciements à vous faire pour les ouvrages que vous m’avez fait l’honneur de m’envoyer et que j’ai remis à la Société des Amis de la Révolution à Londres. Vous avez commencé de bonne heure à répandre des idées de liberté, et cela doit vous faire extraordinairement plaisir de voir vos concitoyens attachés, comme ils le sont, aux droits sacrés des hommes. Je voudrais bien que tout le monde, dans ce pays-ci, fût aussi zélé pour votre liberté que je le suis. M. Burke vient de publier un gros livre contre votre révolution et contre le docteur Price; mais j’espère que la majorité de la nation ne trouvera pas qu’il ait raison. Votre conquête de la liberté est le plus bel ornement dans l’histoire. « J’ai l’honneur d’être, avec respect, etc. « Signé : Stanhope. » 748 |A «semblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (4 juin 1791.] suppression des parlements; celle de la vénalité des offices; la suppression des privilèges d’exemption; la libération de la dette publique; la suppression des chambres des comptes; celle des traites ; celle des lettres de cachet; la liberté de la presse; la suppression des droits seigneuriaux ; celle des aides ; celle de la ferme du tabac ; celle des entrées; celle des coutumes, et nombre d’autres objets qui, faisant partie d’un système cohérent, sont absolument dans celui de la Révolution actuelle. « Je crois même pouvoir ajouter avec confiance, et par suite de la cohérence de nos travaux, que dans la quantité d’objets que l’Assemblée doit encore discuter, et sur lesquels elle doit statuer, une partie de ses décrets sera encore conforme aux différents plans que j’ai publiés sur les mêmes matières, et notamment en ce qui concerne la nature et l’assiette des impositions, le mode des perceptions, etc... « Mais pour ne laisser aucun doute sur la vérité de ce que je viens d’exposer dans ce mémoire, j’ai cru devoir déposer au comité des pensions, à qui j’ai l’honneur de l’adresser: l°un exemplaire de la seconde édition de ma Finance politique , réduite en principes et en pratique ; 2° les deux premiers volumes de ma Théorie générale de l’ad-minis trationpub lique des finances , qui est dé jà e n tre les mains de plusieurs membres de l’Assemblée, et dont je désire infiniment que MM. du comité des pensions veuillent bien faire une lecture suivie; 3° un exemplaire de V Anti-Moine ; 4° le prospectus que j’ai donné l’année dernière d’une nouvelle édition de ma Théorie générale augmentée d’un 3e volume, et dans lequel se trouve la table des matières insérées dans ce volume; 5° Un Discours sur l'autorité paternelle et le devoir filial , considérés d’après la nature , la civilisation et le pacte social , pour servir à l’établissement indispensable d’un tribunal de famille. « Si, d’après l’exposé contenu dans ce mémoire, d’après les preuves que j’y joins des faits avancés par moi, d’après la certitude de mon zèle, de mes sacrifices, et que je n’ai rien demandé ni obtenu sous l’ancien régime, si ce n’est deux brevets de Bastille (1), si enfin la nation daigne me reconnaître quelques talents, et se persuader de leur utilité, j’ose croire aussi qu’elle daignera leur fixer la récompense dont elle les jugera dignes, et me mettre à même, par là, de les continuer, et de parachever tout ce qui me reste encore à mettre au jour, sur les objets qui peuvent intéresser le plus la chose publique et le bonheur de nos concitoyens. « Paris, ce 1er juin 1791. « Signé : Grouber de Groubentall, homme de loi, notable, adjoint. » M. de Broglie, au nom du comité militaire , propose diverses modifications au décret du 26 mai 1791 sur la répartition , par département et par district, du nombre d'hommes qui devront être fournis pour compléter celui des auxiliaires destinés à recruter l'armée en temps de guerre (2). Ces modifications consistent dans la suppression des observations faites au tableau de répartition des auxiliaires par département, la suppression de la récapitulation, ainsi que des observations (1) Le premier a été décerné contre moi pour une plaisanterie littéraire dont je n’étais point auteur; j’ai dit plus haut le motif de l’autre. (2) Voy., ci-dessus, séance du 26 mai 1791, page 485. qui en sont la suite, avec quelques changements dans le préambule. Il soumet en conséquence à la délibération le projet modifié, dans les termes suivants : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité militaire sur les propositions faites par le ministre de la guerre, pour la répartition de 100,000 soldats auxiliaires dans les départements du royaume, a approuvé qu’il en fût réservé 25,000 pour le service de la marine, et a adopté le projet de répartition contenu dans le tableau ci-après, pour les 75,000 soldats auxiliaires destinés au service de l’armée de terre; en conséquence, elle décrète ce qui suit : Art. 1er. « Dans chacun des 83 départemeuts, un préposé par le roi sera chargé de vérifier l’âge, la taille et l’aptitude au service des soldats auxiliaires du département, d’en tenir le contrôle, de veiller aux remplacements, et de rendre compte au ministre de la guerre de toutes les opérations relatives à cet objet. Art. 2. « Dans chaque district, un officier ou sous-officier de gendarmerie nationale sera chargé de tenir les contrôles particuliers des auxiliaires du district ; il entretiendra une correspondance suivie à cet égard avec le préposé par le roi, pour surveiller dans le département tous les détails relatifs aux auxiliaires. Art. 3. « Le ministre de la guerre adressera au directoire de chaque département un état relevé sur le tableau général des auxiliaires, et qui indiquera pour combien d’hommes ce département a été compris dans la répartition générale. Le directoire de département en fera ensuite la répartition particulière par district et en adressera l’état aux directoires de district et en remettra le double au préposé par le roi, et veillera à ce que les directoires de district fassent aussitôt publier dans les municipalités de leur arrondissement la loi relative aux auxiliaires. Art. 4. « Les hommes qui voudront entrer dans les auxiliaires remettront leurs soumissions à la municipalité du chef-lieu du canton, qui les adressera au directoire de district, et celui-ci les fera remettre à l’officier de gendarmerie nationale, pour en former un état général par district. Art. 5. « Lorsque le nombre de soumissions pour entrer dans les auxiliaires s’élèvera à plus de moitié du nombre déterminé pour chaque district, l’officier ou sous-officier de gendarmerie nationale, chargé de ce détail dans chaque district, en préviendra le préposé par le roi, qui sera tenu de se rendre au chef-lieu du district pour faire la revue de réception. Art. 6. « Tous les hommes qui auront présenté des soumissions seront prévenus à l’avance de se rendre au jour fixé dans le chef-lieu du district, pour y passer la revue de réception. Art. 7. « Cette revue sera faite par le préposé du roi, en présence d’up membre du directoire du dis-*