[31 octobre 1789.} 628 ] Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. l’Assemblée nationale, par son comité ecclésiastique, renforcé d’autant de membres du clergé ' qu’il sera nécessaire, pour qu'il soit mi-partie d’ecclésiastiques et de laïques ; que par ce plan, après avoir pourvu à une portion congrue de 1,200 livres au moins pour MM. les curés, indépendamment de leur maison et du jardin, et de 000 livres pour MM. les vicaires, il soit assuré à l’Etat sur les biens du clergé, outre leur contii-bution proportionnelle à toutes les charges de l’Etat, comme les biens des autres citoyens, une somme aussi considérable que pourra le permettre la connaissance exacte acquise par votre comité, tant des revenus du clergé que de ses charges, ladite somme restant spécialement hypothéquée au payement de la dette publique, jusqu’à son entière extinction ; Que de plus, dans chaque archiprêtré ou doyenné, il sera formé une caisse de religion pour fournir à tout ce qui concerne le culte divin et le soulagement des pauvres du canton ; que l’administration immédiate des fonds desdites caisses sera confiée aux curés dudit archiprêtré ou doyenné sous l’inspection des synodes diocésains, auxquels ils en rendront compte, et des conciles provinciaux, qui, d’après les connaissances locales, régleront les principes qui dirigeront l’emploi des fonds desdites caisses et les sommes que chaque bénéficier sera tenu d’y verser annuellement. M. l’abbé de Montesquiou. Le clergé possède depuis mille ans : cette propriété respectable est citée au tribunal de la nation. Des titres sont demandés, et l’on n’en présente aucuns pour attaquer ces titres. Nos commettants, au contraire, ont témoigné le respect le plus profond pour les propriétés ; pourquoi ce respect serait-il violé ? 11 est des objets sur lesquels il faut appeler la vénération des peuples; vouloir lever le voile des possessions du clergé, c’est livrer à l’inquiétude tous les citoyens propriétaires. Je suppose d’abord que l’Assemblée nationale ne veut ni créer des droits, ni envahir ; elle demande à qui appartient cette masse immense de propriétés ; c’est à quoi se réduit la question, qui devient une question de fait et ne peut être jugée que par des titres. Je n’en connais que de deux espèces : titres originaires et possession. Le ckrgé a-t-il des titres originaires? On a donné au clergé parce qu’on était propriétaire. Mais, dit-on, les fondations les plus importantes viennent des rois.... Alors le domaine était inaliénable ; presque toutes les propriétés ont la même source, et ne seraient point à l’abri de cette objection. Pouvait-on recevoir ? On le peut quand on peut acquérir, et les lois n’avaient pas défendu d’acquérir. On a donné au clergé entièrement ; tous les actes portent: « pour faire ce qu’on voudra ». Les clauses sont telles, qu’on ne peut rentrer dans les fonds donnés : ainsi, nous possédons plus entièrement que les particuliers ; ainsi, on a pu donner; ainsi, nous avons pu recevoir. La possession. Peut-on mettre en question si un corps est propriétaire, quand il a pu aliéner ses fonds, les grever d’hypothèques, quand il a été soumis à l’impôt, quand il a été appelé aux assemblées de la nation comme propriétaire ? Nous n’étions pas propriétaires.... Mais ces banquiers qui sont venus nous donner leur argent à uu si bas intérêt, mais nos rentiers ne nous regardaient-ils pas comme tels? Quand on vous demande: Possédez-vous cette terre? tous vos voisins disent que celte terre est à vous. Quand on nous fait la même question, tout l’empire fait la même réponse. N’avez-vous pas des parents, des amis, dont vous avez cru la subsistance assurée avec une dotation ecclésiastique ? Dans cette Assemblée, l’objection Ja plus forte qui ait été faite est celle de M. Thouret. Les corps, dit-il, n’existent que parla loi. Le particulier qui se présente devant la loi demande tout ce que la loi ne prohibe pas ; la loi ne défend pas les fondations, on a donc pu en faire, le clergé a donc pu en recevoir. Avons-nous été créés par la loi, ou sommes-nous le résultat des facultés garanties par la loi ? Je voudrais qu’on me citât une seule loi qui eût établi les grands corps ecclésiastiques.... Jamais peuple n’a été plus essentiellement libre de disposer de sa chose que les Francs, et l’on demande par quelle loi il ont pu nous donner ! Ils étaient les maîtres de leur propriété, ils ne devaient à l’Etat que de le défendre. L’Etat, dit-on, a souvent aliéné des fonds du clergé : jamais. Je défie de citer une aliénation. (M. le comte de Mirabeau annonce qu’il se réserve de répondre à ce défi.) Gomme on répondra, continue l’orateur, je dois poser l’état de la question : quand nos biens ont été aliénés pour l’Etat, iis l’ont été de notre consentement, c’est par nous que l’aliénation s’est faite. L’Etat, a-t-on dit, peut supprimer tous les établissements ecclésiastiques : il ne le peut, et même il ne le doit que quand ces ecclésiastiques sont nuisibles ; mais c’est une moralité qui s’écarte du point de la question. Si l’on nous dit : Vous êtes inutiles ; nous dirons : Rendez-nous utiles; si on ne le peut, il faut nous supprimer ..... On prétend que les biens du clergé ne sont que le salaire des fonctions publiques qu’il remplit. Les dîmes avaient cette origine ; mais les biens-fonds.... Je demande quelle fonction publique a instituée le seigneur qui a formé un établissement pieux dans sa terre ; cet établissement est pour son utilité particulière ; les fonds qui y sont attachés appartiennent particulièrement à cet établissement. A qui donc la propriété des fonds ? Ils ont été donnés pour faire telle et telle chose à tel temps; ils appartiennent à celui qui fera. Pour détruire ce raisonnement, il faut montrer la loi qui a empêché de donner à condition de faire. On suppose que si la nation a donné, elle peut reprendre. Cette observation est un peu sauvage... On cite la magistrature, le militaire; mais les individus qui composent ces corps respectables ne sont pas inséparablement liés à ces corps. Eh quoi ! on nous liera pour jamais, et la nation ne * serait pas liée! et la nation pourrait rompre ce contrat bizarre sans changer notre position! Vos pères n’ont rien donné sans retour ; on dirait aux enfants : Liez-vous et vous subsisterez ; et on leui* enlèverait leur subsistance !.... M. Dupont a dit que si le clergé avait payé comme la noblesse depuis 1706, il y aurait de plus dans la caisse de l’Etat 2,700,000,000. Peut-on faire cette observation dans une Assemblée où l’on a consacré le principe que nul n’était tenu aux impôts qu’il n’avait pas librement consentis? L’empereur turc, lorsqu’il prit l’île de Candie, avait un vizir qui établit par des raisonnements profonds que cette île devait payer toutes les impositions qu’elle aurait payées si elle avait dépendu de l’empire depuis le même temps que les autres îles de l’Archipel. M. Dupont a d’ailleurs ’ oublié tous les dons faits par le clergé en 1601, 1693, 1695, etc. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 novembre 1789.] M. l’abbé de Montesquiou termine son discours pardes observations sur les doubles emplois, etc., et sur toutes les causes qui doivent rendre infidèles les calculs ou aperçus faits sur la valeur des biens du clergé. On crie de toutes parts : Aux voix! aux voix! M. le comte de Mirabeau propose un ajournement fixé à lundi. Il en donne pour raisons la réponse qu’il doit faire au défi de M. l’abbé de Montesquiou ; la demande des provinces bel-giques dont les députés veulent parler sur la question, et qu’on ne peut refuser d’entendre; et la difficulté d’opiner la nuit, même par appel nominal. Le oui et le non, dit-il, apportent-ils avec eux la figure de ceux qui opinent? M. Briois de Beaumetz annonce qu'il doit parler pour sa province, et demande acte du refus qu’on ferait de l’entendre. Beaucoup de membres s’élèvent pour exprimer le même vœu. M. d’Estourmel (1). Messieurs, dans la séance du soir du 4 août, j’ai eu l’honneur de vous annoncer que la noblesse entière, tant celle entrant aux Etats que celle qui n’y est point admise, m’avait choisi pour son représentant; que les trois ordres de la province du Cambrésis ont été soumis dans tous les temps à une contribution égale entre eux, et que j’étais convaincu qu’ils ne pouvaient qu’acquiesciér de nouveau aux vues de justice de l’Assemblée nationale. C'est cette justice, Messieurs, dont je réclame, dans ce moment, l’effet pour cette province. Son clergé, ainsi que celui des autres provinces belgiques (2), n’a jamais fait partie du clergé de France. Les lettres patentes du 21 mai 1777, accordées à la demande du corps administratif des états de la province, ont remis les gens de mainmorte, du pays et comté du Cambrésis, dans l’état où ils étaient lors de l’expédition des lettres patentes du 9 juillet 1738, qui interdisent au clergé de Flandre et de Hainaut la faculté de faire des acquisitions. * Le parlement de Flandre, auquel ressortit le Cambrésis, est en possession d’y fixer la quotité des portions congrues. Votre sagesse vous a fait décréter, Messieurs, qu’aucune province ne pourrait s’assembler jusqu’à ce que vous ayez réglé le mode de convocation dans lequel elles s’assembleront. La sagesse qui dirigeait les délibérations de la noblesse du Cambrésis l’a portée à charger son député de demander (son cahier n’ayant jamais été impératif) que les pensions sur les abbayes , à la mutation des abbés réguliers , soient, par préférence , appliquées aux ecclésiastiques de la province et que , dans aucun cas, la commende ne puisse y être introduite, même en faveur des cardinaux, Cette demande me paraît contraster avec le principe qu’on vous propose de décréter sur la propriété des biens du clergé. Le Cambrésis a le plus grand intérêt à ce que (1) Le Moniteur se borne à mentionner le discours de M. d’Estourmel. (2) On comprenait sous la dénomination de provinces belgiques: le Cambrésis, l’Artois, la Flandre et le Hainaut. 629 le revenu de ces biens soit consommé dans la province. Je fais donc la motion expresse au nom du Cambrésis (je crois pouvoir dire au nom de toutes ies provinces belgiques), que le jugement de la question soit renvoyé après l’organisation des assemblées provinciales, dont il est de la plus grande importance de s’occuper sans délai, pour que les provinces belgiques puissent former un vœu que leurs députés s'empresseront de transmettre à l’Assemblée nationale. M. le Président propose, à cause de l’heure avancée, de continuer la suite de la discussion à lundi prochain, à onze heures du matin. Cette proposition est adoptée et la séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CAMUS. Séance du lundi 2 novembre 1789 (1). M. le Président annonce que M. Delettre, curé de Berny-Riviôre, député de Soissons, donne sa démission. M. le Président dit ensuite qu’il a reçu la lettre suivante, dont il donne lecture : De Saint-Germain-en-Laye, le 10 oclobre 1789. « Monsieur le président, « Voulez-vous bien avoir la bonté de prévenir l’Assemblée que je me démets de l’emploi qui m’avait été confié de député aux Etals libres et généraux de la France. « Je suis avec respect, monsieur le présiden t, votre, etc. '< Signé : LALLY-ToLLENDAL (2). » M. le Président. J’invite le comité des recherches à s'assembler sur-le-champ pour des affaires urgentes. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur les motions relatives à la propriété des biens ecclesiastiques. M. le Président demande si l’intention de l’Assemblée est que les députés des provinces belgiques soient particulièrement entendus. Il est décidé par un décret qu’ils le seront. M. Briois de Beaumetz. Je ne viens point ici développer des maximes particulières à ma province, mais des maximes nationales. La nation n'est pas propriétaire, le clergé ne l'est pas non plus. Le premier principe, en fait de propriété, est que celui qui n’est pas possesseur prouve sa propriété ; or, la nation ne possède pas : donc elle doit prouver et produire ses titres. On a dit : Le clergé n’est pas propriétaire ; donc c’est la nation. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. (2) Voy. annexée à la séance de ce jour la lettre de M. de Lally-Tollendal à ses commettants.